La Commission tient à dénoncer l’impunité qui, de fait, bénéficie aux sectes : il est très rare qu’elles soient contraintes d’honorer leurs dettes fiscales et l’administration fiscale peut être amenée à prononcer des admissions en non-valeur. Cette dernière a par exemple renoncé, pour insuffisance d’actif, à une créance représentant la bagatelle de 165 millions de francs, détenue sur les structures représentant Krishna en France qui pourtant disposent, par ailleurs, de biens immobiliers importants. Sur ce point, le caractère parcellaire des informations transmises à la Commission ne lui permet d’avoir qu’une vue limitée d’un phénomène qui recouvre probablement une dimension encore plus inquiétante.

Plusieurs exemples de dettes importantes et anciennes restées à ce jour impayées peuvent être avancés. Les redressements prononcés à l’encontre de l’AMORC (118 millions de francs), la Scientologie (140,5 millions de francs), la Soka Gakkaï (19,5 millions de francs) n’ont toujours pas été recouvrés ou l’ont été très partiellement, bien qu’ils portent sur des activités remontant aux années 1980.

Le recouvrement des dettes des sectes s’avère très difficile. Ces dernières organisent, on l’a vu, systématiquement leur insolvabilité. Pour certaines, leurs biens en France sont limités. Les autres transfèrent, dès l’engagement du contrôle, toutes leurs activités et les biens dont elles disposent vers une nouvelle structure juridique créée à cet effet. Dans de telles conditions, les poursuites traditionnelles (avis à tiers détenteur ou saisie immobilière) s’avèrent inutiles, et les comptables ont été conduits à prendre, avec autorisation du juge de l’exécution, des mesures conservatoires dès qu’une procédure est engagée. On notera que les procédures de redressement et de liquidation judiciaire constituent un moyen d’échapper à une partie de sa dette : l’article 1740 octies du code général des impôts prévoit, en cas de jugement prononçant l’application de ces procédures, une remise des frais de poursuite et des pénalités fiscales.

Plusieurs exemples particulièrement révélateurs méritent un développement particulier.

La créance de la Direction générale des impôts sur l’Association du Temple de la Pyramide, estimée au total à 16,7 millions de francs pénalités incluses, a été mise en recouvrement le 23 décembre 1998 par voie d’huissier. Cependant, après les visites domiciliaires et peu de temps avant l’engagement des opérations de contrôle fiscal, cette association avait décidé sa dissolution, tout en prenant soin de transférer son patrimoine à une autre personne morale, le Vajra Triomphant. Le transfert des actifs disponibles du Temple de la Pyramide alors que ses dettes fiscales étaient loin d’être éteintes, démontre clairement une volonté d’organiser l’insolvabilité. Une gestion " normale " aurait consisté à régler les dettes de l’association avant de distribuer le boni de liquidation ou de décider d’en faire apport à une autre personne morale. En raison de la liquidation de l’association, le comptable n’a pas pu demander de mesures conservatoires, et dorénavant seules des mesures contentieuses sont possibles.

S’agissant des Témoins de Jéhovah, l’administration semble avoir pu éviter que l’association redressée organise son insolvabilité avant la mise en recouvrement des droits. A la fin de la procédure de vérification, le comptable a en effet obtenu du juge de l’exécution l’autorisation de prendre des mesures conservatoires sur les biens appartenant à la secte, et notamment sur ses installations d’impression. La mise en recouvrement d’une créance de 297,4 millions de francs a été, on l’a vu, notifiée le 18 janvier 1999. Cependant, dans le cadre de la procédure de constitution de garanties résultant de la demande de bénéfice de sursis de paiement, les hypothèques conservatoires ont été converties en mesures définitives pour 297 millions de francs (biens situés à Louviers), 2,5 millions de francs (biens situés à Verneuil) et 1,5 million de francs (biens situés à Boulogne-Billancourt). Par ailleurs, le nantissement d’un portefeuille-titres a été accepté pour 20 millions de francs. Cet accord prévoit en contrepartie la mainlevée de la saisie conservatoire du matériel d’impression de Louviers. En conséquence, la secte va pouvoir, comme elle a déclaré en avoir l’intention, organiser le déménagement de ces installations à Londres.

L’exemple de l’Eglise de Scientologie de Paris mêle une recherche systématique de l’insolvabilité et l’intervention de sources de financement étrangères. Le non recouvrement des dettes de cette association s’explique par la faiblesse de ses actifs. Les capitaux provenant de ses recettes sont, pour une part prépondérante, sortis du territoire. L’Eglise n’a procédé à aucun investissement en France, sous réserve de quelques aménagements réalisés dans des locaux loués, de matériels achetés en leasing et de stock de publications sans véritable valeur marchande. Après plusieurs tentatives restées vaines de recouvrement forcé, les comptables des impôts et du Trésor ont assigné l’association en liquidation judiciaire. Toutefois, en application de la loi du 25 janvier 1985, en vigueur à l’époque, le redressement judiciaire a été prononcé avant d’être converti en liquidation. En effet, afin d’éviter cette dernière et pour tenter de garder le bénéfice de la première procédure, l’association a offert, à deux reprises, d’acquitter une partie de sa dette avec des capitaux provenant de l’étranger. En mars 1995, la branche américaine de la secte a, en application de la réglementation des investissements étrangers en France, présenté à la Direction du Trésor une déclaration préalable relative à la reprise des actifs de l’Eglise de Scientologie de Paris. À la demande du ministère de l’Intérieur, le ministre de l’Economie a, le 27 avril 1995, exercé son droit d’ajournement pour des raisons d’ordre public. En novembre 1995, l’association a, à nouveau, saisi les services du Trésor d’un projet de substitution proposant qu’un trust anglais, agissant pour le compte de l’organisation scientologue américaine, apporte la somme nécessaire à l’apurement des dettes fiscales en cause. Cette seconde tentative a été repoussée le 29 novembre 1995 pour les mêmes motifs d’ordre public. Bien que cette décision ait pour effet d’empêcher le recouvrement d’une créance de l’Etat, le ministre de l’Economie a considéré qu’un choix contraire aurait permis, avec l’accord officiel des pouvoirs publics, la reprise de l’activité commerciale de l’implantation parisienne de la secte.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr