Le troisième rapport annuel du Département d’Etat américain sur la liberté de religion dans le monde (hormis les Etats-Unis...) est paru, cette année avec retard, fin octobre 2001.

Sans vouloir polémiquer sur la légitimité internationale que posséderait un tel rapport aux yeux des autorités américaines, la lecture de celui-ci permet à la Mission de formuler quelques constatations.

Il apparaît tout d’abord que, d’une année sur l’autre, le rapport reprend en grande partie les mêmes énoncés que l’année précédente. Si, d’une certaine manière, on peut admettre que les situations ne changent pas radicalement en une année, force est de constater que la répétition, par exemple dans le cas de la France, de termes vagues, ambigus, d’opinions ou de sources non précisées ("certains observateurs"...), d’amalgames erronés, de généralisations excessives, de réactions très sollicitées ne confèrent pas à l’ensemble un caractère novateur mais donnent plutôt l’impression que les rédacteurs sont partis des mêmes a priori que les deux années passées. D’où la sensation générale de déjà lu que l’on retrouve ici et là.

D’ailleurs, les rédacteurs du rapport précisent eux-mêmes que les enquêteurs de leur Bureau pour la liberté religieuse dans le monde se sont rendus dans "plus d’une douzaine de pays" (dont 7 seulement sont cités), ce qui est assez peu à l’échelle de la planète et laisse donc pour la grande majorité des Etats dans le monde, la charge de la rédaction du rapport aux ambassades américaines qui reprennent en général à peu de chose près leurs mêmes textes d’une année sur l’autre.

Dans son sommaire de présentation (executive summary), le rapport reprend, sous le même discutable titre que l’an dernier, "stigmatisation de certaines religions en les assimilant à tort à des sectes dangereuses", sa très étrange mise en accusation, toujours sans aucun élément de preuve, "des gouvernements de quelques pays qui, afin de protéger leurs citoyens contre des groupes dangereux ou nocifs, ont adopté des lois et des politiques discriminatoires". Et le texte poursuit : "En estompant les distinctions entre religions et groupes violents ou frauduleux, les gouvernements de ces pays ont désavantagé des groupes qui peuvent apparaître comme différents ou inhabituels mais sont en fait paisibles et honnêtes." Comme cette Mission l’a relevé dans son rapport 2000, une telle allégation du Département d’Etat implique que lui-même a établi des listes distinguant entre les religions "paisibles et honnêtes" et des groupes pseudo-religieux "violents ou frauduleux". Or, cet exercice d’appréciation par le Département d’Etat de la nature religieuse ou non d’un groupe ne s’accomplit-il pas en violation pure et simple de la Constitution américaine qui dans son célèbre (et très célébré aux Etats-Unis) premier amendement interdit à l’Etat de juger du fait religieux ? Ou bien les Etats-Unis auraient-ils, par nécessité, établi ces listes ? Dans ce cas, il serait utile de les connaître.

De même, peut-on légitimement s’interroger sur quel élément de droit américain le Département d’Etat se fonde pour qualifier, comme il le fait par exemple à propos de la France, "les Scientologues, les Raëliens, les adeptes du Vajra Triomphant et ceux de l’Ordre du Temple Solaire" de "groupes religieux minoritaires" (sic) !...
On notera également que tout en incitant les Etats du monde entier à mieux garantir les libertés religieuses et à mieux lutter contre les atteintes à celles-ci, le Département d’Etat incite des pays comme le nôtre à un urgent immobilisme législatif : "dans tous ces pays, le Code pénal existant suffit à sanctionner les attitudes criminelles, qu’elles soient le fait d’individus ou de groupes". Vient ensuite une inadmissible conclusion, totalement malveillante et diffamatoire puisqu’elle laisse entendre, sans aucune justification, même vague, que dans des pays comme la France, l’Autriche, la Belgique et l’Allemagne, "des lois ou des politiques nouvelles qui criminalisent ou stigmatisent l’expression religieuse peuvent mettre en danger la liberté religieuse".

Alors que le compte-rendu qui est fait par le rapport américain du nouveau texte de loi français (dit loi About-Picard) publié au journal officiel le 13 juin 2001, est presque dénué de critique et pourrait passer pour assez objectif, mention est faite en fin de présentation des inquiétudes, non des observateurs américains mais des protestants et catholiques français. Personnellement cité par les rédacteurs américains du Rapport, peut-on leur rappeler que le président de la Fédération protestante de France s’était lui-même élevé le 15 mai dernier (cf dépêche AFP 151623) contre le fait que "le chapitre consacré à la France dans le rapport 2000 du Département d’Etat sur la liberté religieuse est très mauvais car il s’appuie sur des informateurs partiaux".

Pire encore, le rapport américain allègue faussement une déclaration du Conseil de l’Europe du 26 avril 2001 qui condamnerait la nouvelle loi About-Picard. Cette affirmation est d’autant plus regrettable qu’elle avait été réfutée dès le mois d’avril par la partie française. En effet, si le 26 avril 2001, un groupe de parlementaires du Conseil de l’Europe avait bien soumis à l’Assemblée parlementaire une proposition demandant au parlement français de surseoir au vote de la loi About-Picard, cette proposition n’a pas été retenue. D’ailleurs, le président du Comité des ministres du Conseil de l’Europe avait, le jour même par lettre, "officiellement confirmé que le Conseil de l’Europe n’avait jamais critiqué la France sur cette question". En juillet cependant, les autorités américaines faisaient déjà état "d’une déclaration du Conseil de l’Europe du 26 avril 2001 exprimant l’opinion que la loi française pouvait être considérée comme discriminatoire et violer les droits de l’Homme". Malgré les mises au point françaises faites immédiatement, le rapport du Département d’Etat produit fin octobre reprend, mot pour mot et sans la moindre vergogne, les fausses allégations faites en juillet...

Comme l’an dernier, un long passage est consacré à la Scientologie dont il apparaît surtout que les procès intentés contre elles sont en augmentation et que l’opinion publique française ne lui est guère favorable (l’affaire Panda Software).

Le rapport semble par ailleurs regretter que le mouvement scientologue n’obtienne pas en France l’exemption fiscale à titre cultuel, en se gardant bien de rappeler qu’un seul pays en Europe, la Suède, accorde à la Scientologie ce statut. Encore cette dernière vient-elle de décider la fermeture d’un établissement scolaire scientologue, les méthodes pédagogiques envisagées ne correspondant pas au standard éducatif suédois.