1- Le 31 mai 1996, la commission d’enquête a adressé une commission rogatoire au premier président de la cour d’appel de Bruxelles, lui demandant de désigner un magistrat en vue de procéder à une enquête sur un certain nombre de points concernant l’Ordre du Temple Solaire (OTS) et son éventuelle existence passée et présente en Belgique.

M. Bulthé, doyen des juges d’instruction de Bruxelles, a été chargé de cette mission et a déjà établi un rapport provisoire concernant l’état de ses investigations.

2- M. Bulthé expose à la commission les grandes lignes de ce qui a été le travail de l’équipe constituée au moment de sa désignation.

Le témoin constate que relativement peu de personnes ont entendu parler des sectes comme d’un phénomène général. Sur le plan juridique, le phénomène des sectes est quasiment inconnu. C’est pourquoi il a été fait appel aux services de la Sûreté de l’Etat, au SGR, à la BSR, ainsi qu’à un certain nombre d’unités locales de la police judiciaire et de la police communale.

Dès le début de la mission, il a été procédé à une importante collecte bibliographique générale : articles de presse et renseignements auprès de différents services tant en Belgique qu’à l’étranger.

3- Un bref rappel des faits concernant l’OTS permet de mieux cerner leur gravité. Au début octobre 1994, à Morin Heights, au Canada, l’on dénombre cinq morts, dont trois personnes poignardées. Les 4 et 5 octobre 1994, quarante-huit membres de l’OTS périssent à Cheiry dans le canton de Fribourg et à Granges-sur-Salvan dans le canton du Valais. Le 23 décembre 1995, seize nouvelles victimes sont découvertes dans le Vercors (France) : certaines se sont suicidées, d’autres ont été assassinées. Au total, cela représente quelque soixante-neuf victimes, dont trois Belges.

4- Dès le début de leur mission, tant les enquêteurs que le juge Bulthé, ont été confrontés aux principes constitutionnels relatifs à la liberté de culte, à la liberté d’expression et au droit d’association, ainsi qu’aux dispositions de la loi sur la protection de la vie privée.

Ils ont par ailleurs été amenés à faire face aux problèmes liés à la dangerosité, la manipulation mentale ou encore à l’incidence que peut avoir l’adhésion à une secte sur le patrimoine de certaines personnes.

Dès lors, comment procéder ? On peut entendre les personnes citées dans le cadre de l’enquête et vérifier dans quelle mesure elles sont impliquées dans la vie sectaire et auraient ou non commis des infractions. Faire partie d’une secte ne constitue néanmoins pas une infraction. Il faut donc se rabattre sur des infractions telles que l’association de malfaiteurs, l’escroquerie, la privation de liberté ou encore celles résultant d’un exercice illégal de la médecine.

En fait, c’est dans la " périphérie " qu’il faut re-chercher les infractions commises par les personnes susceptibles de faire partie d’une " secte nuisible ", notion d’ailleurs non consacrée par le droit pénal.

5- La plupart des personnes citées dans le cadre du présent dossier n’ont pas de casier judiciaire et sont honorablement connues dans leur région. En général, les unités de police locale et de gendarmerie n’émettent aucune observation particulière sur le comportement de ces personnes, qui peuvent souvent se prévaloir d’un certain niveau intellectuel et/ou philosophique. Ils font preuve d’une certaine vision par rapport à leur mode de vie et leur vécu quotidien, tant au niveau matériel que spirituel (culture biologique, vie saine, ...).

Pour ces gens, l’accès à l’OTS a constitué en quelque sorte l’aboutissement d’un cheminement intellectuel. Après l’OTS, ils se sont retrouvés dans d’autres mouvements, groupements ou associations. Peu de personnes ont définitivement décroché du type de démarche intellectuelle proposé par l’OTS, ce qui pose un réel problème. Certaines personnes évoquent encore toujours un " Jouret réincarné " ou affirment même être en contact avec lui.

La gendarmerie nationale de Grenoble a communiqué au juge Bulthé une liste de 4 ressortissants suisses ou français susceptibles d’effectuer eux aussi un " transit ". Comme il semble qu’en Belgique, un certain nombre de personnes persistent dans la même démarche, il faut être prudent. L’intervenant croit d’ailleurs savoir que certains services de police se proposent de prendre des dispositions à l’occasion du solstice de décembre.

6- S’agissant de la liste du drapier (liste de membres de l’OTS mentionnant leurs mensurations en vue de la confection de capes), M. Bulthé précise qu’il s’agit d’une liste provenant du Canada. Elle reprend 576 noms. Les noms des ressortissants belges, re-trouvés morts en Suisse (les époux Paulus-Kesseler), figurent sur la liste, ainsi que ceux d’autres personnes de nationalité belge, dont l’identification est toujours en cours.

Cette liste énonce un nom, un prénom et, dans un certain nombre de cas, une lettre qui est censée déterminer la nationalité. A titre d’exemple, la lettre " C " est ajoutée à Jouret Luc, ce dernier ayant acquis la nationalité canadienne par mariage.

Parmi les noms figurant sur cette liste, six personnes sont formellement identifiées. Pour un certain nombre d’autres personnes, quelques devoirs sont en exécution pour déterminer si elles sont effectivement de nationalité belge.

7- Outre un certain nombre d’autres groupements que le témoin qualifie de sectes métastasiques, des associations comme " Archédia " (dont les activités étaient notamment relatives à la culture biologique), " La Source " et " Amenta " vont servir de " viviers " dans lesquels vont puiser les responsables de l’OTS pour recruter de nouveaux membres. De plus, si Jo Di Mambro et Luc Jouret n’en ont pas forcément toujours fait partie, ils se trouvaient dans leur périphérie immédiate. Di Mambro a d’ailleurs séjourné en Belgique.

Un certain nombre de personnes resteront dans ces unités de base par souci de préserver leur liberté de comportement et de pensée ; d’autres franchiront le pas vers l’OTS.

Les recherches ont permis d’identifier avec certitude une dizaine de personnes ayant fait partie de l’OTS, Luc Jouret y compris. Pour accéder à l’OTS, il faut en principe atteindre non seulement un certain degré de science mais également être aisé financièrement. Les membres de l’A.S.B.L. " La Source " devaient verser une cotisation mensuelle de 1 200 francs. S’ils voulaient monter en grade et adhérer à l’Ordre Rénové du Temple (ORT) et plus tard à l’OTS, ils devaient acquitter une cotisation mensuelle de 2 000 francs.

Il était sous-entendu que, soit " la Source ", soit " Archédia ", étaient la partie visible, l’OTS et auparavant l’ORT étant la partie cachée de la démarche sectaire.

" Archédia " est un mouvement issu de " Genève Archédia International ". Il existe plusieurs succursales en France. La liste des membres du " Club Archédia des Ardennes " A.S.B.L. comprend de 15 à 20 noms.

Le juge cite la déclaration de plusieurs témoins qui ont quitté l’OTS à la fin des années 1980. Contrairement à d’autres mouvements sectaires, où cela est manifestement impossible, ils n’ont pas eu d’ennuis.

Un des témoins est repris dans la liste d’autres mouvements sectaires. Après son passage à l’OTS, il a manifestement fonctionné, dans une certaine mesure, dans la même mouvance intellectuelle. Il est persuadé qu’il subsiste des structures survivantes proches de la philosophie de l’OTS.

La plupart des membres sont entrés dans l’OTS, prétendument un centre culturel, suite à la rencontre de Luc Jouret, lors de l’une ou l’autre conférence. Celui-ci jouissait d’une très bonne réputation, aussi bien en tant que médecin qu’en tant qu’homme.

Ces personnes décident de participer à des voyages (notamment en Suisse) pour assister à des conférences et des séminaires, portant sur l’agriculture, la médecine douce ou encore la médecine générale, ...

Ces conférences permettent le recrutement de membres. Un témoin raconte qu’au début, Luc Jouret lui payait ses voyages. Plus tard, il fut amené à verser de 2 000 à 5 000 francs belges pour une journée et de 5 000 à 15 000 francs pour un weekend. Il a précisé qu’au départ, les séminaires se basaient généralement sur la médecine homéopathique pour évoluer au fil des années vers de la manipulation mentale.

Luc Jouret se faisait appeler " Le Grand Maître ". Lors de ses séminaires, les adeptes ne pouvaient pas parler entre eux. Au cours du dernier séminaire auquel a participé M. V., on lui a demandé de " réfléchir à une technique permettant de rapporter plus d’argent au coeur de la secte (...) ". Il en fallait toujours plus sans qu’il sache à quoi cet argent pouvait servir.

Il existait une hiérarchie, dont on montait les échelons plus vite si on parvenait à rapporter de l’argent. Ces séminaires, qui se sont déroulés en Suisse ou en France, réunissaient jusqu’à 300 ou 400 personnes.

Le juge constate qu’une dizaine de personnes ont accédé au coeur de l’OTS par la grâce des supérieurs ou des gourous. Ce n’était pas la valeur intellectuelle et culturelle du postulant qui comptait, mais plutôt les avantages qu’ils pouvaient apporter à la secte même.

Un autre témoin, également membre d’ " Archédia ", a déclaré que Luc Jouret lui a proposé d’adhérer à l’OTS. Il y a reçu une initiation, soi-disant plus spirituelle, en échange du versement d’une cotisation mensuelle de 5 000 francs. Il a également dû acquérir plusieurs accessoires : une robe pour le prix de 10 000 francs et une croix, prétendument en or massif, pour 15 000 francs. Effrayé par les coûts toujours plus élevés, il a décidé de quitter la secte en 1989.

Le château où avaient lieu les séminaires en Suisse portait le nom de " Golden Way ". Il relevait en fait de Di Mambro. Plusieurs personnes parlent avec beaucoup d’insistance de Michel Tabachnik, qui semble avoir joué un rôle important, tant dans l’OTS que dans un certain nombre de mouvements périphériques.

En ce qui concerne " La Source ", ce mouvement a été constitué en 1981 et dissout en 1984. M. Jean Paulus et sa femme, Josiane Kesseler, en faisaient partie. A une certaine époque, Jean Paulus s’est rendu en Suisse pour des raisons professionnelles et est entré en contact avec un membre de " La Pyramide ". Di Mambro s’occupait de ce mouvement. En fait, ils se connaissaient depuis les années 1970. C’est lui qui a mis Jouret en rapport avec Di Mambro.

Luc Jouret faisait des conférences sur l’homéopa-hie à " La Source ". Plus tard, le couple Paulus a accompagné le couple Jouret en Suisse. C’est probablement à ce moment qu’a eu lieu la rencontre entre les deux hommes.

Di Mambro a proposé de financer les transformations de la grange où se tenaient les conférences de " La Source " mais les membres ont refusé pour éviter que leur A.S.B.L. ne devienne une extension de la " Golden Way ". Il a réitéré son offre et une scission s’est faite entre le couple Paulus et le reste du groupe. Ceci peut expliquer le départ du couple pour la Suisse et leur rapprochement par rapport à la " Golden Way ".

8- S’agissant des perquisitions, M. Bulthé signale qu’un autel a été trouvé chez la soeur de Jean Paulus. Cet autel est encore utilisé à l’occasion d’activités se situant dans le prolongement de l’OTS. Il n’y a toutefois aucune raison de croire que cette personne commette une quelconque infraction. C’est d’ailleurs une constante chez les différentes personnes entendues.

Lors des perquisitions, de superbes livres reliés avec une sorte de charte ont été trouvés, de même que des journaliers et différents types de capes, comme des capes blanches pour les apprentis, des capes de bure, etc., destinées au rituel d’engagement dans la secte.

On observe également une référence régulière à l’Egypte ancienne. Un certain nombre de personnes " embarquées " dans cette aventure sont d’ailleurs parties en groupe en Egypte pour des voyages dits " initiatiques ".

Enfin, des enregistrements des discours de Jouret ont été récupérés. A ce sujet, tout le monde parle d’un personnage charismatique, envoûtant et séducteur. Selon l’orateur, ce n’est toutefois pas l’impression qu’il donne sur la base de ces cassettes.

M. Bulthé a l’impression que pas mal de personnes sont entrées dans ce mouvement sans trop bien savoir à quoi elles s’engageaient. Puis, pour certaines d’entre elles, ce fut l’engrenage. Celles qui ont voulu en sortir ont toutefois pu le faire sans trop de dommages.

9- Par ailleurs, M. Bulthé observe que la plupart des personnes entendues n’en veulent pas à Jouret, même si certaines d’entre elles ont perdu beaucoup d’argent. Elles savent ce qui s’est passé tant en octobre 1994 qu’en décembre 1995. D’aucuns se posent des questions et connaissent l’état mental dans lequel certaines personnes ont été entraînées. Pourtant, Luc Jouret reste relativement proche de leurs préoccupations. Elles ne peuvent en dire du mal.

Par contre, probablement en raison de la gravité des événements, d’autres personnes interrogées ont nié toute participation à l’OTS et aux associations périphériques.

10- M. Bulthé indique ensuite que la police judiciaire de Bruxelles a fait état des déclarations d’un journaliste selon lesquelles, en date du 16 octobre 1994, un vol en provenance de Bruxelles-Zaventem a atterri en Australie vers 16 heures, heure locale, avec à son bord un médecin de nationalité belge, répondant au nom de Jacob L. Cette personne serait détentrice d’un passeport canadien délivré en septembre 1994 et vivrait dans une villa à B. Il pourrait s’agir de Luc Jouret.

Une autre source rapporte que l’Ordre du Temple Solaire aurait caché une partie de ses avoirs en Australie. M. Bulthé se propose de vérifier si Luc Jouret est susceptible de se trouver dans la ville en question en faisant appel à la coopération policière internationale, de manière à éviter que ne se développent des bruits sans fondement.

11- M. Bulthé rappelle également que Luc Jouret est né à Kikwit, à l’époque du Congo belge. Docteur en médecine en 1976, il a effectué une spécialisation en homéopathie en 1979.

M. Jouret va vivre pendant quinze ans à Ixelles. Il y gardera un certain nombre de contacts. Il vivra également pendant 17 mois en Ardennes, à Léglise, où il tissera un certain nombre de relations relativement importantes, qui auront plus tard une influence sur l’expérience OTS.

Jusqu’en 1981 (sauf pendant une période de quelques mois où il est à Dour et à Léglise) il vivra à Bruxelles exclusivement (Forest et Ixelles). A partir du 29 septembre 1982, il est domicilié en France.

Il effectuera son service militaire en 1977-1978. Cette période militaire semble relativement importante. Le rapport établi sur la base du dossier militaire indique que Jouret a fait son service militaire en tant qu’officier-médecin au deuxième bataillon paracommando, caserné à Flawinne. Il y était étiqueté, ou s’était étiqueté d’extrême gauche.

Il devient sous-lieutenant en février 1978 et est mis en congé en octobre 1978. Il fera un rappel en 1980, refusera l’avancement, et restera donc lieutenant- médecin de réserve. Il est sorti de la réserve au début des années 1990.

Pendant son temps de service, il participera en juin 1978, avec les paras belges, à l’opération Kolwezi.

Il reviendra au pays, profondément marqué par cette expérience et surtout par la vue des charniers. L’homme de gauche devient un homme aux propos bien curieux. Il déclarera lors d’une conférence : " C’est bien fait que les gosses de Somalie crèvent de faim ; ils ont dû être de fameux salauds dans une vie antérieure. "

Un autre élément est à vérifier : il semblerait que pendant son service, des médicaments tels que valium, ont apparemment disparu en quantités importantes. Ces produits étaient sous sa responsabilité.

Après son service, Jouret défraye quelque peu la chronique avec des prises de position assez marquées, entre autres dans une affaire de guérisseurs philippins.

Pour les gens qui le connaissent, Jouret était un homme de l’absolu. Lorsqu’il avait décidé de réussir quelque chose, il le réussissait. Il admettait très difficilement la contradiction.

Selon l’intervenant, l’influence que l’homme pouvait avoir, ne peut s’expliquer, entre autres, que par sa personnalité.

12- Les enquêteurs se sont également intéressés à Denis Guillaume, qui était subjugué par le médecin et par l’homme Jouret. Pour l’instant, il écrit un livre " Jouret est toujours vivant ". Il estime être en contact avec lui par l’écriture automatique et spirituelle, comme il l’a d’ailleurs déclaré à un ami, M. P., résidant à Coustemont.

Denis Guillaume est né à Namur le 19 juillet 1954. Il a déclaré aux enquêteurs qu’il a fait la connaissance de Jouret en décembre 1977, au cours de son service militaire. Ils se sont retrouvés tous les deux à Kolwezi en 1978. Entre 1982 et le début des années 1990, il se déplace régulièrement à l’étranger pour y retrouver Jouret. Il quitte l’armée en 1992. Il rencontre encore Jouret un certain nombre de fois en 1994, année de sa mort.

Pour ce qui est de son ouvrage dédié à Jouret, M. Guillaume prétend qu’il ne connaît pas l’OTS et qu’il n’en a jamais fait partie. A la limite, sa démarche se justifiait par la fidélité qu’il vouait à Jouret. Il aurait voulu être son garde du corps car il croyait qu’il était menacé. Cependant, il n’a jamais eu l’intention de reprendre le flambeau de l’OTS, comme le laissent entendre certains passages du livre. Ces passages relèvent, selon lui, de la liberté artistique.

Selon plusieurs documents militaires, Denis Guillaume fait partie des Equipes Spéciales de Renseignement (ESR) et est un bon officier paracommando. En juillet 1990, il participe à un challenge de saut en parachute Interécoles à Pise. A cette occasion, il se fracture la colonne vertébrale et est également victime d’une commotion cérébrale. Suite à cet accident, il a souffert d’une dépression. En septembre 1990, il reçoit une convocation du service médical. L’homme prend cette convocation pour un camouflet insupportable et donne sa démission en demandant préalablement un an de congé sans solde.

Il tente ensuite de revenir aux ESR mais reçoit un certificat d’inaptitude (psychique) au service para-commando. Il est victime d’un accident de voiture, à la suite duquel il présente sa démission. Selon ses copains de promotion, il aurait alors rejoint Luc Jou-ret. Au moment de son départ, il donne deux adresses en France. La première à Annemasse est l’une des nombreuses adresses de Jouret et de l’OTS ; la seconde dans l’Isère est un lieu proche du massacre du Vercors. Toutefois, la gendarmerie de Grenoble a fait savoir qu’il est totalement inconnu auprès des autorités françaises.

Concernant les adresses mentionnées, Denis Guillaume déclare ne s’être jamais établi à Annemasse mais c’est, selon lui, la seule adresse qui lui soit passée par la tête. Quant à l’adresse dans l’Isère, certains de ses amis habitent dans la région.

Un officier de la police judiciaire d’Arlon a localisé M. Guillaume à Attert via M. P., cité plus haut. Cet officier de police judiciaire, lui-même candidat officier de réserve, et le SGR ont alors proposé d’organiser un rappel et d’y convoquer Denis Guillaume.

M. Bulthé a marqué son accord pour qu’un rappel soit organisé entre le 23 et le 29 septembre 1996. Le 13 septembre, l’on apprend toutefois par un informateur que M. Guillaume part au Canada. Le jeudi 19 septembre, Denis Guillaume est intercepté à sa descente d’avion, en provenance du Canada. Il était porteur du manuscrit : " Luc Jouret est toujours vivant ". Guillaume s’était rendu au Canada en vue de publier l’ouvrage précité sous le nom de Luc Jouret.

Ce manuscrit aurait été quelque peu réécrit après le dernier drame. M. Guillaume a été très choqué par ces événements, aurait pris peur et aurait donc modifié certains passages du récit.

M. Bulthé observe que Denis Guillaume semble avoir été mis au courant du fait que la justice s’intéressait à lui, au moins 4 jours avant l’organisation du rappel.

Les enquêteurs ont interpellé M. P., dont le numéro de téléphone avait été mis sous écoute. Ce dernier a indiqué avoir reçu un appel de Guillaume le jeudi 5 septembre vers 18 heures. A l’occasion de cet appel, il lui a déclaré avoir été entendu par la police et avoir fait des déclarations à son sujet.

M. Bulthé cite ensuite le rapport rédigé par ses enquêteurs au sujet d’une réunion préliminaire ayant eu lieu dans le cadre de la cellule composée des enquêteurs, de la PJ et de la Sûreté de l’Etat : " A cette réunion sont tout d’abord présents le colonel Y., le colonel M., M. L. et M. MR. ainsi que nous, les présents verbalisants. La première partie de la réunion se déroule en présence du chef de corps, le colonel M. (qui est, nous l’apprendrons par après, de la même promotion d’officiers que Guillaume Denis). Le colonel G. prend la parole et nous relevons que, dès le départ, il existe un risque que P. ait pris contact avec Guillaume - ce qui s’avérera être exact - pour le mettre au courant. Interpellé sur cette remarque, le colonel Y. nous apprend qu’il existerait des liens très forts entre les officiers de réserve et P. et Guillaume (...). Le colonel M. a, entre le 26 et le 29 août 96, reçu une réponse positive de Guillaume de participer au rappel décrit ci-devant. Il a reçu cet appel sur sa ligne directe (...) entre 11 et 12 heures. La communication n’a pas duré plus d’une minute. Malgré notre insistance, aucune précision n’a pu être donnée par le colonel M. "

D’après M. Bulthé, M. P. n’a pu savoir que les enquêteurs s’intéressaient à Denis Guillaume que par l’intermédiaire de quelqu’un ayant assisté à cette réunion, ce qui, selon l’intervenant, pose un réel problème.

A l’occasion des perquisitions, un certain nombre de saisies provisoires ont été opérées chez l’amie de M. Guillaume, dont des disquettes, des cassettes d’" Amenta " et 23 cassettes " audio " de discours et de conférences du docteur Jouret.

M. Bulthé signale encore qu’il semble que M. Guillaume ait absolument voulu rencontrer certains journalistes après les interceptions, ce qui pourrait expliquer certains commentaires parus dans la presse quotidienne, mais pas tous.

Le 19 septembre, après avoir été informé du fait que M. Guillaume était censé savoir que l’on s’intéressait à lui, M. Bulthé a fait savoir officiellement que le rappel du 23 au 29 septembre aurait lieu comme prévu dans une région de la province de Luxembourg (d’ailleurs propice à des contacts avec diverses sectes) mais que les filatures ne seraient pas organisées. Elles ont néanmoins eu lieu du lundi au vendredi midi, moment où M. Guillaume a quitté la caserne. A son grand étonnement, un des enquêteurs a remarqué qu’au moment où M. Guillaume est sorti de la caserne, une contrefilature était organisée. Le même enquêteur prétend avoir été suivi à une seconde reprise.

13- S’agissant du dossier Motmans, l’intervenant expose que cette personne est installée dans une belle propriété (carrière) sise dans la province de Luxembourg.

Certaines informations indiquent que beaucoup de gens se rendent dans cette propriété à des heures invraisemblables. Un service a lieu à 9 heures. Des gens arrivent à 10 heures, d’autres repartent à 11 heures, etc.

M. Motmans est un prêtre limbourgeois, né en 1925. En 1960, il est aumônier militaire au 11 e de Ligne. Il participe avec les paracommandos à des actions au Congo. En 1967, il est aumônier militaire à la gendarmerie et, depuis 1976, il est domicilié à Clairefontaine dans une propriété achetée avec les fonds d’une certaine dame D., fille d’un directeur d’usine à Seraing. M. Motmans y a été prêtre pendant un certain nombre d’années.

Depuis 1992, il est interdit de sacrement dans le diocèse de Namur/Luxembourg, par décision de Mgr. Léonard.

De nombreux objets ont été saisis lors d’une perquisition, dont notamment : une farde de prise de mesures pour capes, une liste de membres 1993-1994 avec des mesures de capes, une liste de membres 1994-1995 avec cotisations, plusieurs capes, ainsi qu’une documentation " AMORC " (l’ancien et mystique ordre de la Rose-Croix), divers documents audio, livres et feuillets de documentation philosophique.

L’ex-aumônier, entendu par les enquêteurs, explique qu’en 1975, il a créé la secte Aghia Sofia-Ordre de Melchisedech (ASOM). Aghia Sofia signifie " sainte sagesse ". La dénomination " Ordre de Melchisedech " provient du fait qu’il était à la fois le roi, le prophète et le prêtre. Dans cette notion, le mot " roi " est synonyme d’être détaché, " prophète " se comprend comme quelqu’un qui maîtrise ses émotions et " prêtre " comme quelqu’un qui réalise sa dimension sacrée. En 1975, cet ordre comptait douze membres. Suite à l’insistance de ses adeptes, il a accepté cinquante membres.

L’abbé Motmans indique également qu’il a toujours eu un intérêt marqué pour l’ésotérisme. Mais comme la philosophie de l’AMORC ne lui convenait pas, il a quitté le mouvement.

Les enquêteurs ont également retrouvé de la documentation relative à la " Fraternité blanche universelle ". Il semble cependant qu’il n’ait jamais été membre de ce mouvement.

M. Motmans connaissait très bien les époux Paulus- Kesseler, membres de " La Source " et également de la secte ASOM. Cette secte explique un certain nombre de comportements et d’événements au moyen du jeu de tarot.

M. Motmans a notamment donné une conférence à Warnach pour " La Source ".

Di Mambro, accompagné d’un certain nombre de personnes, s’est rendu chez l’ex-aumônier.

Il explique l’idée des capes chez Di Mambro par le fait qu’il aurait vu ces capes chez lui. Il a été rapporté qu’au moment où le drame s’est produit en Suisse et où M. Motmans a appris le décès des époux Paulus-Kesseler, il a été troublé au point qu’il aurait vieilli de dix ans en un seul jour. De plus, il aurait alors déménagé un certain nombre de documents et d’objets dans son véhicule. Ceux-ci auraient disparu. Interrogé sur la question, l’ex-aumônier déclare ne pas se souvenir d’un tel déménagement.

M. Bulthé commente ensuite une cassette vidéo présentée à la commission, concernant la perquisition faite au domicile de M. Motmans (rue du cloître, n o 34 à Clairefontaine). L’on y découvre une salle de yoga où figurent certains symboles et signes cabalistiques et contenant notamment des objets rituels. Un certain nombre de rituels y ont effectivement lieu.

Dans le hall, sous les greniers, ont été installées un certain nombre de chambres. Le premier étage comprend des chambres et des salles de bains cloisonnées. L’abbé Motmans explique que ces chambrettes étaient employées par des groupes de jeunes gens venant suivre, entre autres, des cours de yoga. La salle de réunion sert sans doute pour le culte. Il s’agit d’une véritable chapelle où l’abbé Motmans pratique encore régulièrement des messes. Dans une armoire, l’on trouve 7 ou 8 capes de différentes couleurs, chacune étant destinée à un membre du groupement ASOM, en fonction de son degré d’avancement dans le travail intellectuel et spirituel. Cette demeure comprend également une grande bibliothèque ésotérique.

14- Enfin, M. Bulthé commente les commissions rogatoires en cours.

En date du 5 février 1996, un ordre bancaire a été adressé à la Générale de Banque de Belgique, émanant d’un ressortissant belge ne figurant pas sur la liste du drapier, au départ d’un pays africain et à destination d’un compte en Grande-Bretagne. Il s’agit d’un versement d’une somme de près de 20 000 $ US au profit d’un numéro de compte ouvert au nom d’un certain J. Di Mambro. Une commission rogatoire a été établie à ce sujet.

Un certain nombre de devoirs concernant des sociétés sont également en cours, au motif qu’elles ont été citées de manière plus ou moins directe en rapport avec le présent dossier. L’OTS et les mouvements périphériques véhiculaient beaucoup d’argent. Les réunions " Golden Way " ou OTS rassemblaient de 300 à 400 personnes, tenues de verser des sommes importantes.

Par ailleurs, les enquêteurs disposent du rapport Hélios. Il s’agit d’une synthèse établie par les services policiers suisses au sujet des événements qui se sont produits en Suisse en rapport avec l’OTS. A cet égard, M. Bulthé se demande pourquoi ce document n’a apparemment pas été joint à la procédure. Le rapport est assez bien fait mais les enquêteurs et le juge ont l’impression que certains éléments de ce document peuvent être " piégés ". Il est donc à manier avec prudence. En Belgique, les éléments intéressants seront joints à la procédure. Il est surtout important de comparer ce document avec le résultat des commissions rogatoires en cours, entre autres, en Suisse.

M. Bulthé s’interroge également sur une pièce qui lui a été transmise par voie spéciale. L’en-tête mentionne : " République du canton de Genève, Département de Justice et de Police et des Transports, Corps de police, Service opérationnel ". Le document contient une déclaration d’un certain M. Di Costa et porte un gros tampon : " à ne pas joindre au dossier ". Pourquoi ? La commission rogatoire permettra peut-être d’éclaircir ce point.

L’intervenant précise encore qu’il a choisi sciemment de faire d’abord indaguer sur un certain nombre de points en Belgique. C’est en fonction de ces résultats que les commissions rogatoires ont été affinées et que les enquêteurs peuvent demander davantage que la simple lecture, la retranscription ou éventuellement une synthèse des dossiers ouverts en Suisse, en France et au Canada.

S’agissant de la famille Jouret en Belgique, la maman, la soeur et le frère ont été entendus une première fois au début de l’année 1996, sur la base d’une commission rogatoire suisse. Ce devoir a été opéré par la police judiciaire de Bruxelles et de Marche. Cette procédure a été jointe.

Une nouvelle commission rogatoire a été demandée par le juge Lafontaine de Grenoble à l’occasion de la procédure ouverte à charge de M. Tabachnik.

Les enquêteurs et le juge ont contacté Bernard Jouret, le frère de Luc. Il est directeur à l’Institut national géographique. M. Bernard Jouret s’est présenté spontanément à l’entretien. Il appert qu’il ne partage aucune des idées de son frère. Il n’était plus en contact direct avec lui depuis quinze ans, suite à des divergences idéologiques et familiales.

Le reste de la famille doit encore être réentendu. Pour ce faire, les enquêteurs profiteront de la commission rogatoire française du juge Lafontaine, prévue pour le 18 ou le 19 décembre 1996.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be