C’est avec intérêt que les membres de la commission d’enquête ont appris que, contrairement à la présentation qui en avait été faite jusqu’alors par les médias, contrairement même à l’impression qu’avaient pu laisser les images diffusées à la télévision, le DPS est une structure légère et très peu formelle. Plus encore, ce département n’aurait, selon M. Jean-Marie Lebraud, qu’" une apparence de structure ", contrairement aux services d’ordre des syndicats de gauche, une fois encore utilisés comme références en la matière.

A) LES MECANISMES DE MOBILISATION DES MEMBRES DU DPS

La procédure de mobilisation des membres du DPS décrite au cours des auditions est relativement simple : c’est en fonction des besoins liés à telle manifestation ou telle réunion politique que le responsable régional, voire le responsable départemental contactent les personnes recensées sur leur fichier comme membres du DPS régional ou départemental. En cas d’insuffisance des effectifs fournis dans ce cadre, il est fait appel aux régions voisines, procédé cependant peu apprécié car coûteux. " Pour préparer une réunion, une fois que le nombre de personnes nécessaires a été déterminé, le responsable départemental ou régional contacte les personnes nécessaires à la constitution du service d’ordre. S’il ne trouve pas suffisamment de personnes, il fait appel aux membres du DPS de la région voisine. Ce que je souhaitais éviter autant que possible, car cela engendre des frais supplémentaires qui ne leur étaient pas remboursés " (M. Bernard Courcelle). Pour sa part, M. Jean-Marie Lebraud a estimé à " trois ou quatre " le nombre de personnes mobilisables par département, ce qui est cohérent avec le chiffre de 300 personnes sûres actuellement recensées comme membres du DPS, qui a été indiqué à la Commission M. Jean-Pierre Chabrut.

En fait, l’impression qu’ont voulu donner les responsables du DPS est qu’" il n’y a pas d’organisation précise ", pour reprendre la formule utilisée par M. Eric Staelens.

La structure bénévole du DPS est un élément-clé du mécanisme de mobilisation, dans la mesure où elle permet de comprendre les difficultés de ce processus et confère à l’exercice un caractère d’imprécision très marqué, voire une dimension quasi-artisanale. Tous les responsables entendus ont mis en avant ce point, commun à l’organisation de manifestations nationales et de réunions locales. Ainsi en va-t-il de la manifestation du 1er mai traditionnellement organisée par le Front National : " Le DPS était une structure de bénévoles. On ne pouvait jamais savoir à l’avance de combien de personnes on disposerait. Si la manifestation était importante, on essayait d’avoir le maximum de garçons avec nous, mais ce n’était pas toujours évident : on ne savait jamais combien on allait se retrouver pour une manifestation comme le défilé de Jeanne d’Arc, le 1er mai, qui est une manifestation de rue, difficile. Il était impossible de savoir si nous devions compter sur 80, 100 ou 300 personnes. C’était des bénévoles que nous avions dans tous les départements et dans toutes les régions " (M. Gérard Le Vert). Pour les manifestations locales, le même problème se pose, le taux de disponibilité des membres s’établissant à 1/3 : " Mais, pour avoir 20 membres à disposition sur un site, il faut en contacter au moins 60, car ils ne sont pas toujours disponibles : ils ont une vie de famille et travaillent " (M. Bernard Courcelle).

D’après M. Gérard Le Vert, la disponibilité n’est pas le seul facteur de mobilisation. Entre en effet en ligne de compte un élément tout à fait subjectif : la confiance. " Je crois que cela passait surtout par la camaraderie. J’avais des garçons avec qui je m’entendais bien, avec qui je me retrouvais souvent sur le terrain et il est évident que je les privilégiais par rapport à d’autres en fonction, non pas de leur poids ou leur activité dans le civil mais du fait qu’ils étaient originaires de ma région et que nous étions camarades. C’est un peu normal : on s’entoure d’abord de gens en qui l’on a confiance et que l’on connaît. Je suis bourguignon et j’aimais bien travailler avec mes camarades bourguignons : les Bretons, je les connaissais beaucoup moins ! ". M. Eric Staelens n’a pas dit autre chose : " Lors de meetings ou lors de défilés, les militants, que nous connaissions pour certains, et d’autres qui viennent nous donner un coup de main - que nous connaissons aussi parce que l’on ne peut pas faire cela avec n’importe qui - se mettent à disposition du responsable ".

Seule voix dissonante dans cette description, celle de M. Patrick Bunel qui a dcrit ... un non-système, bâti sur l’improvisation : au cas où des besoins supérieurs aux prévisions apparaissent pendant une réunion, les badges DPS sont distribués aux militants qui acceptent de donner un coup de main.

B) DES METHODES D’INTERVENTION SUR LE TERRAIN TRES CLASSIQUES

. Sur le terrain, le fonctionnement du DPS est, d’après ses responsables, celui d’un service d’ordre classique, que ce soit pour ce qui est des relations avec les autorités administratives ou de l’organisation fonctionnelle.

" Lorsque l’on nous demande de mettre en place un service de sécurité, le DPS - donc moi-même - prend en compte les forces de l’ordre. Cela signifie d’abord que j’entre en contact avec la préfecture qui me délivre l’autorisation d’organiser la réunion, ce qui revient à dire qu’il n’y a aucune manifestation sauvage, ensuite qu’on veille à ce que tout se passe bien en matière de sécurité incendie, de secourisme - j’essaie d’avoir des garçons qui sont formés dans ce domaine - et que nous contrôlons l’accès de façon à surveiller les entrées, les invitations etc. : nous observons donc un schéma classique " (M. Jean-Pierre Chabrut) Plus précisément, avant chaque réunion, " un président de séance est nommé, il se met en rapport avec la préfecture ou les services de police compétents pour déterminer les tâches à accomplir " (M. Bernard Courcelle). Dans l’ensemble, les responsables du DPS ont tous mis l’accent sur la courtoisie de leurs relations avec les autorités administratives, même s’ils ont pu regretter leur inaction en certaines occasions.

L’organisation de terrain interne au service d’ordre entre elle aussi dans un schéma tout à fait classique : la référence, par trois intervenants différents, aux schémas d’organisation adoptés par les services d’ordre de la CGT ou du PCF témoigne, une fois encore, de ce " label de normalité " qu’ont voulu s’arroger les membres du DPS :

 " Les bénévoles venaient généralement en voiture individuelle, mais si possible groupés pour limiter les frais, ou avec les bus des fédérations qui montaient sur Paris ou sur Lyon lors des manifestations. Ils avaient bien sûr des consignes. Nous nommions des responsables, des chefs de groupe, comme le font toutes les organisations, notamment syndicales. Il fallait impérativement que nous sécurisions nos manifestations qui sont régulièrement attaquées. Il s’agissait donc d’une sécurité tout à fait normale au vu de ce qui se passait et de qui se passe encore dans les manifestations " (M. Gérard Le Vert).

 " Comme je vous l’ai expliqué, les membres du DPS sont disposés pour assurer la sécurité de tous les militants - incendie, contrôle d’accès, surveillance, etc. Les personnes les plus calmes, les plus aguerries ou qui possèdent une certaine expérience professionnelle - qu’elles soient pompiers, anciens policiers, anciens salariés d’une société de sécurité ou même sportifs - sont positionnées dans les zones les plus difficiles. Cela se passe ainsi dans les services d’ordre, notamment à la C.G.T., qui dispose d’un très beau service d’ordre " (M. Bernard Courcelle) ;

 " Une équipe est à l’intérieur, pour surveiller la salle ; une équipe aux accès qui vérifie les tickets d’entrée, pour les déchirer et les remettre aux personnes, comme dans tout meeting de tout parti politique où l’on paye l’entrée ; une équipe pour l’arrivée du président et une équipe à côté de la scène. Cela fait partie d’un système de sécurité normal et logique, analogue à celui de la CGT ou du PCF ; tous les services d’ordre le font " (M. Eric Staelens).

. Interrogés sur l’existence d’unités d’élite au sein du DPS, qui procéderaient d’un autre type de fonctionnement et sortiraient de ce cadre très classique décrit à l’envi par les témoins auditionnés, les responsables du DPS en ont farouchement nié l’existence.

Les groupes-choc ? " Sachez qu’ils n’existent pas. Il ne s’agit que des délires de ce fameux Dominique publiés par Libération " (M. Bernard Courcelle). M. Eric Staelens a, lui aussi, montré sa surprise s’agissant de l’existence de telles unités : " Il n’y a pas de groupes-choc. Du moins je l’apprends. Les DPS sont tous des bénévoles. Nous assurons la sécurité des manifestations, mais nous ne sommes pas là pour faire partie d’un groupe-choc pour attaquer les opposants. Nous sommes là pour assurer la sécurité des gens présents et non pour faire quoi que ce soit d’autre. [...] Un journaliste peut très bien fabuler et dire qu’il existe des groupes-choc. Il existe effectivement le 11ème Choc, mais c’est un régiment de parachutistes ! Nous ne sommes pas un régiment de parachutistes ". Et M. Eric Staelens d’avancer l’argument décisif pour contester l’existence de ces groupes : " Je pense que si le groupe-choc avait existé, il aurait été arrêté et contrôlé, en quinze ans, par les forces de l’ordre, notamment lors de manifestations ou d’autres choses ".

S’agissant des Unités Mobiles d’Intervention, autre nom - ou autre type de structure ? - de l’élite du DPS, dont la Commission a voulu connaître l’existence, la réalité est plus nuancée. La Commission a entendu deux témoignages divergents.

Selon M. Bernard Courcelle, ces unités ont bel et bien existé, mais à une période antérieure à 1994, date de son arrivée au DPS. La mission des UMI ne s’insérait pas du tout dans le schéma de fonctionnement d’un service d’ordre classique : " Avant mon arrivée, il y a eu des gens qui s’appelaient les UMI parmi les membres du service d’ordre ; il s’agissait des personnes les plus aguerries et qui intervenaient lors des violentes agressions ". Ce ne sont cependant pas des UMI que l’on a pu apercevoir à la télévision, ces unités ayant disparu depuis 1994 : " Par ailleurs, il n’y avait pas d’UMI, je n’ai jamais monté de groupe UMI lorsque j’étais au DPS ".

Le témoignage donné par M. Eric Staelens diverge quelque peu de celui de M. Bernard Courcelle puisqu’il a nié l’existence de ces UMI, sans toutefois préciser la période de référence à laquelle il faisait allusion. On notera toutefois qu’il est membre du DPS depuis quinze ans, soit bien avant l’arrivée de M. Bernard Courcelle à la tête de cette organisation. Il est donc étonnant que cet homme, qui connaît bien le DPS comme il l’a lui-même reconnu, n’ait pas été informé de l’existence de telles unités.

C) IL N’Y A PAS D’ENTRAINEMENT AU DPS

L’entraînement de ses membres ne fait pas partie du fonctionnement du DPS, les seules formations concernant la lutte contre l’incendie, le secourisme et la réglementation des établissements recevant du public. Tel est en substance le message univoque qu’ont délivré les responsables du DPS.

De tels entraînements poseraient d’abord un problème en terme d’image : " Il n’y a pas de formation au combat, au tir, etc. Cela n’existe pas. Je n’en ai jamais ordonné et je les ai toujours déconseillées, sachant que cela serait mal interprété " (M. Bernard Courcelle).

Il serait même impossible d’organiser cet entraînement. Problèmes de moyens matériels d’abord : " En outre, nous n’avions pas les moyens. Il était déjà très difficile d’organiser des réunions d’information pour les cadres " (M. Bernard Courcelle) Car, comme l’a rappelé M. Patrick Bunel, " Des entraînements, [...] cela coûte cher ". Il ne faut pas non plus sous-estimer les problèmes liés à l’incapacité physique des membres du DPS de suivre de tels entraînements. Car, comme l’ont rappelé MM. Jean-Marie Lebraud ou Patrick Bunel, les membres du DPS sont généralement relativement âgés.

Enfin, même s’il observe " si un jour nous sommes légèrement bousculés, cela peut toujours servir ", la présence au DPS de personnes bien entraînées physiquement n’est pas utile, selon M. Jean-Pierre Chabrut. En effet, " c’est le nombre qui fait la force : pour garder une porte, il n’y a pas forcément besoin d’être quatrième dan ".

Certes ! Mais comment expliquer en ce cas la scène qui s’est déroulée à Montceau-les-Mines ? Comment expliquer les incidents, souvent émaillés de violences physiques, dans lesquels le DPS s’est trouvé impliqué ? Comment expliquer tout simplement, si l’on se replace dans la logique du discours des membres du DPS, qu’un parti expose ses militants ou sympathisants à un danger dont il souligne pourtant à l’envi l’ampleur et la récurrence ? Deux explications ont été fournies :

 Chez certains, la connaissance des techniques de maintien de l’ordre est innée : " Les bons éléments ressortent d’eux-mêmes ; ce sont ceux qui gardent la tête froide, qui restent calmes, savent protéger les militants et parer aux plus mauvais coups " (M. Bernard Courcelle).

 Mais, le plus généralement, c’est une question d’habitude. Des hommes casqués qui tiennent la voie publique de manière quasi-professionnelles pendant près de deux heures ? " C’est de l’automatisme ", selon M. Eric Staelens, qui explique qu’" à force de prendre des coups, on se protège ". M. Bernard Courcelle croit également aux vertus de l’expérience : " les personnes sont aguerries puisque nous sommes toujours attaqués lors des manifestations ". La force de l’habitude, en quelque sorte...

Au total, quel bilan les responsables du DPS tirent-ils de son fonctionnement ? Sur ce point, la Commission ne dispose que du témoignage très tranché, et non dénué d’arrière-pensées, de M. Patrick Bunel, dont elle juge néanmoins utile de présenter des extraits, tant il donne du DPS une image jusqu’alors inédite.

D’après ce témoin, le fonctionnement du DPS est entièrement à revoir, non que ses membres soient trop zélés dans leurs missions, mais au contraire, du fait de leur totale incompétence. " De mon point de vue - qui est celui d’un professionnel - la DPS ne me paraissait guère organisée. Les membres de la DPS regardaient la personnalité invitée, regardaient à l’intérieur au lieu de se polariser sur l’extérieur. C’était très généralement des personnes relativement âgées qui n’auraient pas dû être là et qui étaient plutôt une charge. Parfois, lorsque M. Bruno Mégret et moi-même nous nous précipitions pour entrer ou sortir d’une salle, la présence des DPS se révélait catastrophique. Ils ralentissaient considérablement notre entrée dans la salle. On recevait des pavés ou des bouteilles, parce que nous devions attendre les cinq ou six DPS locaux qui n’avançaient pas ". Pour M. Bunel, l’expression de service d’ordre qualifiant le DPS est même presque usurpée et c’est bien davantage un service de désordre qu’il a décrit : " Le terme de "service d’ordre" est un peu fort, car à de multiples reprises, j’ai vu les pauvres DPS complètement débordés par la foule et absolument pas à la hauteur pour faire respecter l’ordre public. [...] C’est pourquoi la DPS me semblait un peu inappropriée. Ce sont des gens "bien gentils", mais malheureusement non formés à la sécurité. [...] Vu de l’intérieur, la DPS ne me semblait ni bien organisée ni très fiable ".