L’ENQUETE ADMINISTRATIVE

L’enquête administrative est l’instrument dont dispose l’autorité de surveillance pour mener, à l’échelon fédéral, des investigations sur des faits matériels qu’il est nécessaire de tirer au clair, vu l’intérêt public évident qu’ils présentent. Elle n’est pas dirigée contre des personnes et ne se substitue en aucune manière à d’autres procédures régies par la législation (par ex. procédures pénales ou administratives).

MOTIFS A L’APPUI DE L’ENQUETE ADMINISTRATIVE

Le Divine Light Zentrum (DLZ) à Winterthour est une communauté d’adeptes du moine indien Swami Omkarananda, décédé récemment. Le DLZ est propriétaire d’un grand nombre d’immeubles, sis dans le même quartier. Dans les années septante, il a été impliqué dans plusieurs procès avec des voisins ainsi que des autorités locales et cantonales. Les litiges se sont multipliés et, en octobre 1975, Martine Hochedez et Josef Meichtry, adeptes du DLZ, se sont procuré des bombes et des armes à feu à Bruxelles. Une bombe a explosé dans la nuit du 7 au 8 octobre à Seuzach, devant la maison du conseiller d’Etat zurichois Jakob Stucki, alors en exercice. Les autres bombes, placées au même endroit et au domicile d’un avocat, n’ont pas éclaté.

Josef Meichtry et de jeunes coauteurs de l’attentat ont été rapidement arrêtés. Quelques mois plus tard, Swami Omkarananda était lui aussi appréhendé, soupçonné d’être l’instigateur de nombreux délits. Contrôlée lors d’une perquisition domiciliaire, Martine Hochedez n’a toutefois pas été arrêtée. Elle a disparu peu après sans laisser de trace. Le 22 mai 1979, la Cour pénale fédérale a condamné Swami Omkarananda et ses disciples à des peines privatives de liberté de plus ou moins longue durée. Attendu qu’il s’agissait d’un délit en matière d’explosifs, celui-ci relevait de la juridiction fédérale.

Le jour précédant l’attentat, des fonctionnaires d’un service spécial belge ont signalé à la police zurichoise que des bombes avaient été acquises à Bruxelles. Parallèlement, ils ont exigé une garantie de confidentialité, raison pour laquelle leur action n’a par la suite été mentionnée ni dans les documents d’enquête, ni devant la Cour pénale fédérale.

Les adeptes du DLZ ayant prétendu, peu après l’attentat déjà, que celui-ci avait été provoqué, voire exécuté, par la police, Paul Bösch, rédacteur au Tagesanzeiger, s’est intéressé de plus près à l’affaire. Après avoir émis plusieurs hypothèses, il a exigé que le Ministère public de la Confédération et le gouvernement zurichois confirment ou réfutent ses conjectures. Depuis 1998, il publie des articles au sujet des investigations policières menées après l’attentat à la bombe au domicile de Jakob Stucki, alors conseiller d’Etat. Se fondant sur des documents qui lui ont été remis par une personne inconnue des autorités, il suspecte l’enquête d’être entachée d’irrégularités ; selon lui, des documents auraient été éliminés ou falsifiés et Martine Hochedez, en tant qu’indicateur de la police, aurait incité les adeptes du DLZ à commettre des délits.

Devant la controverse soulevée par la gravité de ces suspicions, le Conseil fédéral a décidé de tirer la question au clair. A cet effet, il a autorisé le Département fédéral de justice et police (DFJP) à consulter les dossiers relatifs à cette affaire, en dérogation à la règle consacrant l’inaccessibilité, par l’administration également, des documents concernant la protection de l’Etat, établis avant 1990 et versés aux Archives fédérales, et il l’a chargé d’ouvrir, le cas échéant, une enquête administrative. La Confédération est aussi intervenue à la demande des membres compétents du gouvernement zurichois, dont la police avait, à l’époque, mené les investigations sur mandat du Ministère public de la Confédération, du fait que les délits en matière d’explosifs ressortissent à la juridiction fédérale. Le 30 mars 1999, le DFJP a confié l’enquête administrative à Jean-François Egli, ancien président du Tribunal fédéral qui, au terme d’investigations menées avec le concours de Theo Bopp, greffier auprès du Tribunal fédéral, a remis son rapport le 14 septembre 2000.

DEROULEMENT DE LA PROCEDURE

Afin de mettre les faits en lumière, le préposé à l’enquête a consulté les documents relatifs à la procédure pénale auprès des Archives fédérales, du Ministère public de la Confédération, du Tribunal fédéral, de la police cantonale de Zurich, du procureur du district de Winterthour et des archives cantonales de Zurich. Il a procédé à l’audition de quelque 40 personnes et à plusieurs inspections des lieux. Certains aspects de l’affaire n’ont pu être traités que de manière fragmentaire, car diverses autres personnes sont décédées dans l’intervalle ou ne sont plus à même d’être entendues et quelques inventaires de dossiers ne sont plus disponibles.

Trois agents belges mêlés au déroulement de la livraison des bombes, qui ont pu être interrogés à Bruxelles, ont été l’une des meilleures sources d’information. Leur audition exigeait toutefois l’assentiment du Ministère belge de la Justice, ce qui a passablement retardé l’issue de l’enquête.

L’ACTION DES POLICIERS BELGES

A Bruxelles, le préposé à l’enquête a reconstitué le déroulement de l’acquisition des bombes par deux adeptes du DLZ. Le fournisseur des bombes était en même temps l’indicateur d’un service spécial belge, dont les agents ont pu observer la transaction puis informer la police zurichoise. La voiture utilisée pour le transport ainsi que son détenteur, Josef Meichtry, ont été identifiés grâce aux renseignements fournis. En revanche, des déclarations imprécises et des problèmes de communication n’ont pas permis d’éviter l’attentat contre le conseiller d’Etat Stucki, ni la tentative d’attentat contre un avocat de Winterthour. A la suite d’un entretien entre le chef des deux fonctionnaires belges et la police zurichoise, le service belge a rédigé un rapport anonyme sur l’achat des armes à Bruxelles.

POURQUOI L’ATTENTAT N’A-T-IL PAS PU ETRE EMPECHE ?

Le jour précédant l’attentat, la police cantonale zurichoise disposait des informations fournies par les fonctionnaires belges et, partant, elle était au fait qu’un attentat se préparait. Pourquoi a-t-il tout de même pu être perpétré ?

Le préposé à l’enquête constate qu’une déclaration des Belges a été à l’origine d’une appréciation erronée de la situation : ceux-ci ont en effet indiqué qu’il n’y avait pas de danger à craindre pour la prochaine nuit car le fournisseur des bombes n’arriverait que le lendemain pour les amorcer. Le préposé à l’enquête est en outre d’avis qu’une intervention de la police, même immédiate, n’aurait probablement pas permis d’empêcher l’attentat.

RAISONS DE L’ABSENCE D’INDICATIONS SUR L’ACTION POLICIERE BELGE DANS LES DOCUMENTS RELATIFS A LA PROCEDURE

Le préposé à l’enquête relève que l’absence d’indications sur l’action des agents belges dans les dossiers relatifs à la procédure pénale s’explique par la garantie de confidentialité que Zurich avait donnée à ces agents. Il estime que, compte tenu du moment où elle a été prise et des intérêts en jeu, cette décision était parfaitement justifiable. Dès lors que la police cantonale se devait d’avoir rapidement accès à des données exhaustives sur les événements qui s’étaient déroulés à Bruxelles, l’octroi de la garantie de confidentialité était inéluctable. Les agents belges faisaient dépendre la communication d’autres informations de cette garantie ; or, la police avait absolument besoin d’indications précises puisqu’il s’agissait tout de même d’empêcher un attentat à la bombe mettant gravement en danger la vie et l’intégrité corporelle de tierces personnes. De plus, la garantie de confidentialité était également importante aux yeux des agents belges, soucieux de préserver l’anonymat de leur informateur pour ne pas le mettre lui aussi en danger. Toutefois, le préposé à l’enquête estime que la garantie de confidentialité aurait, par la suite, pu être remplacée par une simple protection des sources et que les prévenus auraient dû être informés au cours de la procédure pénale de divers éléments qu’ils auraient, le cas échéant, ensuite pu invoquer à leur décharge.

NON-ARRESTATION D’UNE PERSONNE FORTEMENT SOUPÇONNEE

La ressortissante française Martine Hochedez s’est procuré les bombes à Bruxelles en compagnie de Josef Meichtry. Contrôlée le lendemain de l’attentat lors d’une perquisition dans un immeuble du DLZ, elle n’a toutefois pas été arrêtée, alors même que du matériel compromettant relatif au voyage à Bruxelles avait été trouvé dans une autre maison. Depuis 1998, les médias en déduisent que Martine Hochedez aurait été un agent infiltré ou un indicateur de la police.

Le préposé à l’enquête n’a trouvé aucun indice permettant d’étayer cette hypothèse, qu’il juge par ailleurs fort invraisemblable. Il observe que s’il y a bien eu une panne, celle-ci est à mettre au compte de l’ampleur de l’opération (25 immeubles perquisitionnés par 400 policiers). A cela s’ajoute que les Belges avaient identifié une autre femme en tant que coauteur et que le matériel compromettant n’a été analysé que quelques jours plus tard. Le préposé à l’enquête a en outre constaté que de nombreuses mesures avaient été prises pour tenter d’appréhender Martine Hochedez, non seulement peu de temps après sa disparition, mais aussi durant les semaines, les mois et les années qui ont suivi.

LES DOCUMENTS RELATIFS A LA PROCEDURE PENALE NE FONT PAS ETAT D’UN EMETTEUR

Le jour avant l’attentat déjà, les agents belges avaient informé la police cantonale zurichoise que l’une des bombes avait été équipée d’un émetteur. Si ce fait a bien été mentionné dans l’un des premiers rapports de la police scientifique, il ne figure plus dans le rapport final. Le préposé à l’enquête relève que cette omission est liée à la garantie de confidentialité et qu’elle devait éviter des questions au sujet de l’absence d’intervention de la police.

INTEGRALITE DES DOCUMENTS

En 1996, le Préposé spécial au traitement des documents établis pour assurer la protection de l’Etat avait constaté, lors de la procédure de consultation des dossiers, que des documents relatifs aux premiers jours des investigations manquaient, alors que les fiches attachées aux dossiers en faisaient état. Le préposé à l’enquête observe qu’il n’existe aucun indice de soustraction de documents et que les documents en question figurent au complet dans les dossiers de la police cantonale. Il a en outre eu accès à des aide-mémoire, qu’un fonctionnaire de police avait rédigés, mais qu’il n’avait pas classés dans les documents relatifs à la procédure.

CONSEQUENCES DE L’INFORMATION INCOMPLETE DES ACCUSES

Le préposé à l’enquête estime que le fait de n’avoir pas communiqué aux accusés des informations relativement importantes pour leur défense durant la procédure pénale est le constat le plus regrettable de son enquête. Ces éléments, qui ne figurent pas dans le dossier de la procédure n’ont pas non plus été portés à la connaissance de la Cour pénale fédérale ; ils n’ont ainsi pas pu servir de base d’appréciation. En outre, certains faits n’ont été dévoilés que lors de l’enquête administrative. Or, dès le début des investigations, les organes de police compétents étaient au courant de plusieurs des éléments qui ne figurent pas aux dossiers. Le chargé de l’enquête estime dès lors que les accusés auraient dû avoir la possibilité de les invoquer à l’appui de leur défense au cours de la procédure pénale, du moins dans la mesure où ces faits étaient susceptibles de plaider en leur faveur.

Le préposé à l’enquête souligne expressément que ses considérations sur l’application restrictive des droits de partie reposent sur la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral, dont la majeure partie n’a été développée qu’à partir de 1975. En conclusion, il relève que si la police et les responsables de l’enquête ont commis certaines erreurs, celles-ci doivent être considérées comme modérément graves en regard des circonstances décrites.


Source : Département fédéral suisse de justice et de police : http://www.ejpd.admin.ch