* Depuis des années, la Scientologie est un groupe controversé en Suisse et dans plusieurs autres pays. De nombreuses affaires et les recherches menées ont mis en lumière le caractère hybride de ce groupe. Certaines de ses activités ont d’importantes composantes financières qui l’assimilent sous certains aspects à une opération commerciale (sans se réduire à cela) et peuvent conduire à l’endettement d’adeptes sous prétexte des améliorations considérables qui découleraient pour eux des services vendus. Ces aspects méritent l’attention des autorités et des associations de protection des consommateurs, mais ne relèvent pas a priori des organes de protection de l’Etat.

* La Scientologie est fondée sur des principes intangibles définis par L. Ron Hubbard et toujours en application. Ces principes présentent, aux yeux de l’observateur, des traits idéologiquement analogues à celui de systèmes totalitaires, mais leur mise en application ne peut s’appuyer que sur un consentement interne (dont on peut discuter du caractère plus ou moins volontaire) et non sur la puissance de l’Etat. Dans certains cas, des membres pourraient se trouver de facto dans une situation de contrainte psychologique.

La Suisse ne connaissant pas le concept de Verfassungsfeindlichkeit tel que l’ont développé nos voisins allemands[224], le fait que les principes sur lesquels s’appuie la Scientologie soient en désaccord avec ceux auxquels nous sommes attachés ne saurait suffire à justifier une surveillance policièrepar les organes de protection de l’Etat.

* La Scientologie inclut des branches qui se livrent à des activités analogues à celles d’un service de renseignements. L’examen de leurs principes et de leur fonctionnement, notamment sur la base de documents mis à jour à l’occasion d’enquêtes dans des pays étrangers, montre qu’ils sont étroitement liés aux présupposés idéologiques du mouvement et, ceux-ci postulant que les adversaires de la Scientologie ont toujours tort, peu susceptibles d’être réformés. Leur approche se fonde sur une vision conspirationniste qui permet en même temps au mouvement de surévaluer sa propre importance en imaginant jouer un rôle capital à l’échelle mondiale. Ces activités peuvent aller, le cas échéant, jusqu’à des tentatives d’infiltration de services de l’Etat[225], ou au moins d’opérations pour obtenir des renseignements qui en proviennent. Cependant, ces activités ne visent pas principalement à l’infiltration de l’Etat en lui-même ou à la prise du pouvoir[226], mais avant tout à mettre le mouvement à l’abri de toute attaque réelle ou imaginaire. Cela limite les risques pour l’Etat lui-même. Trois problèmes spécifiques restent cependant posés :

* il est inacceptable qu’une association privée (religieuse ou non) entretienne ses propres activités de recherche de renseignements, quelle que soit l’extension de celles-ci, surtout s’il apparaît qu’elles ne sont pas seulement susceptibles de s’en prendre à des associations d’opposants, mais ne reculeraient pas devant l’infiltration des structures de l’Etat lui-même si cela devenait nécessaire. Pour l’instant il n’existe pas d’indices que tel soit le cas en Suisse

* bien que ces opérations paraissent se limiter à d’énergiques contre-offensives face à des menaces réelles ou supposées et se bornent donc, en principe, à ce qui touche directement le mouvement, il est également clair que ces activités pourraient, si la direction mondiale en décidait ainsi pour une raison ou une autre, être réorientées vers d’autres domaines en cas de besoin ;

* des activités de cette nature peuvent amener le mouvement à avoir accès à des informations intéressant la sécurité du pays[227], et l’existence de tels services présente donc en elle-même un certain potentiel de risque, même s’ils ne visent pas spécifiquement l’Etat ;

* on ne saurait enfin ignorer les conflits de loyauté qui pourraient se présenter à des scientologues exerçant des fonctions dans des domaines sensibles et dont l’organisation attendrait la transmission d’informations confidentielles (y compris des données personnelles).

* L’absence d’indice solide démontrant que la Scientologie tenterait actuellement d’infiltrer les structures de l’Etat en Suisse plaiderait pour renoncer à toute observation de la part des organes de protection de l’Etat. En revanche, l’existence d’activités de renseignement (n’épargnant pas l’Etat lui-même le cas échéant) pourrait inciter à une surveillance.

Le groupe de travail estime qu’il convient de renoncer, à ce stade à une mise sous observation. Il est cependant d’avis que la situation devra à nouveau être évaluée après un certain temps, sur la base des informations publiquement accessibles.

* En raison du caractère hybride du mouvement et de l’existence en son sein d’un service de renseignements structuré (ce qui est vraisembablement un cas unique, en tout cas au niveau atteint), d’éventuelles mesures préventives à l’égard de la Scientologie ne sauraient en aucun cas servir de précédent à une évaluation sur d’éventuels problèmes potentiels présentés par des groupes religieux ou " sectes ". Chaque cas doit être considéré de façon individuelle et spécifique.

* Pour tenir compte de l`évolution rapide de la situation et de nouvelles données que seraient éventuellement susceptibles de recueillir des pays voisins (par exemple l’Allemagne), il conviendrait que la Commission continue à suivre attentivement la situation. En cas de besoin, elle pourrait ultérieurement recommander aux autorités de prendre des mesures adéquates


[224] La situation constitutionnelle est différente d’un pays à l’autre ; la présente étude s’est concentrée sur la situation suisse.

[225] Nous faisons ici allusion aux faits survenus dans des pays étrangers et qui ont été mentionnés plus haut.

[226] Malgré des aspirations utopiques au contrôle sur l’ensemble de la société.

[227] Il semble que, dans le cadre de l’opération " Snow White ", le GO était également entré en possession de documents relatifs au terrorisme (probablement plus par erreur que par intérêt pour la question, mais cela montre que le risque existe).


Source : Office fédéral suisse de la police : http://www.admin.ch/bap