SUR LE PLAN FINANCIER

Il existe un certain nombre d’associations sectaires installées dans notre pays qui ont des ramifications internationales. Elles disposent parfois d’un patrimoine immobilier important, tandis que le chiffre d’affaires de leurs sociétés est évalué à plusieurs centaines de millions de francs. Pour la gestion de leurs avoirs, elles peuvent utiliser des structures financières établies dans des paradis fiscaux ou des sociétés écrans. La pratique de diverses formes d’escroquerie et de fraude fiscale (parfois à grande échelle) est établie dans certains cas (voir le dossier Ecoovie) et vraisemblable dans d’autres.

Néanmoins, la cellule de traitement des informations financières, sous la direction de M. Spreutels, n’a jusqu’ici eu à traiter d’aucun dossier lié, même très indirectement, à des activités sectaires, et ce probablement parce que ces activités n’apparaissent pas suffisamment anormales ou suspectes aux organismes financiers. Les deux raisons avancées paraissent vraisemblables :

— soit les organisations sectaires utilisent des mécanismes tellement perfectionnés ou une dissimulation tellement efficace que les banques, chargées de rapporter des faits suspects à la cellule, ne se rendent compte de rien ;

— soit, si ces associations ouvrent un compte au nom d’une église ou d’une quelconque organisation, les organismes financiers évitent de s’intéresser de trop près à leurs activités au nom du respect de leurs libertés constitutionnelles. Il faut ajouter ici aussi, que les organismes financiers n’ont à ce jour pas du tout été sensibilisés à la problématique sectaire.

SUR LE PLAN FISCAL

Jusqu’à présent, l’administration fiscale n’a pris aucune mesure spéciale visant à débusquer les activités illicites d’organisations sectaires. Tout contrôle est d’ailleurs rendu illusoire lorsque ceux-ci ne sont pas revêtus d’une forme juridique. Dans ce cas, il faut trouver les personnes physiques véritablement responsables, ce qui n’est pas toujours chose aisée. Le problème d’une législation spécifique est posé.

La commission n’a relevé jusqu’ici qu’une seule condamnation pour des délits fiscaux à l’encontre de mouvements sectaires ou de personnes physiques qui s’y rattachent (cf. le dossier des Trois Saints Coeurs).

Dans notre pays, beaucoup d’organisations sectaires ont le statut d’une A.S.B.L. : celles-ci n’ont fait l’objet, d’après les constatations de la commission, d’aucun contrôle particulier, tant au niveau comptable que sur le plan du respect de leur objet social.

En fait, le contrôle des A.S.B.L. est aléatoire. Certes, la loi du 27 juin 1921 accordant la personnalité civile aux associations sans but lucratif et aux établissements d’utilité publique impose certaines publications qui rendent possible un contrôle limité :

— les statuts doivent être publiés au Moniteur belge, de même que toute modification apportée à ces statuts (articles 3 et 9) ;

— la liste des membres doit être déposée au greffe du tribunal civil du siège de l’association et tenue à jour annuellement (article 10) ;

— si l’A.S.B.L. souhaite bénéficier de libéralités, les comptes annuels doivent être déposés de la même manière (article 16).

En cas d’inobservance de ces règles légales ou de contravention aux statuts ou à l’ordre public, le parquet peut solliciter la dissolution d’une A.S.B.L.

Sur le plan fiscal, les A.S.B.L. sont soumises en principe à l’impôt des personnes morales. Toutefois, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, elles sont soumises à l’impôt des sociétés (cf. article 182 du CIR 1992 et les commentaires du CIR 1992, 179/9 à 15 et 182/1 et sq.). Ceci n’empêche toutefois pas une A.S.B.L., de manière parfaitement légale et conforme à ses statuts, de disposer de suffisamment de recettes pour assurer sa subsistance.

Dans la pratique, vu le développement des activités associatives en Belgique, le contrôle se limite généralement à l’examen des statuts et de la liste des membres au moment de la fondation. Des investigations complémentaires n’ont lieu qu’en cas d’activités abusives ou délictueuses portées à la connaissance des parquets.

Les lois des 7 et 13 avril 1995 modifient le régime juridique des associations et permettent à des groupements de constituer des sociétés commerciales " à finalité sociale " pour autant que leur but ne soit pas d’enrichir les associés mais de servir la société civile voire l’humanité. Ainsi, les A.S.B.L. existantes peuvent dorénavant être transformées en sociétés à finalité sociale (article 164quater des lois coordonnées ; articles 26bis à 26septies de la loi du 27 juin 1921 accordant la personnalité civile aux associations sans but lucratif et aux établissements d’utilité publique). Ces sociétés sont considérées comme commerçantes lorsqu’elles exercent une activité commerciale, même si elles le font sans but lucratif (voir le commentaire au J.T. 1996, pp. 517 à 522). Le recours éventuel à ces nouvelles structures par des organisations sectaires est à surveiller de très près.

En outre, il apparaît que certaines organisations sectaires bénéficient, par une interprétation discutable de la loi, d’un avantage spécifique sur le plan fiscal, à savoir l’exonération du précompte immobilier, pour autant que l’association soit propriétaire des lieux qu’elle occupe et les affecte sans but de lucre à l’exercice public d’un culte (article 12 du CIR 1992). Le pouvoir de décision appartient aux directeurs régionaux de l’administration des Contributions directes, sous le contrôle des cours d’appel. L’A.S.B.L. " Témoins de Jéhovah " et l’A.S.B.L. " Assemblée spirituelle des Baha’is " ont obtenu une telle exonéra-tion (arrêt de la cour d’appel de Bruxelles). Par contre, la cour d’appel de Liège n’a, en 1949, pas reconnu cet avantage à la société coopérative " le foyer spiritualiste " et à l’A.S.B.L. " le culte antoiniste ". Une vigilance accrue semble donc s’imposer à cet égard.

SUR LE PLAN DES LOIS SOCIALES

Plusieurs témoignages ont fait état de ce que dans certains groupes existe une exploitation du travail des adeptes par l’organisation sectaire à laquelle ils adhèrent. Il s’agit, pour la plupart, de travailleurs bénévoles (ou en tout cas de personnes dont la rétribution est manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli), corvéables à merci, qui ne bénéficient d’aucune protection sociale.

Pourtant, à ce jour, l’administration sociale, interrogée par la commission, déclare n’avoir constaté aucun fait illicite qui se rapporterait aux activités d’une organisation sectaire. Ici encore, la méconnaissance totale du phénomène, ajoutée sans doute à la prudence face au respect des libertés constitutionnelles, semble en être la cause principale.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be