Jusqu’en 1999, les pouvoirs publics n’ont exercé que très partiellement leur vigilance à l’égard des sectes implantées dans les départements d’Outre-Mer (DOM) et territoires d’Outre-mer (TOM). Au plan associatif, si le CCMM, disposait depuis 1997 d’antennes dans chacun des quatre DOM et, depuis 1998, dans le TOM de Polynésie, l’UNADFI n’était implantée qu’à la Martinique et à la Réunion. Par ailleurs, les rapports parlementaires successifs (1983, 1995 et 1999) n’évoquent l’Outre-Mer que très allusivement.

Il a donc paru indispensable à la Mission de se pencher rapidement sur la situation de ces régions extra-métropolitaines. Dans un premier temps, la Mission a concentré son attention sur les seuls DOM, les collectivités et les TOM devant faire l’objet d’initiatives ultérieures.

Au cours de l’année 1999, la Mission s’est rendue successivement à la Réunion, en janvier, et dans les départements français d’Amérique (DFA) en octobre.

A sa demande, les préfets ont pris l’initiative de convoquer l’ensemble des directeurs des services de l’État pour des réunions d’information approfondies, réunions auxquelles ont été conviées les autorités judiciaires qui ont, à chaque fois, répondu favorablement aux invitations.

Les interventions des représentants de la Mission ont été suivies d’échanges oraux qui ont permis de cerner la situation, très diverse, qui prévaut dans chacun des quatre DOM et amorcé d’utiles relations documentaires :

1) A l’évidence, le contraste est grand, d’une part, entre la surabondance, surprenante, des implantations sectaires observées en Guyane et dans les deux départements antillais et, d’autre part, la relative modestie démographique des DFA. En outre, rapportées au nombre respectif des habitants de chaque DFA, les sectes implantées en Guyane paraissent être à la fois plus nombreuses et patrimonialement mieux dotées et probablement plus discrètement ingérentes qu’ailleurs. Or, l’état socio-économique de la Guyane ne devrait pas prédisposer les sectes à s’y installer prioritairement. La question est de savoir si l’existence d’activités de haute valeur technologique et commerciale n’attire pas des intérêts particuliers. Le grand nombre de "missionnaires" venus de l’extérieur devrait inciter à une constante vigilance.

2) Dans l’ensemble des DFA et à la Réunion, les populations semblent particulièrement sensibles à la propagande et au prosélytisme sectaire. Cette fragilité sociale procède essentiellement d’une triple cause :

Les DOM constituent, comme les départements métropolitains, des cibles d’importance pour la plupart des sectes répertoriées dans l’hexagone.

La proximité des DFA de l’Amérique du Nord les rend plus accessibles aux grandes sectes sanctuarisées aux États-Unis d’Amérique. Ces grandes sectes transnationales utilisent parfois, par commodité linguistique, des "missionnaires" canadiens français (on peut noter toutefois que certaines d’entre elles enseignent l’anglo-américain à leurs ouailles plutôt que de former leurs "missionnaires" à l’usage du français. Ce comportement laisse à penser que les futurs adeptes pourront être ultérieurement appelés à poursuivre leur formation aux États-Unis).

A la Réunion, cette influence provient de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Elle se juxtapose partiellement avec celle qu’exercent des sectes d’origine asiatique dans la plupart des États de l’Océan Indien.

La composition plurielle de la population des DFA et de la Réunion explique l’existence d’assez nombreuses sectes endogènes inconnues en métropole. Certaines d’entre elles évoluent dans une semi-clandestinité.

La conjugaison de ces phénomènes explique pourquoi la société ultra-marine est, en pourcentage, beaucoup plus pénétrée par le sectarisme que celle de la métropole. On évalue parfois le taux d’adhésion entre 20 et 25 % de la population. Dans ces conditions, rares sont les familles qui n’ont pas au moins un de leurs membres "en secte". Cette situation exceptionnelle rend mieux compréhensible la réticence de certains responsables politiques à combattre le sectarisme et, à l’inverse, la forte motivation d’autres élus conscients de la résistible désagrégation sociale de leur collectivité. Il convient, en outre, d’ajouter que certaines sectes, dont l’agressivité révulse l’opinion métropolitaine, adoptent Outre-Mer un comportement plus modéré qui les rend tolérables aux yeux du public.

3) Face à ce défi, l’État a manifesté trop souvent désintérêt ou indifférence. Peu à peu, par négligence sans doute plus que par omission délibérée, on a laissé faire.

Pour prendre exemple, de nombreux témoins ont attiré l’attention de la Mission, sur les exigences exorbitantes de quelques enseignants, ou de groupes de parents d’élèves bien décidés à faire prévaloir leurs convictions idéologiques sur les principes de laïcité :

* Nombre d’adeptes de sectes se sont insérés dans le dispositif administratif, le plus souvent à des postes subalternes mais avec accès aux dossiers ; l’habitude a été prise de tolérer que certains refusent de travailler les jours ouvrables que leur confession répute fériés. De nombreux enseignants se sont plaints à la Mission de devoir compenser, le samedi en particulier, l’absence de leurs collègues ; quelques enseignants se refusent à accomplir des travaux ou à encadrer des activités que leurs convictions réputent "profanes".

Ces attitudes inacceptables seraient restées sans sanction, suscitant de vives protestations dont certaines ont été portées par écrit à la connaissance de la Mission. Il paraît à la MILS qu’une certaine reprise en main s’impose et que celle-ci devrait avoir, au-delà de quelques sanctions probablement nécessaires, un aspect prioritaire de prévention.

La Mission propose en particulier que chaque recteur, en tant que président du conseil d’administration des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), fasse inscrire au programme des futurs professeurs au moins un module annuel d’information sur le sectarisme.

Par ailleurs, il paraît indispensable que, dans le cadre de l’éducation civique, la prévention contre le sectarisme soit enseignée, avec l’appui privilégié des manuels qui contiennent d’ores et déjà un chapitre consacré à la lutte contre ce fléau social[1].

A cet égard, la MILS, d’une part, et les associations d’aide aux victimes du sectarisme présentes outre-mer, d’autre part, peuvent apporter un concours précieux aux enseignants.

S’agissant du recrutement des personnels administratifs et d’enseignement, il paraît désormais opportun que la nature des services fasse l’objet d’une sorte de "cahier des charges", de telle sorte que les personnels ne puissent exciper de l’ignorance de leurs obligations pour récuser des tâches constitutives de leur mission.

Si la situation de l’éducation nationale outre-mer, considérée sous l’angle de la prévention du sectarisme, a été critiquée, des exemples similaires ont été parfois relevés par la Mission parmi les autres services de l’État.

S’agissant de la fonction publique territoriale et des assemblées d’élus (conseils généraux et régionaux), les deux présidents d’un département ont suggéré à la Mission d’organiser sous leur autorité une journée d’information. Le principe en a été accepté, pour une mise en oeuvre expérimentale dans un délai rapproché (premier trimestre 2000).

Il semble, en revanche, que tout ou presque reste à faire en ce qui concerne la fonction publique hospitalière où d’assez nombreuses "thérapies" d’origine sectaire ont été signalées à la Mission. Cette dernière n’a pas eu encore la possibilité de les vérifier et, le cas échéant, de proposer comme pour les deux fonctions publiques précitées, des initiatives similaires, adaptées à sa propre responsabilité.


[1] A titre d’exemple, "Education civique 4e", aux éditions Hachette-éducation.