La Picardie se distingue rapidement en 1998 comme une région pionnière dans l’institution des alliances entre la droite et l’extrême droite. Jean-François Mancel, ancien secrétaire général du RPR, en est l’architecte principal au moment des

cantonales, avant que Charles Baur ne prenne le relais à la Région. Étouffée par le Front National, marquée par la croissance du vote chasseur, la droite picarde s’engage sans état d’âme dans une collaboration locale poussée et durable avec l’extrême droite. Quitte à invoquer une improbable " exception picarde ".

LA REGION AVANT 1998

En 1986, Charles Baur est déjà élu, mais sans tapage, avec les voix du FN. À cette époque, les quatre conseillers extrémistes n’effrayent personne. Cependant, au cours de cette mandature " expérimentale ", Charles Baur cède déjà à la pression de ses alliés qui obtiennent, entre autres, le retrait de subventions à une pièce de théâtre jugée contraire aux bonnes mœurs. " En quinze ans de collaboration, je ne l’ai jamais entendu dire quelque chose d’intéressant, résume Roger Mézin (RPR). Et je n’ai jamais vu qui que ce soit lui vouer une vraie estime ".

Devenu député européen, Charles Baur est également élu député en 1993. Il subit, comme beaucoup d’autres partisans des alliances avec le Front National, une défaite traumatisante suite à la dissolution de 1997.

LES ELECTIONS REGIONALES DE MARS 1998

Ces élections donnent une majorité relative à la gauche plurielle avec 23 élus (13 PS, 7 PCF, 2 MDC, 1 Vert) contre 20 pour la Droite (10 RPR, 9 UDF et 1 CPNT) 11 pour le FN, qui se scindent par la suite entre le FN (8) et le MNR (3) et 3 pour LO.

L’ELECTION DU PRESIENT DE REGION

Le 20 mars, Charles Baur est élu avec les 11 voix du Front National. " Un homme extrêmement courtois, qui n’a jamais attaqué le FN " applaudit Pierre Descaves. François-Michel Gonnot, secrétaire général adjoint de DL, applaudit aussi. Face aux réticences de certains conseillers de droite qui ne souhaitent pas mélanger leurs voix avec celles de l’extrême droite. Une stratégie de contournement est mise en place. Quatre conseillers de droite déclarent en effet être prêts, s’il le faut, à voter blanc au troisième tour : Alain Gest, Brigitte Fouré, Roger Mézin (UDF) et Bertrand Labarre (RPR). Le président du groupe FN, Pierre Descaves, se présente au deuxième tour, en clamant haut et fort qu’il n’a pu s’entendre avec Baur. Les quatre conseillers hostiles votent Baur en toute quiétude. Mais la candidature Descaves est en réalité un leurre puisque les 11 voix du FN se portent aussi sur Baur, permettant, grâce à ce stratagème, son élection surprise. Les élus de droite dont les noms suivent se sont prêtés à ce jeu : Pierre André, Dominique Antoine, Stéphane Demilly, Philippe Douchain, Annick Garin, François-Michel Gonnot, Claude du Grandut, Thérèse Hart, Jacques Larangot, Isabelle Loeung, France Mathieu, Jean-Pierre Vienot, Eric Woerth.

" Nous avons pris nos responsabilités pour éviter de livrer la Picardie aux communistes et à leurs alliés trotskistes auxquels ils avaient promis une vice-présidence " justifie Eric Woerth, patron du RPR en Picardie, ancien conseiller d’Alain Juppé à Matignon et maire de Chantilly. La même stratégie est reconduite pour l’élection des vice-présidents. Les 4 élus le sont chacun au troisième tour de scrutin, par 27 voix (11 FN, 15 RPR-UDF, 1 CPNT) contre 23 à gauche : Patrice Fontaine (ex-RPR, ancien secrétaire départemental de l’Oise, proche de Mancel, passé depuis à La Droite de Millon) qui devient premier vice-président, Thérèse Hart (en congé du RPR), Jacques Larangot (UDF-Adhérents Directs) et Michel Blondin (CPNT).

Éric Woerth écrit (Le Figaro, le 31 août 1998) : " Nous avions délibérément voté pour Baur avec un seul objectif : éviter que cette région ne soit donné au Parti communiste ". D’après les accords nationaux signés au sein de la Gauche plurielle, la présidence de cette région doit revenir à un élu communiste. L’argument de "l’exception picarde" sert d’alibi idéologique à l’alliance de fait et c’est sans complexe que Charles Baur conclu avec l’extrême

droite.

La gauche choisit, comme dans les trois autres régions, de mener une politique d’opposition systématique. Mais en Picardie, elle se trouve renforcée par la dissidence de quelques opposants résolus à Charles Baur et à toute alliance avec le FN. Ainsi, Alain Gest (UDF-DL), proche de Gilles de Robien (UDF-DL), n’hésite pas à voter plusieurs fois, courant juillet, avec la gauche contre le président Baur, et particulièrement le 17 juillet 1998 pour éviter que des conseillers FN ne représentent la région dans les organismes extérieurs.

Alain Gest toujours résume la réalité des alliances en Picardie (Le Figaro, le 11 septembre 1998) : " Voilà bientôt six mois que Charles Baur a décidé de conserver la présidence du conseil régional de Picardie grâce aux élus du Front National. Six mois sans représentant de l’Etat, qui ont déserté les sessions de l’assemblée régionale. Six mois sans pouvoir procéder à la moindre inauguration, au risque de provoquer le désordre. Six mois sans majorité. Le Front National, privé de toute fonction et de toute représentation, a choisi de rejeter les dossiers importants pour la région, concernant l’Université et les grandes écoles, les aides à la création d’emplois, la formation des jeunes (...) En clair, il décide de la politique régionale ". Le même jour, Alain Gest démissionne de Démocratie Libérale dont il était le président départemental. Gilles de Robien, député-maire UDF-DL d’Amiens, quitte également, et non sans éclat, Démocratie Libérale pour protester contre l’intégration de Jacques Blanc au sein du groupe DL à l’Assemblée Nationale, acceptée par son ambitieux président Alain Madelin, membre fondateur du goupe Occident avec Gérard Longuet (ex-UDF) et Patrick Devedjian, aujourd’hui porte-parole de RPR et Claude Goasguen (DL). À l’automne 1998 s’ouvrent des discussions sur un éventuel " accord de gestion " associant la Gauche plurielle et les trois conseillers de droite " contestataires " (Gest, Fouré, Mézin). Le dialogue achoppe car ces derniers refusent avant tout l’élection d’un président communiste. " Ils sont passés à côté d’une opportunité " affirme Alain Gest qui se dit prêt à accepter une présidence socialiste. " Si l’hypothèque d’un candidat communiste est levée, il n’y aura plus

d’exception picarde " résume Gest (Libération, le 9 septembre 1998) qui assortit son accord à trois

conditions : poursuite des politiques d’aide aux entreprises, baisse sensible des impôts et maintien des subventions aux établissements scolaires privés. " Cela revenait à faire le jeu de la droite, qui aurait démontré qu’elle était en mesure d’arbitrer parmi les candidatures de la gauche " rétorque le président du groupe socialiste Claude Gewerc.

LE VOTE DU BUDGET DE 1999

En janvier 1999, la droite se trouve divisée en trois groupes : les sept inconditionnels du président qui siègent au sein du groupe UPP (Union pour la Picardie), 3 conseillers RPR et UDF, Alain Gest et Brigitte Fouré (UDF) et Roger Mézin (RPR) qui ne comptent pas voter pour le budget d’un exécutif dont ils contestent la légitimité, l’intergroupe de l’Alliance RPR-UDF (10 élus) qui s’interroge. Le RPR Eric Woerth, président de l’intergroupe, se satisfait de cette situation : " Nous avons voté pour lui, nous n’allons pas faire un putsch ".

Baur menace de démissionner pour mettre la pression sur l’intergroupe RPR-UDF et prévenir toute tentative de rébellion. Cette pression ne dérange ni Eric Woerth (RPR), ni Stéphane Demilly (UDF) qui déjeunent le jour même avec Baur et qui refusent une nouvelle élection du président de région (Le Figaro, le 15 janvier 1999).

Le budget est finalement rejeté le vendredi 15 janvier en ne recueillant que 23 voix (7 UPP, 8 lepénistes, 8 élus de l’Alliance RPR-UDF). Les trois conseillers de droite (2 UDF et 1 RPR) s’abstiennent pour le vote du budget, ainsi que Dominique Antoine (UDF), Bertrand Labarre (RPR) de l’intergroupe Alliance RPR-UDF et les trois mégrétistes du groupe Front National Renouveau. La gauche vote contre (26). Explication de vote de l’UDF Stéphane Demilly, qui approuve le budget : " Nous ne voulons pas prendre le risque d’ouvrir une crise politique importante en Picardie ni, de quelque manière que ce soit, favoriser l’accession au pouvoir de la gauche plurielle " (Le Monde, le 17 janvier 1999). Bernard Labarre mène un jeu trouble : parfois proche des trois conseillers de droite anti-Baur, il sait aussi se faire des amis au sein de l’extrême droite comme en témoignent ses relations avec le lepéniste Lionel Payet, conseiller régional et directeur administratif de National Hebdo (Libération, le 22 septembre 1998). Il confie à ce dernier : " Entre gens intelligents, on peut toujours s’entendre ". Ce qui n’empêche pas Labarre d’être battu ensuite à l’élection cantonale de Noyon en 1997.

LES ELECTIONS CANTONALES DE 1998

Jean-François Mancel, ancien numéro deux national du RPR, président du conseil général de l’Oise, reste tristement célèbre : il fut en effet le premier exclu de la droite républicaine en raison de ses relations sulfureuses avec l’extrême droite. Il avait notamment déclaré " ne pas voir de raison de refuser le concours des élus FN ". Il s’est lancé de longue date dans des tractations avec le FN qui se sont traduites par des désistements aux cantonales au profit du RPR. Aujourd’hui, Jean-François Mancel, dont on ne compte plus les déboires judiciaires relatifs à son train de vie aux dépens des contribuables, plaide pour que le FN " devienne une partie de la droite de demain ". Soulignons qu’il est battu le 1er juin 1997 aux législatives de Beauvais-sud à l’issue d’une triangulaire serrée.

Jacques Néhorai (RPR), pour sa part, appelle à voter pour le candidat FN Laurent Isoré à Beauvais Nord-Est. Dans un magazine de la mouvance " nationaliste-révolutionnaire ", ce dernier écrit que la " jeunesse de France " doit " répondre aux coups lâches des politicards vaseux et fétides " et abandonner " son âme servile " pour échapper aux " entrailles de la décadence ". Le tout avec un " rêve : redevenir des seigneurs ! ", rien de moins.

Tout comme Jacques Néhorai (RPR), exclu le 18 mars 1998, Philippe Callens (RPR) obtient, pour les élections cantonales, le soutien explicite du Front National dont le candidat s’efface à Crépy-en-Valois. En échange, Mancel donne l’ordre à deux candidats de droite devancés par le FN de se désister en leur faveur. Ils refusent de se soumettre et le FN doit se contenter d’un appel du sénateur-maire RPR de Compiègne, Philippe Marini, à " faire barrage au parti communiste dans l’Oise et en Picardie ".

Pour les législatives de 1997, le CNI a appelé à voter pour deux candidats FN dans l’Oise, Michel Guiniot et Olivier François.

IL S’EST EXPRIME DANS PRESENT

Patrice Marchand, maire DL de Gouvieux (Oise), conseiller général de Chantilly, conseiller national DL et vice-président de ce parti dans l’Oise a, fait rarissime, signé une tribune dans ce quotidien très spécial...

IL S’EST EXPRIME DANS L’HEBDO DU QUOTIDIEN

Arthur Dehaine, député RPR de l’Oise et maire de Senlis, le 21 juin 2000.


Source : Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) http://www.mjsfrance.org