Si, à eux seuls, les multiples incidents mettant en cause le DPS59 prouvent amplement les germes délétères dont cette organisation est porteuse pour la tranquillité de l’ordre public, votre rapporteur souhaite également rappeler les affaires criminelles de droit commun dans lesquelles apparaissent des membres du DPS.

A) DES MILITANTS NIÇOIS DU DPS PARMI LES AUTEURS DE VOLS A MAIN ARMEE

Le 13 février 1999, un restaurant Mac Donald’s de Reims est attaqué par trois hommes, qui se font remettre la caisse de l’établissement. Entreprises conjointement par les services de police judiciaire de Nice et de Reims, les investigations ont mené, dès le 14 février 1999, à l’interpellation de trois individus. En vertu de l’article 6-1 de l’ordonnance organique du 17 novembre 1958, la Commission n’a pas enquêté sur ces faits, qui font l’objet d’une information judiciaire et qu’elle se contente, de ce fait, de mentionner. Il convient de souligner toutefois que, parmi les trois personnes interpellées, deux ont des liens établis avec le DPS. Le premier est adhérent du Front National et membre du DPS des Alpes-Maritimes. Le second, délinquant de droit commun multirécidiviste et néo-nazi convaincu, a occasionnellement prêté main forte au Front National, notamment à l’occasion de missions de protection et de sécurité. Il avait d’ailleurs fait l’objet d’une interpellation lors des incidents qui avaient émaillé le défilé du Front National, le 1er mai 1993.

Il faut souligner enfin que l’enquête sur cet acte motivé, semble-t-il, par des considérations d’ordre crapuleux, a conduit les enquêteurs à faire le rapprochement avec d’autres vols à main armée et à appréhender un quatrième suspect, militant nationaliste révolutionnaire, membre du DPS, déjà signalé dans le cadre de rixes à caractère raciste.

B) LE MEURTRE DE BRAHIM BOUARRAM : LE ROLE AMBIGU DU DPS

Le 1er mai 1995, un jeune marocain, Brahim Bouarram est jeté dans la Seine et meurt noyé, alors qu’à quelques mètres de là, se déroule le traditionnel défilé du Front National.

Le directeur national du DPS, M. Bernard Courcelle, fait alors procéder à une enquête interne et décide de coopérer avec la brigade criminelle. Comment expliquer cette attitude ? D’après MM. Michaël Darmon et Romain Rosso, qui s’appuient eux-mêmes sur un article de L’Evénement du Jeudi du 18 mai 1995, c’est M. Bruno Mégret qui plaide en faveur d’une collaboration totale avec la police. M. Bernard Courcelle lui-même y voit l’occasion de mettre en oeuvre le " nettoyage " qu’il appelle de ses voeux au Front National en débarrassant celui-ci des skinheads.

La coopération de M. Bernard Courcelle avec les forces de police a, indéniablement, été efficace : celui-ci a fourni aux enquêteurs des indications qui, ajoutées à celles communiquées par les renseignements généraux, leur ont permis d’identifier l’auteur des faits et les individus qui l’accompagnaient. Devant la Cour d’assises de Paris, deux fonctionnaires de la brigade criminelle, entendus comme témoins, ont, d’ailleurs confirmé à la barre que les informations transmises par M. Bernard Courcelle avaient contribué à l’identification du meurtrier, M. Mickaël Fréminet.

Plus encore, l’attitude de M. Bernard Courcelle dans cette enquête lui a valu des démêlés sérieux avec la frange radicale de l’extrême-droite, notamment skinhead. L’ancien directeur national du DPS déclare ainsi avoir été victime d’une action de représailles, le 23 septembre 1995 : ce jour-là, à Saint-Cloud, des coups de feu sont tirés dans sa direction et deux balles de calibre 12 auraient atteint le pare-brise du véhicule qu’il regagnait. Ces faits, qui ont fait l’objet d’une enquête du SDPJ 92, ont été évoqués par l’intéressé lui-même devant la Cour d’assises de Paris, à l’occasion du procès de M. Mickaël Fréminet.

En dépit de ces éléments qui semblent dédouaner le DPS et le Front National du crime commis le 1er mai 1995, on ne peut manquer de s’interroger sur les liens existants entre les criminels et le DPS. Selon M. Bernard Courcelle, le DPS n’est nullement impliqué dans cette affaire : interrogé sur la manière dont ont été remplis les cars du Front National à Reims, dans lesquels étaient montés, au matin du 1er mai, les trois inculpés, M. Bernard Courcelle avait répondu au cours du procès qu’on ne pouvait " pas faire du délit de sale gueule en permanence ". De même, assurait-il qu’on ne pouvait " pas être derrière chaque personne. Notre rôle, c’est de veiller à la sécurité des manifestants et d’empêcher l’entrée d’éléments extérieurs ". Pendant le défilé lui-même, " on ne peut pas mettre un DPS tous les deux mètres ". Si M. Bernard Courcelle n’admet aucune faille dans le dispositif DPS, la Commission s’interroge néanmoins sur le fait que le service d’ordre du Front National, dont le responsable souligne à l’envi l’importance de la mission de protection des militants, ait laissé s’infiltrer dans la manifestation ces jeunes qui, durant le trajet entre Reims et Paris, s’abreuvent de bière. " Ce n’est pas de mon ressort ", a affirmé M. Bernard Courcelle, considérant que " ce geste malheureux est la conséquence d’une beuverie qui a mal tourné "...

Plus encore que cette défaillance du service d’ordre du Front National, ce sont les liens ambigus du meurtrier et des personnes qui l’accompagnaient avec le DPS qui retiennent l’attention de la Commission. M. Bernard Courcelle a nié farouchement tout lien en ce domaine lors du procès : " il ne pouvait y avoir de skinheads recrutés par le Front National pour assurer le service d’ordre ". Pourquoi, dans ces conditions, deux au moins des accusés, MM. David Halbin et Christophe Calame, ont-ils affirmé avoir participé à plusieurs reprises au service d’ordre du Front National ? Ainsi, M. David Halbin a affirmé avoir fait des surveillances de nuit lors de la fête des " Bleu Blanc Rouge " en 1994. " On m’avait même fourni un fusil chargé avec des balles en caoutchouc ", a-t-il ajouté à son procès. Quant à M. Christophe Calame, il dit avoir été recruté à trois reprises par l’OEuvre Française pour des manifestations frontistes : " nous n’avions pas de badge, car nous étions des personnes camouflées que le Front National cache ". Sur ce point, M. David Halbin a, d’ailleurs, affirmé avoir été prié, dès le 2 mai, par M. Alain Mangin, secrétaire départemental du Front National pour la Marne à l’époque des faits, auquel il avait dit avoir " vu des hommes jeter un Arabe à l’eau ", de déchirer sa carte d’adhérent du Front National et de se débarrasser de toute documentation relative au mouvement. Niant en bloc ces aveux, qu’il qualifia de " désinformation " et d’amalgame " monstrueux et mensonger ", M. Bernard Courcelle s’est d’ailleurs appuyé sur ces éléments de preuve matériels pour réfuter les accusations de collusion entre DPS et skinheads : " Qu’on me montre les numéros de badge, les fiches d’inscription avec leurs noms ". Tout en ajoutant qu’" il est probable qu’ils aient accompagné des membres du service d’ordre, mais pas en tant que DPS ".

C’est précisément ce dernier élément qui conduit la Commission à s’interroger sur le rôle ambigu du DPS dans le meurtre de Brahim Bouarram : M. Bernard Courcelle a sans nul doute fait progresser l’enquête - quoique, à quelques heures près, les renseignements généraux apportaient, eux aussi, aux enquêteurs, le nom des suspects -, mais avant tout parce qu’il connaissait très bien les pistes qu’il fallait suivre. Au-delà de la question délicate des frontières du DPS, sur laquelle la notion de " supplétif " incite à s’interroger, au-delà du fait que cette affaire met en lumière l’efficacité du DPS en matière de renseignement interne, le meurtre de Brahim Bouarram souligne les connivences malsaines entre le DPS et les franges les plus radicales de l’extrême-droite.

C) LA MORT DE JEAN-CLAUDE POULET-DACHARY : UNE PISTE DPS ?

La commission d’enquête n’entend nullement s’immiscer dans une instruction judiciaire toujours en cours, la mort de Jean-Claude Poulet-Dachary, neuvième adjoint au maire de Toulon, le 29 août 1995, n’ayant toujours pas été élucidée.

Elle rappelle seulement que, dans le cadre de l’enquête menée par le juge toulonnais, M. Jean-Luc Tournier, le DPS serait apparu à plusieurs reprises, d’après les informations recueillies par Le Monde60 :

 le 14 décembre 1995, cinq membres du DPS, dont le responsable local, M. Gaby del Puerto, sont auditionnés après perquisition par la police judiciaire. Chez l’un d’eux, également chauffeur de M. Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon, deux pistolets automatiques et un fusil sont saisis. Les perquisitions menées chez M. Gaby del Puerto se révèlent, en revanche, infructueuses ;

 la piste du DPS réapparaît au début de l’année 1998 : à cette époque, le juge Tournier recueille des éléments nouveaux, après l’audition de la soeur du défunt, d’un ancien membre influent du Front National et d’un ancien responsable du DPS. Ce dernier " l’avait orienté alors vers une piste interne impliquant des toulonnais sympathisants du parti d’extrême-droite " ;

 le 9 juin 1998, les gendarmes de la brigade de recherche de Toulon, agissant sur commission rogatoire du magistrat précité, effectuent des perquisitions au domicile de trois membres du DPS, dont deux ont déjà été perquisitionnés le 14 décembre 1995. Chez le troisième, sont saisis deux pistolets mitrailleurs, deux pistolets automatiques, un fusil de guerre, un important lot de munitions, des revues à caractère révisionniste ainsi qu’un fichier de sympathisants du Front National. Le propriétaire de ces armes a, d’ailleurs, été mis en examen pour détention d’armes illicites.

Lors de son audition, M. Guy Konopnicki, journaliste à L’Evénement du Jeudi, a souligné qu’aucun procès ne lui avait été fait par le Front National pour avoir écrit dans l’ouvrage qu’il consacre à ce parti, " Les filières noires ", que cet assassinat ressemblait étrangement au scénario de la nuit des longs couteaux, " c’est-à-dire qu’un homme, ayant servi le Front National dans l’opposition, devient pour des raisons qui tiennent à la vie privée, un gêneur à partir du moment où M. Jean-Marie Le Chevallier devient respectable et maire de Toulon ". Ce même témoin a estimé, en outre, que, parmi toutes les pistes envisagées dans l’enquête sur cet assassinat, " la seule qui donnait comme un frémissement dans l’enquête, était la piste DPS ".

D) LE MEURTRE D’IBRAHIM ALI : LES MEURTRIERS, DES MILITANTS FRONT NATIONAL COLLEURS D’AFFICHES

Le DPS n’a pas été mis en cause dans le meurtre d’un jeune lycéen marseillais d’origine comorienne, le 21 février 1995.

La Commission note toutefois que les trois personnes incriminées et condamnées dans cette affaire, militants du Front National, avaient un rapport aux armes tout à fait particulier, à l’image de nombreux membres du DPS. Outre le fait que plusieurs armes ont été trouvées à leur domicile

 3 000 balles sont découvertes chez le meurtrier, M. Robert Lagier -, ils sont armés, en possession de balles creuses, quand ils viennent surveiller les affiches qu’ils ont collées, un soir de février 1995.

La Commission relève en outre que le lendemain, l’un des hommes impliqués dans cette affaire, M. Pierre Giglio, " arrive effondré chez M. Jean-Pierre Baumann, patron du 8ème secteur du FN à Marseille, qu’il croit toujours avocat mais qui est devenu expert-comptable "61. Non seulement ce dernier l’abrite chez lui, mais il alerte en outre son supérieur au Front National, le DPS et le président du Front National lui-même.

Au vu de ces éléments, la Commission est donc conduite à se poser un certain nombre de questions : pourquoi le DPS est-il prévenu des faits commis ? Les militants du Front National condamnés dans cette affaire ont-ils, sans en être formellement membres, " donné un coup de main au DPS ", de manière occasionnelle ? Il faut, enfin, rappeler que, parmi les missions du DPS, figure la protection du collage d’affiches, qu’ont de fait, assurée MM. Robert Lagier, Pierre Giglio et Mario d’Ambrosio.

*

* *

En revenant sur ces différentes affaires qui, sans concerner directement le service d’ordre du Front National, le font apparaître, de manière floue, en toile de fond, la Commission souhaite insister sur le climat délétère dont est porteur le DPS. Sans doute le DPS n’apparaît pas formellement dans les décisions pénales évoquées, d’autant moins que les jugements rendus en cours d’assises ne sont pas motivés. Pour autant, la Commission entend fermement dénoncer les " valeurs " - autodéfense, racisme... - dont les personnes liées au DPS se sont faites les porte-parole. Car il est clair que le DPS est, dans une certaine mesure, " emblématique du projet de société que souhaite développer le Front National : une société ultra-sécuritaire ", très contrôlée, " fliquée " (M. Romain Rosso, journaliste à l’Express).