Les événements qui se sont déroulés dans la soirée du vendredi 25 octobre 1996 à Montceau-les-Mines, dans le département de la Saône-et-Loire, sont ceux qui ont le plus marqué l’opinion publique et ont sans doute été à l’origine de la création de la commission d’enquête.

Qui ne se souvient des images vues à la télévision, au journal télévisé de France 2 le lendemain soir, montrant le DPS en action en tant que force de maintien de l’ordre à la place de la police républicaine ? Elles ont marqué tous les esprits. Pourtant, les ministres de l’intérieur auditionnés par la Commission ne semblent pas s’en souvenir particulièrement. Ainsi, M. Jean-Louis Debré, ministre de l’intérieur à l’époque des faits, a indiqué dans son exposé liminaire : " Je crois me souvenir - il faudrait que le ministère de l’intérieur vous confirme ces propos - que, lors d’une réunion du Front National, dont je ne peux pas vous donner la date exacte, mais que je situe en octobre 1996, à Montceau-les-Mines - réunion organisée, me semble-t-il, par M. Bruno Gollnisch - des incidents se sont produits ". De même, M. Jean-Pierre Chevènement - qui, il est vrai, n’était pas ministre à l’époque des faits - n’a-t-il pas reconnu : " Je ne sais même pas d’ailleurs - je dois vous l’avouer - ce qu’étaient les événements de Montceau-les-Mines ! ".

La Commission a souhaité revenir en détail sur ces incidents mettant directement et ostensiblement en cause le DPS, afin de faire toute la lumière. Conformément à sa volonté de mener une enquête objective, elle a recueilli des témoignages selon une méthode contradictoire lors de ses auditions.

A) LES ELEMENTS D’INFORMATION RECUEILLIS PAR LA COMMISSION

Le témoin à charge qui a révélé ces événements est M. Michaël Darmon, seul journaliste présent sur place avec son équipe " un peu par hasard ". La Commission a procédé au visionnage de la cassette audiovisuelle du reportage diffusé au journal télévisé de France 2 à l’époque. Son auteur a apporté des compléments d’information lors de son audition.

Les responsables administratifs du maintien de l’ordre ont également été entendus. Il s’agit du préfet Denis Prieur, en fonction dans le département à l’époque des faits, même s’il a indiqué à la Commission qu’" [il] n’était pas physiquement présent à Montceau-les-Mines le soir du 25 octobre et qu’[il] n’a eu sur le moment qu’un compte rendu téléphonique des faits par [sa] directrice de cabinet ", et de M. Christian Bernard, commissaire divisionnaire à la direction départementale de la sécurité publique de Saône-et-Loire, présent sur place.

A la différence de la réunion de la salle Wagram, la Commission n’a pu disposer d’aucun des rapports administratifs ou de police élaborés à l’issue des événements. M. Christian Bernard a " simplement rendu compte par un rapport ". M. Denis Prieur a quant à lui " procédé à deux rapports : l’un le lendemain, le 26 octobre, assez bref ; un autre le 28 ou le 29, un peu plus développé, dans la mesure où, entre-temps, des commentaires avaient été portés sur le déroulement de la soirée et que le premier, assez concis, appelait certainement, pour l’information du ministre, des dévelop-pements ". M. le préfet a indiqué qu’" [il] n’a pas eu par la suite à faire d’autres communications sur le sujet [et que], par ailleurs, [il] n’a pas connaissance d’enquête conduite par la suite ; en tout cas, [il] n’a pas été interrogé. " La Commission regrette que, malgré la demande faite au directeur général de la police nationale, ces différents rapports écrits ne lui aient pas été communiqués.

Les éléments communiqués par la direction centrale des renseignements généraux qui constitueraient le " fameux " rapport introuvable des renseignements généraux sur le DPS demandé par M. Jean-Louis Debré, ancien ministre de l’intérieur, comportent cependant une note de synthèse succincte sur les événements de Montceau-les-Mines, vraisemblablement rédigée à partir des observations des fonctionnaires de la direction départementale de ce service présents sur les lieux.

Enfin, la parole a été donnée à la défense, à savoir au responsable national du DPS à l’époque, M. Bernard Courcelle, et au responsable régional, M. Gérard Le Vert, qui a reconnu devant la Commission avoir été le responsable opérationnel du DPS sur les lieux.

Il va de soi qu’étant donné la médiatisation dont ces événements ont été entourés, presque toutes les personnes auditionnées se sont exprimées à leur sujet. Tous ces témoignages ont un moins grand intérêt à cette étape de la démonstration, qui consiste à relater le plus objectivement possible le déroulement des faits. Ils sont par contre très utiles pour qualifier ces faits et connaître la perception que chacun a pu en avoir.

B) LA PREPARATION DE LA REUNION PUBLIQUE DU FRONT NATIONAL OU COMMENT A-T-ON PU EN ARRIVER LA ?

La réunion publique que le Front National a prévu d’organiser le 25 octobre 1996 à Montceau-les-Mines se situe dans le même cadre que celle qui s’est déroulée trois jours plus tôt salle Wagram à Paris : le parti de M. Jean-Marie Le Pen souhaite protester contre le projet de loi Toubon réprimant plus sévèrement les discriminations et paroles racistes. A la même époque, le Premier ministre, M. Alain Juppé, déclare devant des lycéens à Montpellier que le Front National est un parti xénophobe, raciste, antisémite et avec lequel il ne faut avoir aucune relation.

M. Michel Collinot, membre du bureau politique du Front National, responsable de l’une des deux fédérations du Front National de Saône-et-Loire (celle de l’Ouest du département), conseiller régional de Bourgogne et conseiller municipal de Montceau-les-Mines, prend l’initiative d’organiser une réunion publique de son mouvement à Montceau-les-Mines le 25 octobre 1996, avec pour invité et orateur principal M. Bruno Gollnisch. Il faut rappeler qu’à cette époque M. Bruno Gollnisch est secrétaire général du Front National depuis un an. Selon M. Romain Rosso, journaliste à l’Express, " il [avait] été imposé à ce poste par la vieille garde du Front National qui ne voulait pas du candidat de M. Jean-Marie Le Pen ; il s’agissait déjà de contrer l’influence de M. Bruno Mégret. M. Bruno Gollnisch devait donc faire ses preuves dans l’appareil pour devenir le véritable numéro deux à la place de M. Bruno Mégret ".

M. Michel Collinot obtient de la ville de Montceau-les-Mines la location d’une salle au centre nautique, située très à l’écart de l’agglomération, pour éviter les affrontements et les heurts. Il prévient également, tout à fait normalement, les responsables départementaux de la police de l’organisation de cette réunion.

Selon M. Denis Prieur, " la réunion fut précédée de l’envoi d’un très grand nombre d’invitations, de la distribution de tracts et de collages d’affichettes. Cependant, cet effort de propagande ne semblait, d’après les informations qui [lui] étaient communiquées, trouver que peu d’échos auprès de la population et les prévisions de participation à cette réunion restaient modestes. [... Cela permettait de] considérer le meeting du Front National comme un "non-événement", susceptible d’attirer au plus une centaine de personnes. "

Par contre, M. Gérard Le Vert indique que le Front National s’attendait à des difficultés à l’occasion de la réunion publique : " Nous savions à Montceau-les-Mines que nous allions avoir des problèmes parce que des mots d’ordre avaient été lancés dans les lycées et les bars de la ville pour aller contre-manifester à l’occasion de la venue de M. Bruno Gollnisch dans la ville. Nous nous attendions donc à rencontrer des difficultés. [...] J’avais vu le commissaire Bollote à Montceau-les-Mines qui m’avait dit, une semaine auparavant, qu’a priori, il n’y aurait pas de problèmes, mais plus nous avancions dans le temps et plus nous savions que les choses allaient mal se passer. [...] Nous savions depuis deux ou trois jours que nous aurions des problèmes parce que l’information remontait par les jeunes que nous avons dans les lycées de Montceau-les-Mines. Les contre-manifestants allaient venir munis d’oeufs, de tomates et de pierres. Nous savions donc qu’une manifestation se préparait, non pas pour "brailler" mais pour faire du mal puisque du matériel était prévu. Nous avons prévenu le commissariat. "

Une contre-manifestation républicaine de protestation contre la venue de M. Bruno Gollnisch est effectivement organisée par les partis politiques de gauche et les associations et organisations syndicales locales opposées au Front National. En accord avec la municipalité de Montceau-les-Mines, elle doit se dérouler devant la mairie, c’est-à-dire dans un lieu éloigné de deux kilomètres de la réunion publique du Front National, afin d’éviter tout incident. Le préfet décrit ce rassemblement en ces termes : " [Il s’agissait d’] une protestation digne, déterminée, [...] avec des appels à la raison de la part des personnes qui [prenaient] la parole au cours de cette réunion pour éviter toute provocation ".

Une réunion administrative préparatoire au meeting du Front National se tient à la préfecture, quelques jours avant la réunion publique, et un dispositif est arrêté après une large concertation entre le préfet, sa directrice de cabinet, le directeur départemental des renseignements généraux et le directeur départemental de la sécurité publique. Ce dispositif consiste à prévoir une force d’intervention pour le cas où les événements se dérouleraient d’une façon difficile. A cet effet, une équipe de maintien de l’ordre composée de vingt fonctionnaires du commissariat de Montceau-les-Mines est constituée et une équipe de surveillance, composée de deux officiers, est mise sur pied afin d’assurer le suivi des faits pouvant se produire aux abords du centre nautique où devait se tenir cette réunion. De plus, une compagnie républicaine de sécurité (CRS) de quatre-vingts policiers est demandée en renfort, à titre de précaution, par le préfet à la direction générale de la police nationale.

Le préfet a déclaré à la Commission que " [la CRS] constituait une réserve en cas de nécessité, en particulier s’il fallait prêter main forte au corps urbain de Montceau-les-Mines, dans l’hypothèse où celui-ci aurait eu à intervenir. En revanche, il n’était pas paru souhaitable que soit mis en place d’emblée un dispositif policier devant le centre nautique, afin de ne pas donner l’impression que la police nationale avait reçu mission de protéger la réunion du Front National et par crainte qu’une présence policière soit ressentie comme une "provocation". [... La] consigne générale [était] d’éviter toute tension susceptible de compromettre l’objectif d’absence de contacts entre contre-manifestants et participants à la réunion du Front National. " Le commissaire divisionnaire confirme avoir reçu ces instructions. Il doit également assurer personnellement la direction du service d’ordre, en lieu et place du commissaire local qui l’a assisté, et tenir informée par radio l’autorité préfectorale tout au long de la soirée.

C) LE DEROULEMENT DES FAITS OU COMMENT UNE PARCELLE DE LA REPUBLIQUE EST DEVENUE UNE ZONE DE NON-DROIT PENDANT UNE SOIREE

. La contre-manifestation devant l’Hôtel de ville de Montceau-les-Mines se déroule sans incident. 350 personnes sont rassemblées dans le calme, de dix-huit heures à dix-neuf heures quinze. Cependant, malgré les consignes données lors du rassemblement, de jeunes contre-manifestants décident de se rendre au centre nautique pour interpeller les participants à la réunion du Front National.

. Alors que la contre-manifestation devant la mairie est terminée, M. Bruno Gollnisch arrive en voiture à Montceau-les-Mines, vers 19 heures 30. En allant le chercher pour le conduire au centre nautique, M. Gérard Le Vert voit que " les manifestants étaient déjà là ". M. Michaël Darmon, en arrivant également au centre nautique, estime que les contre-manifestants sont une cinquantaine. La police en dénombre soixante. Par contre, M. Bernard Courcelle, estime leur nombre à deux ou trois cents, ce que les images infirment tout à fait.

M. Gérard Le Vert indique que M. Bruno Gollnisch téléphone une dernière fois au commissariat " aux alentours de 19 heures 30 ou 20 heures ", quand il est encore dans sa voiture sur la route vers le centre nautique : " J’ai oublié quel responsable de la police M. Bruno Gollnisch a eu au bout du fil, mais à ce moment-là nous avons su que, de toute façon, la police ne bougerait pas. " Il lui est en effet répondu que " les forces de police n’assuraient pas le service d’ordre d’une réunion politique. " En conséquence, " dès 19 heures 30, des membres du DPS [arrivés en voiture

 notamment dans une Espace -] se sont prépositionnés sur le parking qui jouxte le centre nautique où se tenait la réunion, qui rassemblait environ 80 personnes " (M. Christian Bernard).

. A 20 heures 45, le commissaire divisionnaire est informé " [qu’]un bref contact physique entre les membres du DPS et les contre-manifestants s’était produit à l’arrivée de M. Bruno Gollnisch, avec usage de bombes de gaz lacrymogène. Les individus qui ont chargé pour dégager l’entrée du centre nautique ne portaient, à ce moment-là, ni casque ni bouclier ". L’enregistrement vidéo permet toutefois de se rendre compte qu’au cours de cette charge organisée avec violents coups de matraques contre les manifestants, certains membres du DPS portent des blousons noirs rembourrés et des bonnets noirs. M. Michaël Darmon déclare avoir vu de près que, " lorsque M. Bruno Gollnisch arrive avec banderoles et slogans, ses gardes du corps et des gens du DPS en tenue classique qui l’entourent chargent les manifestants avec des gaz lacrymogènes et des extincteurs. Cette petite charge, assez violente, ne dure pas très longtemps - trois, quatre minutes -, juste le temps pour M. Bruno Gollnisch d’entrer dans la salle ". Ensuite, il est témoin de coups de fil passés au commissariat de Montceau-les-Mines par des membres du Front National présents dans la salle, c’est-à-dire après 21 heures, " pour signaler, certes avec leur logorrhée habituelle, des troubles à l’ordre public ".

. Ce qui se passe ensuite, pour être tout à fait inédit, est encore plus grave. Le reportage audiovisuel de M. Michaël Darmon confirme parfaitement les faits qu’il a rapportés à la Commission : " Ce que je découvre alors est étonnant : le nombre des membres du DPS a augmenté - ils étaient maintenant une quarantaine de personnes - et surtout, ce qui nous frappe, leur accoutrement ressemble étrangement à celui des CRS : casques, boucliers en plexiglas, matraques, tenues noires et bottes. C’était vraiment des CRS déguisés. [...] Nous assistons aussitôt à une confrontation qui a lieu entre les membres du DPS et une cinquantaine de jeunes - visiblement du quartier voisin, de l’autre côté du terre-plein. La stratégie du DPS est double : un groupe est chargé de contenir l’avancée des jeunes manifestants vers le centre nautique, tandis que le second protège l’accès du centre, en détournant les voitures qui n’étaient pas identifiées comme venant assister au meeting. Cela dure une heure et demie à deux heures. "

Le commissaire divisionnaire confirme ce déroulement des faits : " De 20 heures 50 jusqu’à 23 heures, nous avons assisté à des montées des membres du DPS vers les contre-manifestants qui reculaient, afin de gagner du terrain sur le parking - mais sans aucun contact physique. [...] Des jets de projectiles et des insultes ont été échangés, les manifestants croyant avoir affaire à des policiers, puisque lors des jets de projectiles une quinzaine de membres du DPS s’étaient harnachés de boucliers et de casques. [...] Les changements de tenue se sont faits sur le parking près des voitures, les tenues étant dans les coffres. " M. Bernard Courcelle lui-même, directeur national du DPS à l’époque, confirme que " le responsable de la manifestation, qui savait ce qui pouvait se passer, a conseillé aux membres du DPS qui avaient des casques de les mettre dans leur coffre de voiture et de prendre des boucliers pour protéger, au cas où ce serait l’Intifada, la personnalité présente - en l’occurrence M. Bruno Gollnisch - lorsqu’elle sortirait et entrerait dans son véhicule ".

Le préfet a semble-t-il, d’où il est, une vision sensiblement aseptisée de ces événements : " [Le premier] incident très bref étant resté isolé et sans suite, la police n’avait pas eu à intervenir, le calme étant revenu aussitôt aux abords de la salle où se tenait la réunion publique [...] sans autre incident. A l’extérieur du centre nautique, service d’ordre du Front National et jeunes contre-manifestants s’étaient tenus mutuellement en respect à distance pendant toute la durée de la réunion, la police observant les choses de près pour s’assurer qu’il n’y avait pas de contacts physiques entre les deux groupes ".

. A l’issue de la réunion publique, vers 23 heures, alors que M. Bruno Gollnisch quitte le centre nautique en voiture, de nouveaux incidents graves se produisent. Le commissaire divisionnaire indique qu’" un second contact physique se produisait entre le DPS et les contre-manifestants. Nous intervenions alors avec les sapeurs-pompiers et nous avons été lapidés - deux véhicules ont été endommagés. Nous protégions les pompiers qui récupéraient un blessé du Front National - qui n’a d’ailleurs déposé aucune plainte ". En effet, selon le préfet, " un membre du service d’ordre du Front National avait reçu une pierre lancée par un jeune et était blessé à la tête. La police urbaine, qui s’était avancée en direction des protagonistes pour observer de plus près et parer à une détérioration de la situation, était intervenue, sous une pluie de projectiles lancés par les jeunes, pour les faire reculer et permettre aux pompiers de faire évacuer le blessé ".

M. Bernard Courcelle utilise des termes particuliers pour rendre compte de ces faits : " Un des nôtres est tombé dans le coma parce qu’il a pris une bille ou un caillou dans la tête. C’est à ce moment-là qu’ils ont appelé les pompiers. Les pompiers se sont fait attaquer et n’ont pas pu arriver sur place. Il a fallu que le personnel du service d’ordre fasse une simili-charge pour dégager les pompiers. Et quand les pompiers sont repartis avec le blessé, ils ont été de nouveau attaqués. C’est à ce moment-là que le responsable des pompiers a téléphoné au commissariat et a hurlé ; les voitures de police sont alors arrivées. Mais ils avaient l’ordre de ne pas bouger. Les gens étaient véritablement en train de se faire lyncher ; il a donc bien fallu mettre un casque et prendre un bouclier pour se défendre. "

. Après ce dernier incident, le calme revient assez rapidement malgré quelques dégradations commises sur des véhicules et du mobilier urbain par les jeunes contre-manifestants refluant du centre nautique. Le commissaire divisionnaire indique que " des patrouilles générales ont été effectuées sur la circonscription et la fin de service a été officielle à 0 heure 30 ".

D) QUEL BILAN ?

 L’organisation paramilitaire du DPS

Les renseignements généraux ont estimé l’effectif du DPS présent ce soir-là à 40 personnes au total, dont une vingtaine revêtues d’une tenue de " maintien de l’ordre " à l’extérieur. Ce chiffre de quinze-vingt membres du DPS en tenue n° 2 est finalement confessé du bout des lèvres, tant par M. Gérard Le Vert que par M. Bernard Courcelle. Selon M. Yves Bertrand, directeur central des renseignements généraux, " il y avait dans ce groupe énormément de supplétifs, soit des personnes issues de sociétés de gardiennage, soit des militants de groupes néo-nazis. Il était d’ailleurs frappant de constater, lors de ces incidents, la violence de la réaction de ces personnes face aux militants anti-fascistes ".

Le groupe-choc ou unité mobile d’intervention (UMI), mis en réserve à l’occasion des manifestations estimées à risques par le Front National, est ici intervenu ostensiblement. Il s’est signalé par sa tenue vestimentaire (pantalons, gants et blousons rembourrés de couleur foncée, chaussures de sport) et par le matériel utilisé (casques bleus clairs à visière plexiglas amovible, boucliers rectangulaires transparents, bombes lacrymogènes, matraques, gourdins). D’importantes volutes de fumée blanche remarquées et de fortes détonations entendues laissent planer le doute sur l’utilisation de grenades, selon les fonctionnaires des renseignements généraux présents sur place. Ces uniformes et équipements ont bien visé à entretenir la confusion avec les forces de l’ordre " officielles " dans l’esprit des contre-manifestants, qui croyaient vraiment avoir affaire à des policiers - des gendarmes mobiles plutôt que des CRS.

De quelle manière le DPS est-il intervenu ? M. Patrick Bunel, aujourd’hui au DPA, a une piètre opinion de ses anciens camarades : " Apparemment, les membres de la DPS disposaient de quelques bombes lacrymogènes. Ils ont fait reculer les gens, procédé à quelques charges de protection, mais ils étaient dans toutes les tenues, couraient dans tous les sens, pas un seul n’était aligné ! En face, c’était la même chose ; les contre-manifestants étaient tout aussi inorganisés. Cela ressemblait bien davantage à une manifestation d’étudiants ou à une manifestation de rue qu’à une manifestation organisée. Lorsque la police fait reculer des manifestants, la manoeuvre revêt une tout autre rigueur ! A Montceau-les-Mines, des personnes ont fait preuve de courage en défendant les personnes dans la salle et en prêtant main forte. Quant à dire qu’elles étaient organisées, c’est un bien grand mot ! Il n’y avait aucune transmission. J’ai vu des images à la télévision. Les journalistes ont fait ressortir le côté réglementaire de la chose. Même en ayant un esprit très orienté, cela n’apparaissait même pas. N’importe quel commissaire vous dirait : "C’est nul, complètement nul !" ".

Tel n’est pas l’avis de M. Christian Bernard, commissaire divisionnaire de Saône-et-Loire, à qui, au vu de son expérience professionnelle du maintien de l’ordre, " il a paru évident qu’il existait une véritable coordination laissant penser qu’il ne s’agissait pas d’une improvisation. Le maintien de l’ordre, ça s’apprend. Nous les avons notamment vus regagner un rond-point pour fluidifier le trafic et pouvoir extraire la personnalité, manoeuvre qui n’est pas innée ". M. Jean-Louis Arajol, secrétaire général du syndicat général de la police, a le même sentiment.

En ayant elle aussi vu les images, la Commission a acquis la conviction que les membres du DPS sont intervenus de manière organisée, en deux équipes extérieures distinctes et coordonnées, avec une remarquable efficacité. Réglant la circulation, menant plusieurs charges, se laissant filmer par les caméras, les gardes d’élite de M. Gérard Le Vert étaient sûrs d’eux-mêmes. Selon M. Christian Bernard, " ils se sentaient en supériorité physique par rapport aux jeunes ". Pour M. Michaël Darmon également, " les membres du DPS se vivent comme une élite. Ils se croient les mieux armés pour pouvoir affronter des situations de crise, d’émeutes, d’affrontements que leur action politique suggère. Ils sont donc restés étonnamment calmes et courtois. D’ailleurs, nous avons pu filmer toute la soirée, autour d’eux. Nous les avons même interviewés, sans aucun problème. [...] Ils sont choisis pour leur sang froid. Je dirais même que ceux qui étaient ce soir-là à Montceau-les-Mines avaient un comportement sécuritaire, ils étaient investis d’une mission, ils formaient une élite ".

Une telle intervention peut-elle être spontanée et improvisée ? Selon M. Gérard Le Vert, " cela s’explique par la confiance des gardes dans leurs responsables. Ils savent écouter. " Pour M. Bernard Courcelle, c’est encore plus simple : " Les personnes qui étaient sur place avaient une trentaine d’années, elles savaient donc rester calmes ; ce n’était pas de jeunes excités. [...] Les personnes sont aguerries puisque nous sommes toujours attaqués lors des manifestations ". Mais d’entraînement sur le terrain, il n’y a jamais eu, jamais...

 L’absence d’intervention des véritables forces de l’ordre

Les témoignages sont ici trop concordants. Pour M. Michaël Darmon, " ce qui nous a aussi beaucoup étonnés, c’est l’absence de la police nationale ". De même, pour M. Gérard Le Vert, " ce qui nous a étonnés à Montceau-les-Mines, c’est l’absence des forces de police. [...] Il y avait des forces de police suffisantes mais les renforts sur place ne sont pas intervenus parce qu’ils n’avaient pas reçu les ordres ".

Les autorités de l’Etat ne s’attendaient pas à voir un groupe-choc du DPS en action à Montceau-les-Mines. Le commissaire divisionnaire a reconnu que " l’effet de surprise a été total ". Il n’était pas sûr non plus d’ailleurs que la contre-manifestation aurait lieu. Mais les précautions avaient été prises puisqu’une CRS avait été positionnée en renfort et un dispositif préventif arrêté.

Les forces de l’ordre étaient donc stationnées à vue, soit à cinq minutes, et prêtes à intervenir. La consigne donnée par le préfet n’était pas de ne pas intervenir, ce que laissent entendre les responsables du DPS et du Front National, mais d’éviter tout débordement violent et tous dommages corporels, c’est-à-dire de " ne pas intervenir tant que les limites n’étaient pas dépassées, avant de prendre une décision qui aurait pu déboucher sur des blessures ". M. Denis Prieur a considéré que " la préoccupation de limiter les conséquences et les heurts susceptibles de se produire aux abords du lieu où se tenait la réunion publique a fait pencher la balance en faveur de la préservation d’une situation présentant un équilibre apparent ". Lorsqu’il y a eu contacts physiques graves, à la fin de la réunion, les forces de l’ordre sont bien intervenues. Mais cela n’a pas été filmé, et il ne reste que la désagréable impression d’une milice tenant tête à des manifestants pendant deux heures...

Même s’il ne revient pas aux forces de police d’assurer la sécurité d’une réunion publique d’un parti politique, il est de l’essence même de leur mission d’assurer l’ordre sur la voie publique. Lorsque deux groupes opposés se font face, prêts à s’affronter, la police doit s’interposer, car elle seule est responsable du maintien de l’ordre. Peu importe la topographie difficile des lieux ou le risque pour les policiers de recevoir des projectiles. Il ne s’agit pas de faire confiance au DPS pour assurer la sécurité sur la voie publique, en l’occurrence le parking d’un centre nautique. Il faut d’ailleurs noter que la piscine et le club de plongée de Montceau-les-Mines étaient ouverts jusqu’à 22 heures le soir de la réunion publique du Front National. Des personnes totalement étrangères à cette réunion ou à la contre-manifestation ont donc été " protégées " de fait par le DPS. La carence des forces de police en est d’autant plus problématique.

Il est alors trop facile de laisser M. Bruno Gollnisch affirmer devant les caméras : " Nos amis ont pris l’initiative de faire le nettoyage eux-mêmes ". Protection défensive ou intention belliqueuse ? En tout cas, les termes employés laissent songeurs...

 Le bilan judiciaire

Il est bien maigre...

A l’issue du premier incident de 20 heures 45, une jeune fille a été légèrement blessée au visage et conduite à l’hôpital, avec une incapacité de travail de trois jours. Elle s’est présentée au commissariat dans la soirée pour y déposer plainte. Deux autres personnes ont également déposé plainte pour coups et blessures volontaires à l’issue du premier incident le lendemain. Au cours du dernier incident, le DPS a eu deux blessés, dont M. Gérard Le Vert, blessé au ventre et à la main avec une arme de poing. Aucune plaine n’a cependant été déposée de ce côté.

Deux noms de responsables présumés du DPS ont été consignés sur les procès-verbaux de la police transmis au procureur de la République de Chalon-sur-Saône, mais celui-ci n’a pas engagé de poursuites, notamment pour usage d’un uniforme présentant avec les uniformes réservés aux fonctionnaires de la police nationale une ressemblance de nature à causer une méprise dans l’esprit du public, malgré la plainte pour usurpation d’uniforme déposée par le maire de la ville, M. Didier Mathus. M. Michel Collinot, organisateur de la réunion publique du Front National, a également déposé une plainte avec constitution de partie civile contre le préfet pour non-assistance à personne en danger.

M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, a indiqué par deux fois lors de son audition par la Commission qu’il y avait matière à sanction pénale à propos des agissements du DPS à Montceau-les-Mines.

 Le bilan politique

Les événements de Montceau-les-Mines sont graves pour la République. Dès le 30 octobre 1996, ils ont fait l’objet d’une question au Gouvernement à l’Assemblée nationale.

Il n’y a pas eu de réaction officielle du côté de la police. M. Claude Guéant, alors directeur général de la police nationale, aurait simplement dit à M. Michaël Darmon qui l’interrogeait : " Ce sont des événements regrettables, il faut que l’on soit plus vigilant pour que cela ne se reproduise pas ". Aucune enquête de commandement ou enquête de l’IGPN n’a été diligentée à cette occasion.

M. Jean-Louis Debré, ministre de l’intérieur à l’époque des faits, a indiqué à la Commission que " c’est le seul moment où [il s’est] posé la question de savoir, en dehors de la saisine judiciaire [...], si les conditions posées par la loi de 1936 étaient réunies et pouvaient [lui] permettre de proposer au Gouvernement la dissolution administrative du DPS ". A cette occasion, il a donc demandé un rapport sur le DPS aux renseignements généraux et une analyse juridique à la direction des libertés publiques de son ministère.