A côté de ce particularisme social et politique, la Corse est caractérisée par une situation géographique singulière qui explique en grande partie le faible développement socio-économique de l’île. Là encore, il convient de se garder d’explications simplistes. Mais ce sous-développement économique permet de mieux comprendre les raisons du maintien d’un système politique local spécifique et le succès de l’action violente, notamment auprès des plus jeunes. Dans le même temps, la persistance de cette organisation sociale singulière doublée d’une violence élevée freine toute possibilité de développement et d’ouverture de la société insulaire sur l’extérieur.

Sur le plan géographique, la Corse est la plus montagneuse des îles de Méditerranée. Sur un dixième seulement de la superficie de l’île, la pente est inférieure à 12 %. Il n’y a, par ailleurs, pas de grandes vallées et le cloisonnement naturel favorise la division du territoire en petits bassins d’influence. Les principaux ports sont distants de 360 kilomètres de Marseille et de 230 kilomètres de Nice. La Corse est confrontée à d’importantes difficultés de communication à la fois du fait de sa situation insulaire et de son relief extrêmement accidenté.

Elle ne bénéficie, par ailleurs, d’aucune richesse naturelle importante et doit importer les matières premières, ce qui représente un coût élevé, l’île étant à l’écart des grands axes de communication. Elle subit, en outre, des catastrophes d’origine naturelle (inondations) ou humaine (grands incendies provoqués par les bergers chaque été) qui aggravent les handicaps de l’île.

S’agissant de la démographie, la Corse est la région de France la moins densément peuplée avec 30 habitants au km2, soit 253 000 habitants répartis sur deux départements. Si l’accroissement naturel se situe dans la moyenne nationale, il est principalement dû au solde migratoire. Or, celui-ci ne permet pas le rajeunissement de la population : ce sont surtout les retraités qui rentrent en Corse, alors que les jeunes (15-24 ans) partent sur le continent.

Ainsi, en 1997, 17,8 % de la population de l’île est âgée de plus de 65 ans, alors que les moins de 20 ans représentent 23,4 % de la population. Si l’on devait appliquer la répartition par âge observée sur le reste du territoire national, la Corse devrait compter 6 650 jeunes de moins de 20 ans supplémentaires (soit 11 % de plus) et, à l’inverse, 6 400 personnes de plus de 65 ans de moins (soit près de 14 % de moins). A ceci s’ajoute une baisse des naissances depuis 1993. Il convient, par ailleurs, de préciser que 45 % de la population vit dans les trois principales villes de l’île : Ajaccio, Bastia et Porto-Vecchio, tandis que le centre de l’île est en voie de désertification, à l’exception de quelques localités comme Corte ou Sartène.

S’agissant de l’emploi, on estimait en 1996 à 87 000 le nombre total d’emplois en Corse. Les secteurs qui ont augmenté leurs effectifs font souvent appel à une main d’œuvre peu qualifiée (services aux particuliers ou services opérationnels aux entreprises), ce qui représente un handicap pour l’économie insulaire. Par ailleurs, la proportion des actifs sans diplôme est de 38 % (10,5 % pour la moyenne nationale), le taux de scolarisation à 18 ans est de 65,2 % (83,4 % pour la moyenne nationale) et 15 % des 16-18 ans sortent du système scolaire sans qualification (10,5 % pour la moyenne nationale). Le taux de chômage est supérieur à 12 % et le taux d’activité des 15-64 ans est nettement plus faible que sur le continent avec 58 % contre 67 %.

Par ailleurs, le système productif est très émietté puisque 46 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de dix personnes (26 % au niveau national), celles-ci représentant 95 % des entreprises de l’île. Le PIB de l’île reste très faible : en 1994 il représentait 0,31 % du PIB national pour une population représentant 0,4 % de la population française, ce qui place la Corse au dernier rang des régions métropolitaines avec un PIB par habitant de 98 500 francs, soit 23 % de moins que le PIB par habitant national moyen.

Alors que le tourisme représente près d’un quart de la richesse produite dans l’île, son développement demeure limité du fait de l’inadéquation de l’offre et du caractère saisonnier de cette activité. L’agriculture souffre de l’exiguïté des exploitations et du problème de l’indivision, alors que les entreprises corses, trop petites et trop vulnérables, sont pénalisées par le coût des transports et l’absence d’infrastructures : près d’une entreprise sur trois disparaît avant sa troisième année. En outre, le secteur public occupe une place prépondérante dans l’économie de l’île : la fonction publique occupe ainsi à elle seule près de 30 000 personnes, soit 34 % de la population active insulaire.

Dans ce cadre, l’action clandestine est devenue pour certains un véritable moyen de subsistance. Lors de la visite de la commission de la brigade de gendarmerie de Prunelli-di-Fiumorbo en Haute-Corse, le gendarme Jean-Claude Landesse a montré les liens existant entre le contexte économique et l’attrait de l’action violente, notamment pour les plus jeunes : " Il existera toujours un noyau irréductible qui refusera toute avancée, même économique alors que c’est le nœud du problème. S’il y a du travail, le climat s’apaisera, mais s’il n’y en a pas, l’action reprendra. Les jeunes de vingt à vingt-cinq ans seront poussés par les anciens purs et durs. Comme ils n’ont pas de travail, ils n’ont rien à perdre. Ils n’ont connu que cela. Dans certains milieux nationalistes, les jeunes n’ont jamais vu leurs parents travailler. Si le problème économique n’est pas résolu dans la plaine orientale, la situation risque de se dégrader à nouveau ".

La situation de déclin économique et démographique de l’île éclaire le contexte très spécifique dans lequel se trouve aujourd’hui placé la Corse. Alors que l’aventure coloniale française a fourni par le passé de nombreux débouchés aux insulaires, la décolonisation puis la crise économique récente ont fermé de nombreuses filières pour les habitants de l’île. Cette situation spécifique est un cadre propice pour le développement d’une délinquance multiforme, mêlant actions de caractère politique et infractions de droit commun.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr