Dans l’état actuel des pratiques publiques en Corse, la formule des offices a été désavouée par les faits. Ces démembrements ont entraîné une dilution des responsabilités.

( UNE COLLECTIVITE TERRITORIALE QUI N’ASSUME QU’IMPARFAITEMENT SES RESPONSABILITES

La commission considère qu’il convient de lutter contre la tendance au dessaisissement volontaire de la Collectivité territoriale. Celle-ci a des pouvoirs très importants qu’elle n’exerce pas ou peu dans certains domaines. Elle s’en remet volontiers aux six agences et offices créés à cet effet qui répugnent, eux aussi, à prendre leurs responsabilités. L’ensemble manque de visibilité : la Collectivité territoriale déplore parfois le fait qu’elle n’a pas directement ni complètement la maîtrise des agences et offices et que, de ce fait, elle n’est pas en mesure de définir une ligne politique et des orientations dans chaque domaine. De leur côté, ces organismes se plaignent de n’avoir pas assez de latitude d’action pour mener toutes les opérations entrant dans leur champ de compétence. Chaque institution a ainsi tendance à renvoyer sur l’autre la responsabilité de l’inaction ou des difficultés.

Il en résulte un manque de lignes directrices : par exemple, il n’y a pas en Corse de véritable politique de développement agricole et rural. L’ODARC, qui devrait mettre en œuvre la politique de la Collectivité territoriale de Corse en la matière, se contente de distribuer les aides nationales ou européennes, sans plan d’action. L’ADEC (agence de développement économique de la Corse) se plaint de n’avoir aucune marge d’appréciation dans l’octroi des aides et la Collectivité territoriale de ne pas être en charge de la totalité du processus de leur attribution, puisque c’est l’agence qui instruit les dossiers. Dans ce contexte confus, qui doit-on croire ? Il est certain que le manque de clarification des attributions exactes des uns et des autres facilite la dilution des responsabilités.

( LA COEXISTENCE DE DEUX LEGITIMITES CONCURRENTES AU SEIN DES CONSEILS D’ADMINISTRATION DES OFFICES

Au sein des divers établissements, deux légitimités totalement différentes tentent de coexister avec des succès divers. Les conseils d’administration sont en effet composés d’élus membres de la Collectivité territoriale de Corse et de socio-professionnels qui cherchent à faire entendre, et parfois à imposer, leurs points de vue et leurs intérêts spécifiques. Certains d’entre eux accaparent le pouvoir au détriment des élus. Parfois, pour augmenter la confusion des rôles, les premiers finissent par se faire élire, mais gardent leur position dominante tout en ayant " changé de casquette ". Les réseaux s’insèrent dans les institutions qui leur servent de paravent.

( LE RISQUE DE DEMEMBREMENT DE LA COLLECTIVITE TERRITORIALE

La commission d’enquête constate que l’institution des agences et offices, et plus encore la façon dont ils ont fonctionné jusqu’à présent, créent un risque de démembrement de la Collectivité territoriale. Ces satellites ont eu tendance à prendre une grande autonomie à la faveur de plusieurs phénomènes qui se sont conjugués au fil du temps.

Tout d’abord, la Collectivité territoriale n’a pas souhaité se saisir de certains problèmes épineux dont le traitement aurait sans doute été impopulaire. Par exemple, elle a laissé l’office hydraulique se débattre dans des problèmes d’impayés de factures d’eau car la question, qui concerne les agriculteurs, est politiquement sensible. L’office a vu le niveau de ses créances augmenter sans que l’Assemblée de Corse ne prenne de décisions pour tenter de régler la question. Au contraire, l’Assemblée a en quelque sorte " donné raison " à ceux des clients de l’office qui ne réglaient pas leurs dettes. En décidant de prendre en charge, à compter de 1996, 50 % des factures d’eau, elle a implicitement reconnu que les difficultés du monde agricole justifiaient le non-paiement de l’eau au prix initial. L’office a indiqué à la commission que cette aide n’avait d’ailleurs nullement incité certains bénéficiaires à s’acquitter de façon plus régulière des 50 % restant à leur charge.

En deuxième lieu, les élus devant siéger au conseil d’administration des offices n’ont pas toujours su ou pu défendre la position ou les intérêts de la Collectivité territoriale face à des socio-professionnels, qui sont d’ailleurs parfois en position dominante, de par le statut de certains offices, au sein des conseils d’administration.

Enfin, les socio-professionnels siégeant dans ces conseils d’administration ont un point de vue à exprimer et à défendre. Ils sont en quelque sorte juges et parties. Il est logique qu’ils soient tentés de préconiser des solutions favorables à la profession qu’ils représentent. Dictées par des préoccupations particulières voire corporatistes, leurs propositions peuvent, sous couvert de technicité, se trouver validées par des élus qui ne sont pas nécessairement informés de tous les aspects d’une question entrant dans le champ d’intervention de l’office.

( LES CHEVAUCHEMENTS DE COMPETENCES LIES A LA SUR-ADMINISTRATION

Un dernier problème tient dans la présence pléthorique d’intervenants dans un même secteur. Ce chevauchement des compétences ne favorise pas la cohérence des politiques menées et l’efficacité des actions initiées sans concertation. Le domaine agricole est emblématique de ce point de vue : avec deux directions départementales de l’agriculture, une direction régionale de l’agriculture, trois Chambres d’agriculture (une en Haute-Corse, une en Corse-du-Sud et une Chambre régionale), deux offices agricoles (l’office d’équipement hydraulique de Corse et l’office de développement agricole et rural de la Corse) et une commission départementale d’orientation agricole, les organismes finissent par se faire concurrence. Le risque d’empiétement est réel, notamment dans le cas de l’ODARC dont les compétences chevauchent manifestement celles des Chambres d’agriculture.

Les difficultés de fonctionnement se cumulent avec les problèmes de chevauchements de compétences. Ainsi, l’office de l’environnement se plaint de difficultés relationnelles avec le parc naturel régional.

Ces problèmes ont également été soulevés par le président du Conseil exécutif, M. Jean Baggioni, qui, dans un courrier adressé à la commission, évoquait le " foisonnement " et la " surabondance " des structures, citant, entre autres, les multiples instances agricoles ainsi que le cas de l’office de l’environnement et du parc naturel régional " qui, sans avoir le même périmètre, nécessitent à tout le moins une articulation plus stricte de leurs missions, d’autant que la création de deux parcs marins nationaux ne fait qu’ajouter au morcellement de l’espace incompatible avec une gestion cohérente et efficace ".

De l’avis d’un haut responsable administratif, appelé à donner son point de vue devant la commission d’enquête, " sur le plan des structures administratives, il est évident qu’il y a une sur-administration, notamment au niveau du contrôle et de la fonction d’assistance et d’expertise. Six offices, une assemblée territoriale, deux conseils généraux, trois préfets, cinq arrondissements, un secrétariat général pour les affaires corses, deux cent cinquante mille habitants ! "


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr