LA REGION AVANT 1998

Depuis sa création en 1972, le conseil régional est présidé par la droite, à l’exception d’un court épisode de 1979 à 1983. Il s’agit là d’une droite traditionnelle, avec une solide assise notable et rurale, rassemblée depuis 1974 au sein de l’UAB (Union pour l’Avenir de la Bourgogne), composée de l’UDF, du RPR et de non-inscrits. Elle domine dans les départements de l’Yonne et de la Côte d’Or. Le groupe " France unie " marque cependant une certaine originalité locale, son animateur Jean-Pierre Soisson utilisant son étiquette de ministre " d’ouverture " des gouvernements Rocard et Cresson pour élargir sa base électorale centriste, faible et disparate.

En 1992, le président sortant du conseil régional, Raymond Janot (UAB) refuse de se représenter.

La course aux prétendants est ouverte à droite

sans que personne ne se dégage véritablement : Dominique Perben (RPR) recueille les soutiens timorés du RPR et de l’UAB face à Marcel Lucotte et Jean-Pierre Soisson (qui laisse vivoter son petit parti, le Mouvement des Réformateurs - MDR).

Le 22 mars 1992, avec 24 élus, l’UAB sort vainqueur du scrutin face aux 3 élus de Soisson et aux 14 conseillers de la gauche. Cependant aucun bloc n’obtient la majorité absolue (29 élus). Le principe d’une alliance avec le FN est rejeté - en théorie - par Perben et Soisson. Les deux premiers tours de l’élection du président de région ne donnent rien. Au troisième tour, l’UAB fait une nouvelle fois le plein des voix (24) ainsi que le candidat communiste. Soisson obtient quant à lui 25 voix issues de la gauche, de son propre mouvement et du Front National. Soisson ne tient qu’une année dans cette position et l’UAB, avec une majorité relative, élit ensuite Jean-François Bazin.

LES ELECTIONS REGIONALES DE MARS 1998

La campagne électorale est empoisonnée par le soupçon qui pèse sur une partie de la droite, prête à passer alliance avec les lepénistes.

Le 15 mars 1998, la gauche obtient la majorité relative en voix et en siège à l’assemblée régionale. Avec 24 élus, la liste de la Gauche plurielle devance celle de l’UAB (20 conseillers), les divers droite (2), les chasseurs (2) et le FN (9). Jean-Pierre Soisson est devancé chez lui, dans l’Yonne, par la liste de Gauche plurielle tandis que Jean-François Bazin, son rival à droite pour la présidence de région, arrive en tête en Côte D’or avec 7 élus.

L’ELECTION DU PRESIDENT DE REGION

Le Front National sème le doute avant le scrutin du 20 mars, de façon à monnayer un éventuel soutien. Mais les jeux semblent d’ores et déjà faits : le FN choisit Jean-Pierre Soisson et tout porte à croire qu’un accord de gestion est établi bien avant les élections du 15 mars : Pierre Jaboulet-Vercherre, riche négociant en vins et chef de file du parti de Jean-Marie Le Pen en Bourgogne (passé par le RPR qu’il jugea " trop mou face au socialo-communisme " Le Point 8 août 1998), voit en Soisson " un président de haut vol " (Le Monde, le 20 mars 1998). Le RPR Jean-François Bazin l’a compris et tente, en jouant son va-tout, d’adopter une posture sans compromission, tout en entretenant l’ambiguïté, au cas où le FN changerait d’avis : " Pas de cogestion " avec le FN, mais, s’empresse-t-il de préciser, " je ne récuse pas les voix du Front National, j’entends garder, en tant que président, ma pleine indépendance " (Le Monde, le 20 mars 1998).

Pierre Jaboulet-Vercherre affiche ses ambitions et menace d’appeler à voter pour la gauche aux cantonales si la région ne reste pas à droite. Jean-Marc Nesme, élu UDF proche d’Hervé de Charette, s’interroge : " Comment répondre aux attentes des 15% de la population ? ". L’alliance entre droite et extrême droite est en marche. Pour preuve, Soisson gagne les primaires à droite, organisées pour le départager avec Bazin.

Le jour du scrutin, Eugène Teisseire (PS) se présente pour la gauche plurielle. Il recueille à tous les tours de scrutin les 24 voix de la gauche. Soisson recueille 29 voix au troisième tour, bénéficiant de l’appui complet des 9 conseillers FN. Eugène Teisseire regrette " les valeurs républicaines sacrifiées sur l’autel des intérêts particuliers " (Le Monde, le 21 mars 1998).

L’accord est solidement entré dans les esprits et les faits à tous les échelons de la région. Dans l’Yonne, le retrait d’Yves Capdevielle, candidat divers droite dans la canton de Sens-Sud-Est, pour favoriser Pierre Péres, candidat FN arrivé en troisième position, est imposé par Henri de Raincourt, sénateur et président (DL) du Conseil général. S’estimant devenu " monnaie d’échange pour permettre l’élection de Jean-Pierre Soisson à la présidence de la région ", Yves Capdevielle dénonce " la mafia politique " de l’Yonne. Pour Henri de Raincourt, il s’agit " simplement d’une sage solution afin d’éviter l’élection d’un conseiller communiste ".

Alors que dans le même temps le candidat d’extrême droite à Pont-sur-Yonne, Gille Roth, se retire du combat au profit de Guy Languillat (RPR). " Cet arrangement n’est pas étranger à la bataille conduite par la droite pour la présidence de la Bourgogne " notent les journalistes du Monde (20 mars 1998).

Mais l’élection du 20 mars est trop visible et l’ensemble de la droite, décrédibilisée, est mal à l’aise. Soisson n’est pas dupe. Il sait que l’effet médiatique retombera très vite et cherche à gagner du temps pour calmer les esprits. En direct au 20 heures de TF1, Soisson annonce sa démission du poste de président de Région. Le 7 avril 1998, date de la nouvelle élection du président, n’est qu’une répétition du 20 mars. La stratégie mise en place le 7 avril est seulement plus élaborée. Soisson n’est pas présent aux deux premiers tours du scrutin, contrairement à Eugène Teisseire qui recueille à chaque tour les 24 voix unies de la Gauche plurielle. Le stratagème éclate au troisième et dernier tour de l’élection : Soisson se porte candidat tandis que les 9 conseillers Front National répartissent leurs voix sur lui et le candidat socialiste. Ils espèrent ainsi mettre les deux candidats à égalité, auquel cas Soisson l’emporterait au bénéfice de l’âge. Malheureusement pour les lepénistes, Jean-Pierre Soisson recueille 27 voix contre 26 à Eugène Teisseire qui hérite de deux voix d’extrême-droite. Un conseiller FN n’a pas voté ou un conseiller de droite a mal voté. Reste que sans connaître le résultat, Soisson annonce qu’il est élu au bénéfice de l’âge.

Voici la liste des élus de droite qui ont mêlé leurs voix à celles du FN pour faire élire Soisson, ou qui ont laissé faire : Jean-François Bazin, Anne Boutier, Jean-Pierre Bouvet, Hubert Brigand, Bernard Chevalier, Maurice Chufon, Claude Dassie, Rémi Delatte, Michel Delprat, Marie-Louise Fort, Fabien Genet, Jean-Louis Hussonois, Anne-Catherine Loisier, Jean-Jacques Lété, Madeleine Mazières, Philippe Morel, Simone Rignault, Alain Suguenot, Louis Trébuchet.

Bettina Laville, conseillère régionale PS de Bourgogne, en mai 1998 : " Les dérives de la campagne étaient annonciatrices du complot : on ne manie pas impunément chez notre peuple, sensible au verbe et à l’Histoire, les mots " Travail, Famille, Patrie " : lorsqu’on se les approprie, comme l’ont fait de nombreux candidats RPR et UDF pendant la campagne, on transgresse l’interdit sourd qui règne en France, au moment même où s’achève, avec l’affaire Papon, la sombre psychanalyse de l’Occupation (...) M. Soisson a vendu la Bourgogne à sa dérisoire carrière, se réclamant de manière assez scandaleuse, d’un souhait du Président de la République. Jusqu’où ira-t-on en forfaitures diverses ? Il est triste que la droite de Saône-et-Loire ait été la meilleure alliée de M. Soisson : on peut comprendre que Dominique Perben trahisse aujourd’hui les orientations de la direction politique à laquelle il appartient, en ne condamnant pas Jean-Pierre Soisson, et en élaborant une théorie misérable qui peut se résumer ainsi " Combattons le FN en nous mettant d’accord avec lui ". On reconnaît son hypocrisie aux récents propos tenus au récent dîner soi-disant républicain : le chiraquien Perben condamne le FN, mais pas ceux qui s’allient avec lui. Nesme avait déjà explicité cette théorie indigne dans le Journal de Saône-et-Loire. Ces messieurs avancent masqués mais les masques sont transparents. Comment comprendre qu’une femme comme Mme Mazières, presque au seuil de sa soixante dixième année, accepte de perdre son honneur en se faisant élire pareillement Première Vice-présidente ? Comme femme, comme élue femme, j’ai de la peine ".

DEUX ANS D’ALLIANCE

Le président de région ne prévient qu’à la dernière minute de sa venue, pour éviter que le sous-préfet ne se décommande et que les élus de gauche ne boycottent les inaugurations. Arnaud Montebourg, député PS de Saône-et-Loire organise des " contre-inaugurations " pour " éviter d’avoir à serrer la main de Jean-Pierre Soisson " (Le Figaro du 13 octobre 1998). Jean-Pierre Soisson se défausse ainsi lors de l’inauguration d’une antenne du conseil régional à Sens (Yonne), en septembre 1998.

Depuis la rentrée 1998, les séances du Conseil d’Administration de l’université de Dijon sont perturbées. Le comité de vigilance refuse la présence de la représentante (RPR) du conseil régional, et celle " d’élus de la droite qui travaillent sans états d’âme avec un parti propageant des thèses racistes, xénophobes, sexistes et négationnistes " (Le Monde, le 18 novembre 1998). Dans les lycées également, la résistance s’organise pour empêcher à des représentants frontistes de la majorité du Conseil régional de siéger dans leurs conseils d’administration. Au lycée Henri Parriat de Montceau-les-Mines, le lepéniste Launay est régulièrement mis en échec par un collectif lycéen, qui réussit alors à mobiliser la quasi-totalité des élèves en une manifestation silencieuse en octobre 1998. Une manifestation a lieu au Creusot en juin 1998 contre les alliances, sur l’initiative du Mouvement des Jeunes Socialistes local.

L’élection de Soisson a déchaîné une vague de protestations dans le monde de la culture, et les responsables des grandes scènes de Bourgogne refusent désormais de le rencontrer. Pourtant, Soisson joue la carte de la séduction avec un milieu où il ne risque pas d’interférer avec le FN : hausse du budget, aides aux petites structures (moins susceptibles de lui demander des comptes politiques), création d’un comité de sages. " Soisson sait que la culture est un domaine politiquement sensible " affirme Jean-Yves Le Corre, responsable de la DRAC. Un collectif culture citoyenne est mis en place en réponse à cette politique.

LES TRANSFUGES

Le groupe FN du conseil régional, composé

initialement de neuf membres, éclate après la scission de l’extrême-droite. Les mégrétistes sont trois, les lepénistes également et les trois derniers siègent d’abord chez les non-inscrits avant de trouver une place parmi la droite dite " républicaine ". Pierre Péres et Liliane Floiras font ainsi ce parcours initiatique de la repentance, transfuge discret qui annonce encore quelques recyclages avant les municipales et les cantonales de mars 2001.

Pierre Jaboulet-Vercherre (FN) explique au Figaro-Magazine le 31 décembre 1999 que " Pierre Péres et Liliane Floiras ont été exclus du Front National le 19 février 1999 pour avoir rejoint les rangs du MNR, la double appartenance n’étant pas admise par les statuts du Front national (...) Le groupe FN au conseil régional de Bourgogne compte toujours cinq membres et, même s’il apporte toujours à Jean-Pierre Soisson un soutien sans participation, il n’a pas la moindre intention de rejoindre la "majorité" régionale ".

IL S’EST EXPRIME DANS MINUTE

Philippe Auberger, député RPR, vice-président du conseil général de l’Yonne et maire de Joigny, le 29 novembre 2000.


Source : Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) http://www.mjsfrance.org