Se faisant l’écho d’une inquiétude permanente de l’opinion qui s’interroge sur la capacité de l’État de droit à résorber le phénomène sectaire, un organe de presse titrait récemment : "faut-il interdire les sectes" ?

La Mission estime devoir clarifier un tel questionnement qu’elle ne saurait reprendre à son compte. En effet, les associations se constituent en France sans aucune entrave, sur simple déclaration. Il ne peut être question, en conséquence, d’opposer un veto administratif à la constitution d’une association. D’autre part, globaliser le phénomène sectaire n’en éclaire pas la réalité diverse et fort mouvante.

En revanche, lorsque des associations par leur enseignement et les pressions qu’elles exercent sur les individus induisent ces derniers à commettre des infractions ou des crimes, lorsque ces infractions ou ces crimes sont constatés par les sanctions qu’inflige la justice à leurs auteurs, lorsque la répétition de ces infractions ou de ces crimes démontre la nocivité sociale de tels mouvements, un État de droit manquerait à ses devoirs de protection des libertés fondamentales en négligeant sa mission de régulation.

En l’état actuel du droit, deux voies pourraient permettre de mettre fin à des organisations de nature sectaire troublant par leurs agissements l’ordre public et portant atteinte à la dignité de la personne humaine.

La première, strictement répressive, découle des sanctions que peuvent prendre les cours et tribunaux à l’encontre de personnes morales s’étant rendues coupables d’infractions pénales ou dont les dirigeants se sont rendus coupables de telles infractions. La décision, dans ce cadre, nécessite donc qu’une ou plusieurs infractions pénales aient été relevées et jugées. En l’état actuel de la législation, ne sont pas réellement prises en compte les notions de groupements constitués autour d’une même organisation pouvant se manifester par un ensemble d’instructions dont la cohérence procède d’une seule direction ou d’un seul centre décisionnel.

L’individualisation des poursuites pénales peut donc tendre à émietter l’action répressive et la limiter à ce qui se voit au détriment de ce qui se passe réellement. Si une association faisant partie d’un ensemble recevant des ordres d’un centre décisionnel, est poursuivie pour des faits commis en application des instructions reçues, on peut estimer que le donneur d’ordre a une large part de responsabilité et doit être puni. Or la logique découlant des textes et pratiques actuelles conduira à sanctionner celui qui a fait, mais rarement celui qui a dit de faire, et encore plus rarement celui qui a dit de faire lorsque l’ordre procède d’une personne morale dans le cadre d’un service organisé. En outre rien ne permet de dissoudre une association du nord pour des faits commis par une association de même obédience et dont l’activité s’exerce de la même manière dans le sud.

Le réexamen des questions touchant à la responsabilité pénale des personnes morales devra donc inclure la problématique sectaire. Il en va de même en ce qui concerne la législation sur la corruption et les trafics internationaux en tout genre.

La seconde voie est de nature administrative et relève d’une décision prise en Conseil des ministres, décision qui peut être déférée au Conseil d’État. Il s’agit du décret loi du 10 janvier 1936, et des textes en procédant qui ont été intégrés en 1994 dans le code pénal.

Ces textes visent les troubles à l’ordre public, et si leur application est d’ores et déjà possible à l’égard de sectes ayant une véritable organisation militaire ou un service secret d’espionnage et de renseignement, une adaptation serait souhaitable afin d’englober des activités nouvelles dangereuses pour la sécurité intérieure ou la sécurité économique. Il en est ainsi de celles qui se manifestent désormais du fait des technologies modernes et des moyens nouveaux de communication (ex : utilisation de virus informatiques destructeurs, ou de Troyens).

La proposition de loi du sénateur-maire About tend à prendre en considération la répétition de condamnations pour aboutir à ce résultat.

Le Conseil d’orientation de la MILS a eu à examiner brièvement [1] une première version de cette proposition. Une majorité de ses membres a été sensible à la motivation de ce texte. Mais il convient de préciser que certains ont aussi exprimé des réserves pour des raisons diverses ne concordant pas toujours. Si ces réserves ne manquent pas de pertinence, on peut cependant d’ores et déjà considérer que c’est dans un contexte législatif en évolution que doit être examinée la situation des sectes portant atteinte à l’ordre public ou ne respectant pas la dignité de la personne humaine.

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Il importe pour une mission qui a pour tâche première aux termes du décret contresigné qui l’institue "d’analyser le phénomène des sectes", de citer parmi les organisations sectaires portant atteinte à l’ordre public ou ne respectant pas la dignité de la personne humaine, des exemples significatifs montrant quelques-uns des dangers que courent les adeptes, et les risques auxquels sont exposées la démocratie et la laïcité républicaine.


[1] En raison de son examen tardif (décembre 1999)