Présidence de M. Paul Quilès, Président

Ouvrant la séance, le Président Paul Quilès a rappelé que l’audition de MM. Edouard Balladur, ancien Premier Ministre, Alain Juppé, François Léotard et Michel Roussin, anciens Ministres, s’inscrivait naturellement dans le cadre des investigations de la mission dont l’objet est de faire la lumière sur l’enchaînement des événements qui ont conduit aux massacres perpétrés au Rwanda. Il a indiqué que la liste des personnes à entendre n’était pas définitivement arrêtée et que la mission entendrait toutes les personnes et tous les responsables civils, diplomatiques et militaires susceptibles d’éclairer sa réflexion, soit de l’ordre d’une soixantaine d’auditions. Il a précisé que la mission analyserait l’ensemble des documents officiels français concernant la crise rwandaise, certains devant être déclassifiés, ce qui nécessitera plusieurs mois de travail. Il a souligné qu’il était prématuré de vouloir d’ores et déjà tirer des conclusions des premiers travaux de la mission. Il a par ailleurs rappelé que les travaux de la mission se situaient dans le cadre constitutionnel du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale.

M. Edouard Balladur a déclaré que c’était bien volontiers qu’il répondrait aux questions de la mission. L’action au Rwanda du Gouvernement qu’il dirigeait ayant eu plusieurs aspects, il a souhaité que MM. Alain Juppé, François Léotard et Michel Roussin puissent l’accompagner, pour compléter et préciser son intervention.

Il a souligné que les informations qu’il apporterait ne concerneraient que l’action et les décisions prises à partir du mois d’avril 1993, mais, la politique de la France au Rwanda ne commençant pas le 29 mars 1993, il lui a semblé que la mission, pour être tout à fait éclairée, devrait se pencher sur les raisons et les motivations qui ont servi de fondement au resserrement des liens entre la France et le Rwanda dans les années quatre-vingts.

M. Edouard Balladur a souhaité avoir accès aux documents officiels qui portent la trace de l’ensemble des décisions concernant la période où il dirigeait le Gouvernement et pouvoir disposer de l’ensemble des comptes rendus des auditions de la mission, y compris celles tenues à huis clos. A ce propos, il s’est demandé selon quels critères il avait été décidé de procéder à des auditions à huis clos. Il a déclaré qu’un maximum de transparence lui paraissait nécessaire, et que ce sentiment était aussi celui de nombreux officiers français susceptibles d’être appelés à témoigner devant la mission. Enfin, il a précisé qu’il répondrait ultérieurement aux questions qui exigeraient de procéder à des vérifications documentaires.

S’il lui a semblé plus qu’indispensable que la mission puisse faire la lumière sur le déroulement des événements, il lui a paru tout aussi essentiel qu’elle puisse mettre en lumière les raisons pour lesquelles une campagne politico-médiatique, relayée par les canaux les plus divers, a été déclenchée, violente, partisane, souvent même haineuse contre le seul pays de la communauté internationale à avoir tenté une action, avant comme après les accords d’Arusha, avant comme après l’assassinat du Président rwandais, qui, on le sait, a été à l’origine des massacres que la France, la première par la voix de M. Alain Juppé, alors Ministre des Affaires étrangères, a qualifiés de génocide. Face à cette campagne qui suscite l’indignation de tous ceux qui ont le souci du renom de la France, il s’est demandé quels étaient les intérêts politiques, stratégiques, économiques, idéologiques de ceux qui l’ont animée et a souhaité que la mission puisse aussi s’intéresser à cette question.

Il a ensuite exposé la situation du Rwanda en 1993 et la position de la France à cet égard. Sur le terrain politique, le pays était, à cette époque et depuis de longues années, l’objet d’affrontements violents entre ses deux communautés, hutue et tutsie. A plusieurs reprises au cours du dernier siècle, les deux communautés s’étaient violemment opposées, ce qui avait donné lieu à des massacres répétés. La minorité tutsie s’appuyant sur l’aide matérielle et humaine apportée par l’Ouganda avait lancé, à partir de la frontière nord du Rwanda, des opérations de reconquête et le début des années 1990 a été marqué par l’alternance d’opérations militaires et de phases de négociations. De juillet 1992 à août 1993, une série d’accords est intervenue sous le nom d’accords d’Arusha I, II, III et IV. En mars 1993, le Rwanda comptait déjà un million de personnes déplacées, fuyant l’avance des troupes du FPR. Il a fait remarquer que face à cette situation, les réactions de la communauté internationale avaient été timides et de peu de portée. Ainsi, la mission d’observation des Nations Unies à la frontière Ouganda-Rwanda, créée en juin 1993 par la Résolution 846 du Conseil de Sécurité de l’ONU n’avait eu qu’une action limitée du fait de l’obstruction des autorités ougandaises. La MINUAR créée en octobre 1993 en grande partie grâce aux pressions exercées par la France -M. le Ministre Alain Juppé pourra le confirmer- sur les Etats-Unis et sur l’ONU, et qui avait pour mission de surveiller une zone théoriquement démilitarisée ne fut guère plus efficace.

Après la signature des accords d’Arusha IV durant l’été de 1993, la France décida de réduire sa présence militaire qui passa d’un peu plus de 300 hommes en mars 1993 à quelques dizaines au 1er janvier 1994 (24 selon ses sources), qui constituaient un détachement d’assistance militaire technique. En ce qui concerne les livraisons d’armes, M. Edouard Balladur a indiqué que le Gouvernement ne procéda, entre mars 1993 et la décision d’embargo d’avril 1994, qu’à des livraisons extrêmement limitées -dont la liste, telle qu’elle lui a été communiquée, est à la disposition de la mission- effectuées en vertu d’autorisations délivrées par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) avant 1993. Il s’agissait, entre autres, de 7 pistolets ou revolvers, de 160 parachutes et de pièces de rechange pour véhicules militaires ainsi que de 1 000 projectiles pour mortiers de 60 mm, conformément à une décision d’autorisation interministérielle datant de 1991. En avril 1994, il a précisé que la décision de ne plus livrer d’armes, sous aucune forme, fut prise par son Gouvernement avant l’embargo décidé par les Nations Unies.

L’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie aux Présidents du Rwanda et du Burundi déclencha de nouveaux troubles qui dégénérèrent rapidement en massacres. La communauté internationale ne réagit pas, ou peu. La France décida de rapatrier d’urgence ses ressortissants et se retrouva seule, face à un choix s’exprimant dans les termes suivants :

 une intervention sous forme d’interposition ; cette solution, présentée par ceux qui en étaient les tenants, comme une manière de stopper l’avance des troupes du FPR, aurait impliqué une action de guerre menée par des troupes françaises sur un sol étranger. M. Edouard Balladur a précisé qu’il s’y était opposé, considérant que la France ne devait pas s’immiscer dans ce qui apparaîtrait rapidement comme une opération de type colonial ;

 une intervention strictement humanitaire et exclusivement destinée à sauver des vies humaines quelle que soit l’origine ethnique des personnes menacées, solution qu’il avait lui-même proposée, contrairement à ce qui est parfois affirmé sans preuve. C’est ce choix qui a été décidé, en accord avec le Président de la République comme en témoigne la lettre qu’il lui a adressée, et qu’il tient à la disposition de la mission.

Cependant, dans la communauté internationale, une intervention humanitaire suscitait une réticence générale et se heurtait à la passivité des Nations Unies. Il a rappelé qu’afin d’enlever tout prétexte à l’inaction et à l’indifférence, il avait subordonné l’opération Turquoise à certaines conditions : celle-ci devait être autorisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies ; la France ne devait pas s’engager seule ; l’objectif de l’opération serait strictement humanitaire ; l’opération serait limitée à une durée de deux mois.

La France reçut finalement le 22 juin l’autorisation qu’elle sollicitait du Conseil de Sécurité à l’unanimité, mais, malgré de très nombreuses démarches françaises, aucun pays développé ne s’associa à l’opération Turquoise (les Etats-Unis restaient traumatisés par l’échec de leur opération en Somalie, la Belgique n’oubliait pas l’assassinat de ses Casques bleus, l’Allemagne ne pouvait intervenir pour des raisons constitutionnelles, l’Angleterre considérait qu’il ne s’agissait pas de sa zone d’influence historique et le fit savoir par la voix de son Ministre des Affaires étrangères, l’Italie acceptait le principe d’un soutien qu’en pratique elle ne mit pas en oeuvre). Quelques contingents africains -sénégalais, tchadiens, nigériens, bassoguinéens, mauritaniens, congolais- participèrent donc, seuls, aux côtés de la France, à cette opération.

Les difficultés de l’opération et de sa mise en oeuvre étaient connues dès l’origine. Malgré l’hostilité de certains, la passivité de beaucoup, la France estimait cependant qu’il était de son devoir d’essayer de sauver des vies. M. Edouard Balladur a précisé qu’il s’était rendu devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, en compagnie de M. Alain Juppé, pour s’en expliquer et dissiper tous les malentendus plus ou moins complaisamment entretenus. A la fin de juillet, lors d’un déplacement au Rwanda, dans la zone démilitarisée, qu’il avait effectué en compagnie de MM. François Léotard et Michel Roussin, il a pu constater la façon admirable dont les soldats français accomplissaient leur mission humanitaire et a rappelé que l’opération fut bien menée conformément aux principes définis : les soldats français désarmèrent et neutralisèrent les milices hutues et les FAR qui se trouvaient dans la zone démilitarisée.

Le bien-fondé de l’intervention française éclata rapidement au grand jour : des voix s’élevèrent partout pour demander à la France de rester, et très vite des critiques inverses des précédentes lui furent adressées : l’opération Turquoise avait été décidée trop tard, elle était d’une ampleur insuffisante.

Estimant que les faits sont parfaitement clairs, il a affirmé que la France n’avait pas participé à des opérations militaires aux côtés des forces armées rwandaises en 1993 et 1994, comme en témoignent la diminution de ses effectifs militaires réduits à quelques dizaines d’hommes et l’arrêt de toute autorisation d’exportation des armes (selon ses informations) et que grâce à elle, seule à être intervenue pour limiter l’horreur, plusieurs dizaines de milliers de vies humaines ont été sauvées. Le Gouvernement français a estimé que le rôle de la France n’était pas de monter une expédition coloniale, mais au contraire d’essayer de mettre en oeuvre une opération humanitaire. Les autres pays n’ont rien fait.

M. Edouard Balladur a souhaité redire sa surprise et sa réprobation devant le comportement de tous ceux qui, impuissants à rétablir la paix, incapables de sauver la vie des Européens de Kigali, impuissants encore à mettre fin aux massacres ou à porter secours aux populations martyrisées, mettent aujourd’hui en accusation le seul pays au monde qui a agi, avec les moyens qu’il avait, et en surmontant les réticences de la communauté internationale.

Il a estimé que la mission parlementaire d’information, bien plus qu’utile, était indispensable car il n’y a pas d’un côté les bons, de l’autre les mauvais, d’un côté les bourreaux, de l’autre les victimes. Ce qui s’est passé avant, pendant, après ce génocide, jusqu’à aujourd’hui, montre que la situation est autrement complexe. La clarté doit être faite. Ce n’est donc pas la loi du silence qu’il faut respecter mais celle de la vérité et chacun a le devoir de s’exprimer librement, complètement et impartialement devant la mission.

L’ensemble des responsables du Gouvernement qui ont eu à décider dans cette dramatique situation sont là pour répondre aux questions, pour aider à comprendre le rôle de la France, mais aussi pour permettre de défendre le renom de notre pays et celui de son armée.

M. Edouard Balladur a alors souhaité obtenir communication : des dossiers du SGDN permettant de préciser les dates, la nature et les quantités des livraisons d’armes pour la période 1993-1995, et pour la période antérieure ; des dates des autorisations d’exportation délivrées par la CIEEMG de 1990 à 1995, n’ayant personnellement pas pu, malgré sa demande, disposer à ce jour des informations nécessaires, enfin, des comptes rendus des auditions des personnalités entendues à huis clos. Il a suggéré que la mission s’attache également à l’étude des responsabilités des autres pays, quels qu’ils soient, qui ont pu favoriser, soutenir, ou aider l’action des organisations qui se combattaient au Rwanda (les services français devant être en mesure d’apporter les éclairages nécessaires), et qu’elle recherche aussi l’origine et les formes prises par la campagne dirigée contre la France.

Il a précisé qu’il était prêt à revenir devant la mission si celle-ci le jugeait utile et a souhaité pouvoir être entendu à nouveau, à sa demande, s’il l’estimait nécessaire.

M. Edouard Balladur a enfin fait part de ses réactions personnelles en sa qualité de citoyen : ayant exercé la fonction de Premier Ministre, parfois dans des conditions difficiles, avec tout le scrupule et toute la conscience morale dont il était capable, il a eu à prendre des décisions graves, celle d’entreprendre l’opération Turquoise en a été une. Il s’agissait pour la France de donner l’exemple. Elle l’a donné. Qui d’autre, à sa place, ou qui avec elle a consacré autant de temps, autant d’argent -puisqu’il faut bien en parler- a envoyé autant d’hommes pour empêcher, du moins pour limiter ces massacres abominables ?

Il a conclu en soulignant qu’il trouvait révoltant que l’action de la France puisse servir aujourd’hui d’aliment ou de prétexte à une campagne dirigée contre elle et a ajouté que ce sentiment était partagé non seulement par nos soldats, mais aussi par l’ensemble des Français qui ont toutes les raisons, en la circonstance, d’être fiers de leur pays et de l’action humanitaire qu’il est le seul à avoir menée.

Après avoir rappelé que la mission d’information procéderait à l’audition de toutes les personnalités concernées par les événements avant et après 1994, le Président Paul Quilès a indiqué que le critère de publicité des auditions répondait au souhait du Gouvernement que les fonctionnaires civils et militaires soient en principe entendus à huis clos. Il a confirmé à M. Edouard Balladur qu’il serait entendu à nouveau par la mission s’il le souhaitait. Il lui a également indiqué que M. Bernard Cazeneuve, rapporteur, était déjà intervenu auprès du Gouvernement pour obtenir des informations du SGDN et que M. Pierre Brana, rapporteur, ferait des propositions d’auditions sur le thème de la responsabilité d’autres pays, notamment sous l’angle de leur participation militaire.

M. Alain Juppé s’est ensuite exprimé en tant qu’ancien chef de la diplomatie française et a tout d’abord distingué trois phases : de fin mars 1993 au 6 avril 1994, date de l’attentat contre l’avion présidentiel, la recherche patiente et résolue du partage du pouvoir entre les différentes forces qui se déchiraient au Rwanda, puis, du 6 avril jusqu’à la mi-juin 1994, les efforts incessants et multiples de la France pour convaincre la communauté internationale d’intervenir au Rwanda, enfin l’opération Turquoise, du 22 juin 1994, date de la résolution n° 929 du Conseil de sécurité des Nations Unies, au 21 août 1994, date du retrait de nos troupes.

Il a déclaré qu’il était inexact d’affirmer que la France avait soutenu de manière inconditionnelle le régime du Président Juvénal Habyarimana car la position constante du Gouvernement français visait au contraire à favoriser la réconciliation et le partage du pouvoir entre les deux ethnies hutues et tutsies, considérant qu’il s’agissait là de la seule solution viable à long terme. C’est dans cet esprit que le Président Juvénal Habyarimana a été encouragé à négocier, tant avec le FPR qu’avec l’opposition hutue modérée, et à transformer les institutions rwandaises pour faire une place à chacune des forces en présence. Ces négociations, commencées avant le Gouvernement de M. Edouard Balladur et poursuivies par lui, ont abouti à la conclusion des accords d’Arusha I en 1992 et d’Arusha II en août 1993. Dès mars 1993, le nouveau Gouvernement français a déployé tous ses efforts pour obtenir un certain nombre de décisions : tout d’abord le renforcement du groupe d’observateurs militaires envoyés par l’OUA au lendemain du premier cessez-le-feu de juillet 1992, entré en vigueur le 1er août 1992 -il faut souligner qu’à cette époque beaucoup de pays fondaient des espoirs sur l’OUA et non pas sur les Nations Unies, or l’efficacité de l’organisation africaine n’a guère été convaincante- en second lieu, sur la base d’un rapport du Secrétaire général de l’ONU, la mise en place d’une force d’observateurs à la frontière entre le Rwanda et l’Ouganda, la MONUOR, qui arrivera en octobre 1993, et en dernier lieu la poursuite des négociations d’Arusha. Il a souligné que l’action de la France, jointe à celle d’autres acteurs, n’avait pas été inutile puisqu’un accord, ou plus exactement une série d’accords ont été signés à Arusha le 4 août 1993 pour être mis en oeuvre sur une période de transition de vingt-deux mois. M. Alain Juppé a signalé que le Président du FPR avait alors officiellement adressé ses remerciements à la France pour la contribution qu’elle avait apportée à la conclusion de ces accords.

Ceux-ci prévoyaient, notamment à partir du 15 décembre 1993, la mise en place d’un gouvernement de transition à base élargie avec, comme Premier Ministre M. Faustin Twagiramungu, la mise en place d’une assemblée nationale de transition dont les membres désignés s’installeront le 18 mars 1994, enfin, le déploiement d’une mission des Nations Unies, la MINUAR, comprenant, au 1er mars 1994, 2 300 hommes dont 935 Bengladais, 424 Belges et 400 Ghanéens et pas un seul Français. Ces accords prévoyaient également le retrait des deux compagnies de parachutistes français envoyées en octobre 1990 dans le cadre de l’opération Noroît pour protéger les 600 ressortissants français. Ce dispositif avait été renforcé de février à mars 1993 par deux compagnies supplémentaires. Ce retrait sera effectif le 15 décembre 1993 et seuls resteront sur le sol rwandais 24 coopérants militaires dans le cadre d’un détachement d’assistance technique.

M. Alain Juppé a alors souligné les conséquences catastrophiques de la mort, le 6 avril 1994, des Présidents rwandais et burundais lors de l’explosion sous le feu d’un missile sol-air de leur avion qui atterrissait à Kigali en provenance de Dar Es-SalaM. Cet assassinat a provoqué le départ des responsables hutus modérés au moment où l’ancien Chef de l’Etat rwandais avait fini par accepter une forme de partage du pouvoir et avait livré le pays aux extrémismes. Il s’est interrogé sur les responsables de cet assassinat et a évoqué les pistes des extrémistes hutus opposés aux accords d’Arusha, du FPR et de l’Ouganda. Il a rappelé que la France avait demandé à l’ONU de diligenter une enquête officielle. Confiée au Secrétaire général par le Conseil de Sécurité, elle n’a jamais abouti à aucune conclusion. Constatant la ruine de tous ses efforts diplomatiques, la première réaction de la France a été d’évacuer 456 ressortissants français et 1 277 étrangers, essentiellement belges, et de prendre le contrôle de l’aéroport de Kigali. Alors que la France procédait à cette opération avec un support logistique d’autres pays à l’extérieur du Rwanda, le Conseil de Sécurité décidait à l’unanimité le 21 avril de ramener les effectifs de la MINUAR de 2 548 à 270 hommes. Ce fut là la seule réaction rapide des Nations Unies. La Belgique traumatisée par l’assassinat de onze de ses Casques bleus plaidait pour un retrait immédiat et total et il a fallu toute l’action diplomatique de la France pour que le désengagement soit plus progressif et provisoire.

M. Alain Juppé a également souligné que, dans le même temps, la France avait solennellement dénoncé le génocide qui était perpétré au Rwanda.

Il a donné lecture de la déclaration qu’il avait communiquée à la presse, le 15 mai 1994, à l’issue de la réunion à Bruxelles du Conseil des Ministres de l’Union européenne et de la réponse qu’il avait faite le 18 mai 1994 à l’Assemblée nationale au cours de la séance des questions d’actualité. Ces deux interventions utilisent expressément le terme de génocide.

La France, à ce moment, tout en intensifiant son aide humanitaire en direction des ONG basées à la frontière du Rwanda sous la forme notamment de ponts aériens, s’est engagée à fond pour que les Nations Unies organisent une opération massive d’imposition de la paix. C’est devant la carence de la communauté internationale et les obstacles mis par certaines grandes puissances aux initiatives du Secrétaire général des Nations Unies qui demandait, à cette époque, devant le génocide en cours, l’envoi de 5 000 Casques bleus, qu’est née l’idée d’une intervention humanitaire d’initiative française. M. Alain Juppé a, à ce propos, donné lecture d’un extrait de l’entretien qu’il a alors accordé à Libération pour expliquer l’initiative française (entretien paru le 16 juin 1994). Il a reconnu que l’appel de la France accompagné d’une intense activité diplomatique à New York, dans les grandes capitales et dans les pays de la région était resté sans réponse malgré le soutien actif du Secrétaire général des Nations Unies. Il a déclaré que l’opération Turquoise représentait un sursaut de la France devant la passivité de la communauté internationale et la stratégie d’attentisme de certaines grandes puissances. Il a précisé que dès le départ le Gouvernement avait fixé les conditions et les limites de cette intervention : elle devait être autorisée par le Conseil de Sécurité, la France ne s’engageait pas seule, l’objectif était strictement humanitaire et il n’était pas question d’interférer dans le processus politico-militaire en cours, au moment où les troupes du FPR déjà présentes au Rwanda à la suite des accords d’Arusha II recevaient des renforts de l’Ouganda et du Burundi. Enfin, l’opération était limitée à deux mois afin d’éviter une présence durable de troupes françaises puisque l’objectif de la communauté internationale était le retour à l’application des accords d’Arusha qui avaient prévu leur retrait. M. Alain Juppé a précisé qu’il avait le 22 juin 1994 informé les autorités du FPR, dont certaines étaient très réticentes, sur les conditions dans lesquelles la France envisageait cette intervention en recevant à Paris une délégation conduite par le Ministre Bihozagara.

Ainsi définie, l’opération Turquoise a reçu l’approbation du Conseil de Sécurité avec l’adoption en quarante-huit heures, par dix voix contre cinq abstentions, de la résolution n° 929, grâce au soutien actif du Secrétaire général des Nations Unies et a suscité l’admiration du Secrétaire d’Etat américain, M. Warren Christopher, qui l’en avait personnellement entretenu.

M. Alain Juppé a alors regretté qu’aucun pays développé ne se soit associé à l’opération Turquoise : les Etats-Unis restaient hantés par le fiasco de l’intervention en Somalie, la Belgique était paralysée par l’assassinat de ses Casques bleus et son statut d’ancienne puissance coloniale, l’Allemagne était empêchée d’agir par ses dispositions constitutionnelles, l’Angleterre considérait qu’il ne s’agissait pas de sa zone d’influence et l’Italie, qui avait promis un soutien logistique, sera incapable de le fournir. Quant à l’UEO, son soutien restera moral. Seuls, des contingents africains du Sénégal, de la Mauritanie, du Niger, de l’Egypte, du Tchad, de la Guinée Bissau et du Congo, participeront dès la mi-juin 1994 à l’opération Turquoise et demeureront, pour plusieurs d’entre eux, au Rwanda après son achèvement, dans le cadre de la MINUAR II.

D’emblée, l’intervention a été un succès, les massacres ont diminué et des centaines de milliers de vies ont été sauvées. Les soldats français ont protégé des dizaines de sites de regroupement de civils Tutsis et permis aux ONG d’accéder en toute sécurité à ces populations. Pendant ce temps, l’avancée du FPR et les combats avec les FAR ont entraîné un mouvement massif d’environ un million de réfugiés vers la frontière du Zaïre. Nous avons alors été conduits à créer une zone humanitaire sûre dans le sud-ouest du Rwanda, à l’intérieur de laquelle l’utilisation des armes fut proscrite. Cette création s’est faite avec l’aval du Conseil de Sécurité et le FPR, informé, n’y a pas fait obstacle. La situation dans cette zone a fait l’objet de rapports au Conseil de Sécurité. Pour autant, compte tenu des effectifs affectés à l’opération Turquoise, il n’a pas été possible d’y procéder à l’arrestation de probables criminels de guerre, le Conseil de Sécurité de surcroît n’ayant jamais accordé un tel mandat. Par contre, la France s’est déclarée favorable à la mise en place et à la création par l’ONU d’une juridiction pénale internationale chargée de juger les responsables du génocide. L’opération Turquoise a dû également assumer une mission humanitaire et sanitaire d’une ampleur imprévue résultant de l’épidémie de choléra survenue dans la zone de Goma où s’étaient réfugiés au Zaïre des milliers de Rwandais fuyant le FPR. A l’issue du délai de deux mois fixé pour son déroulement, l’opération Turquoise a cédé la place à la mission MINUAR II qui a repris l’essentiel de son mandat.

En conclusion, M. Alain Juppé a déclaré qu’en retrouvant les déclarations à la presse, les interventions diplomatiques, les réponses aux questions d’actualité, les auditions devant les commissions parlementaires il ressentait une légitime fierté pour la façon dont la France avait su montrer l’exemple : ses soldats ont appliqué leurs instructions avec efficacité et humanité, sa diplomatie a donné mauvaise conscience à une communauté internationale décidée à ne rien faire. Il a alors fait part de son incompréhension face à la remise en cause du bien fondé de l’action de la France et a souligné l’admiration et la reconnaissance qu’il éprouvait envers les soldats et les diplomates français qui nous ont permis de sauver l’honneur.

M. François Léotard a souhaité faire état de trois sentiments : sentiments de responsabilité, de fierté et enfin d’une certaine amertume. Il a d’abord déclaré que, sous réserve de faute personnelle de tel ou tel, il assumait la responsabilité de tous les ordres donnés aux militaires français. Il a précisé qu’il avait été amené à gérer au nom du Gouvernement, sous la responsabilité du Président de la République, du Premier Ministre, et du Ministre des Affaires étrangères, quatre missions d’assistance au Cambodge, en Somalie, au Rwanda et en Bosnie-Herzégovine. Précisant qu’il rendait compte au Premier Ministre chaque jour et au Président de la République chaque semaine, le lundi, il a réitéré qu’il assumait la responsabilité de l’action militaire du Gouvernement français, lequel avait agi à chaque fois sous mandat de l’ONU.

M. François Léotard a ensuite exprimé sa fierté pour l’opération menée. Il a rappelé que les soldats français étaient intervenus, s’agissant de l’opération Turquoise, le lendemain même du vote de la résolution n° 929 à 7 000 kilomètres du territoire français, avec courage, compétence et dans la dignité et qu’ils l’avaient fait à la demande même des organisations humanitaires qui considéraient qu’il leur était impossible de continuer à agir sans l’appui et l’assistance des forces militaires. Précisant que l’opération Turquoise pouvait se résumer à la formule : " un million de réfugiés protégés par un millier d’hommes ", il a affirmé avec force que les Français avaient été les seuls à ensevelir les cadavres -il a d’ailleurs fallu prévoir pour les soldats chargés de cette tâche un soutien psychologique- à lutter contre les épidémies, à installer un hôpital de campagne et aussi à penser à fournir de l’eau potable. Il a rappelé plusieurs chiffres : 94 000 consultations de réfugiés et de blessés, 10 000 jours d’hospitalisation, 24 000 vaccinations. Il a tenu à souligner que ce n’est qu’après la mise en place de l’opération française que d’autres pays, notamment les Etats-Unis, étaient arrivés et que leur action s’était bornée à la logistique. Il a rappelé que la qualité et la nécessité de notre action avaient été saluées par le Secrétaire général de l’ONU, M. Boutros Boutros Ghali, et du Haut-Commissaire aux Réfugiés, Mme Ozata, dont il a demandé les auditions, et qui ont publiquement exprimé à la France la reconnaissance de la communauté internationale.

Enfin, M. François Léotard, exprimant son amertume pour le fait qu’une action, aussi incontestable, menée sous la pression de l’horreur et d’un sentiment de compassion et qui honore la France ait pu être entourée d’un voile de suspicion, a estimé qu’il y avait là une situation des plus troublantes et des plus incompréhensibles. Rappelant que lorsqu’il s’était rendu à deux reprises au Rwanda les réfugiés l’avaient tous remercié, il a estimé que les termes employés, notamment dans la presse, " erreur d’analyse, complicité, hypocrisie, silence... ", étaient l’indice d’une campagne de dénigrement tout à fait scandaleuse dont il a demandé que les tenants et aboutissants soient dégagés et éclairés, afin de découvrir qui en sont les véritables bénéficiaires.

Rappelant qu’après avoir été député, puis Ministre, il était maintenant un homme tout à fait libre, M. Michel Roussin a indiqué qu’il exposerait ce que les services dont il avait la charge avaient fait sur le plan militaire et qu’en conséquence il évoquerait le rôle de la Mission militaire de Coopération.

Il a rappelé que la Mission militaire de Coopération était constituée d’un petit état-major de quarante personnes dirigé par un officier général et sur le terrain, en Afrique, de 600 militaires répartis dans plus de vingt-cinq pays, que dans ces pays les attachés militaires de coopération étaient présents dans les états-majors ou les écoles et qu’il s’agissait de techniciens exerçant des fonctions de formation et en aucun cas d’unités de combat.

Revendiquant son passé d’officier de carrière, il a fait observer qu’il était irréaliste de penser pouvoir faire la guerre avec 600 personnes réparties dans vingt-cinq pays. Adoptant une approche budgétaire, il a exposé que le budget de la Mission militaire de Coopération était inscrit au chapitre 41-42, qu’à l’époque il se montait à 800 millions de francs, que, sur cette somme, 490 millions de francs représentaient des soldes et des charges d’entretien du personnel, 90 millions de francs correspondaient au financement de stages d’officiers africains en France et au fonctionnement des deux écoles interafricaines de Bouaké en Côte-d’Ivoire et de Thies au Sénégal et que les 180 millions de francs restants, consacrés à de l’aide logistique, étaient répartis à raison de 4 à 10 millions de francs par pays.

Soulignant que l’ensemble de ces sommes était soumis à la procédure de contrôle des dépenses engagées, il a réaffirmé que l’ensemble de l’action de son ministère était transparent. Il a également précisé que les marchés d’armement devaient faire l’objet d’une autorisation de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) et que les cessions de munitions à titre gratuit étaient elles aussi sous contrôle et non sous la seule responsabilité du général commandant la Mission militaire de Coopération.

S’indignant qu’on ait pu dire qu’en tant qu’ancien Directeur de cabinet du Directeur de la DGSE, il était nécessairement un homme de réseau, voire un " ministre barbouze ", il a réaffirmé qu’il n’y avait rien à cacher au ministère de la Coopération. Précisant qu’il répondrait sur toutes les questions, y compris sur les deux cohabitations ou sur les méthodes de travail de son ministère, il a déploré qu’on tente de faire porter à ce ministère des responsabilités douteuses.

Remerciant les intervenants pour leurs exposés liminaires, le Président Paul Quilès a tout d’abord relevé l’importance des accords d’Arusha dont les observateurs estimaient à l’époque de leur conclusion qu’ils auraient pu réussir. Il a à ce propos demandé si la France avait su prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur mise en oeuvre et engager le Président Habyarimana à les appliquer de bonne foi, notamment après l’assassinat du Président du Burundi en octobre 1993. Il a également souhaité que soit précisée l’attitude de la France vis-à-vis de l’émergence d’un extrémisme hostile à toute association au pouvoir du FPR.

Evoquant la montée des tensions de la fin de l’année 1993 jusqu’en avril 1994, l’augmentation du nombre de massacres et la polarisation politique croissante entre le FPR et le régime Habyarimana, il a ensuite demandé à M. Alain Juppé quelles informations disposait le ministère des Affaires étrangères à ce moment sur la situation au Rwanda.

Abordant l’affaire très nébuleuse de l’attentat contre l’avion présidentiel et rappelant la détermination de la mission d’information d’éclaircir le fond de cette affaire et de faire le tri entre les diverses thèses proposées, elles-mêmes plus ou moins étayées, il a demandé comment on pouvait expliquer qu’aucune enquête n’ait été menée. Rappelant que M. Alain Juppé avait évoqué l’incapacité ou l’impuissance de l’ONU à ce sujet, il s’est étonné que le Gouvernement n’ait rien entrepris alors que des ressortissants français avaient été tués. Précisant que selon certaines sources, une mission française de trois militaires s’était rendue sur place pour retrouver les corps de l’équipage français, dans des conditions qui permettaient de l’assimiler à un commando, il a demandé si ce commando avait pu rassembler d’autres éléments, concernant par exemple l’autodirecteur du missile, permettant de confirmer l’une ou l’autre hypothèse.

Evoquant alors l’opération Amaryllis et les critiques qui avaient été portées sur le caractère restrictif de son mandat, il a demandé comment les personnels rwandais avaient pu avoir accès aux avions, si une attitude avait été définie à l’égard des Rwandais, notamment ceux d’entre eux qui travaillaient avec les institutions françaises et qui se sentaient menacés d’assassinat, et si la critique selon laquelle un tri avait été fait entre les Rwandais était exacte.

Enfin, rappelant qu’à deux questions différentes, M. Alain Juppé et M. Michel Roussin, alors qu’ils étaient en fonction, avaient tous deux répondu que c’était le ministère des Affaires étrangères qui était en charge de la politique africaine française, il a souhaité savoir quel avait été le rôle respectif du Ministre des Affaires étrangères et du Ministre de la Coopération dans la gestion de la crise rwandaise.

M. Edouard Balladur a répondu que l’action de la France de 1993 à 1994, jusqu’au déclenchement du génocide, avait poursuivi un double objectif ; il s’agissait d’abord d’un appel constant à la raison et à la conciliation, dont les accords dits d’Arusha IV portent témoignage, et d’un désir de voir la majorité hutue associer le FPR à l’exercice des responsabilités politiques. Il a rappelé que jusqu’à l’attentat on avait pu croire que cette politique réussirait. Il a souligné que, par ailleurs, cette action marquait un infléchissement de notre politique par rapport à la période antérieure, se traduisant par la baisse des effectifs militaires jusqu’à les réduire à un simple détachement d’assistance militaire technique et par l’arrêt complet des livraisons d’armes. Il a rappelé que les accords d’Arusha IV lui semblaient être un signe suffisant des efforts qu’avait faits la France pour convaincre le Président Habyarimana d’adopter une attitude conciliante après qu’elle eut entrepris de réduire ses forces et de mettre fin aux livraisons d’armes.

M. Alain Juppé a reconnu que de janvier à avril 1994 la situation au Rwanda était tendue et que des massacres avaient lieu ici ou là, et a tenu à rappeler que, malgré les accords passés en 1992, le Rwanda était, en fait, depuis plusieurs années dans un état de guerre que l’on pouvait considérer, soit comme une offensive venue d’un Etat voisin, l’Ouganda, soit comme une reconquête de leur territoire par une partie des Rwandais eux-mêmes. La politique constante de la France a été de contribuer à faire baisser la tension et faciliter l’application des accords d’Arusha. Les accords étaient complexes et les mauvaises volontés ne manquaient pas, tant du côté de certains responsables du FPR que des extrémistes hutus, qui espéraient détenir la totalité du pouvoir sans le partager.

M. Alain Juppé a précisé que le Président Habyarimana avait été reçu à Paris par le Président de la République, que lui-même l’avait vu à Paris le 11 octobre 1993, à la suite des accords d’Arusha, et qu’il avait profité de cette rencontre pour l’inciter à accepter ces accords alors qu’ils prévoyaient en particulier une limitation très forte de ses pouvoirs présidentiels. Puis, tout en retirant son dispositif sur le territoire rwandais à partir du 15 décembre 1993, la France s’était efforcée de convaincre les Nations Unies de mettre en place le plus rapidement possible la MINUAR I.

M. Alain Juppé a interprété l’attentat du 6 avril 1994 comme l’expression de la volonté de mettre un terme à l’application des accords d’Arusha et estimé qu’il avait été commis par ceux qui jugeaient, en le craignant, que ce processus était en train de réussir.

M. François Léotard a souligné qu’au moment de l’attentat, l’aéroport de Kigali était sous le contrôle des troupes belges. Le missile qui a atteint l’avion, un SAM-16, de fabrication soviétique, était en dotation dans l’armée ougandaise et au FPR, et non dans l’armée rwandaise qui n’avait pas de menace aérienne à redouter. Cet avion était en provenance de Dar Es-Salam et devait transporter, outre les Présidents Habyarimana et Ntaryamira, le Président Mobutu, qui s’est désisté au dernier moment.

M. François Léotard a indiqué qu’une unité du FPR contrôlait depuis décembre 1993 les abords de l’aéroport, en application des accords d’Arusha, et qu’elle avait contraint tous les avions qui y atterrissaient à emprunter un axe bien défini, qui lui permettait de les tenir dans la ligne de mire de ses armes.

L’avion présidentiel a décollé de Dar Es-Salam dans l’après-midi et son heure d’arrivée était prévisible.

M. François Léotard a fait remarquer que la présence dans l’avion du Chef d’état-major rwandais semblait exclure a priori l’implication de l’armée rwandaise dans l’attentat.

Il a fait état de saisies de communiqués et d’interceptions de conversations entre membres du FPR montrant une forte satisfaction à la suite de l’attentat -le mot " victoire " y figurait- et faisant allusion à la présence dans l’avion des " trois tyrans ", Mobutu étant supposé s’y trouver. Il a indiqué qu’aucun élément d’information n’avait pu être recueilli sur place du fait du bouclage immédiat des lieux, rendant impossible l’accès aux débris de l’avion.

M. François Léotard a souligné que l’opération Amaryllis, qui avait de nombreux précédents en Afrique, a consisté en une action classique d’évacuation, dans laquelle priorité était donnée aux ressortissants européens, selon une pratique constante, mais que des personnes de nationalité rwandaise ont été également concernées. Il a déclaré ne pas savoir si, sur place, une discrimination avait été instaurée entre les ethnies lors de l’évacuation.

M. Alain Juppé a précisé que les décisions d’évacuation avaient été prises sur place par l’Ambassadeur de France, M. Marlaud, et les responsables d’Amaryllis, au milieu d’une ville en proie aux massacres, avec des sites inaccessibles, le téléphone étant coupé. L’évacuation a été organisée à l’ambassade et sur certains lieux de regroupement.

M. Alain Juppé a insisté sur le fait qu’aucun tri n’avait été effectué en fonction de l’origine ethnique des personnes et souligné qu’affirmer le contraire sans apporter la moindre preuve était particulièrement grave.

M. François Léotard a signalé que l’opération avait été particulièrement dangereuse, comme en témoigne l’état du dernier avion de retour à sa base, qui avait été criblé de balles.

M. Alain Juppé a fait observer que les relations entre les ministères des Affaires étrangères et de la Coopération relevaient d’une question de cours. Le ministère des Affaires étrangères conduit l’action diplomatique de la France sous l’autorité du Président de la République et du Premier Ministre. Le ministère de la Coopération est chargé de la coopération, sous ses différents aspects. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, la coordination ne posait pas de problèmes. Une réunion sur la politique africaine se tenait chaque semaine alternativement à l’Elysée et Matignon, respectivement sous la présidence du Conseiller pour les Affaires africaines du Président de la République ou du Conseiller diplomatique du Premier Ministre, et des conseils restreints réunissant les Ministres concernés se tenaient périodiquement sous la présidence du Président de la République.

M. Michel Roussin a mis l’accent sur les relations étroites entretenues par le ministère de la Coopération avec la Direction des Affaires africaines du ministère des Affaires étrangères, manifestées notamment par une réunion hebdomadaire. Des divergences de vue sont toujours possibles mais il est clair, pour chacun, que la politique des affaires étrangères de la France relève d’abord du Quai d’Orsay.

M. René Galy-Dejean a remercié MM. Edouard Balladur, Alain Juppé et Michel Roussin de leurs propos liminaires dont il a estimé qu’ils avaient fait appel à la raison et contribué à dépassionner le débat.

A M. Edouard Balladur, M. René Galy-Dejean a demandé des précisions sur l’ampleur des livraisons d’armes au Rwanda et l’importance des effectifs français, civils ou militaires, dans ce pays avant 1993 et comment pouvait s’expliquer un tel engagement.

Auprès de M. Alain Juppé, il s’est inquiété de savoir si des puissances extérieures à la région des Grands Lacs avaient aidé le FPR et quelle aurait été la nature de cette aide, notamment sur le plan militaire.

Enfin, M. René Galy-Dejean, reprenant les propos de M. Edouard Balladur selon lesquels ce dernier n’excluait pas d’éventuelles livraisons d’armes entre 1993 et 1995, malgré des déclarations officielles affirmant qu’elles avaient cessé le 6 avril 1994, s’est demandé s’il pouvait exister une possibilité que des armes aient été livrées au Rwanda après cette date.

M. Edouard Balladur a rappelé que le nombre de Français était passé de 400 début 1993 -il avait été encore plus important lors de l’opération Noroît- à 24 personnes fin 1993.

M. Edouard Balladur a estimé que ce chiffre de 400 personnes ne pouvait être considéré comme particulièrement élevé, eu égard à l’existence d’accords de coopération qui liaient la France et le Rwanda depuis 1975. Il n’y avait là rien d’extraordinaire. La baisse de ces effectifs à partir d’avril 1993 est due à la volonté d’accompagner les accords d’Arusha et de pousser à leur application.

M. Edouard Balladur a indiqué qu’il ne disposait d’aucune information sur les exportations d’armes au Rwanda de 1990 à 1993 et a rappelé qu’il avait demandé au Président Quilès de saisir le Gouvernement afin que lui soient communiqués les chiffres concernant les exportations d’armes au Rwanda entre 1993 et 1995. Il a regretté ne pas avoir encore obtenu ces précisions. Il a repris les indications de son propos liminaire concernant les livraisons d’armement dont il a eu connaissance de 1993 à 1994, en vertu d’autorisations accordées en 1990, 1991 et 1992 et a réaffirmé qu’à sa connaissance, il n’y avait eu aucune livraison d’armes au Rwanda à partir du 8 avril 1994.

Le Président Paul Quilès a indiqué que la mission d’information était en possession de l’accord de coopération de 1975 et que faire la lumière sur les exportations des armes à destination du Rwanda au cours de la période considérée figurait parmi ses objectifs essentiels.

M. Alain Juppé a précisé que le ministère des Affaires étrangères est représenté au sein de la CIEEMG. Il a rappelé que le 8 avril 1994 le SGDN avait décidé la suspension de la validité de toute exportation d’armes et de matériels de guerre à destination du Rwanda et du Burundi, y compris la validité des procédures en cours, et a indiqué que cette mesure conservatoire avait été confirmée le 28 avril par la CIEEMG et le 5 mai par le cabinet du Premier Ministre, conformément à la décision du comité restreint du 3 mai 1994, alors que le 17 mai seulement une résolution n° 918 du Conseil de Sécurité déclarait l’interdiction de la vente et de la livraison d’armes et de matériels de guerre au Rwanda. Il a fait remarquer que la Commission internationale d’enquête sur la situation dans la région des Grands Lacs avait donné acte des mesures prises par la France. Il a indiqué enfin que le ministère des Affaires étrangères n’avait pas eu connaissance d’une aide extérieure à la région des Grands Lacs ayant bénéficié au FPR.

M. Michel Roussin a précisé que la dernière livraison d’armes sur stock ancien au titre des cessions gratuites avait eu lieu le 3 mars 1993.

M. François Léotard a indiqué que les dernières livraisons en février et mars 1994 concernaient des matériels médicaux. Il a rappellé que les forces françaises présentes à l’aéroport civil de Goma au Zaïre n’avaient pas pour mandat de contrôler les arrivées d’avions privés qui auraient pu transporter des armes.

M. Jacques Myard s’est félicité que les événements aient été replacés dans leur contexte. Il a déclaré que l’orchestration déjà ancienne d’une campagne contre la France masquait en fait une lutte d’influence géostratégique qui n’échappait à personne et qu’il fallait bien admettre que le travail honorable et légitime accompli par la France n’était évidemment pas apprécié par tous les autres Etats. Se référant au caractère très classique de l’accord d’assistance technique passé avec le Rwanda, il s’est demandé comment dans ces conditions les Forces de l’armée rwandaise (FAR) bénéficiant soi-disant d’un soutien français extraordinaire pouvaient avoir été vaincues militairement par le FPR, " mieux armé et supérieur en nombre " et qui avait armé le FPR. Il a souligné le caractère risqué que revêtait, selon lui, l’opération Turquoise et a souhaité connaître l’état d’esprit qui prévalait à l’époque chez les responsables politiques de cette opération, qui paraissaient inquiets.

M. Edouard Balladur a fait remarquer que chacun peut constater que les rivalités ethniques sont tour à tour utilisées par telle ou telle puissance extérieure et que in fine la question se posait de savoir qui a voulu évincer la France de cette zone géographique et au profit de qui. Il a estimé qu’il serait probablement intéressant d’étudier cette question à l’heure actuelle, quatre ans après le génocide. Pour sa part, la France liée au Rwanda par un accord classique, vieux de vingt ans, a fait en sorte que les protagonistes s’entendent et coopèrent.

Il a à nouveau souligné que l’opération Turquoise était à la fois courageuse et risquée et a rappelé qu’elle avait suscité des réactions de la communauté internationale allant du scepticisme à l’hostilité. Il a rappelé que cette intervention avait été initialement considérée, à tort, comme une opération de sauvetage de la majorité hutue et du Gouvernement Habyarimana et de barrage anti-Tutsi, destiné à stopper l’avance du FPR.

Il s’est vivement opposé à une vision de la France qui aurait pris parti pour l’un ou l’autre des deux camps et a indiqué que, pour lever toute suspicion de cet ordre, l’action humanitaire française s’était déployée dans le sud-ouest du pays avec une logistique implantée dans un pays extérieur. S’agissant de l’armement du FPR il s’est borné à constater qu’il avait sa base en Ouganda.

M. Alain Juppé a rappelé que le Rwanda, placé sous la tutelle de la puissance coloniale belge jusqu’en 1962, avait connu en 1959, 1963, 1966, 1973 des vagues de massacres interethniques. Il a souligné qu’en Ouganda le Président Museveni avait été porté au pouvoir, entre autres, par 7 000 à 8 000 Tutsis chassés du Rwanda et qu’il était lui-même issu d’une ethnie voisine. Dans les années 1990, on constate l’existence au Rwanda d’un gouvernement légal avec un président élu en 1978, en 1983 et en 1988, Juvénal Habyarimana. Incidemment on remarque qu’au Burundi et au Rwanda c’est un président hutu qui est démocratiquement élu et que cela se traduit à terme par son assassinat. Il a estimé qu’il serait bon que quelques investigations historiques corrigent quelque peu la vision d’un pouvoir corrompu et dictatorial face à un FPR, force de libération nationale parée de toutes les vertus. Il a souligné que l’avancée du FPR en territoire rwandais n’avait pas suscité un sentiment de libération des populations mais au contraire avait provoqué la fuite d’un million de personnes vers l’ouest du pays.

S’agissant de la mise en oeuvre de l’opération Turquoise, il a insisté sur le soutien total et constant donné au Premier Ministre par l’ensemble de ses Ministres. Il a souligné que, lors du retrait de nos forces, comme prévu, fin août 1994, de nombreux pays, le Secrétaire général de l’ONU et les ONG avaient, à ce moment, dénoncé le départ de la France et manifesté leur inquiétude face à l’espace vide laissé par elle, la MINUAR ayant quelques difficultés à se mettre en place. Tout a été fait pour qu’il n’y ait pas de dérapage et il serait intéressant de retrouver les images des soldats français acclamés par les foules rwandaises dans la misère comme des sauveurs.

M. François Léotard a rappelé qu’au plus fort de l’offensive on a estimé à 10 000 le nombre d’Ougandais présents avec du matériel dans l’armée du FPR. Il a souligné que des militaires du FPR avaient été envoyés à Phoenix aux Etats-Unis pour y suivre une formation et apprendre l’utilisation de missiles antiaériens. Des matériels de l’armée ougandaise ont par ailleurs été retrouvés -des camions notamment- sur les lignes de front.

Il a indiqué que la France, lors de l’opération Turquoise, avait loué des avions lourds de transport à longue distance à la Russie et à l’Ukraine et que des appareils de la compagnie Air France avaient également été utilisés. Il a précisé que la force française était constituée par des soldats professionnels issus de l’infanterie de Marine, des corps de légionnaires et de commandos spéciaux. Il a confirmé que, dans le principal camp de réfugiés de l’intérieur du Rwanda, on lui a indiqué que les soldats français avaient permis de faire cesser les pillages et les massacres de femmes et d’enfants.

M. Bernard Cazeneuve s’est demandé si l’implication de 10 000 Ougandais n’était pas de nature à modifier l’analyse rwando-rwandaise que l’on peut faire de ce conflit en s’interrogeant sur l’aspect plus régional voir international des événements. Il a cité un extrait du rapport de l’Ambassadeur Georges Martres où ce dernier souligne que " nous n’obtiendrons pas un appui efficace des Nations Unies, le Secrétaire général de l’OUA tenant à conserver la responsabilité du maintien de la paix au Rwanda et disposant en cela de l’assentiment des Anglo-Saxons ". Ne peut-on pas expliquer par cet élément le phénomène d’attentisme international et quelle interprétation donner du rôle joué par l’OUA et les Etats-Unis au lendemain du déclenchement du génocide ?

Il a rappelé que certains avaient considéré que l’opération Turquoise avait permis le départ en toute impunité d’auteurs d’actes de génocide et a demandé si l’on disposait d’informations étayant cette thèse.

S’adressant à l’ancien Ministre de la Coopération, il a constaté que, d’une part, les termes des accords d’Arusha prévoyant l’intégration d’un certain nombre d’hommes du FPR dans l’armée rwandaise, d’autre part, les efforts importants de restructuration politique et militaire demandés au Président Habyarimana, impliquaient des coûts non négligeables qui nécessitaient une augmentation de notre aide au développement.

Il s’est interrogé sur la politique d’aide au développement que nous avons menée au cours de cette période difficile à l’égard du Rwanda, sur celle menée par les autres pays bailleurs de fonds européen et américain et s’est demandé ce qu’aurait pu être une politique d’aide et d’accompagnement au processus de démocratisation que nous avions semble-t-il commencé à mettre en oeuvre.

M. Edouard Balladur a rappelé qu’il avait été clairement dit que le FPR avait ses bases en Ouganda, que des militaires ougandais étaient présents dans les troupes du FPR et que des Tutsis avaient suivi une formation militaire aux Etats-Unis et il lui a semblé que ces informations étaient suffisamment explicites, sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter. S’agissant d’une éventuelle évacuation des auteurs d’actes de génocide, il a précisé que naturellement aucune sélection n’avait été effectuée pour sauver des bourreaux et laisser des futures victimes en danger. S’étant rendu sur place avec MM. François Léotard et Michel Roussin, il a évoqué la difficulté de la situation qui mettait en présence près d’un million de personnes massées le long de la frontière et désireuses de se réfugier dans la zone démilitarisée et quelques dizaines ou centaines de soldats français par poste. Il a précisé qu’il était impossible de distinguer parmi les personnes déplacées, les victimes et les bourreaux, et que sans doute figuraient parmi les réfugiés recueillis des Rwandais impliqués dans les massacres. Mais cela n’est pas le fait de la France qui n’a évidemment pas procédé à une sélection.

M. Alain Juppé s’est interrogé sur la possible répétition de l’histoire s’agissant de la situation au Zaïre en 1997, qui pourrait peut-être également faire l’objet d’une future mission d’information. Aux termes de la résolution du Conseil de Sécurité autorisant l’opération Turquoise, les troupes françaises n’avaient pas reçu mandat d’arrêter les extrémistes hutus et, au fur et à mesure de la progression des troupes du FPR vers Kigali, près d’un million de réfugiés ont franchi la frontière entre le Rwanda et le Zaïre pour se rendre à Goma. Les troupes françaises ne tenant aucun poste frontière, elles n’avaient pas, par conséquent, les moyens de sélectionner les extrémistes hutus. Le reproche a également été fait aux troupes françaises de n’avoir pas fait taire la Radio des Mille Collines ; cette mission n’entrait pas dans le cadre de leur mandat mais dès que sa localisation, d’ailleurs extérieure aux frontières du Rwanda, a pu être réalisée, il a été possible de mettre fin à ses émissions.

S’agissant de l’aide au développement fournie par la France entre la conclusion des accords d’Arusha et le 6 avril 1994, le premier message que le Gouvernement a fait passer auprès du Président Habyarimana, en annonçant le retrait le 15 décembre 1993 du dispositif Noroît contrairement à son souhait, visait à l’inciter à aller dans le sens de ces accords, le second message précisait que la France était prête à accompagner le redressement économique du pays en étudiant toutes les propositions émanant du gouvernement de transition, concernant en particulier le soutien à l’Etat de droit, l’aide aux réfugiés et aux rapatriés, la démobilisation. Il convient de rappeler ici les 40 millions de francs d’aide humanitaire accordés par la France et les quatre ponts aériens qu’elle a mis en oeuvre.

M. Michel Roussin a précisé que le ministère de la Coopération avait poursuivi l’aide à l’Etat de droit, dans le droit fil du discours de La Baule, cette politique étant d’ailleurs appliquée vis-à-vis de l’ensemble des pays avec lesquels la France avait conclu des accords de coopération. La France, en poursuivant son aide, s’est trouvée isolée dans son action, malgré les plaidoyers faits à Bruxelles à l’adresse de ses partenaires européens pour consentir un effort en faveur du Rwanda. Toutefois, la France a interrompu sa coopération dès lors que la crise a atteint son paroxysme, mais quelques mois plus tard, elle l’a reprise dans le domaine médical et humanitaire avec le nouveau Gouvernement rwandais. Il n’y a pas eu de désengagement.

M. Jean-Bernard Raimond a souhaité savoir comment et dans quelles conditions, en 1993, le Gouvernement conduit par M. Edouard Balladur avait pris connaissance de la situation de crise existant au Rwanda et de la politique française à l’égard de ce pays. S’agissant des livraisons d’armes, il s’est interrogé sur l’existence d’éventuelles autorisations de livraisons n’émanant pas de la CIEEMG qui auraient pu ne pas être portées à la connaissance du Premier Ministre.

Il a souhaité savoir si, après l’attentat contre l’avion présidentiel, le Gouvernement avait eu des hésitations sur la conduite à tenir entre une intervention militaire plus rapide et des opérations humanitaires. La Commission des Affaires étrangères ayant sous la précédente législature publié un rapport d’information sur les politiques d’intervention dans les conflits qui concluait au caractère exemplaire de l’opération Turquoise, du fait de sa limitation dans le temps et de sa conduite sous commandement national, sans interférence des Nations Unies, il s’est interrogé sur le fait de savoir si cette chaîne de commandement national n’avait pas été un élément clef de la réussite de l’opération.

M. Edouard Balladur a tenu à préciser les différentes étapes des procédures de décision en matière d’intervention militaire extérieure. Il a indiqué que le Président de la République recevait chaque semaine le Premier Ministre, le Ministre des Affaires étrangères et le Ministre de la Défense et, avec une régularité moindre, le Ministre de la Coopération. Avant les Comités de Défense qui suivaient pratiquement tous les Conseils des Ministres se tenait, à l’initiative du Premier Ministre, une réunion des membres du Gouvernement concernés par les affaires militaires et diplomatiques en cours, en présence de représentants du Président de la République. Cette procédure permettait de faire en sorte que le Président de la République soit informé des intentions du Gouvernement et de préparer l’entretien préalable au Conseil des Ministres qu’il avait avec le Président François Mitterrand. Le Gouvernement a pris conscience assez rapidement de la nécessité de normaliser la situation au Rwanda, notamment en s’efforçant de faciliter la conclusion d’un accord permettant d’associer toutes les parties au gouvernement du pays, thèse qui a constitué la substance des accords d’Arusha IV. La France s’est alors désengagée progressivement tant en ce qui concerne les effectifs militaires que les livraisons d’armes. L’assassinat du Président et les massacres qui ont suivi ont remis en cause tout ce processus.

Il a précisé qu’à sa connaissance la CIEEMG n’avait pas délivré d’autorisation d’exportation de matériels de guerre depuis le mois d’avril 1993, mais que quelques livraisons de peu d’importance avaient été effectuées en vertu d’autorisations accordées antérieurement. En conséquence, s’il n’y a pas eu de décision d’interrompre les livraisons avant 1994 c’est qu’il n’y avait pas de raisons de le faire. C’est le 8 avril 1994, que le Secrétaire général pour la Défense nationale, haut fonctionnaire placé sous l’autorité directe du Premier Ministre, a pris la décision de stopper toute livraison, quelle qu’elle soit. Il a estimé qu’il excluait totalement que les fonctionnaires français, militaires ou civils, n’aient pas respecté les décisions prises en la matière.

Il lui est apparu excessif de parler d’hésitations dans la politique à conduire, bien qu’il soit exact que certains responsables aient envisagé une intervention militaire, notamment à Kigali. Toutefois, un accord est très rapidement intervenu entre le Président de la République et lui pour rejeter cette hypothèse qui aurait pu entraîner la France dans un conflit ou l’exposer à être mise en accusation par des puissances de la région. Deux options ont été effectivement envisagées, mais le choix a porté sans ambiguïté sur une action humanitaire limitée dans le temps, autorisée par les Nations Unies et s’appuyant sur la frontière d’un Etat voisin. Il a souhaité rendre hommage à tous les pays africains qui se sont associés à l’action de la France permettant ainsi d’écarter toute qualification d’opération de type colonial pour cette action internationale conduite sous commandement français.

L’essentiel des forces déployées (80 %) pour mener à bien l’action humanitaire dans le cadre de l’opération Turquoise au Rwanda était d’origine française ce qui explique qu’elle se soit déroulée sous commandement national et, dans ces conditions, il eut été inacceptable qu’il en ait été autrement. Il faut certainement considérer qu’un commandement national constitue un gage de réussite de ce type d’opération mais il paraît souhaitable que ce ne soit pas toujours la France qui en ait la charge dans la mesure où d’autres pays pourraient avoir d’autres motifs pour intervenir.

S’agissant des livraisons d’armes au Rwanda, M. Michel Roussin a précisé que la décision du Secrétaire général de la Défense nationale de les suspendre, le 8 avril 1994, faisait suite à une importante demande du Gouvernement rwandais adressée le 7 avril à la France, passée dans le cadre de nos accords et qui concernait dix-sept postes différents de livraisons de munitions ou de matériels. Le Secrétaire général a alors confirmé les décisions antérieures et refusé cette livraison.

Le Président Paul Quilès a rappelé que le principe de cessions de matériels et d’armements était contenu dans l’accord de coopération de 1975.

Après avoir remercié M. Edouard Balladur d’avoir précisé la position du Gouvernement français pendant cette période, M. Pierre Brana a suggéré que les quatre Ministres soient de nouveau entendus pour répondre aux nouvelles questions que la mission d’information pourrait se poser. Il a noté que les Ministres s’étaient inscrits en faux contre les déclarations de certains intervenants devant la mission faisant état de distinctions entre Hutus et Tutsis par les militaires français au cours de l’opération Amaryllis. Il a souhaité avoir des précisions sur les instructions données aux forces militaires, notamment sur leur attitude à l’égard des auteurs présumés du génocide ou des personnes armées. Il a demandé à M. Edouard Balladur s’il y avait eu à l’époque un plein accord ou des divergences entre le Président de la République, le Gouvernement et la cellule africaine de l’Elysée. Il a également demandé des précisions sur la nature des troupes qui avaient bouclé les lieux de la catastrophe aérienne et avaient pu ainsi recueillir en premier des preuves dont aucune n’a été communiquée. Il a interrogé M. Michel Roussin sur la nature de la mission qu’accomplissaient les trois officiers français présents dans l’avion abattu et a souhaité connaître les raisons ayant conduit à les déclarer morts en service commandé. Enfin il a estimé important d’entendre des responsables des différents services français de renseignements, DGSE et DRM, pour avoir des informations sur l’influence des pays limitrophes dans les événements et sur les livraisons d’armes ayant transité par eux.

M. Kofi Yamgnane a souhaité savoir si des militaires français s’étaient effectivement trouvés présents auprès de l’épave de l’avion présidentiel après l’attentat et si la boîte noire de l’appareil avait été récupérée.

M. François Lamy s’est interrogé sur les objectifs et les instructions donnés tant au contingent français lors de l’opération Noroît qu’au détachement militaire de la Mission d’Assistance et de Coopération. Il a demandé s’ils procédaient uniquement à l’instruction des forcées armées rwandaises ou s’ils instruisaient aussi des milices liées à certains partis politiques hutus. Il a également demandé des précisions sur le rôle des 24 coopérants militaires qui sont restés après le départ de l’opération Noroît. Après avoir fait état de la conclusion de la Commission d’enquête du Sénat belge selon laquelle le Gouvernement belge aurait disposé d’informations précises révélant la préparation d’un génocide, il a souhaité savoir si le Gouvernement français avait disposé des mêmes informations. Enfin, il s’est enquis de la présence de militaires français en dehors de la zone de sécurité au sud-ouest du Rwanda lors de l’opération Turquoise.

M. Roland Blum a évoqué la polémique sur l’origine du missile qui a abattu l’avion du Président rwandais et a demandé à M. François Léotard son sentiment sur l’hypothèse formulée par certains, de missiles provenant d’un lot saisi par l’armée française en Irak et acheminé en France, ce qui ne peut se faire sans laisser une trace.

M. Michel Voisin s’est interrogé sur la nature des relations entre le Rwanda et la cellule africaine de l’Elysée, la situation du Rwanda lui paraissant avoir relevé de manière préférentielle de la Présidence de la République.

M. Edouard Balladur a indiqué que son Gouvernement s’était toujours occupé activement des affaires africaines et a rappelé qu’il avait lui-même pris l’importante décision de dévaluation du franc CFA dont l’Afrique francophone a eu à se féliciter. Il a observé que le Gouvernement et le Président de la République n’étaient pas forcément d’accord sur tous les sujets au départ, mais qu’il y avait toujours eu un souci permanent de donner à l’arrivée l’image la plus cohérente et la plus unie de la politique extérieure de la France. A cet égard, il a souligné que, dès le début du génocide, il s’était mis d’accord avec le Président de la République pour faire prévaloir la solution qui lui paraissait la plus conforme aux intérêts de la France et des populations concernées. Il a déclaré que le Gouvernement avait assumé l’ensemble de ses responsabilités sans que jamais la cellule élyséenne ait interféré, dans un sens ou dans un autre. Il a rappelé qu’il présidait, tous les mardis soirs, une réunion sur tous les problèmes extérieurs, y compris ceux concernant les pays africains, à laquelle participaient les ministres concernés, le Secrétaire général de l’Elysée, le Conseiller Afrique du Président de la République ainsi que son Chef d’état-major particulier. Il a affirmé qu’il n’aurait jamais accepté que les décisions collectives, prises avec l’aval du Président de la République, soient remises en cause.

M. François Léotard a rappelé que les instructions données aux militaires français de l’opération Turquoise, avec l’accord du Conseil de Sécurité, visaient à désarmer l’ensemble des personnes présentes sur la zone, à regrouper et à protéger les réfugiés, mais qu’elles ne comportaient aucune instruction de combat. Au contraire, il convenait d’éviter que les forces françaises ne soient engagées dans des opérations militaires et soient au contact des forces du FPR. Des négociations eurent lieu sur le terrain avec le FPR afin d’éviter les combats. Il a souligné que les organisations non gouvernementales avaient demandé une protection militaire car elles ne s’estimaient plus en mesure d’accomplir leurs missions et que c’était d’ailleurs à partir de cette expérience qu’était née la conception nouvelle d’une intervention humanitaire protégée par des militaires.

M. François Léotard a ensuite indiqué que des militaires français s’étaient effectivement éloignés de la zone humanitaire, jusqu’à Butare, mais qu’ils y étaient rapidement revenus. La zone humanitaire sûre a été délimitée par la France en Conseil de Défense et proposée au Conseil de Sécurité des Nations Unies.

En ce qui concerne l’attentat, M. François Léotard a exposé qu’à sa connaissance, c’étaient les FAR qui avaient bouclé les lieux, le commando du FPR présent à Kigali en application de l’accord d’Arusha, qui contrôlait les abords de l’aéroport de la façon déjà décrite, ne s’étant pour sa part rendu sur les lieux que de nuit et à bord de véhicules de l’ONU. Il a ajouté que d’aucuns disaient que M. Museveni, le Président de l’Ouganda, était intervenu tardivement lors de la conférence de Dar Es-Salam, comme s’il était désireux de retarder le départ des deux Chefs d’Etat rwandais et burundais.

Sur la boîte noire, il a indiqué qu’il ne disposait d’aucun élément, la DGSE n’ayant alors pas d’agent sur place et ceux de la DRM ne s’étant mis en position qu’au moment de l’opération Turquoise ; il a rappelé que la mission de la DRM, depuis sa création par M. Pierre Joxe, se limite en effet à l’accompagnement des opérations extérieures.

A l’attention de M. Roland Blum, M. François Léotard a estimé qu’il ne voyait pas comment le missile qui avait abattu l’avion présidentiel aurait pu transiter par des mains françaises, c’est-à-dire par des services dont ce n’aurait pas été la mission ou le mandat, alors même que ces services font l’objet de contrôles et doivent rendre compte de l’utilisation de leurs munitions.

En revanche, il a rappelé que cette arme, d’origine soviétique, était en dotation dans l’armée ougandaise et dans celle du FPR et que des militaires du FPR étaient allés aux Etats-Unis se former à l’utilisation de ce type de missile sol-air.

S’agissant de la mission Noroît, il a indiqué que c’est M. Pierre Joxe qu’il faudrait interroger pour la période où les forces françaises étaient en situation d’interposition, lui-même n’ayant connu que la période où leur mission était la formation de l’armée rwandaise, c’est-à-dire bien l’armée légale et en aucun cas les milices.

Enfin, il a indiqué que la présence de militaires français hors de la zone Turquoise avait pu être liée au fait qu’au début de l’opération, lors de la délimitation de la zone, les Français étaient allés assez loin, peut-être jusqu’à la ville de Butare et jusqu’à la route qui conduit de Kigali au Burundi, avant de se replier ensuite sur une zone plus réduite. Il a exposé en effet que leurs instructions interdisaient aux militaires français tout contact militaire hostile avec le FPR et expliqué que lorsque le Gouvernement avait su qu’il y avait un tel risque, il avait été demandé aux officiers d’entrer en relation avec le FPR pour éviter que de tels affrontements aient lieu.

M. Edouard Balladur a alors suggéré au Président Paul Quilès que, si lui-même ou des membres de son Gouvernement devaient revenir devant la mission, les questions puissent leur être communiquées à l’avance afin que les réponses soient les plus précises possibles.

Le Président Paul Quilès a retenu cette suggestion.

M. Alain Juppé, rappelant que la presse rapportait qu’il y aurait eu dans le Gouvernement de l’époque un partage entre les partisans et les adversaires de l’intervention, a affirmé que lui-même en était partisan et que s’il fallait le refaire, il le referait de la même manière, avec la même conviction et le même enthousiasme. Il a ajouté qu’il n’y avait eu au Gouvernement aucun débat quant au point de savoir si c’était une mission d’interposition militaire ou une mission à caractère humanitaire, mais que tous, sur ce point, avaient été en phase, sous l’autorité du Premier Ministre, et que c’est ainsi qu’avait été mise en place l’opération Turquoise.

Il a exposé qu’il n’avait aucun souvenir d’une information qui serait parvenue de Belgique au ministère des Affaires étrangères sur un génocide en préparation. Evoquant l’éventualité que le Gouvernement belge ait pu bénéficier de plus d’informations que le Gouvernement français du fait de la présence sur le terrain, à cette époque, de la MINUAR I, composée de 2 300 hommes dont 424 Belges, il a suggéré que la question des actions entreprises par la MINUAR pour s’opposer à la préparation du génocide soit posée, mais à d’autres que le Gouvernement français. Il a confirmé en revanche qu’on savait bien que la situation était tendue au Rwanda, dans la mesure où aucune des parties n’envisageait de gaieté de coeur l’application intégrale des accords d’Arusha.

Le Président Paul Quilès a confirmé que la question suggérée par M. Alain Juppé serait posée aux responsables belges et à ceux de l’ONU, s’ils acceptaient de venir devant la mission.

Evoquant alors l’action des 24 coopérants militaires qui avaient été maintenus au Rwanda, M. Michel Roussin a répété qu’ils menaient des opérations de formation, essentiellement dans les états-majors et à l’exclusion de toute autre puisque, suivant les directives du Chef du Gouvernement, le dispositif Noroît avait été " démonté ".

Rappelant que deux de ces coopérants, des gradés de la Gendarmerie, avaient été assassinés à la machette après l’attentat contre l’avion présidentiel, ainsi que l’épouse de l’un d’eux, il a expliqué que pendant la crise les coopérants avaient procédé non pas à des opérations de renseignement plus ou moins interlopes mais à des opérations de protection de leurs compatriotes, jusqu’à ce que soit mise en place l’opération Amaryllis à laquelle ils avaient alors pris part.

Il a rappelé que l’Assemblée nationale avait à l’époque rendu hommage aux deux gradés de la Gendarmerie nationale et aux trois pilotes français de l’avion présidentiel.

Quant à l’attribution à ceux-ci du titre de mort en service commandé, M. Michel Roussin a fait valoir qu’il s’agissait de trois officiers pilotes de transport, dont un ancien du GLAM, anciens officiers de carrière employés sous contrat par un pays ami pour en transporter le Président. Il a estimé que, eu égard à leur carrière militaire, au fait qu’ils étaient morts pour la France puisqu’ils avaient été tués en accomplissant une mission pour laquelle ils avaient été mis à la disposition d’un gouvernement ami par l’administration française, en l’occurrence le ministère de la Coopération, pensant également aux familles et à l’honneur des armées, il lui avait paru légitime de proposer de décréter, selon une procédure bien connue au ministère de la Défense, la mort en service commandé. Enfin, il a rappelé que le fait que le décret attribuant la Légion d’Honneur à ces trois hommes était signé du Président de la République était lui aussi dû, très normalement, au statut d’officier de ces pilotes.

Après avoir remercié les intervenants d’avoir surmonté leur prudence en ce qui concerne l’implication des Etats-Unis en Afrique, au Zaïre et en Ouganda notamment, et estimé qu’il était démontré que les Etats-Unis avaient armé le FPR avant et après le génocide, M. François Loncle s’est demandé si l’implication américaine n’avait pas été sous-estimée par les services de renseignement, ce qui avait pu conduire à des différences d’analyse au sein du Gouvernement ou à la Présidence de la République. Il a ensuite souhaité savoir si ses interlocuteurs, compte tenu de leur expérience à la fois de parlementaires et de membres du Gouvernement, ne pensaient pas que les accords d’assistance militaire devraient faire obligatoirement l’objet d’une ratification par le Parlement.

M. Alain Juppé a souhaité dissocier les interrogations formulées par M. François Loncle. Notant d’abord que celui-ci affirmait que l’implication américaine dans la zone était réelle, il a estimé que cette assertion serait peut-être confirmée par les conclusions de la mission d’information. Evoquant ensuite la sous-évaluation qui aurait pu en être faite par le Gouvernement, il a estimé qu’une telle analyse pourrait être justifiée si la France avait engagé une confrontation militaire de bloc à bloc, mais que telle n’avait pas été sa politique, puisqu’au contraire, au moins à partir de mars-avril 1993, elle avait utilisé toute sa capacité de pression, qui n’était pas mince, sur les autorités officielles du Gouvernement rwandais pour parvenir à un partage du pouvoir et non à la victoire d’un camp sur l’autre. Il a rappelé que ce conflit durait depuis des décennies, voire des siècles, qu’il n’y avait aucune issue dans l’écrasement de l’une des deux ethnies par l’autre, mais que la seule solution possible était au contraire la réconciliation et le partage du pouvoir. Il a ajouté que l’un des buts constants de la France avait été de provoquer la réunion d’une Conférence des Grands Lacs, associant l’ensemble des pays de la région et les grandes puissances intéressées, pour trouver un règlement politique stable. Il a conclu en considérant que la France avait peut-être sous-estimé la volonté de certains à agir autrement que par la voie politique et diplomatique, c’est-à-dire par la force.

S’agissant des services de l’Elysée, M. François Léotard a ajouté qu’à l’époque la personne qui lui avait semblé définir, dans ses interventions, avec le plus de précision et de sens de la stratégie et de l’histoire les rapports de force entre les Anglo-Saxons et les Français dans cette région du monde, c’était le Président de la République lui-même.

M. Edouard Balladur a, pour sa part, estimé qu’on ne pouvait ériger en principe la ratification obligatoire par le Parlement des accords de coopération militaire. Il a ajouté que l’existence d’un accord avec le Rwanda était connue de tous, même si tous, dont lui-même, n’en connaissaient pas le détail.

Il en a conclu qu’il n’était pas opérationnel de se réfugier derrière un raisonnement juridique et que, s’il allait de soi que mieux valait que le Parlement fût informé lorsque le Gouvernement signait des accords très importants, on ne pouvait pas ériger en principe l’interdiction pour le Gouvernement de signer quelque accord que ce soit sans en référer au Parlement.

Le Président Paul Quilès a rappelé qu’un rapport était en préparation sur cette question au sein de la Commission de la Défense.

Après avoir estimé que la question posée par le Premier Ministre " pourquoi s’en prendre à la France ? " était fort juste et qu’il fallait s’y associer, M. Jean-Claude Sandrier a considéré qu’il fallait aussi se demander pourquoi la France était présente au Rwanda et donc qu’il fallait analyser la politique menée par le Gouvernement, non seulement au Rwanda mais dans cette région de l’Afrique, ses motivations et ses objectifs, et si elle était en continuité avec celle des Gouvernements précédents.

Il s’est ensuite interrogé sur les motivations qui avaient conduit le Gouvernement à ne pas interrompre les livraisons d’armes avant 1994, alors même qu’existaient à l’époque au Rwanda de fortes tensions, se traduisant par des massacres.

Il a estimé que la mission devrait également déterminer s’il y avait eu des livraisons d’armes après cette date et, dans ce cas, quels canaux avaient été utilisés et quelles étaient les responsabilités.

S’étonnant ensuite que M. Edouard Balladur se soit félicité à la fois du retrait de la France du Rwanda fin 1993 et de son retour en 1994, il s’est demandé pour quelles raisons on était parti pour revenir deux mois après le génocide.

Enfin M. Jean-Claude Sandrier a souhaité savoir si le Gouvernement de l’époque avait eu vent d’un éventuel entraînement des milices gouvernementales rwandaises par l’armée française, comme cela avait pu être évoqué dans la presse, et demandé des précisions sur le nombre de stagiaires militaires rwandais instruits en France avant d’être envoyés dans les zones de combat après avril 1994.

M. Edouard Balladur a rappelé que, dès lors qu’un accord avait été obtenu à Arusha, grâce notamment aux efforts diplomatiques français, la décision avait été prise d’alléger très considérablement la présence française au Rwanda et d’arrêter quasiment les exportations d’armes. Les seules livraisons effectuées, d’un faible montant, l’ont été en application d’autorisations valant engagement, prises en 1990, 1991 et 1992. Parmi ces livraisons, une seule est significative, celle concernant 1 000 projectiles pour mortier de 60 mm, en vertu d’une autorisation de 1991, le reste étant composé par exemple d’un pistolet 357 Magnum livré le 26 novembre 1993 ou de parachutes à une armée qui n’avait quasiment plus d’aviation.

Une fois les accords d’Arusha signés, la France a souhaité limiter sa présence à la Mission de Coopération, supposant que ces accords seraient appliqués. Elle a ensuite renvoyé des hommes dès lors que les massacres ont commencé. Il n’y a aucune contradiction dans ce retrait et ce retour : la situation a évolué, le Gouvernement s’est adapté.

M. Alain Juppé est revenu sur la soi-disant contradiction qui aurait consisté, pour les Français, à partir puis à revenir. Le retrait du dispositif français au Rwanda, relayé par la MINUAR I, est un élément d’accompagnement des accords d’Arusha. Le retour des Français fait suite au départ des Casques bleus, au début du génocide et à l’impuissance de la communauté internationale à substituer la MINUAR II à la MINUAR I. Il faut être cohérent : on ne peut à la fois reprocher à la France d’avoir favorisé le génocide et être allée au Rwanda pour l’arrêter.

M. Alain Juppé a insisté sur la nécessité pour la France d’être présente en Afrique en raison non seulement de ses responsabilités historiques mais aussi en raison de ses intérêts dans ce continent. La France a aidé ces pays à sortir de la misère et elle devrait se retirer au moment où ils connaissent une certaine croissance ! Ce serait irresponsable de la part d’un Gouvernement français de baisser les bras et de renoncer à cette présence en Afrique. Il n’est bien sûr pas question de revenir à une attitude de type colonial, il faut tenir compte de l’évolution de la démocratie en Afrique, inventer de nouvelles formes de coopération. Mais la nécessité pour la France de continuer par sa présence à favoriser le développement des pays africains devrait être un sujet de consensus.

M. François Léotard a observé que les noms et fonctions des militaires étrangers formés dans les écoles militaires françaises n’étaient pas protégés par le secret défense et la mission d’information, si elle le désirait, pourrait demander leur communication à l’état-major des armées.

Il a rappelé que la France formait des militaires et non des miliciens. Elle a contribué uniquement à la formation de l’armée régulière d’un gouvernement légitime.

M. Edouard Balladur a affirmé qu’il y avait eu une inflexion de la politique gouvernementale avec son arrivée à Matignon, qui a consisté à favoriser la recherche d’un accord entre toutes les parties et, à partir de là, alléger la présence française au Rwanda. M. Edouard Balladur a fait valoir que cela ne signifiait pas renoncer à une présence économique et culturelle française dans ce pays pour laisser la place à d’autres, qui n’hésitent pas à répandre des calomnies sur l’attitude de la France au Rwanda.

M. Guy-Michel Chauveau est revenu sur la période de septembre-octobre 1993 et a demandé à M. Alain Juppé quelle avait été l’attitude du Président Habyarimana au cours de leur rencontre. Il s’est également interrogé sur l’action de la France dans les pays voisins du Rwanda à cette même époque, et notamment au moment de l’assassinat du Président burundais, M. Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993.

M. Alain Juppé, après avoir cité des extraits des accords d’Arusha, a précisé que le Président Habyarimana n’avait pas fait preuve d’un enthousiasme excessif à l’idée de devoir renoncer à une grande partie de son pouvoir. Cela dit, après une période d’hésitation très longue, il avait finalement accepté le processus prévu par les accords d’Arusha, notamment sous l’effet des pressions françaises. Un gouvernement de transition avait été mis en place, qui comprenait des ministres FPR. Une assemblée de transition avait été désignée. C’est ce processus, dont certains craignaient la réussite, qui a été interrompu par l’attentat du 6 avril 1994.

La France a multiplié les actions pour soutenir la réconciliation, que ce soit auprès de l’OUA ou des pays de la région des Grands Lacs. M. Alain Juppé a tenu à rendre hommage aux diplomates français qui ont fait preuve à cette occasion d’une activité considérable.

M. François Léotard a suggéré que la mission d’information entende le Secrétaire général de l’ONU et le responsable du Haut Commissariat aux Réfugiés de l’époque.

Le Président Paul Quilès a répondu que ces demandes avaient déjà été faites et il a remercié MM. Edouard Balladur, Alain Juppé, François Léotard et Michel Roussin pour leur témoignage. Il a estimé que leurs réponses étaient de nature à faire progresser la mission dans la recherche de la vérité.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr