L’Etat a mobilisé et continue d’engager des effectifs pléthoriques pour assurer la sécurité sur l’île. Comme on l’a vu dans la première partie du présent rapport, la Corse détient le record de France de la présence de policiers et de gendarmes sur son territoire très accidenté et faiblement peuplé.

Si le nombre de membres des forces de sécurité apparaît comme amplement suffisant, la situation n’est pas pour autant satisfaisante en raison d’une part, du poids trop important des forces non permanentes qui se succèdent au rythme de brèves rotations et, d’autre part, de la faiblesse des résultats obtenus en matière de police judiciaire.

Le recours systématique aux forces mobiles venues du continent apparaît comme une solution provisoire qui perdure. Outre l’impression défavorable qu’elle peut donner à la population insulaire - à chaque fois qu’un problème se pose, on envoie des renforts de troupes -, cette présence ne semble pas d’une grande efficacité. Tout d’abord, les CRS et gendarmes mobiles sont, comme c’est généralement le cas sur le continent, chargés de missions de maintien de l’ordre public. Or, dans une île dont les deux villes principales comptent moins de 60 000 habitants, les rassemblements, manifestations et autres occupations de locaux ne sont pas de nature à mobiliser 380 CRS et 510 gendarmes mobiles. Leur emploi pour effectuer des gardes statiques de bâtiments publics ou de logements privés n’apparaît pas non plus d’une grande utilité. Comme l’a souligné M. Claude Guéant, ancien directeur de la police nationale, " ce n’est pas en gardant des immeubles que l’on assure leur sécurité. Il est sûr que si des terroristes voient un immeuble gardé, ils vont en chercher un qui ne l’est pas et il y en aura toujours, qu’il s’agisse d’une perception, d’une gendarmerie, etc. Dans l’absolu, il vaut mieux surveiller de l’extérieur un immeuble sensible plutôt que de mettre un planton devant ".

Il est vrai que les missions des unités mobiles ont été partiellement réorientées après l’assassinat du préfet Erignac. Elles assurent ainsi la protection de certaines personnalités et réalisent davantage de patrouilles. Elles sont également mobilisées pour l’escorte de transports d’explosifs de plus de cent kilos pour les carrières et chantiers, ainsi que pour assurer la protection des convois de cigarettes pour la SEITA. Par ailleurs, à la suite de la cessation d’activité de Bastia Sécurità, " l’entreprise Ardial a été requise et un escadron complet de gendarmerie mobile assure quotidiennement la protection des transports de fonds ", comme l’a précisé le lieutenant-colonel Bonnin, commandant le groupement de gendarmerie de la Haute-Corse.

La présence des forces mobiles n’est dont pas en elle-même contestable. Ce qui l’est davantage, ce sont les à-coups dans l’envoi de ces renforts et la manière dont leur emploi est décidé.

Depuis 1993, les unités mobiles déployées sur le territoire corse n’ont cessé de varier en nombre, passant de 3 escadrons à 7 entre décembre 1996 et février 1997, puis à 5 jusqu’en août 1997, à 4 de septembre 1997 à janvier 1998, remontant à 6 escadrons à partir de février 1998 puis à 7 et même à 9 de mars à juin 1999 pour redescendre à 6 depuis le 26 juin. Ces mouvements erratiques ne favorisent pas, c’est le moins que l’on puisse dire, une gestion rationnelle des effectifs. Il faudrait donc parvenir à un meilleure lissage dans le temps de la présence des renforts mobiles " afin de ne pas donner l’impression de répondre par une présence massive à des actes de violence, pour ensuite la retirer tout aussi massivement ", ainsi que l’a souligné fort justement M. Bernard Pomel, ancien préfet de la Haute-Corse.

En effet, l’utilisation des renforts dépend des préfets de département et du préfet adjoint pour la sécurité, de sorte que les unités de la gendarmerie territoriale n’ont aucune garantie de pouvoir en disposer. En sus des missions particulières qui leur sont dévolues, les unités de la gendarmerie mobile apportent leur soutien aux brigades, en effectuant des surveillances de banques ou de commerces par exemple. Lors de son déplacement en Haute-Corse, la commission a pu constater que ce système ne fonctionnait pas correctement pendant la saison estivale, alors que c’est évidemment la période de l’année la plus chargée pour les unités de la gendarmerie départementale. En d’autres termes, le renfort des unités mobiles est le moins opérationnel au moment où la population fait plus que doubler.

A cet égard, le témoignage du major Guillorit, recueilli à la compagnie de Ghisonaccia, est sans ambiguïté : " (...) Pendant la saison estivale, les gendarmes mobiles ne sont pas détachés dans les unités, ce qui entraîne pour les commandants de brigade des difficultés dans l’organisation de leurs services. Les gendarmes mobiles ont ici pour mission prioritaire le maintien de l’ordre. Il est désagréable de préparer des services dans les unités et d’apprendre la veille pour le lendemain que les gendarmes mobiles iront faire du maintien de l’ordre à Ajaccio ou à Bastia. Les commandants d’unités souhaitent avoir, comme sur le continent, des gendarmes mobiles auxquels personne d’autre ne puisse faire appel. Lorsque j’étais affecté dans des brigades côtières sur le continent, nous étions sûrs de les avoir du 1er juillet au 31 août. Ici, en juillet et en août, on nous les a constamment pris, de sorte que des unités se retrouvaient à deux ou trois gendarmes départementaux ".

Du reste, on peut s’interroger sur l’efficacité réelle de ces renforts, une fois la saison touristique passée. Les forces n’étant présentes sur le territoire que par intermittence, elles n’ont, par définition, qu’une connaissance très réduite de la population et du terrain. Elles viennent certes épauler les effectifs de la gendarmerie départementale, pourtant déjà fort nombreux, sans pour autant pouvoir faire du renseignement, de la surveillance générale ou des investigations.

Or, c’est précisément dans ces domaines que les forces permanentes connaissent les plus graves lacunes. Il importe de les combler. C’est dans cet esprit qu’avait été créé le GPS, à partir de l’escadron mobile d’Ajaccio, basé sur l’île et sous-employé. La constitution d’une unité opérationnelle structurée autour des trois missions de renseignement et d’observation, d’intervention et de protection répondait à de véritables besoins. Sa dissolution à la suite de l’affaire des paillotes ne signifie en rien qu’il faut renoncer à ces missions mais, au contraire, qu’elles doivent être conservées, sous réserve d’être mieux encadrées. La réorganisation en cours permet de maintenir pour partie la capacité opérationnelle de l’ancienne structure. Si les membres du peloton de renseignement et d’observation sont revenus sur le continent, à Marseille, les personnels du peloton d’intervention sont venus renforcer les pelotons de surveillance et d’intervention " classiques " de la gendarmerie départementale.

Des efforts importants ont également été consentis pour augmenter la capacité des services de police judiciaire. Le SRPJ a vu ses effectifs augmenter de 34 agents depuis 1993, 15 à Ajaccio et 19 en Haute-Corse ; il se situe au 5ème rang national avec 93 officiers de police judiciaire : 54 à Ajaccio, 37 à Bastia et 2 à Porto-Vecchio. De son côté, la gendarmerie a développé ses moyens d’investigation : les effectifs de la section de recherches ont doublé ; une antenne de cette section a été ouverte à Bastia. L’affectation au sein de cette unité de spécialistes des dossiers économiques et financiers a permis de développer la capacité d’enquête en ce domaine.

La mise à disposition d’enquêteurs spécialisés constitue aujourd’hui un impératif, le nombre de procédures judiciaires étant amené à se multiplier avec la montée en puissance du pôle économique et financier de Bastia. Au demeurant, le directeur du SRPJ d’Ajaccio, " a obtenu de sa direction centrale que, très régulièrement, des fonctionnaires du SRPJ du continent soient détachés en Corse pour de courtes périodes et travaillent en renfort, en particulier, sur les affaires économiques et financières. Très régulièrement le parquet général habilite donc ces renforts qui viennent pendant un certain temps traiter des affaires sur l’île ", comme l’a indiqué M. Bernard Legras, procureur général de Bastia.

Par ailleurs, compte tenu de l’extrême difficulté à obtenir des témoignages en Corse, maintes fois soulignée devant la commission d’enquête, il est nécessaire de mettre en place des dispositifs de nature à préserver la confidentialité des informations recueillies et d’assurer la protection des personnes acceptant de les livrer. En outre, il convient de mieux utiliser les moyens de la police technique, la preuve scientifique devenant un élément incontournable de l’enquête criminelle.

A titre d’exemple, l’analyse de conversations sur téléphone portable pourrait être développée. Mme Laurence Le Vert, juge d’instruction spécialisé dans la lutte antiterroriste, a déploré le manque des moyens actuels en précisant : " on surveillait les lignes officielles - sur lesquelles il n’y a jamais de conversation intéressante - en sachant que ce sont les portables qui sont utiles. La justice ayant malheureusement refusé de coopérer au financement des travaux d’adaptation qu’ont réalisés les sociétés de téléphonie cellulaire pour permettre l’écoute des téléphones portables, nous ne pouvons pas placer sous écoute judiciaire un téléphone portable ".


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr