* Il existe en Suisse de nombreux groupes religieux minoritaires, minuscules ou plus importants. L’immense majorité de ces groupes ne présentent de danger ni pour leurs membres ni pour l’Etat. Tout amalgame entre quelques groupes éventuellement problématiques et de nombreux autres qui ne le sont pas doit donc soigneusement être évité.

* En raison de certains drames individuels ou collectifs, une partie de l’opinion publique est cependant sensibilisée à ces questions et a le sentiment que les autorités restent inactives. En outre, la multiplication du nombre de petits groupes présents en Suisse depuis une trentaine d’années (et la variété croissante de leurs origines, puisque celles-ci ne s’inscrivent plus seulement dans la tradition chrétienne) entraîne nécessairement des risques isolés de dérives, bien que celles-ci soient difficilement prévisibles. Tout en se refusant par principe à des intrusions dans le domaine religieux, l’Etat ne saurait donc totalement s’en désintéresser s’il veut remplir sa tâche et prendre ses responsabilités face à la population.

* Dans la plupart des cas, les controverses autour de groupes qualifiés de " sectes " doivent rester de l’ordre du débat d’idées, sans intervention de l’Etat, sauf lorsque l’ordre public se trouve mis en péril ou si un délit est commis, cas dans lesquels les lois existantes s’appliquent automatiquement, qu’il y ait ou non un arrière-plan religieux. Dans une société comme la nôtre, bien qu’il existe des acteurs (médias, Eglises, associations privées...) qui exercent une fonction de contrepoids et d’information face à des messages discutables si cela est nécessaire, il est parfois difficile d’obtenir une information correcte et objective sur des organisations suscitant des interrogations. Il serait bon que l’Etat et l’opinion publique puissent avoir accès à une information impartiale sur les développements dans le domaine religieux[228]. Cette tâche pourrait être confiée à un observatoire relié à une institution scientifique[229], qui devrait être soutenu par des fonds publics et collaborer avec les autorités concernées.

* Le groupe de travail estime que l’ordre juridique existant suffit pour permettre à l’Etat de faire face aux activités éventuellement dommageables de sectes. Il ne s’agit pas de se référer à un article de loi particulier, mais plutôt d’appliquer en fonction de cas concrets les différentes normes existantes dans le domaine du droit privé, du droit public et du droit pénal[230]. Il ne faut notamment pas sous-estimer les possibilités offertes aux cantons par l’application conséquente du droit pénal cantonal et du droit relatif à la réglementation des entreprises industrielles et commerciales.

* Il faut cependant souligner en même temps la portée nécessairement limitée des mesures prises par l’Etat, qui ne sauraient enlever à l’individu la responsabilité de ses propres actes.

* L’esprit animant toute démarche ne devrait pas être caractérisé par des présupposés policiers[231], mais par un souci de donner à l’Etat les moyens d’être informé et de faire face à tout développement imprévu ou dans des domaines peu familiers. Cela exige une analyse globale de la situation intégrant également les dimensions religieuses et leur impact sur la société (bien au-delà du domaine des " sectes " controversées), alors que ces aspects restent pour le moment négligés en Suisse. Ils doivent être étudiés et approfondis de façon scientifique, éventuellement dans le domaine universitaire.


[228] Sur des solutions étrangères, cf. par exemple Romuald Szramkiewicz, " Le conseiller pour les affaires religieuses auprès du Ministère des Affaires Etrangères ", in Revue des Sciences morales et politiques, 149/3, 1994, pp. 259-271.

[229] Cf. les réflexions de Roland J. Campiche (professeur à l’Université de Lausanne et directeur de l’antenne romande de l’Institut d’éthique sociale de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse), Quand les sectes affolent : Ordre du Temple Solaire, médias et fin de millénaire, Genève, Labor et Fides, 1995, pp. 121 sq. Cette solution paraît plus judicieuse que celle d’un " Office fédéral des questions religieuses " (qui a déjà été discutée - et rejetée - par le Parlement), à la fois parce que cela peut se faire de façon plus légère et parce qu’on évite ainsi d’amorcer un contrôle étatique des religions (cf. motion Zysiadis du 14 décembre 1993 (93.3606), BO CN 1995 2137, et interpellation Burgener du 20 mars 1998 (98.3136).

[230] On en trouve une énumération dans la réponse du Conseil fédéral à la question posée le 14 décembre 1988 par le conseiller national Gilles Petitpierre sur " l’embrigadement dans des sectes et les atteintes à la liberté personnelle " ou — avec une prise en compte des conditions cantonales — dans l’Audit sur les dérives sectaires publié à Genève (cf. note 24).

[231] " Mitglieder von Sekten und Anhänger des Okkultismus sind zwar religiöse Abweicher, aber handeln als solche nur ausnahmsweise kriminell. Sektierertum und Okkultismus müssen wohl vor allem als Phänomene gedeutet werden, die auch von der Seelennot und Orientierungssuche der Menschen künden, selbst wenn sie sich in religiös motiviertem Kulturkonflikt äussern. Entsprechend begegnen wir in den Sekten und Okkultgruppen auch nur selten kriminellen Subkulturen, obschon Abgrenzung, Exklusivität und auch Aggressivität nach aussen zu den konstitutionellen Elementen solcher Gruppierungen zählen ", estime Günther Kaiser, " Religion und Kriminalität. Zur kriminologischen Vielstrahligkeit und Relevanz ", in Plädoyer, 2/1996, pp. 37-43 (p. 42).


Source : Office fédéral suisse de la police : http://www.admin.ch/bap