L’arrivée au pouvoir de Georges W. Bush marque un changement complet de politique aux États-Unis. Le nouveau président entend limiter l’action sociale de l’administration fédérale pour se concentrer sur les questions de défense et de politique internationale. Le désengagement de l’État s’accompagne d’un subventionnement des Églises, en rupture avec la traditionnelle non-ingérence de l’État américain dans la vie religieuse. L’Église catholique et diverses sectes extrémistes devraient en être les premiers bénéficiaires.

UN MANDAT SOUS LE SIGNE DE LA FOI

C’est au cri de " Bénie soit la nation dont Dieu est le Seigneur ! " que Georges W. Bush a fait son entrée à la Maison-Blanche, le 21 janvier 2001. Son premier acte officiel aura été de proclamer par décret une journée nationale de prière et d’action de grâces pour placer son mandat sous le signe de la foi (http://www.whitehouse.gov/news/releases/20010123-2.html). Une attitude qui ne choque qu’une minorité d’Étatsuniens dans un pays où les discours électoraux se prononcent dans les lieux de culte, où le billet vert porte en exergue " In God We Trust " (En Dieu nous croyons), où les séances parlementaires débutent par une prière, et où le président conclut traditionnellement ses allocutions par un vibrant " Dieu bénisse l’Amérique ! ".

Tout au long de sa campagne électorale, Georges W. Bush s’est efforcé de convaincre et de rassembler toutes les communautés religieuses, s’adressant d’abord aux plus nombreuses, puis se tournant vers les plus sectaires, jusqu’à inclure de dangereuses Églises fondamentalistes. Face à son adversaire, Al Gore, il s’est présenté comme le champion des valeurs puritaines des " Pères fondateurs ", les mythiques voyageurs du Mayflower qui, fuyant les persécutions de la Couronne britannique, s’établirent en Amérique comme dans une nouvelle " Terre promise ". Renonçant à livrer un combat sur le terrain de la laïcité, Al Gore avait en définitive choisi un colistier dévot, mais de confession juive pour marquer sa contestation de la suprématie WASP (White Anglo-Saxon and Puritan - Blanc, anglo-saxon et puritain). Ce recul s’ajoutait à celui de Bill Clinton face au procureur indépendant, Kenneth Star, demandant pardon au Peuple américain pour ses liaisons extraconjugales au lieu de défendre la liberté individuelle.
Il s’en était suivi un glissement marqué de la campagne vers les questions religieuses en général, et l’avortement en particulier. 49 % des Américains auraient déterminé leur vote prioritairement en fonction de cet enjeu. Parmi ceux-ci, une majorité aurait voté contre la liberté de l’IVG.

L’IVG A NOUVEAU EN QUESTION

0n ne s’étonnera donc pas que, le 23 janvier, le second décret de Georges W. Bush ait été de supprimer les subventions fédérales aux organismes étrangers favorables à l’avortement (http://www.whitehouse.gov/news/releases/20010123-5.html). Cette décision est hautement symbolique. En 1985, les Républicains l’avaient adoptée, allant même jusqu’à supprimer leur participation au Fonds des Nations Unies pour la Population. Mais, en 1993, Bill Clinton l’avait abrogée, ouvrant un bras de fer avec la hiérarchie catholique. C’est pour lui répondre que le Saint-Siège finança des actions terroristes sur le territoire américain : attentats à la bombe et incendies de cliniques, meurtres de praticiens (cf. Terrorisme en soutane, Réseau Voltaire, éd. L’Esprit frappeur, octobre 2000 http://www.reseauvoltaire.net/actu/livres.htm). La logique de cette mesure est surprenante : l’avortement, qui est une liberté des femmes étatsuniennes, ne doit pas l’être pour les autres.
Elle ouvre évidemment la voie à une remise en cause de la législation interne de l’IVG.

LA PRIVATISATION DU SYSTEME SOCIAL ET DE SANTE

Une semaine après son investiture, le 29 janvier 2001, le président Georges W. Bush a révélé son programme social : " Relayer les armées de la compassion " (http://www.whitehouse.gov/news/reports/faithbased.pdf). Prenant acte de l’échec de la réforme du système social et de santé entrepris par les époux Clinton, le nouveau président annonce le démantèlement de l’État-providence. Les fonctionnaires n’ont pas vocation à jouer les Bons Samaritains et les administrations sociales et de santé coûtent beaucoup trop cher pour les maigres résultats qu’elles obtiennent. Seules les organisations caritatives, animées par la foi en Dieu, sont efficaces. Aussi, convient-il de fermer les établissements fédéraux et de transférer les crédits disponibles vers le secteur privé, sous forme de subventions aux organisations religieuses.

Pour mener à bien ce projet, le président a institué un Bureau des initiatives religieuses et communautaires (Office of Faith-Based and Community Initiatives) (http://www.whitehouse.gov/news/releases/20010129-2.html
http://www.whitehouse.gov/news/releases/20010129-3.html
http://www.whitehouse.gov/news/releases/20010129-5.html). Son intitulé vise à souligner que les organisations caritatives peuvent postuler à des subventions qu’elles émanent d’associations de croyants ou des 353 000 congrégations reconnues. Le Bureau dépendra directement de la Maison-Blanche et disposera de personnels détachés dans cinq ministères (Justice, Santé et Services sociaux, Travail, Éducation, Logement et Urbanisme). En outre, le président a demandé au Congrès de voter la constitution d’un " Fonds de la compassion ", qui financera des aides à la création d’associations caritatives et des conseillers pour la préparation des dossiers de demande de subventions. Répondant à cette initiative, des représentants et des sénateurs ont constitué une commission bipartisane du Congrès pour préparer toutes les mesures législatives nécessaires à ce programme.

DES REACTIONS MITIGEES

Le président Georges W. Bush a présenté son ambitieux programme lors d’une conférence de presse qu’il a donné à la Maison-Blanche en compagnie de leaders religieux médiatiques (http://www.whitehouse.gov/news/releases/20010130-3.html ; http://www.whitehouse.gov/news/releases/20010130-5.html). Si cette initiative a été massivement saluée par le personnel politique, elle a soulevé de vives réactions d’une partie des intellectuels de gauche comme de droite. Elle a aussi été critiquée, de manière imprévue, par certaines Églises.

À gauche, on conteste moins la liquidation d’un service public délabré que le prévisible prosélytisme du nouveau système. John Ashcroft, lorsqu’il était sénateur, avait fait adopter un amendement autorisant l’administration fédérale à subventionner des associations caritatives religieuses même lorsque leur action caritative était indissociable de leur activité religieuse (Welfare Reform Act, 1996). Aux malades et aux démunis, les soins et les secours sont offerts avec les prières et les sermons. Georges W. Bush, lorsqu’il était gouverneur du Texas, a ainsi sous-traité des établissements pénitentiaires à une Église qui propose un programme de réhabilitation des délinquants par la prière obligatoire et le Gospel. Le danger n’est donc pas seulement la privatisation du système social et de santé par certaines Églises qui se tourneraient en priorité vers leurs fidèles, mais aussi le financement de groupes sectaires et extrémistes.

À droite, les libertariens sont divisés. Le Cato Institute s’inquiète de la transformation des associations caritatives en bureaucraties, qui leur ferait perdre leur efficacité. Il dénonce une " corruption de la charité " (http://www.cato.org/pubs/briefs/bp62.pdf). Au contraire, l’Acton Institute (proche du Saint-Siège) se félicite de cette coopération. Son président, le père Robert Sirico, s’est précipité à la Maison-Blanche, où il a désormais ses entrées puisque l’un des animateurs de ce think tank, Marvin Olavsky, est devenu conseiller spécial du président pour les initiatives religieuses (http://www.acton.org/news/TMP-1108592048.htm)

Enfin du côté des religieux, on s’inquiète de la partialité de l’administration fédérale qui pourrait favoriser une Église plutôt qu’une autre et mettre ainsi à mal l’un des fondements de la nation américaine : permettre à toutes les confessions de faire leurs preuves. En effet, le principe constitutionnel de séparation des Églises et de l’État a un sens bien particulier aux États-Unis. Il est énoncé dans une célèbre lettre de Thomas Jefferson, en 1802 (http://lcweb.loc.gov/exhibits/religion/f0605as.jpg), mais pas dans la Constitution, qui se contente d’interdire au Congrès de légiférer sur les questions religieuses. La philosophie politique qui la sous-tend est que l’État doit garantir la libre concurrence entre les Églises pour que la grâce divine puisse se manifester.

Ainsi l’Interfaith Alliance Foundation (Fondation de l’Alliance œcuménique), qui rassemble de nombreuses Églises dont la puissante fédération baptiste, a-t-elle édité le fascicule " Garder la Foi. Les promesses de la coopération [avec l’État], les périls des subventions gouvernementales " (http://www.interfaithalliance.org/Initiatives/ktf.pdf). Elle dénonce une violation de la Constitution. Elle s’inquiète d’une déviation de la compétition entre les confessions, dont le but ne sera plus de manifester la grâce, mais de courir aux subventions. Elle craint une implication grandissante des religions dans la sphère politique, une perte de leur capacité à critiquer le gouvernement, et une dépendance aux orientations politiques fédérales. Elle refuse de transformer les ministres du culte en fonctionnaires soumis à des obligations d’information de l’administration sur leurs fidèles. Surtout, elle s’oppose à un droit de regard de l’administration dans leurs activités subventionnées et à l’assujettissement de leurs organisations aux règles de non-discrimination à l’embauche.

DES LIENS PRIVILEGIES AVEC L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Plus l’initiative du président Georges W. Bush est controversée, plus elle apparaît comme liée à certaines Églises en particulier. En premier lieu l’Église catholique romaine du pape Jean-Paul II, puis l’Église de l’Unification du révérend Sun Muyng Moon (cf. ci-après RV 01/0064).

Sitôt l’ancien gouverneur du Texas entré à la Maison-Blanche, le pape Jean-Paul II élevait le prélat de l’Opus Dei au Texas, le père José Gomez, au rang d’évêque et le nommait coadjuteur du très réactionnaire évêque de Denver, le moine capucin Mgr Charles J. Chaput. Le 29 janvier, après avoir annoncé son programme social, Georges W. Bush se rendait à la résidence du Mgr McCarrick, nouvellement créé cardinal, pour un dîner privé avec des dignitaires catholiques, des représentants de l’Opus Dei et un émissaire du pape. Le surlendemain, il recevait les délégués de la Conférence épiscopale des États-Unis à la Maison-Blanche (http://www.archden.org/archbishop/docs/faith_based.htm).

La lune de miel continuant, le 22 mars 2001, le président Georges W. Bush est allé inaugurer le Centre culturel Jean-Paul II de Washington (cf. RV 01/0066) (http://www.whitehouse.gov/news/releases/2001/03/20010322-14.html), puis il a reçu les cardinaux et évêques responsables du Centre, ainsi que les donateurs, nobles et chevaliers pontificaux, à la Maison-Blanche (http://www.whitehouse.gov/news/releases/2001/03/20010322.html).

Le président Georges W. Bush a nommé John DiIulio chef du Bureau des initiatives religieuses et communautaires. Le nouveau " tsar de la charité " a été l’élève de James Q. Wilson à Harvard, qui fut son directeur de thèse en doctorat de philosophie. Puis, il a enseigné à Princeton. Spécialiste en criminologie, il s’est illustré en dénonçant les petits délinquants de banlieue, qu’il qualifia de " super-prédateurs ". En 1996, avec Bill Bennet (le tsar du Bureau anti-drogue de la Maison-Blanche sous le mandat de Bush père) et John P. Walters (directeur du Council on Crime in America), il écrivit un ouvrage ultra-sécuritaire, Body Count. Mais peu après sa vie bascula, catholique pratiquant, il reçut le baptême de l’Esprit au sein du Renouveau charismatique. Il fonda alors l’association Partnership for Research on Religion and At-Risk Youth destinée à apporter une aide spirituelle aux jeunes délinquants.

John DiIulio est aussi un théoricien de la doctrine sociale de l’Église et particulièrement de la subsidiarité (comme Chantal Millon-Delsol en France). Hésitant entre les Républicains et les Démocrates, il a à la fois aidé à la rédaction de discours sur la compassion d’Al Gore et de Georges W. Bush pendant la campagne présidentielle.

L’influence de John DiIulio sur Georges W. Bush est telle qu’en juin dernier Franklin Foer, l’éditorialiste de New Republic, titrait : " Georges W. Bush est-il involontairement papiste ? ".