L’atmosphère qui règne à Marignane est assez différente de celles des autres villes FN.

Ici, la ville a toujours été tenue par une droite dure, proche de l’extrême droite, avant de tomber au FN.

La gauche est quasiment inexistante, et l’opposition de droite républicaine aussi. Les quelques militants rencontrés ont le sentiment de vivre en zone occupée, abandonnés de tous, sans aucun moyen, avec en plus un sérieux handicap médiatique dû à la focalisation sur Vitrolles.

Ils ont le sentiment que Marignane n’intéresse personne, à commencer par les politiques de gauche qui ont fait le deuil électoral de cette ville.

De même, contrairement à Vitrolles, il n’y a pas de coordination de la résistance à Marignane.

Beaucoup envisagent de quitter la commune de Marignane et de s’installer ailleurs.

La déception, le découragement, la colère sont nettement perceptibles.

RENCONTRE AVEC DES REPRESENTANTS DU MRAP ET DE LA FCPE

27 novembre 1997

Les personnes présentes, engagées pour la plupart d’entre elles à la FCPE ou au MRAP, relatent tout d’abord la confrontation qui les a opposées à la municipalité de Daniel Simonpieri, sur le terrain scolaire. Après un premier affrontement sur le tarif des cantines scolaires, soldé par un procès gagné devant le Tribunal administratif, la principale épreuve de force vise la suppression du " repas de substitution " distribué aux enfants ne consommant pas de porc, décision de la municipalité doublée de pressions sur la Générale de restauration, afin que soit augmenté le nombre de repas contenant de la viande de porc. Il s’ensuit une série de recours judiciaires, à l’occasion desquels le maire plaide l’application du principe de laïcité.

La confrontation sur cette question aura mis en évidence les méthodes utilisées contre les opposants à la municipalité. Ainsi, la diffusion, devant les écoles à l’occasion de la rentrée scolaire 1996, d’un tract anonyme dénonçant personnellement Serge Deambrosis (FCPE) est évoquée. La confirmation de l’implication de l’équipe municipale ne tarda pas, un dissident de cette dernière désignant l’adjoint à l’enseignement comme l’auteur de ce tract.

Est également souligné le recours systématique à des actions judiciaires contre la mouvance associative, dont la municipalité redoute que l’action ne puisse atteindre son crédit. Le Conseil municipal a voté un budget prévisionnel en vue de l’organisation de procès et chargé le cabinet Perdomo, connu pour ses liens très anciens avec l’extrême droite départementale, de le représenter dans ces procédures.

Aux pratiques de la municipalité décrites précédemment, fait écho le comportement pour le moins contestable de l’antenne locale de la police nationale. Il est, par exemple, relevé le refus initial de cette dernière d’enregistrer la plainte de Serge Deambrosis, suite à la distribution du tract le mettant en cause. Par la suite, si la plainte sera effectivement prise en considération, la justice n’en recevra transmission que trois mois après son dépôt, alors que la procédure est frappée de prescription. Il faudra un recours auprès du procureur de la République pour obtenir, sur la base d’éléments nouveaux, une relance de la procédure.

Sur ce point, les personnes présentes dénoncent également les liens, apparemment excellents, entre la municipalité et le nouveau commissaire. Il est pourtant, selon elles, notoire que, ni son action à la tête de la police nationale, ni les pratiques d’arrestations arbitraires ou de détentions illégales auxquelles recourt facilement la police municipale, n’ont fait diminuer la délinquance.

Il est encore relaté les pratiques de la municipalité FN dans sa gestion du personnel municipal. Le cas de quarante personnes n’ayant pas vu renouveler leurs contrats CEC et n’ayant pu effectuer aucun recours administratif est notamment évoqué. De même, de multiples pressions sont exercées sur le personnel, allant de l’échange de cartes du Front national contre la garantie des emplois, à la mise en liquidation judiciaire d’associations dérangeantes.

L’action " culturelle " de la municipalité est enfin mise sur la sellette, à propos de la disparition de L’Événement du jeudi, de Libération et de La Marseillaise des rayons de la bibliothèque. Suite à la procédure engagée par onze personnes, un jugement ordonne la réintégration de La Marseillaise parmi les publications mises à disposition du public. Afin de contourner cette décision judiciaire, la municipalité abonne la bibliothèque à L’Humanité dimanche, ce qui provoque une nouvelle procédure devant le Tribunal administratif. Une autre procédure sera diligentée lorsque interdiction sera faite aux enfants de moins de onze ans non accompagnés, d’accéder à la section jeunesse de ladite bibliothèque.

Les mœurs politiques de la municipalité sont abondamment dénoncées. Daniel Simonpieri se voit notamment comparé à un quarante-cinq tours de la politique : face A, l’affabilité du notable ; face B, la brutalité d’un apparatchik de l’extrême droite. Simonpieri redoute manifestement tout ce qui pourrait nuire à son crédit et tente d’intimider ses détracteurs par des actions systématiques devant les tribunaux. C’est ainsi que Serge Deambrosis s’est vu attaquer en diffamation pour avoir mis en cause la forte augmentation des frais de représentation et des indemnités du maire (+28 %).

RENCONTRE AVEC " ALARME CITOYENS "

27 novembre 1998

Situation générale à Marignane

Après quarante ans de gestion par M. Duleuil, Marignane s’est retrouvée à la veille des élections électorales dans une situation particulière. " La ville est sous anesthésie ", " sans idée ", " un vrai désert politique ". Les organisations politiques et syndicales manquent (absence d’Union locale). La gauche, et notamment le PS, est critiquée pour ne pas s’être suffisamment investie à Marignane. La liste unique de la gauche s’est retirée au 2e tour, néanmoins le maintien de deux listes de droite, menées par deux héritiers de l’ancien maire, a permis à Simonpieri de remporter les élections (avec 30 % d’abstentions) sans pour autant que le FN ait milité de manière particulièrement importante, comme ce fut le cas à Vitrolles par exemple.

Aujourd’hui, on retrouve dans la politique de la nouvelle mairie les grands traits communs à la gestion des villes gérées par le FN. Pour autant, Simonpieri n’aura pas à faire les mêmes efforts pour déliter le milieu associatif et syndical puisque celui-ci était déjà auparavant particulièrement peu développé.

Les pressions habituelles sont exercées sur le personnel municipal qui résiste. L’opposition municipale est quant à elle divisée et vote de manière partagée, parfois même en faveur du FN.

Tant le Conseil général que le préfet (sauf en matière budgétaire) se font remarquer par leur absence. L’absence de jeunes, notamment d’étudiants vivant à Aix ou à Marseille, participe de l’anesthésie de la ville.

La mairie a remplacé les associations à but social par d’autres (notamment Fraternité française) qu’elle peut manœuvrer à sa guise (propagande, manipulation). Le centre social a été fermé. Une association " Insertion marignanaise " a été créée. Elle recrute des personnes en difficulté pour maintenir une image sociale à l’action municipale. La mairie exerce ainsi un moyen de pression sur ces personnes à qui des Contrats emploi-solidarité sont proposés.

Après avoir perdu quelques procès, Simonpieri se trouve obligé d’adopter un profil moins offensif, d’autant plus que des divisions internes apparaissent peu à peu au sein de l’équipe municipale...

La position de l’Église catholique n’est pas claire, celle de la Communauté protestante l’est beaucoup plus. Marignane était jumelée à la ville allemande de Voiburg. Celle-ci a dénoncé les accords la liant à la ville.

Situation particulière d’Alarme Citoyens

Cette association est née d’une réaction citoyenne aux élections. Ses fondateurs sont majoritairement des déçus du PS. Le choix a été fait de se constituer en association apartisane, permettant ainsi de toucher plus facilement une population se désintéressant particulièrement de la chose politique, la confiance en son personnel ayant très largement disparu.

Aujourd’hui, cette association est constituée de deux cent cinquante adhérents ayant majoritairement une culture politique de gauche (PS à l’origine, plurielle aujourd’hui).

Deux grandes activités sont aujourd’hui mises en place. Un journal est élaboré, diffusé et " boîté " (quelques milliers d’exemplaires par numéro). Celui-ci est financé par des fêtes organisées deux ou trois fois par an. Une permanence juridique est mise en place, non seulement concentrée sur les activités illégales du FN et de la mairie, mais plus largement, permettant ainsi d’instituer une activité de proximité. C’est seulement grâce à l’aide gracieuse d’un avocat qu’elle peut être tenue. Elle a permis d’obtenir certaines victoires.

La mise en place d’une structure unitaire semble difficile en raison du sentiment que les structures politiques de gauche ne semblent pas réellement prêtes à collaborer, considérant cette association comme une forme de concurrence, voire d’opposition.

" Alarme Citoyens " se sent totalement démunie, sans réels moyens financiers, notamment pour assurer une meilleure diffusion de son journal d’information.

L’association voudrait aussi pouvoir compter sur une subvention (du Conseil général ou du Conseil régional) pour pouvoir fonctionner correctement, payer le loyer du local, le téléphone, les fax et les photocopies.

Pour l’instant, tout repose sur le militantisme des adhérents qui sont très découragés, malgré leur détermination à poursuivre leur combat.

La désillusion est telle que l’association semble ne rien attendre de l’extérieur, et surtout pas des politiques.

Les demandes formulées au Comité national de vigilance se figent autour de trois axes : une aide financière, une aide dans la diffusion des informations concernant leurs activités, une aide en compétence. Enfin, il fut notamment question de l’aide d’un comptable public.

RENCONTRE AVEC LE COLLECTIF DEPARTEMENTAL DE LUTTE CONTRE L’EXCLUSION DES BOUCHES -DU-RHONE

Marseille, Conseil général des Bouches du Rhône - 27 novembre 1997

Présents : Les Verts, PC, MRAP, PS, PRG, SOS Racisme, LDH, CGT, CFDT, SNES FSU, Fédération comorienne, Ligue de l’enseignement, CADAC, Léo-Lagrange, Les Francas, LCR.

Tous les partis de gauche sont membres du collectif.

Dans ce collectif se trouve une très large représentation des milieux syndical, associatif et politique.

Le collectif est né d’une prise de conscience du danger FN après la venue de J.-M. Le Pen avec ses troupes le 7 février 1987. Aujourd’hui, il est arrivé à maturité et se trouve dans une situation de vigilance permanente.

Il est parvenu à organiser diverses manifestations de natures différentes semaine culturelle et manifestation populaire avec le Comité Ibrahim-Ali, organisation d’un forum le 22 mars prochain sur le thème de la lutte contre le FN, diverses manifestations politiques de rue, les 6 et 7 décembre 1997 (fête de la citoyenneté au parc Châlon à Marseille), voyages de la mémoire).

Le Conseil général des Bouches-du-Rhône a soutenu une manifestation antifasciste. Il a surtout, avec une aide de l’État, su débloquer une somme de 2,2 millions de francs pour compenser l’absence de certains services publics sociaux à Vitrolles. L’action du sous-préfet est qualifiée d’irréprochable. Il est regrettable qu’à Orange (Vaucluse) ou Toulon (Var), le Conseil général n’ait pas été aussi diligent.

Le collectif évoque la grande journée de mobilisation (Forum citoyen contre le fascisme) du 22 mars 1997 qui a réuni cinq mille personnes. Ce type de rassemblement montre la volonté d’agir ensemble pour être présents malgré les divergences, unis face à l’idéologie dangereuse du Front national, et pas seulement dans les manifestations.

Cela étant, chaque organisation est indépendante et libre de toute initiative, il ne s’agit pas d’une substitution. Ce comité est un " plus " au niveau de l’ensemble du département : il est le résultat d’une forte mobilisation individuelle et collective.

Le collectif exprime le souhait de travailler avec les communes qui ne se sentent pas directement menacées par le FN : un véritable travail de prévention est à mener de manière urgente, sans négliger le combat juridique. Il faut souligner la nécessité d’attaquer les municipalités en justice autant que possible lorsqu’elles enfreignent la loi républicaine.

Par ailleurs, il faut expliquer le racisme, le concept de race (qui impliquerait une hiérarchisation), de manière très claire et argumentée : où en est la science, la génétique, l’anthropologie ? Qu’ont-elles apporté comme réponse ?- La bataille doit être aussi menée sur le terrain de l’idéologie, du langage et du discours. On ne peut faire l’impasse sur le fait que l’humanité est une et indivisible.

Débats

La politique du gouvernement concernant le dossier de l’immigration et celui des régularisations des sans-papiers fut particulièrement écorchée. Il lui est reproché de manquer de courage, de ne pas tenter de réellement changer le fond du débat, les mentalités. Les problèmes sont sociaux, et non liés à l’immigration. Le politique doit aussi montrer son utilité en tant qu’il est capable d’opérer un changement, même contre l’opinion publique.

Ainsi, pour régler ces problèmes, une activité forte des services publics est fondamentale ; mais les moyens financiers ne suivent pas. De même, l’absence de politique de la ville est déplorée. Localement, certains acteurs de la vie politique ne participent pas à sa moralisation, entraînant l’écœurement de la population.

Le FN se trouve quant à lui dans une dynamique offensive. Il s’installe de plus en plus dans les esprits comme une alternative réelle, constituant un vrai fonds idéologique. À ce titre, les élections régionales et cantonales de mars 1998 risquent d’être particulièrement édifiantes.

Quelques questions...

Comment gère-t-on les contradictions au sein même du FN : sur le dossier des emplois-jeunes par exemple, le maire de Marignane est pour son application, celui de Vitrolles contre. Comment expliquer au citoyen l’incohérence des municipalités FN ?

La question de substitution est de nouveau posée (cf. Orange) : une subvention exceptionnelle de 2,2 millions a été versée aux associations de Vitrolles (ministère Jeunesse et Sport et Conseil général). Mais aujourd’hui, ni l’État, ni le Conseil général ou régional ne peuvent se substituer en permanence à la collectivité locale FN qui profite de ces mannes extérieures pour diminuer ses dépenses.

Autre question qui se pose : doit-on travailler avec une municipalité FN ? Exemple d’un animateur de centre de loisirs, qui spontanément refuse de travailler pour une municipalité FN dont il condamne les valeurs extrémistes. Dans le même temps, comment laisser l’éducation et les loisirs des enfants aux mains de gens dont le discours se fonde sur l’inégalité, le racisme, la haine, le non respect de la laïcité... Par ailleurs, le cas échéant, ce sera la municipalité qui récoltera les " fruits politiques " du travail effectué.

Deux questions se posent finalement. Comment déterminer les moyens permettant d’aider la population vitrollaise sans pour autant favoriser le FN ? Comment parvenir à bâtir sur le long terme un mécanisme de rupture ? À cet égard, un cadre de travail unitaire semble, enfin et pour tous, constituer le vrai rempart au FN.

La diffusion des informations dans chacune des organisations du Comité national de vigilance, ou par le biais de revues, permettrait un gain évident en efficacité.

Enfin, des aides financières, logistiques et juridiques sont nécessaires.

Rapport du Comité national de vigilance contre l’extrême droite