La Mission se félicite du vote de la loi About-Picard, "tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales", définitivement adoptée le 30 mai 2001 à une quasi unanimité du parlement et promulguée dès le 12 juin 2001.

Ce texte équilibré, respectueux des libertés fondamentales, vise à prévenir et réprimer les comportements répréhensibles de n ’importe quelles personnes physiques et morales et évite ainsi le piège de la spécificité.

Il permet la dissolution, sans possibilité de reconstitution, des personnes morales définitivement condamnées pour des infractions graves, limitativement énumérées. La Mission s’était prononcée en faveur de la dissolution par la voie judiciaire plus respectueuse des droits de l’Homme que la dissolution administrative autorisée par le décret-loi de 1936. Car elle permet une procédure contradictoire et préserve les droits de la défense. Pour les mêmes raisons, les parlementaires, qui avaient initialement envisagé la dissolution administrative, ont finalement opté pour cette solution.

La loi aggrave certaines peines encourues par les personnes physiques ou morales tout en étendant la sanction pénale à certains types d’infractions (exercice illégal de la médecine ; délits de fraude et de falsification ; menaces ; infractions d’atteintes au respect dû aux morts ; tortures et actes de barbarie ; viols et agressions sexuelles ; abandon de famille entrave aux mesures d’assistance et omission de porter secours).

La loi étend le délit d’abus commis à l’encontre des personnes en état d’ignorance ou de situation de faiblesse prévu par les articles 313.4 et 313.9 du Code pénal à toute personne "en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables", prenant en compte le fait que l’adepte n’est pas nécessairement en "état de faiblesse" lors de son adhésion mais qu’il le devient sous la pression de l’environnement sectaire. Enfin la loi déplace cet article du livre II (concernant les atteintes aux biens) au livre III du Code pénal (concernant les atteintes aux personnes).

Quant aux droits des victimes, ils sont renforcés par le fait que toute association reconnue d’utilité publique régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans peut se porter partie civile.

Des dispositions restreignent la possibilité de diffuser des messages destinés à la jeunesse faisant la promotion d’une personne morale à caractère sectaire dès lors qu’elle a déjà été condamnée.

Toutefois, on peut regretter comme l’a fait le Garde des Sceaux dans une réponse à un parlementaire (question orale du 16 octobre 2001) que l’article destiné à limiter l’installation ou la publicité des groupements sectaires déjà condamnés n’ait finalement pas été adopté pour des raisons de difficulté d’application, à savoir qui du maire ou du préfet serait le mieux armé pour identifier les groupes en question. La réflexion mérite d’être approfondie à ce sujet. Elle pourrait aboutir à un nouveau texte, très attendu par les élus locaux nombreux à solliciter la Mission sur cette question.

Complétant un dispositif juridique déjà existant, la loi est le fruit d’une longue réflexion menée pas à pas en commun par les parlementaires des deux assemblées - toutes tendances politiques confondues-, par la MILS et par la Chancellerie qui se sont conformées à l’avis de la CNCDH sans négliger d’entendre les observations des représentants des grandes confessions religieuses ni celles de la Ligue des droits de l’Homme et d’autres associations à vocation morale ou civique.

Le lobby prosectaire a usé de sa technique habituelle en harcelant les parlementaires ce qui a conduit l’un d’entre eux à s’exprimer ainsi lors de la seconde lecture au Sénat :"Si j’avais eu des doutes sur le sens de mon vote, les pressions dont nous avons été l’objet, par des méthodes efficaces avec des personnes fragiles -comme les courriers, les appels téléphoniques ou la saturation des sites internet- m’auraient convaincu de voter cette proposition de loi !"

La Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah a tenté de faire obstacle juridique à la loi About-Picard en présentant une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Vainement. En effet, le 6 novembre 2001, la Cour européenne a déclaré cette requête irrecevable. Parmi les motifs invoqués, il n’est pas inutile de relever l’argumentation suivante :
"...cette loi prévoit la dissolution (des mouvements sectaires), mais cette mesure ne peut être prononcée que par voie judiciaire et lorsque certaines conditions se trouvent réunies, notamment lorsque les sectes ou leurs dirigeants ont fait l’objet de condamnations pénales définitives pour des infractions limitativement énumérées et que (la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah) ne devrait normalement pas redouter. Un procès d’intention fait au législateur, soucieux de régler un problème brûlant de société, n’est pas la démonstration de probabilité d’un risque encouru par la requérante. En outre, celle-ci ne saurait sans contradiction se prévaloir du fait qu’elle ne constitue pas un mouvement attentatoire aux libertés et en même temps prétendre qu’elle serait, au moins potentiellement, une victime de l’application qui pourra être faite de cette loi.
Il s’ensuit que la requérante ne saurait se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention et l’ensemble de sa requête doit être déclaré irrecevable, en application de l’article 35 §§ 1,3 et 4 de la Convention."

De son côté, la Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait décidé, le 27 juin dernier, de désigner un expert chargé de l’assister dans la rédaction d’un rapport sur la liberté de religion et les minorités religieuses en France. Celui-ci avait reçu pour mandat d’examiner la compatibilité de la loi About-Picard avec les valeurs du Conseil de l’Europe.
Le rapport de cet expert, ancien directeur de l’Office fédéral suisse de la justice, est rendu public le 18 décembre 2001. Il conclut que la loi du 12 juin 2001 n’est pas incompatible avec les valeurs précitées.
On retiendra que, selon l’expert, l’objectif poursuivi par la loi est ""légitime et couvert par les dispositions des articles 9 à 11, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l’Homme", que, par ailleurs, compte-tenu des risques encourus par les victimes des sectes "le besoin d’agir est impérieux" et que les sanctions prévues sont "proportionnées au but visé"

L’autorité judiciaire est donc désormais en mesure de sanctionner les dérives sectaires dans le strict respect des libertés.

Au plan international, de nombreux Etats ont suivi avec la plus grande attention l’élaboration de la loi, attentifs aux débats qui l’ont portée. Certains envisagent de clarifier la situation d’organismes sectaires habilement retranchés derrière une autoproclamation religieuse.

C’est le cas de la République fédérale d’Allemagne. La loi allemande sur les associations prévoit en effet (art.1, § 1) que celles qui abusent de la liberté garantie par l’article 9 de la Loi fondamentale (Constitution allemande) peuvent être dissoutes, les ministres de l’Intérieur des Länder étant habilités d’ores et déjà à interdire une association coupable de violation de la loi, de l’ordre constitutionnel ou des traités internationaux ratifiés. Cependant, l’article 2 de la loi sur les associations (§2) précise que "les communautés religieuses ne sont pas des associations au sens de cette loi".

Dès 1998, une commission d’enquête sur les "so genannten Psychogruppen" (sectes) proposait d’abolir ce privilège religieux. L’idée a été reprise en mai 2001 par le ministère fédéral de l’Intérieur, une telle disposition devant permettre de mettre un terme aux activités de groupes pseudoreligieux ou fondamentalistes qui portent atteinte à la paix civile et à l’intégrité des personnes.

Le porte-parole de l’Eglise évangélique d’Allemagne a souligné le 19 septembre dans une déclaration à la télévision du Land de Westphalie que son Eglise comprenait le souci du gouvernement, expliquant que le "privilège religieux" n’était plus adapté et qu’il fallait que l’Etat soit en mesure de réprimer les abus commis sous couvert de la loi régissant les associations. Déclaration qui rejoint, sur le fond, les prises de position de l’Eglise catholique exprimée dès 1986 : "Parfois, nous pourrions avoir à reconnaître, et même à encourager, des mesures radicales de l’Etat agissant dans sa propre sphère." (Le phénomène des sectes, un défi pastoral, 1986, En direct du Vatican).