Deux initiatives d’importance inégale ont été patronnées ou encouragées par le secrétariat général des Nations-unies au cours de l’année 2000 : en août à New-York, le sommet mondial des chefs religieux et spirituels, dont les travaux ont été précédés d’un important discours de M. Kofi A. Annan et, en novembre, le symposium international des associations "sur les sectes destructives", ouvert par une intervention de Mme Kerstin Leitner, représentante à Pékin du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Si ce dernier a surtout permis aux nombreuses délégations étrangères de manifester leurs inquiétudes à l’égard du prosélytisme sectaire et leur souci de faire prévaloir des solutions appropriées, le sommet de New-York avait de plus larges ambitions à la veille du troisième millénaire.

Il aurait été sans doute plus logique que cette assemblée, dès lors qu’elle avait reçu le soutien de M. Kofi A. Annan, se soit tenue de préférence à Genève où sont implantées les institutions des Nations-Unies chargées des droits de l’Homme. En outre, un lieu plus modeste que le luxueux Waldorf new-yorkais aurait été préférable.

Il aurait été opportun, s’agissant du financement d’une telle rencontre spirituelle, d’éviter de collecter des fonds d’entreprises ou de fondations dont l’objet social n’a rien à voir avec l’expression confessionnelle. Or, on relève parmi les financeurs, à côté de la fondation des Nations- Unies, le fonds Rockfeller, une association fondée par Ted Turner, la fondation Ford, etc... Un tract d’information publié en juillet signale toutefois qu’un certain nombre de groupes religieux ont aussi apporté un concours "en sponsorisant les repas et en apportant des contributions en nature". Ni l’identité de ces groupes, ni l’origine de leurs contributions n’ont été publiées.

Il aurait été souhaitable, s’agissant des délégations religieuses appelées à participer à cette rencontre, qu’il n’y ait ni oublis, ni refus d’invitation. S’agissant des omissions, il est assez singulier d’observer que la plupart des responsables français des grandes confessions (dont la participation avait été officiellement annoncée), ont déclaré n’avoir jamais reçu d’invitation.

Il aurait été souhaitable que le gouvernement des Etats-Unis se dispense de participer politiquement à cette assemblée, comme l’ont fait, sans exception, les gouvernements des Etats membres des Nations-Unies (fâcheusement, le révérend Jessie Jakson, sherpa du président Clinton, était présent sous les qualités confondues de "leader chrétien" et d’"envoyé spécial du président").

L’allocution d’ouverture prononcée par le Secrétaire général le 30 août a pu surprendre. Elle avait valeur d’admonestation à l’égard de tous ceux qui prêchent l’intolérance et le fanatisme religieux, l’obscurantisme, la contestation ou le rejet des libertés civiles, enfin le soutien de nationalismes abusifs sous couvert de convictions religieuses. Allant plus loin encore M. Kofi A. Annan a reproché aux leaders religieux leur timidité dans la lutte contre la persécution et la haine : le problème, à ses yeux, n’est pas du côté de la foi mais dans l’attitude timorée de trop de croyants.

Les thèmes à l’étude ont été repris dans une résolution adoptée en faveur d’une culture mondiale de la non-violence et dans l’optique d’un combat à engager ou à renforcer contre le fanatisme religieux, la pauvreté, le sous-développement, l’arme nucléaire et les atteintes à l’environnement. L’avenir dira quelle suite sera concrètement donnée à ce catalogue d’excellentes intentions qualifié par le secrétariat de la Conférence de "phenomenal response from religions leaders around the world".

Cependant, la rencontre du millénaire avait aussi pour objet de définir une grille d’analyse permettant de distinguer entre les églises authentiques, dénommées modestement "major institutions", et les mouvements à prétention religieuse.

Quatre critères ont été retenus. Le premier est celui de l’importance historique. Une notion aussi floue ne peut être interprétée que de façon très large : étendue démographique, durée chronologique, implication culturelle, influence sociale et politique, etc... Pratiquement tout mouvement se déclarant religieux peut y prétendre, y compris les groupes les plus contestables dès lors même que leur comportement a pu dans le passé entraîner de lourdes ou de durables conséquences pour la société dans laquelle ils agissaient. On pourrait rapprocher cette caractéristique, par son imprécision, de celle qui permet à n’importe quelle organisation non gouvernementale de se faire reconnaître comme organisation internationale par les Nations-Unies, même si elle n’exerce aucune activité à l’étranger (décision de 1986, prise à l’instigation des Etats-Unis).

Le second critère évoqué par la Conférence est celui du nombre des adeptes. Il n’est pas moins incertain. S’il paraît évident que les centaines de millions de certaines confessions forment un ensemble numériquement représentatif, que penser d’un mouvement religieux aux adhérents nombreux dans des Etats de faible volume démographique. En outre, à quel niveau placer le curseur dans les autres Etats ?

L’intolérance religieuse, par ailleurs, qui sévit dans de nombreux Etats à tendance théocratique interdisant la liberté d’expression publique d’autres confessions et de la plupart des mouvements philosophiques, comment dénombrer les adeptes de mouvements interdits de manifestation et sans personnalité juridique ?

L’étendue géographique, troisième critère, induit les mêmes observations que les deux précédentes.

Le quatrième et dernier critère retient la notion d’ancienneté, avec le commentaire suivant : "le fait que la religion ou la foi aurait plus de cent ans et que son fondateur charismatique ou son chef n’est plus en vie est une indication générale".

Ainsi, faute de pouvoir s’entendre sur une définition de la notion de religion, le seul critère quelque peu précis est celui de l’ancienneté. Il n’en appelle pas moins de vives réserves. Cette conception rejoint la législation de certains pays ex-soviétiques. En Russie, la loi de 1997 sur la liberté religieuse impose, entre autres contraintes, une existence minimale de 15 ans sur le territoire pour qu’un mouvement se déclarant religieux puisse prétendre à la personnalité juridique. Cette obligation tend indirectement à conforter l’audience des confessions qui ont joué un rôle historique au plan politique et social et concéder aux autres un délai prédéterminé pour s’adapter aux normes juridiques nouvelles de sociétés au demeurant en voie de laïcisation. La loi de 1997 a suscité de vives protestations d’églises chrétiennes minoritaires, notamment de l’église catholique. Toutefois, ce délai "séculaire" proposé pour reconnaître les églises authentiques ne semble pas avoir suscité de réserves particulières d’une majorité de chefs religieux, en dépit de la durée arbitraire de l’enracinement requis.

L’"indication générale" du quatrième critère valide d’autre part la position privilégiée des institutions majeures par le fait que leur fondateur, leur chef charismatique est mort. On pourrait avec mauvais esprit imaginer que cette suggestion ne concerne pas le Christianisme ni un certain nombre d’autres confessions dans la mesure où elle nierait la résurrection du fondateur. Doit-on plutôt voir dans ce critère une obligation supplémentaire tendant à prouver que la confession a été en mesure de survivre à son initiateur charismatique ? Dans cette hypothèse, l’exigence d’une durée de cent ans paraît alors bien modeste pour garantir la pérennité d’une vérité ou d’une erreur.

Il est difficile de tirer des réflexions émises à l’occasion de la Conférence, un corps de critères objectifs. La diversité des conceptions représentées l’interdisait sans doute. L’élaboration d’une grille de lecture, pour défectueuse et imprécise qu’elle soit n’en reflète pas moins la lente progression d’une idée : la nécessité d’aller vers une détermination du sens communément donné à la notion d’église ainsi que d’une certaine mise en forme juridique de cette notion. Conscient de la disparité des situations locales et du caractère polycentrique de certaines confessions, la Conférence estime qu’une cartographie des réalités religieuses s’impose et qu’elle doit être confiée à des experts. La suite de ces réflexions et leur suivi sont d’ailleurs confiés au secrétariat général du "Sommet mondial pour la paix", organisme d’inspiration interconfessionnelle.