LES INFRACTIONS PUNIES PAR LE CODE PENAL

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a pu établir que nombre d’infractions punies par le Code pénal sont également commises par des membres d’associations sectaires, véritable microcosme de notre société,

— soit qu’ils commettent ou s’organisent pour commettre des attentats contre des personnes ou des biens étrangers au groupe ;

— soit qu’ils usent, à l’intérieur du groupe, d’une discipline qui attente à l’intégrité physique, mentale ou patrimoniale des membres de ce groupe.

A cet égard, plusieurs praticiens consultés par la commission d’enquête, estiment que notre arsenal pénal est, dans une large mesure, suffisant pour réprimer les pratiques sectaires nuisibles. Encore faut-il l’appliquer correctement ce qui implique une connaissance suffisante du phénomène.

Il reste toutefois à apprécier s’il ne conviendrait pas que diverses infractions commises dans le cadre des activités de certaines associations prétendument confessionnelles ou doctrinales soient soumises à un régime pénal plus spécifié (voir la partie VI du présent rapport).

Pour ce qui concerne les infractions commises contre les personnes ou les biens étrangers au groupe, la législation pénale actuelle peut être considérée comme idoine.

Le fait de s’associer en vue de commettre certaines infractions est punissable en lui-même, par le seul fait de l’organisation de la bande (article 322 du Code pénal - voir annexe 2 du présent rapport, point III/I.5).

Notons également que le fait de commettre certaines infractions à plusieurs est considéré comme une circonstance aggravante pour diverses infractions.

Parmi les infractions les plus courantes commises par un ou plusieurs associés d’une association sectaire à l’égard de tiers figurent :

— les faux commis en écritures, avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire (article 193 et suivants du Code pénal) (voir, entre autres, le jugement rendu le 1 er octobre 1987 par le tribunal correctionnel de Bruxelles condamnant les frères Melchior à une peine de prison et une amende, notamment pour faux en écritures et infractions aux lois fiscales et aux lois coordonnées sur les sociétés commerciales) ;

— abus de confiance (article 491 et suivants) ;

— usure (article 494) ;

— extorsions (article 470), escroquerie et tromperie (article 496 et suivants) (voir la condamnation prononcée le 2 décembre 1993 par le tribunal correctionnel de Bruxelles dans l’affaire d’Ecoovie pour faux et usage de faux, détournement de fonds et escroquerie) ;

— recel (article 505 et suivants) (les dispositions de l’article 505 ont été étendues par la loi du 7 avril 1995 en vue de mieux réprimer les activités liées au blanchiment de capitaux) ;

— vols (article 461 et suivants) ;

— calomnie et diffamation (article 443 et suivants) (Afin de détruire la crédibilité du " dissident " ou du critique de la secte, et de décourager son action, les dirigeants de certains groupements organisent de véritables campagnes visant à distiller des informations fausses à son sujet - cf. la " propagande noire " de l’Eglise de Scientologie) ;

— corruption de fonctionnaires publics (article 246 et suivants) ;

— faux témoignage et faux serment (article 215 et suivants), ainsi que subornation de témoins (article 223).

Quant aux infractions commises directement à l’encontre des membres du groupe par des dirigeants ou d’autres membres, notamment à titre de mesure de participation, d’éducation ou de discipline, on peut notamment citer :

Vols et fraudes

— abus de confiance (article 491 et suivants) et plus particulièrement l’article 493 (punissant celui qui aura abusé des besoins, des faiblesses et de l’ignorance d’un mineur pour lui faire souscrire, à son préjudice, des obligations, quittances, décharges, etc.) ;

— usure (article 494) ;

— extorsions (article 470), escroquerie et tromperie (article 496 et suivants) (voir, par exemple, les tests et examens à caractère pseudo-scientifique proposés par certaines organisations sectaires, la pro-messe de résultats futurs consécutifs à une apprécia-tion trop négative de la situation présente de la victime, les tromperies sur les composants de certains remèdes " miracles ", etc ; voir également les requêtes de versements supplémentaires en arguant qu’à défaut, tous les efforts fournis en vue de " guérir " l’adepte seront réduits à néant et l’incitation à contracter un emprunt, ... ; voir enfin le jugement du 22 novembre 1996 prononcé par le tribunal de grande instance de Lyon à l’encontre de responsables de l’Eglise de Scientologie).

Infractions visant la protection des enfants mineurs

— exposition et délaissement des enfants (article 354 et suivants), et notamment les dispositions visant l’abandon d’enfants (article 360bis) et l’abandon de famille (article 391 bis). [Signalons à ce propos que les comités de protection de la jeunesse sont chargés d’intervenir, lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur est mise en danger, soit en raison du milieu où il est élevé, soit par les activités auxquelles il se livre, ou lorsque les conditions de son éducation sont compromises par le comportement des personnes qui en ont la garde. Des mesures de protection judiciaire peuvent être prises (article 2 et suivants de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse). Il peut également être renvoyé aux dispositions de la loi du 29 juin 1983 concernant l’obligation scolaire, et notamment l’article 1 er , § 6, concernant la dispensation d’un enseignement à domicile pour laquelle les conditions requises n’ont toujours pas été fixées par arrêté royal, ce qui entraîne des problèmes de contrôle pour des enfants scolarisés au sein d’une organisation sectaire] ;

— l’enlèvement de mineurs (article 368 et suivants) (voir notamment le jugement du 30 avril 1975 du tribunal correctionnel de Mons dans l’affaire des " Trois Saints Coeurs "), ainsi que la non-présentation d’enfants (article 369bis).

Atteintes à la liberté individuelle et infractions à connotation sexuelle

— attentat à la pudeur et viol, notamment sur la personne de mineurs (article 372 et suivants) ;

— outrages publics aux bonnes moeurs (article 383 et suivants) ;

— corruption de la jeunesse et prostitution (article 379 et suivants) ;

— séquestration arbitraire (articles 434 à 438).

Atteintes à l’intégrité corporelle

— empoisonnement (article 454 et suivants) ;

— homicide et lésions corporelles involontaires (article 418 et suivants) (voir les conséquences de traitements, cures, régimes alimentaires draconiens, stages d’initiation, ... ; voir également le jugement du 22 novembre 1996 prononcé par le tribunal de grande instance de Lyon à l’égard d’un responsable de l’Eglise de Scientologie à la suite du suicide d’un adepte) ;

— homicide et lésions corporelles volontaires (article 392 et suivants), et notamment l’article 401bis visant la privation volontaire d’aliments ou de soins au point de compromettre la santé d’un enfant au-dessous de l’âge de seize ans ou d’une personne qui, à raison de son état physique ou mental, n’était pas à même de pourvoir à son entretien (voir, par exemple, les conséquences de punitions, châtiments infligés aux adeptes) ;

— assassinat (article 394) (cf. l’affaire de l’Ordre du Temple Solaire) ; Ajoutons encore l’incendie volontaire (article 512), la violation du secret professionnel (article 458) et celle du secret de la correspondance (articles 460 et 460bis).

Concernant l’ensemble de ces infractions, il y a lieu de constater que le fait d’avoir été soumis à l’intérieur d’un groupe à une discipline physique et/ ou mentale déstabilisante, peut être considéré, dans certains cas, comme une circonstance absolutoire ou atténuante pour l’adepte (article 71 du Code pénal et la jurisprudence concernant la contrainte physique et morale (Cass. 21 septembre 1931, Rev. dr. pén. p. 983 - Cass. 27 décembre 1949, Pas. 1950, p. 284 - Cass. 17 novembre 1975, Pas. 1976, p. 330 - Cass. 21 mars 1979, Pas. p. 862 - Cass. 29 septembre 1982, Pas. 1983, p. 140).

Quant aux dirigeants du groupement, signalons que tant l’instigateur que le complice sont également punissables conformément aux articles 66 et 67 du Code pénal.

Si bon nombre de méfaits font effectivement l’objet d’une qualification pénale spécifique, ces dispositions légales ne permettent cependant pas de protéger comme telle la dignité de la personne humaine, ébranlée par l’abus qui est fait d’une discipline associative qui déstructure à un degré intolérable la personnalité des adeptes.

Il n’est fait allusion à la protection de l’intégrité physique que dans un certain nombre de dispositions légales à titre de circonstances aggravantes, notamment dans la loi du 13 avril 1995 sur la traite des être humains.

A noter à ce propos les propositions formulées par MM. Van Espen et Abgrall (cf. deuxième partie du présent rapport, résumé des auditions publiques) et M. Trousse (cf. annexe 2 du présent rapport, point III/I.7 à 10).

Enfin il y a lieu de remarquer que l’incitation au suicide n’est actuellement pas réprimée par une disposition spécifique.

LES PRATIQUES MEDICALES OU PSEUDO-MEDICALES ABUSIVES

Par ailleurs, le domaine médical constitue un terrain privilégié pour le développement des activités sectaires. Des médecins ou d’autres membres du corps médical peuvent être liés à une organisation sectaire et distribuer à leurs patients des brochures de présentation de cette association. En outre, certains médecins pratiquent les méthodes de traitement prônées par ces groupements, souvent opposées à la médecine traditionnelle. Dans ces deux cas, il peut arriver que le médecin fasse un mauvais usage de son monopole et en conséquence manque à la déontologie de son ordre.

Enfin, la commission d’enquête a pu observer qu’un nombre important d’organisations sectaires expriment des ambitions thérapeutiques non dissimulées, souvent en relation avec leurs croyances (imposition des mains, libération d’énergies diverses, techniques de soins orientales, thérapies de groupe, vente de remèdes miracles, ...), sans que ses dirigeants disposent toujours des qualifications requises.

Certains d’entre eux prétendent guérir des maladies graves, telles que le sida et le cancer. Les thérapies proposées peuvent présenter un danger grave pour la santé des patients, soit qu’elles retardent un diagnostic médical et l’application d’un traitement adéquat (le gourou conseille souvent à des adeptes de rejeter toute forme de médecine traditionnelle et de renoncer à certains traitements), soit qu’elles entraînent des troubles physiques et psychiques chez l’adepte, pouvant même, dans quelques cas signalés à la commission, entraîner la mort (cf. notamment les témoignages concernant l’Ange Albert, Invitation à la Vie Intense (IVI), etc.).

L’exercice illégal de l’art médical, de l’art pharmaceutique et de leurs annexes sont passibles de sanctions pénales et parfois disciplinaires visées par l’arrêté royal n o 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice de l’art de guérir, de l’art infirmier, des professions paramédicales et aux commissions médicales, tel que complété par la loi du 20 décembre 1974.

Ajoutons que les praticiens de la médecine sont soumis à la déontologie de leur ordre créé par la loi du 25 juillet 1938 et dorénavant régi par l’arrêté royal n o 79 du 10 novembre 1967 et que les pharmaciens, eux aussi, sont soumis à la discipline de leur ordre (arrêté royal n o 80 du 10 novembre 1967).

Un témoin a proposé de prévoir une liste exhaustive des spécialités médicales et des thérapies alternatives connues (comprenant une étude critique), de manière à empêcher notamment l’usage abusif de titres trompeurs.

Autres types d’infractions Par ailleurs, il convient encore de citer :

— les infractions en matière de stupéfiants (cf. notamment la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques, les arrêtés royaux du 31 décembre 1930 et du 2 décembre 1988, ainsi que la convention unique de New York du 30 mars 1961 sur les stupéfiants et celle de Vienne du 21 février 1971 sur les substances psychotropes) ;

— les infractions à la législation portant réglementation de la fabrication, du commerce et du port des armes et munitions (notamment la loi organique du 3 janvier 1993) ;

— les infractions à la loi du 29 juillet 1934 interdisant les milices privées ;

— les infractions à la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.

Enfin, il y a lieu de souligner que, selon quelques témoignages, les écrits publiés par certains groupements ne font pas toujours mention du nom et du domicile de l’auteur ou de l’imprimeur, comme l’exige l’article 299 du Code pénal.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be