1- Des auditions et des études scientifiques ont clairement fait apparaître (a) qu’il n’existe pas de profil psychologique type qui mènerait inéluctablement à l’adhésion à une secte et qu’inversement, personne n’est immunisé contre l’influence exercée par les sectes, (b) qu’il y a en revanche certains facteurs de vulnérabilité qui accroissent le risque d’influençabilité et (c) que les sectes et les groupes sectaires ont recours à des techniques très diverses pour recruter de nouveaux adeptes.

2- Qui est recruté ? Quasi tout le monde peut, dans certaines conditions, tomber sous l’influence de groupes sectaires. Les stéréotypes selon lesquels les recrutements se faisaient essentiellement parmi les jeunes ainsi que parmi les névrotiques et les personnes psychologiquement instables sont contredits par les faits. La plupart des adeptes sont des personnes équilibrées, animées d’ambitions professionnelles, issues de familles unies, douées d’une intelligence normale et souvent idéalistes. Les adeptes atteints de maladies ou de troubles mentaux constituent des exceptions. De nombreux nouveaux adeptes se trouvent en revanche dans une situation de détresse psychique et émotionnelle, inhérente à une phase spécifique de la vie (jeunes) ou résultant d’un événement ayant déstabilisé l’intéressé (décès, divorce, perte d’emploi, ...).

S’ils ne constituent plus une cible exclusive, les jeunes continuent d’être un réservoir privilégié, ainsi qu’il ressort des déclarations de plusieurs témoins. Le vice-recteur de l’UCL, M. Ringlet, attribue la vulnérabilité des étudiants au fait qu’ils se trouvent dans une phase de leur vie caractérisée par des tensions personnelles et émotionnelles liées au stress, à la concurrence sociale, aux échecs (à l’université), au chômage et à l’exclusion, aux problèmes affectifs et relationnels. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les écoles et les universités constituent un terrain de recrutement privilégié. Les recrutements se font cependant également à un âge plus avancé, et ce, qu’il s’agisse de groupes philosophiques ou de communautés thérapeutiques.

3- Certains facteurs liés à la personnalité peuvent faciliter grandement le recrutement. Ces facteurs sont :

— la dépendance : manque d’assurance, désir d’appartenance à un groupe social ;

— le manque d’assertivité : absence d’esprit critique, impossibilité de dire non ;

— la crédulité : manque de capacité à remettre en question les informations rapportées et observées ;

— la faible tolérance à l’ambiguïté : besoin de réponses absolues et immédiates ;

— le stress et les troubles psychiques à la suite de déceptions éprouvées dans la vie ;

— l’idéalisme naïf ou exacerbé ;

— le désir de donner une dimension spirituelle à l’existence ;

— la réceptivité aux états de transe ;

— la méconnaissance des techniques de recrutement utilisées par de tels groupes ;

— le désir de vivre en communauté

4- Les sociologues de la religion observent que l’adhésion de nombreuses personnes à un mouvement religieux est motivée par une soif spirituelle. Le fait que ces gens entrent dans une secte doit donc être considéré comme le résultat d’une quête active de réponse à leurs questions spirituelles et non comme le fruit du hasard et de la malchance.

Selon le professeur Van den Wyngaert, les personnes appartenant aux couches supérieures de la population et possédant des diplômes d’études supérieures se laissent plus facilement embrigader, parce que la secte leur donne l’illusion d’être meilleures et plus fortes.

M. Ringlet, vice-recteur de l’UCL, voit trois explications possibles à l’attraction qu’exercent les sectes sur les personnes ayant une formation supérieure. Il souligne tout d’abord que la religion ne les satisfait plus alors qu’ils ont accès à d’autres religions, à l’ésotérisme et à l’occultisme. De nouvelles conceptions scientifiques sont médiatisées et suscitent un vif intérêt culturel. Ensuite, les grandes idéologies traditionnelles deviennent floues, ce qui sonne souvent le glas du sentiment de solidarité et suscite l’angoisse. Enfin, M. Ringlet souligne également que le succès des sectes provient du fait que celles-ci répondent à une question existentielle.

Le professeur Dobbelaere a en outre constaté, dans son étude de la Soka Gakkai et des bouddhistes qui se réclament de l’enseignement de Nichiren, qu’un grand nombre de personnes adhèrent à une secte dans l’espoir de trouver une réponse aux problèmes sociaux auxquels elles doivent faire face, et non pas à des problèmes spirituels. Ces constatations donnent à penser que le nouvel adepte choisit souvent consciemment un mouvement précis.

5- Globalement, le succès des stratégies de recrutement de ces mouvements paraît toutefois très limité. Mme E. Barker, sociologue des religions, a calculé que seuls 3 % des candidats moonistes adhèrent de manière définitive au mouvement. Selon celle-ci, les autres le quittent spontanément après un certain temps. De nombreux témoignages recueillis par la commission montrent, par contre, que le départ d’une secte n’est que rarement spontané. D’autres études démontrent également que seul un petit nombre d’adeptes potentiels adhèrent au mouvement.

6- Les thérapeutes observent que le profil du groupe cible des groupements sectaires a évolué au fil des années. Dans les années septante, c’étaient surtout des jeunes de 16 ou 17 ans qui adhéraient à la secte de Moon ou des Enfants de Dieu. Les recrues se caractérisaient à l’époque par l’idéalisme, l’amour et le sens communautaire, et les adeptes vivaient en communauté. A la fin des années septante, les organisations sectaires ont davantage valorisé le " moi " (notamment la Scientologie et le Bhagwan) et elles se sont mises à cibler principalement des personnes dans la vingtaine ou la trentaine d’années. Dans les années nonante, le Nouvel Age et une série de groupes sectaires plus petits ont fait leur apparition, attirant des membres encore plus âgés. Il s’agit surtout de groupes annonçant la fin des temps et de petits groupes thérapeutiques.

7- En ce qui concerne les techniques de recrutement, on peut constater que les organisations sectaires recrutent selon des méthodes très variées, et ce, selon le type de groupement dont il s’agit.

— Les organisations sectaires qui ont un fondement religieux (par exemple, les Témoins de Jéhovah, l’Eglise du Christ de Bruxelles, certaines communautés pentecôtistes) et qui se basent essentiellement sur la Bible, mais aussi d’autres organisations telles que Raël distribuent des tracts ou invitent des passants ou des connaissances à participer à des séances d’étude de la Bible ou à assister à d’autres réunions. La Famille s’est fait connaître par le re-cours au flirty fishing, une technique qui ne serait plus appliquée à l’heure actuelle.

— L’Eglise de Scientologie, qui se targue d’être une religion, utilise le livre " Dianetics " pour attirer les intéressés. Celui qui parcourt cet ouvrage peut être intéressé par le test de personnalité gratuit qui y est conseillé. Ce test fait également l’objet d’une publicité de bouche à oreille ou est proposé à des personnes confrontées à certains problèmes (par exemple, à un travailleur privé d’emploi). On utilise en outre l’électromètre et la technique de l’" auditing " pour asservir les personnes à leur propre développement personnel, avec toutes les conséquences financières que cela implique.

— Les groupes qui se basent sur une religion orientale attirent des adeptes par des cours de méditation, de yoga, d’homéopathie, d’alimentation naturelle, de médecines douces et de médecines alternatives.

— Les groupes à orientation thérapeutique proposent une réponse aux problèmes de stress et à d’autres formes de dysfonctionnements psychologiques ; leurs clients leur sont souvent envoyés par des médecins généralistes.

— Certains groupes tentent de recruter des adeptes sur Internet.

— Enfin, le recrutement s’effectue souvent parmi les amis, les connaissances et les collègues.

Ces techniques de recrutement utilisent un certain nombre de notions de psychologie sociale. La complaisance et le mimétisme sont suscités ou facilités si la relation entre le recruteur et le recruté renferme les éléments suivants :

— une réciprocité (apparente) dans leurs relations : le recruteur se met à nu dans un certain nombre de domaines et attend de la recrue qu’elle en fasse de même. Cette réciprocité fait que la recrue se sent obligée de se mettre à nu à son tour et génère un sentiment d’appartenance au groupe qui l’attire ;

— une stabilité dans le schéma d’activités : le fait d’avoir fait une fois une chose invite à la faire plus souvent, surtout si cette activité se déroule en public.

Ce processus renforce l’engagement ;

— la possibilité pour le néophyte de se tourner vers une figure qui irradie la crédibilité ; le chef est censé être le dépositaire exclusif des réponses aux questions des adeptes potentiels ;

— des liens amicaux et une chaleur émotionnelle : le groupe fait sentir au néophyte que sa venue était très souhaitée, de manière à se l’attacher ;

— le sentiment que la solution ne peut se trouver que dans le groupe : le groupe ou le chef montrent clairement qu’ils possèdent les réponses aux questions posées. La voie qu’ils proposent est la seule permettant d’accéder à ces solutions ;

— la validation sociale : on demande au néophyte de croire que de nombreuses personnes agissent de la même manière que le groupe. Etant donné que la recrue est coupée des informations provenant du monde extérieur, elle ne peut se référer qu’aux informations propagées par les autres adeptes et est ainsi convaincue d’être dans le vrai ;

— un processus qui commence par de petits engagements pour déboucher par la suite sur des engagements plus importants (de l’invitation à un repas jusqu’à la collecte de fonds) ;

— une dynamique de groupe, qui est fonction du nombre de membres (coreligionnaires) et de l’attrait qu’ils exercent ;

— l’impossibilité pour le néophyte d’obtenir des informations contradictoires, du fait que l’on veille à l’occuper continuellement et à ne jamais le laisser seul ;

— la confirmation positive, qui consiste à créer un cadre dans lequel les idées et les comportements souhaités sont systématiquement récompensés.

Pour recruter des adeptes, certains groupes feraient appel à l’hypnose ou à des techniques visant à provoquer un état proche de la transe afin de modifier les schémas de pensée et de comportement du néophyte et d’avoir ainsi prise sur lui. Certains témoins qualifient ces techniques d’autohypnose.

9- Les techniques de recrutement utilisées par les organisations sectaires nuisibles présentent cependant certaines caractéristiques typiques.

Des apparences trompeuses

— En premier lieu, ces organisations se présentent souvent sous leur aspect le plus innocent, en tant que groupe qui étudie la Bible, association pratiquant l’entraide, le yoga ou la méditation, ou en tant que groupe de jeunes, groupe de chant, groupe poursuivant des objectifs tels que la lutte contre le stress, l’exploration de la psyché, l’adoption d’un mode de vie en harmonie avec la nature. Dans un premier temps, ces groupes dissimulent les liens qui les unissent à la secte. Les organisations sectaires ne dévoilent pas ou guère leurs véritables objectifs. Les groupes qui visent l’exploitation financière ne dévoileront jamais leurs véritables objectifs. D’autres groupes attendent très longtemps avant de révéler leurs réelles intentions, et encore ne les révèlent-ils qu’aux adeptes qu’ils considèrent comme importants pour l’organisation. C’est ainsi que selon un témoin, un de ses proches, qui fréquentait un établissement scolaire, a rejoint une organisation sectaire qui lui promettait un emploi.

— Deuxièmement, les contacts introductifs (conférences, exposés, premières heures de cours) sont organisés dans des lieux et des locaux qui ne présentent aucun caractère suspect. C’est ainsi que l’Ecole de Philosophie a donné ses premiers cours dans les locaux de l’UFSIA, tandis que Sahaja Yoga a fait ses débuts aux FUL d’Arlon. Les avis annonçant l’organisation de ces cours sont affichés dans des lieux publics tels que les centres culturels ou les universités.

— Enfin, certains groupes recourent également à des organisations-écrans, qui apparaissent comme les véritables organisateurs. C’est ainsi que l’Eglise de Scientologie opère par le truchement d’entreprises tels que U-Man, qui offre des services aux entreprises, et qu’elle présente, dans les écoles, des programmes de lutte contre la drogue intitulés Oui à la vie, Non à la drogue. L’Eglise de l’Unification (Moon) s’est infiltrée dans le collectif des femmes à l’UCL, dont l’objectif est d’intégrer des familles d’étudiants du Tiers-monde dans la société belge.

Il a également été constaté que des jeunes avaient été recrutés dans le cadre d’un enseignement. On peut citer à cet égard l’exemple de " L’OEuvre ", qui a recruté des jeunes femmes dans le cadre de cours d’aide familiale, qui avaient été organisés à Bruxelles.

Love-bombing

Les recrues potentielles sont entourées d’amour et d’affection, de sorte qu’elles croient être dans un environnement idéal. Les nouveaux amis sont aimables, courtois, compatissants, prévenants et extrêmement sensibles aux problèmes de la nouvelle recrue. Cet intérêt et cette chaleur humaine ont un effet très puissant, a fortiori sur une personne qui est en proie à des problèmes personnels et/ou relationnels au moment de son recrutement.

Appel à l’amour-propre

On explique aux recrues potentielles qu’elles sont des êtres de grande valeur, puisqu’elles ont de grandes exigences éthiques et religieuses et qu’elles ne se satisfont pas des réponses que la société apporte à leurs questions. Les membres potentiels ont ainsi l’impression que ce n’est pas le groupe qui s’est emparé d’eux, mais que ce sont eux-mêmes qui ont trouvé la voie menant au groupe. Ils ne peuvent de toute façon être que des gens courageux, qui assument leurs responsabilités, osent se forger une opinion et préfèrent ne pas suivre les sentiers battus de la société.

Mesures de contrôle

Les organisations sectaires tentent dans un premier temps d’exercer un contrôle maximum sur leurs recrues potentielles. Il faut éviter que leurs nouveaux membres et les personnes intéressées puissent converser. Ces organisations veilleront à ce qu’une personne expérimentée surveille à tout moment les faits et gestes des néophytes et fasse ensuite rapport sur ses constatations. Ils chercheront aussi à savoir quelles relations la recrue entretient avec sa famille, car si celles-ci sont bonnes, la secte peut s’attendre à des problèmes.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be