1- Les organisations sectaires nuisibles s’efforcent d’influencer leurs membres et leurs groupes dans la société dans le but d’établir certaines opinions et institutions par le biais de moyens psychologiques intensifs. Un élément essentiel dans ce contexte est l’endoctrinement ; les disciples sont rendus dépendants du groupe de diverses façons. Les membres du groupe doivent être soumis et rendus disposés à répondre aux besoins totalitaires du groupe ou de son chef. En s’aidant de méthodes psychologiques adéquates, le groupe et le chef visent à se rendre maîtres de la conscience des membres.

A cet égard, il est frappant de constater que les membres n’ont pas conscience d’être manipulés et qu’ils ne déploient dès lors aucune stratégie de défense appropriée.

Des témoins entendus par la commission d’enquête ont parlé de manipulation mentale, de déstabilisation mentale, d’aliénation psychologique, de violence morale, d’atteinte à l’autonomie de la volonté, de dislocation mentale, de dépersonnalisation, de lavage de cerveau, d’endoctrinement, de destruction mentale et de destruction de la personnalité.

Un ancien membre de la Scientologie s’est exprimé en ces termes : " J’ai été manipulée tout le temps : moi, j’étais allée avec le souci d’apprendre des choses pour aider les gens ; x ans après, je me suis retrouvée avec toute une série d’anomalies dans mon comportement, dans ma vie privée, publique, etc. qu’on me suggérait d’améliorer ".

D’autres témoins parlent de phénomènes de désintoxication. Un ancien membre d’une communauté chrétienne s’est exprimé ainsi : " Oui, il m’a fallu deux ans pour me défaire de cette secte. " J’ai dû réapprendre quelles étaient les vraies valeurs et les vraies normes. J’ignorais que celles qu’on m’avait inculquées n’étaient pas les vraies. Mais quelles étaient dès lors les vraies valeurs ? J’ai dû prendre mon courage à deux mains. J’ai dû, par exemple, réapprendre à parler, à parler avec une autre personne, à table, en prenant un café. Tous les contacts que j’avais étaient destinés à m’associer à la secte. Je ne pouvais plus mener de conversation normale. J’ai également dû réapprendre à oser me promener dans une rue commerçante, regarder un pantalon et même l’essayer. J’ai dû réapprendre à me maquiller, à organiser des loisirs. J’ai dû repenser à la musique qui me plaisait autant d’années auparavant. C’était pareil pour mes passe-temps. J’ai dû réapprendre à faire de la danse. Cela a été très difficile et j’en supporte encore partiellement les conséquences. J’ai conscience d’avoir bien agi en venant témoigner ici. Mais je pense que, tantôt, je me sentirai à nouveau coupable. Eux préféreraient me voir jetée dans le canal, une pierre autour du cou, que de me voir vivante. "

2- Ce que l’on reproche principalement aux organisations sectaires nuisibles n’est pas de propager des idées bizarres ou ésotériques, mais bien d’imposer ce mode de comportement et de pensée à leurs membres (potentiels), et ce, à l’aide de stratégies de persuasion faisant fi de tout libre arbitre. Une personne rationnelle qui doit décider l’achat d’un certain produit fondera sa décision sur la valeur des arguments du vendeur, arguments qui devront s’avérer crédibles, cohérents, consistants et pertinents. Une personne rationnelle se laissera convaincre si le vendeur démontre que le produit répond effectivement aux attentes du client, si l’acheteur a effectivement besoin de ce produit et si le vendeur peut en exposer les avantages de façon cohérente.

Les arguments des organisations sectaires nuisibles ne reposent toutefois pas sur de tels arguments rationnels. L’offre de ces groupes est souvent difficilement crédible pour des esprits rationnels (par exemple, promettre la guérison par l’imposition des mains ou par la lumière), ni consistante (les messages sont souvent contradictoires). Les organisations sectaires doivent recourir à des stratégies de persuasion d’un autre type, parmi lesquelles certaines techniques qui nient ou contournent le libre arbitre et la marge de décision des adeptes potentiels. Leur action est souvent facilitée par le fait qu’elles peuvent aisément recruter des membres potentiels parmi les très nombreuses personnes confrontées à des besoins et à des problèmes spirituels ou personnels.

3- Tous les spécialistes du comportement ne sont toutefois pas d’accord pour affirmer que les organisations sectaires nuisibles pratiquent la manipulation mentale. Selon ces scientifiques, les gens qui rejoignent les sectes le font parce qu’ils recherchent activement des valeurs spirituelles alternatives ou des formes d’aide et ces personnes ne peuvent dès lors pas être considérées comme des victimes d’un endoctrinement diabolique par des gens qui leur veulent du mal ou veulent en abuser. Lors de l’entrée dans un mouvement sectaire, ce sont en effet les mêmes processus socio-psychologiques qui agissent (satisfaction de besoins, attirance, processus de dynamique de groupe, etc.) que lors du choix d’adhérer à quelque groupe que ce soit. L’adhésion à un groupe sectaire serait basée sur des processus identiques à ceux qui sont à la base d’une conversion religieuse ou dans une thérapie réussie.

Selon cette théorie, il suffit qu’il existe une structure sous-jacente qui permette au groupe ou au thérapeute d’avoir accès aux problèmes du client. Il faut (a) une relation spéciale, aidante, empathique et confidentielle entre le client et le thérapeute, (b) une toile de fond thérapeutique empreinte d’une forte symbolique d’aide et de guérison, (c) une idéologie ou des conceptions qui peuvent offrir une explication cohérente pour la maladie et la santé et qui peuvent situer logiquement les soucis et les préoccupations du client concerné et, (d) un jeu de rituels et de pratiques qui répond à l’attente de l’intéressé et qui lui garantit un contexte de nouveaux apprentissages et de nouveaux succès. Si, de plus, on travaille par phases, il n’est plus du tout nécessaire de faire appel à des processus de manipulation et d’endoctrinement pour expliquer le succès des organisations sectaires

4- .Sur la base des déclarations de témoins et de sources scientifiques, la commission d’enquête doit toutefois conclure qu’au sein des associations sectaires nuisibles, on s’est effectivement employé activement à recruter de nouveaux membres grâce à un certain nombre de techniques qui peuvent être qualifiées de contrainte mentale et qui reposent sur des processus comportementaux, émotionnels, cognitifs et dissociatifs. Les techniques comportementales visent à influencer les relations entre les adeptes et le milieu dont ils sont issus, à agir sur la communication entre l’adepte et le monde extérieur et à façonner la vie au sein du groupe en ce qui concerne l’alimentation, le sommeil, la sexualité, le travail et les loisirs. Les techniques émotionnelles permettent d’établir une relation empathique avec l’adepte, relation qui doit permettre et faciliter l’intégration de ce dernier. Les aspects cognitifs concernent la doctrine ou message salvateur, l’afflux d’informations, la nature des informations, la langue, les symboles et la morale. Enfin, on recourt fréquemment à des techniques qui génèrent des comportements de type prépsychotique ou hallucinatoire.

5- On ne peut toutefois pas parler de technique de lavage de cerveau stricto sensu, contrairement à ce que prétendent certains témoins. Non seulement la notion de lavage de cerveau a une très forte connotation qui fait référence à la rééducation politique des prisonniers de guerre américains pendant et après la guerre de Corée ainsi qu’aux expériences de reconditionnement qui ont été effectuées aux Etats-Unis pour neutraliser le processus auquel avaient été soumis ces prisonniers, mais il est en outre inadéquat, au niveau sémantique, pour décrire les techniques utilisées par des organisations sectaires nuisibles. Le lavage de cerveau vise des modifications comportementales et mentales imposées au moyen de violences et de supplices physiques, ainsi que l’endoctrinement communiste de prisonniers de guerre récalcitrants.

Les sectes, y compris les organisations sectaires nuisibles, n’ont toutefois pas recours au lavage de cerveau. Elles font rarement appel à la violence physique, mais recourent, en revanche, à certaines formes (raffinées) de manipulation psychologique. De plus, elles essaient généralement de modifier non seulement les convictions politiques de leurs adeptes, mais aussi toute leur personnalité. Le public auquel les sectes s’adressent est, lui aussi, fondamentalement différent : alors que les prisonniers de guerre étaient des victimes involontaires dont il fallait abreuver le subconscient de l’idéologie communiste parce qu’ils ne se ralliaient pas aux nouvelles conceptions politiques, de nombreux candidats sectateurs sont ouverts à un nouveau message salvateur. La notion de lavage de cerveau suggère en outre une modification permanente de la personnalité de la victime. Les évaluations des expériences effectuées montrent cependant que la personnalité de base, qui est la somme des traits innés, des expériences de vie et des influences externes et culturelles, ne peut en aucun cas être effacée. Cette personnalité de base peut certes être refoulée, même très profondément, sous l’action de fortes pressions mentales, mais elle ne sera jamais totalement effacée.

Il sera toujours possible de recouvrer cette personnalité de base, fût-ce parfois au terme d’une longue et pénible convalescence. Ce ne sont donc pas les objectifs finaux qui diffèrent, mais bien le public auquel les sectes s’adressent et la manière dont elles procèdent.

6- Dans son étude intitulée " Thought Reform and the Psychology of Totalism " (New York, Norton, 1969), qui fait autorité en la matière, le psychiatre américain Lifton a analysé les techniques psychologiques qui sont utilisées pour forcer des personnes à entrer dans le schéma de pensée de leurs maîtres et pour bâtir un monde façonné par l’emprise du totalitarisme idéologique. Huit conditions doivent être remplies. Lifton qualifie ces conditions de " thèmes psychologiques " et considère que ceux-ci doivent être récurrents dans le discours et la praxis. Chacun de ces thèmes a, en soi, un caractère totalitaire, repose sur un fondement philosophique tout aussi absolu et est lié à certaines émotions extrêmes. Ils n’ont pas forcément de lien causal dans leurs rapports réciproques. Conjugués, ils constituent un terrain idéal pour commettre les pires atteintes à la dignité humaine.

Contrôle du cadre de vie

La principale arme de la manipulation mentale (" contrôle de la pensée " pour utiliser la terminologie de Lifton) est le contrôle de la communication. Tant la communication avec le monde extérieur que la communication avec soi-même font l’objet d’un contrôle strict. Les membres ne peuvent observer, écrire, lire, apprendre ou s’exprimer librement. Personne ne cache du reste que la communication fait l’objet d’un contrôle strict. Ce contrôle repose sur le postulat que le dirigeant ou le groupe est omniscient et qu’ils sont les seuls à détenir la vérité. Les dirigeants considèrent qu’il est utile et nécessaire de couper ainsi les membres de toute information extérieure. Dans leurs tentatives de transmettre la vérité pure, tout doit être placé sous observation. Ce contrôle de la communication provoque évidemment un déséquilibre entre le monde extérieur et l’individu lui-même, constitue une menace pour l’autonomie personnelle et une atteinte à la personnalité. L’idéologie est la seule et unique réalité, tout le reste étant irréel. Lifton dit en l’occurrence que la personne se referme sur soi, de sorte qu’elle n’est plus en mesure de juger de la réalité des événements. Ainsi, le membre d’un groupe totalitaire n’en vient même plus à douter.

Manipulation mystique

Les membres sont manipulés par tous les moyens possibles, quelles qu’en soient les conséquences. Le dirigeant ou le groupe s’efforce ainsi de provoquer certains comportements ou certaines émotions qui paraissent spontanées aux membres. Cette quasi-spontanéité confère à ces comportements et émotions une espèce de mysticisme. Cette manipulation vise souvent davantage que la simple domination des membres : elle est en quelque sorte suscitée par la mysticisme même (l’intérêt " supérieur " ou le fait que le dirigeant a reçu un certain message). Les dirigeants deviennent ainsi les instruments de leur propre mystique, et entourent par ailleurs leur association d’une aura mystique. Les dirigeants se considèrent comme envoyés par Dieu, par l’histoire ou par l’une ou l’autre force surnaturelle pour accomplir la mission mystique. Les idées ou activités remettant en cause ces buts suprêmes sont alors qualifiées d’hérésies émanant d’individus animés par de viles intentions, de traîtres, d’égoïstes ou de personnes qui n’ont rien compris. Même les comportements les plus extrêmes ou les plus absurdes acquièrent un sens à la lumière du but suprême à atteindre. Chaque membre est invité à accepter ces manipulations pour vraies et à s’en remettre en toute confiance aux dirigeants. S’ils franchissent effectivement ce pas, ils pourront même, à la lumière de ce mysticisme, donner un sens à des expériences apparemment insensées. Et celui qui doute malgré tout ne peut que se soumettre et s’adapter, en apprenant les signes et les signaux de ce qui vit au sein du groupe, et en évitant ainsi tout heurt. En outre, il participera ainsi également à la manipulation des autres membres. Quel que soit le choix que l’on fasse, on débouchera toujours sur une perte de la capacité de s’exprimer et d’agir de manière autonome.

L’exigence de pureté

Les groupes totalitaires se caractérisent en outre par l’exigence de pureté. Dans leurs schémas, le monde est divisé en deux camps, les purs et les impurs, le bien absolu et le mal absolu. Toutes les idées, toutes les activités et tous les sentiments conformes à l’idéologie et à la politique totalitaires sont bons et purs ; tout le reste est mauvais. Tout ce qui est mauvais et tout ce qui peut conduire à l’impureté doit être exterminé à la racine. Derrière cette exigence, on trouve la conviction philosophique que la pureté absolue est accessible et que tout ce qui est fait pour atteindre cette pureté est acceptable moralement. Etant donné que dans la réalité, il n’est pas possible d’accéder à un tel idéal, la culpabilité et la honte sont induits chez les membres. Il leur est reproché de ne pas suffisamment faire de leur mieux. Par conséquent, ils doivent travailler sur eux-mêmes en permanence. Ils sont coupables en premier lieu envers le groupe ou le dirigeant, qui peuvent dès lors également punir, humilier et exclure. Ces sanctions occupent en outre une place très centrale dans la vie en groupe ; personne ne peut y échapper. Les dirigeants qui éveillent et exploitent cette culpabilité et ces sentiments de hon-te acquièrent ainsi une prise encore plus forte sur leurs membres. Les membres sont obsédés par leurs déficiences et perdent de vue leurs points forts. Et, étant donné que ces déficiences sont imputées au monde extérieur, ils s’isolent encore davantage de celui-ci. En effet, c’est précisément ce monde extérieur qui est tenu pour responsable de tout.

Confessions personnelles

L’obsession des confessions personnelles est étroitement liée à cette exigence de pureté. Ici, les confessions vont beaucoup plus loin que dans un contexte religieux ou thérapeutique : il faut faire l’aveu même des choses dont on n’est pas coupable ou des carences que l’on n’a pas à se reprocher. Dans les mains des groupes totalitaires et de leurs dirigeants, ces aveux deviennent un moyen d’exploiter encore davantage leurs auteurs au lieu d’une voie de délivrance et de réparation. Par ces confessions, les membres s’efforcent d’atteindre la pureté personnelle, mais ils montrent aussi clairement qu’ils se soumettent totalement au dirigeant et au groupe, et qu’ils s’effacent en tant qu’individu. Les confessions font également apparaître clairement que toute réflexion personnelle est à proscrire, car elle va à l’encontre de l’omniscience du dirigeant et du groupe.

La doctrine du groupe en tant que vérité ultime

La doctrine du groupe est considérée comme la vérité ultime. Les doutes et les questions sont inacceptables, et tout le respect est dû à l’auteur ou à l’annonciateur de la bonne parole. Ce message est même propagé comme une vérité scientifique et les doutes sont non seulement inacceptables, mais aussi injustifiés d’un point de vue scientifique. Une telle situation est très confortable, puisque quiconque nourrissait des doutes au départ est maintenant convaincu. En effet, quiconque continuerait à douter serait rapidement plongé dans la culpabilité et l’angoisse. En outre, toute vérification par des contacts avec le monde extérieur est rigoureusement impossible.

Un langage et un jargon propres à la secte

Les groupes totalitaires utilisent un jargon qui leur est propre et qui ne peut être compris que par les membres du groupe. Les problèmes et les expériences humains complexes sont réduits à des notions et des phrases courtes, faciles à mémoriser. Ces notions et expressions ont une connotation très prononcée en termes de valeurs et balisent le processus de la pensée. Bien qu’un tel jargon se retrouve dans tous les groupes sociaux, son utilisation est beaucoup plus intensive et son contenu est beaucoup plus fort dans des groupes totalitaires. La raison en est que ce jargon est une expression de la vérité ultime à laquelle le groupe souscrit et qu’il est lié au postulat qui veut que la langue soit également la propriété des fondateurs du mouvement concerné. Pour l’individu qui fait partie de ce groupe, cela signifie qu’il est prisonnier de la toile tissée par un langage inaccessible. Etant donné que l’intéressé ne peut plus s’exprimer à travers la plénitude du langage dont dispose un être normal, il devient un reclus linguistique, ce qui réduit encore sa capacité d’expression et de réalisation personnelle.

Suprématie de la doctrine sur les expériences humaines

L’usage stérile du langage reflète une autre caractéristique de l’idéologisme totalitaire : la soumission du vécu aux exigences de la doctrine. Les événements vécus ne sont pas décrits comme étant des expériences concrètes, mais sont interprétés en termes de catégories très abstraites, et les sentiments subissent le même sort. Les événements passés sont réinterprétés à la lumière de la doctrine. Selon la doctrine, les individus concrets doivent également être recréés. Il s’agit en effet de la doctrine, pas de l’être humain avec ses caractéristiques et ses expériences personnelles. Si la doctrine pose problème, ce n’est pas celle-ci qu’il faut adapter, mais c’est la personne qu’il y a lieu de conformer à la doctrine. Cela contribue à remodeler plus profondément encore l’identité de l’individu.

Le groupe possède le pouvoir de décision ultime

Enfin, Lifton note que c’est le groupe qui décide en dernier ressort sur le monde psychique et physique des membres et des non-membres. Tous ceux qui ne partagent pas le message sont mauvais ; ils sont à éviter et à éliminer. Si ces profanes ne peuvent pas être convaincus de se joindre au groupe, ils peuvent être punis, voire anéantis. Cette réaction génère chez les membres un antagonisme à l’égard des non-membres et suscite chez eux de l’angoisse, dans la mesure où ils constatent que leur propre existence dépendra de leur obéissance. L’aboutissement ultime de ce processus est l’identification totale de l’individu et de la doctrine. Lifton estime qu’il n’y a que peu d’organisations qui pratiquent une forme complète de manipulation psychique et que la plupart des organisations n’appliquent que quelques-unes de ces techniques. En outre, les procédés de manipulation mentale ne sont pas toujours appliqués, mais, même si l’on n’y recourt pas pendant certaines périodes, ils peuvent être subitement remis à l’honneur. Certains groupes peuvent également permettre certaines voies alternatives. Il en ira certainement ainsi au sein des organisations sectaires, où la communication et les contacts ne peuvent pas être coupés de manière aussi rigoureuse que dans des camps de prisonniers.

7- Bien que Lifton n’ait pas développé ces notions en pensant au monde des sectes, elles s’appliquent parfaitement à l’univers des organisations sectaires nuisibles. Ces organisations utilisent en effet les mécanismes décrits ci-dessus et leur influence sera d’autant plus grande qu’elles axent leur action non seulement sur les zones périphériques de la personnalité (convictions politiques), mais aussi et surtout sur le moi intime des membres du groupe.

Lorsqu’on touche au moi intime des personnes, les conséquences sont beaucoup plus profondes que lors- qu’on vise les domaines périphériques de leur personnalité. Les témoignages devant la commission d’enquête et les rapports scientifiques ont démontré que les organisations sectaires nuisibles utilisent effectivement des techniques identiques à celles qui ont été décrites ci-dessus. De plus, elles recourent à un certain nombre d’autres moyens faisant partie de l’arsenal des techniques de conditionnement psychique et physique des individus et des groupes :

— La doctrine est la vérité, et celle-ci est considérée comme un monopole propre, comme une possession incontestable.

— La doctrine est inculquée par plusieurs méthodes (cours, groupes de travail, étude de la Bible et d’autres textes de référence, conférences, livres, cassettes et vidéocassettes). Plus tard, s’y ajoutent, se-lon le type de secte, des sessions intensives d’endoctrinement (par exemple : lectures de la Bible, formation politique, initiation aux techniques de vente ou aux techniques d’épanouissement).

— L’idéologie n’est toutefois enseignée en l’occurrence qu’à petites doses. Une information trop poussée dès le départ pourrait en effet éveiller la méfiance des membres. Cette manière de procéder permet en outre de mieux exploiter le processus d’accoutumance. L’objectif final de la doctrine est en tout état de cause très éloigné, ce qui permet d’inculquer un sentiment d’échec permanent qui incite à son tour à toujours faire mieux et plus.

— Les entretiens avec des membres expérimentés du groupe jouent aussi un rôle important dans l’intériorisation de la doctrine du groupe. Ces membres expérimentés du groupe font office de confidents.

— La doctrine prime les faits. Lorsque des expériences ne correspondent pas à la doctrine, ce n’est pas la doctrine qu’il faut adapter, mais les expériences qui doivent être interprétées différemment.

— Même les expériences qui paraissent absurdes au plus grand nombre prennent un sens dans le vécu de l’adepte.

— L’organisation sectaire est caractérisée par un chef divin ou tout-puissant, qui détient la vérité en gage et qui ne peut être contesté. Ce chef se considère parfois comme une réincarnation du Christ ou d’une autre figure religieuse, ou comme un illuminé ou un initié. Dans certains groupements, le chef s’attribue des pouvoirs curatifs. Les chefs sont toujours envoyés pour accomplir une mission mystique d’un intérêt supérieur.

— Celui qui conteste doit être combattu, et est qualifié de dangereux ou de subversif, et en tout cas de gênant pour l’adepte.

— L’obéissance aveugle est la règle. La loyauté à l’égard du chef et du groupe doit s’exprimer sans cesse. Sans cette loyauté, il n’y a pas de promotion au sein du groupe.

— Tout ce qui a été vécu avant l’adhésion à l’organisation sectaire est dévalorisé et considéré comme fautif ou dénué de sens. Il faut sans cesse montrer que l’on renie son ancien moi, ses valeurs et sa famille ; le fossé entre la vie antérieure et la vie de groupe actuelle peut ainsi être creusé davantage. On fait croire aux membres qu’avant leur adhésion, ils se laissaient guider par le destin sans avoir de but précis et sans donner de sens noble à leur vie. On tente ainsi de rompre également les liens sentimentaux avec le passé.

— Les sectateurs sont également abusés en permanence. Les véritables objectifs du groupe (pouvoir politique, argent) ne leur sont pas dévoilés, même après un séjour plus long dans la secte.

— L’intéressé ne peut pas être conscient du fait qu’il est manipulé ; il doit s’habituer à son nouvel environnement, mais cette adaptation doit être très progressive, afin que l’intéressé ne remarque rien de ce processus.

— Le monde est divisé en deux camps : il y a, d’une part, le groupe qui est dépositaire de la doctrine dans toute sa pureté et, d’autre part, le reste du monde. Tous ceux qui n’ont pas de sympathie pour le groupe sont diabolisés ou, au mieux, déclarés infréquentables. Cette réaction génère des sentiments de supériorité et d’inaccessibilité.

— Des sentiments d’angoisse et de culpabilité sont induits. L’attention des adeptes est constamment attirée sur le fait qu’ils n’en font pas assez, tant pour atteindre le but (idéologique) ultime que dans leur vie au sein du groupe, et qu’ils représentent de la sorte un danger pour le groupe. Les exigences sont placées à un niveau si élevé que personne ne peut y satisfaire. Les membres de l’organisation sectaire se mettent alors à craindre de ne jamais pouvoir réaliser leurs attentes, ce qui les précipite dans l’échec. Ils perdent alors toute confiance en soi, sont souvent désorientés et subissent les affres de la dévalorisation de leur personne. Ce n’est toutefois qu’à partir de ce moment qu’ils n’ont d’autre choix que de se réfugier dans l’idéologie et d’invoquer l’aide du groupe, ce qui accroît leur dépendance. La culpabilisation et l’induction d’un sentiment de honte s’observent surtout dans les organisations sectaires qui se réfèrent à la Bible, mais aussi dans celles présentant une orientation thérapeutique.

— Ces sentiments de culpabilité, d’angoisse et de honte sont renforcés du fait de l’intensification de la pression que le dirigeant ou le groupe exerce sur les adeptes en leur faisant comprendre qu’ils sont incapables d’atteindre les buts ultimes.

— En outre, les critiques adressées aux adeptes sont souvent sans aucun rapport avec leur engagement. Ces adeptes sont enfermés dans un dilemme psychologique, étant donné que les critiques formulées à leur égard n’ont jamais rien à voir avec les résultats de leurs efforts. Quoi qu’ils fassent, le dirigeant ne leur épargnera pas les critiques. On fait ainsi comprendre aux intéressés qu’ils sont de toute manière des cas désespérés. Il en résulte une imprévisibilité de la relation avec le dirigeant, ce qui suscite chez les intéressés des sentiments d’insécurité, d’incertitude et d’angoisse. En outre, les adeptes acquièrent le sentiment de devoir redoubler leurs efforts et de devoir se consacrer davantage encore à l’idéologie du groupe et à l’exécution des tâches qui sont nécessaires à la réalisation de cette idéologie.

— Les contacts entre les membres de l’organisation sectaire et le monde extérieur ainsi que les con-tacts entre les différents membres font l’objet d’un contrôle sévère. Les membres sont tenus autant que possible à l’écart de leurs amis et de leur famille, car ils doivent être protégés des influences indésirables provenant du monde extérieur et ils doivent être totalement disponibles pour la réalisation des objectifs du groupe et/ou du dirigeant. C’est pourquoi certaines organisations sectaires envoient leurs membres " à plein temps " à l’étranger. Certaines vont aussi jusqu’à s’employer à soustraire leurs membres à la sphère d’influence d’un conjoint ou d’un parent si celui-ci ne partage pas le choix de l’adepte. Lorsque le groupe ne parvient pas à attirer le conjoint d’un membre, ce dernier est souvent exhorté à divorcer.

— Afin d’éloigner ses adeptes de leurs parents, proches et amis, l’organisation sectaire fait passer ces derniers pour des personnes infréquentables, diaboliques ou qui n’ont rien compris à son message. Ces anciennes relations appartiennent au système impie ou ennemi qui est responsable de la mauvaise éducation donnée à l’adepte ou, à tout le moins, des problèmes de celui-ci. Ceci peut aller jusqu’à diaboliser la profession de l’adepte et l’amener à en démissionner, provoquant par là la perte de revenus extérieurs. L’adepte n’a plus dès lors de possibilité de survie qu’à l’intérieur du groupe et sa sortie en devient problématique, sinon impossible.

— Afin de pouvoir maximiser leur influence, certains groupements s’organisent en communautés. Lorsqu’il leur est impossible d’organiser une vie communautaire aussi intense, certains groupes élaborent des formes intermédiaires d’embrigadement d’adeptes : les membres motivés sont recrutés en tant que membres à temps plein, tandis que d’autres travaillent en tant que sympathisants ou membres associés pendant leurs loisirs.

— On empêche également les membres d’avoir des contacts trop approfondis avec les autres membres. De tels contacts peuvent en effet les amener à se poser des questions fondamentales sur les pratiques et l’idéologie du groupe et peuvent donc s’avérer dangereux. - Toute communication avec l’extérieur fait également l’objet d’un contrôle strict. Certains groupes contrôlent les échanges de lettres avec l’extérieur et les contacts téléphoniques, quand ils ne sont pas totalement interdits ou entravés du fait que le groupe se déplace sans cesse ou que l’intéressé doit sans cesse se déplacer sur ordre du groupe.

— L’emploi du temps des nouveaux membres est strictement réglementé. On occupe les membres en permanence, de sorte qu’ils n’ont pas l’occasion de poser des questions critiques. - L’adoption d’un nouveau nom ou prénom constitue également une forme de rupture avec le monde extérieur et le passé.

— De nombreuses organisations sectaires utilisent la langue comme moyen d’endoctrinement. Beaucoup de groupes ont développé un langage propre, avec lequel ils définissent et décrivent leur idéologie. Ce " jargon " échappe à toute interrogation critique et renforce la soumission au groupe, tout en soulignant la spécificité de l’idéologie du groupe. Sur ce langage propre peut venir se greffer une symbolique spécifique, qui ne sera également accessible qu’aux initiés.

— On veille au confort émotionnel des nouveaux membres, surtout au début du séjour au sein du groupe. Les nouveaux venus sont couverts de compliments et de témoignages d’affection. Par la suite, on insiste également beaucoup sur le côté émotionnel, ce qui permet de reléguer l’aspect rationnel et critique à l’arrière-plan.

— Les organisations sectaires procurent par ailleurs aussi un sentiment de sécurité. Les membres de la secte sont déchargés des responsabilités de la vie quotidienne et ne doivent plus prendre eux-mêmes de décisions. Ils se sentent à l’abri au sein du groupe, qui, non seulement, leur apporte un réconfort émotionnel mais leur donne aussi le sentiment d’appartenir à une élite. Les adeptes qui croient percevoir des changements et qui s’en inquiètent sont rassurés par le groupe. Qui plus est, les membres de la secte ne peuvent obtenir des résultats qu’en coopérant avec d’autres membres.

— Les organisations sectaires induisent souvent la dissociation et d’autres formes de modification du psychisme (entendre des voix, visions, états psychotiques, glossolalie, transe) par des chants, des mantras, l’hypnose, des affirmations répétées, de longues séances de méditation et de confession, des réprimandes publiques, des critiques blessantes à l’égard d’un individu, etc. Par dissociation, on entend la disjonction d’éléments plus ou moins importants d’événements ou de matériaux intériorisés ou l’absence des sentiments correspondants. Ce phénomène, qui apparaît surtout chez les personnes qui doivent faire face à des souvenirs ou des sentiments oppressants et qui rejettent ceux-ci dans leur inconscient (dissociation involontaire), peut aussi être provoqué par l’hypnose ou par d’autres techniques de transe.

— Les organisations sectaires utilisent la suggestion : la suggestion permet au dirigeant ou au groupe d’accéder au tréfonds du psychisme, de sorte que les idées relatives à la théorie du salut ou à d’autres formes d’idéologie s’enracinent rapidement dans l’esprit des membres du groupe. Les expériences vécues et les convictions acquises par les membres des sectes sous l’influence de la suggestion deviennent pour eux des réalités. Toute question critique et toute recherche d’explication sont exclues. Les longs rituels suggestifs, les méditations et autres techniques renforcent l’énergie suggestive.

— Celui qui se prête à la suggestion de masse sera également enclin à l’autosuggestion. Le désir qui anime les membres du groupe d’atteindre le salut ou le stade ultime est si intense qu’ils accélèrent le processus de sectarisation et favorisent leur propre endoctrinement. Leur façon de se représenter les choses transforme le fantastique en réalité et, comme il ne veulent pas se départir de cette nouvelle réalité, ils s’isolent encore davantage de la réalité extérieure. L’autosuggestion fonctionne en quelque sorte comme un mécanisme à mouvement perpétuel.

— Les rituels jouent un rôle important dans le domaine de la suggestion et de la suggestion de masse. De tels rituels (baptême, initiation, mariage arrangé, " auditing ", réunions de groupe ...) peuvent au demeurant induire une dépendance en dehors de toute espérance de salut. S’ils font figure, en tout cas au début, de clé permettant d’accéder au monde religieux ou spirituel, les rituels deviennent progressivement un but en soi. Les membres du groupe ont besoin des rituels pour combattre leur anxiété croissante et se débarrasser de leur sentiment de vacuité.

— Pour parvenir à ce suggestionnement, certains groupes imposent des restrictions draconiennes en matière de sommeil (sommeil insuffisant, repos nocturne interrompu), d’alimentation (insuffisante, monotone, périodes de jeûne), d’habillement et de soins corporels, et ce, alors que les adeptes doivent souvent travailler dur et accomplir des tâches monotones et répétitives.

— De nombreux groupes affectent assez rapidement leurs nouveaux adeptes à des activités axées sur le recrutement et leur expansion. Celui qui est obligé de faire du prosélytisme assimile en effet plus aisément la manière de penser et les idées de l’organisation sectaire.

— Un système de récompenses, de sanctions et d’expériences fait en sorte que les membres apprennent de nouveaux comportements acceptables pour le groupe et désapprennent les comportements non souhaitables. Les sanctions sont essentiellement des sanctions sociales, telles que la mise à l’écart ou l’humiliation de l’intéressé.

— L’exacerbation de l’idéalisme du membre permet de lui faire croire qu’il est indispensable à l’oeuvre entreprise par l’organisation sectaire, y compris de sauver le monde dans certains cas. - La plupart des associations sectaires, surtout les plus dangereux, ne tolèrent pas que leurs membres les quittent librement et ont recours à tous les moyens de pressions pour les en empêcher : pressions morales, mais aussi matérielles telles que re-connaissances de dettes par exemple.

8- Tous les groupes n’ont pas recours à toutes ces techniques. Une secte qui se focalise sur des objectifs psychothérapeutiques n’utilise que quelques-unes de ces techniques et s’attache le client éventuellement grâce au charisme de son thérapeute. Certaines sectes, dont la doctrine s’inspire des philosophies orientales, font davantage appel à des techniques visant à faire entrer l’adepte en transe.

On peut toutefois affirmer que les organisations sectaires nuisibles utilisent sciemment un certain nombre de ces techniques pour attacher leurs membres au groupe. Plus l’utilisation de ce type de manipulation dure longtemps, plus graves sont souvent les conséquences. Les symptômes de ce type de manipulation mentale sont les suivants : le sujet éprouve des difficultés à penser de manière rationnelle, il répond aux questions par des stéréotypes, les problèmes simples deviennent insolubles et la perception des événements extérieurs est faussée.

A cela s’oppose le fait que de nombreux groupes non sectaires utilisent un certain nombre de ces techniques pour atteindre leurs objectifs et que la plupart des adeptes des sectes ne se sentent pas du tout malheureux dans le carcan mental qui leur est imposé. Des études scientifiques et des témoignages recueillis par la commission d’enquête confirment en effet que de nombreux membres des " nouveaux mouvements religieux " se sentent bien sur le plan psychologique. Les effets positifs sont, entre autres, une meilleure motivation professionnelle, une diminution du stress, une perception plus claire de la moralité, un développement positif de l’ego, la diminution d’un certain nombre de troubles psychosomatiques, une plus grande sociabilité et un renforcement du sens social, la diminution d’un certain nombre de tendances névrotiques et l’augmentation de la capacité de résoudre les problèmes. Certains groupes affirment également obtenir de bons résultats dans le traitement des toxicomanes.

A la lumière de tout ce qui précède, se pose la question de savoir où se situe la limite entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas en matière de manipulation et de contrôle. La commission estime que cette limite est franchie si les techniques décrites ci-dessus sont utilisées de manière systématique et de façon trompeuse avec principal objectif d’aliéner et/ou d’abuser la personne. Elles ont pour effet que les membres sont traités de manière inhumaine et humiliante et sont soumis à un régime qui les empêche de mener une existence digne au sens que lui donne aujourd’hui la jurisprudence.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be