Présidence de M. Paul Quilès, Président

Le Président Paul Quilès a accueilli Mme Alison Des Forges, professeur spécialiste de l’Afrique, qu’il a remercié d’avoir accepté de venir de New York pour s’exprimer devant la mission d’information. Il a rappelé que Mme Alison Des Forges, également consultante pour l’association Human Rights Watch, avait plus particulièrement fait porter sa réflexion sur le génocide rwandais, ses origines, son déroulement et l’attitude à son égard par la communauté internationale et qu’elle avait de même étudié les déplacements de populations provoqués par des affrontements au sein de la société rwandaise.

Mme Alison Des Forges a remercié le Président Paul Quilès de l’avoir invitée à venir exposer ses idées et s’est félicitée, en tant que citoyenne américaine, de la constitution de la mission d’information. Elle a estimé que les députés français avaient montré le chemin et a indiqué qu’aux Etats-Unis l’association Human Rights Watch essayait d’obtenir l’ouverture d’une enquête sur le comportement du gouvernement américain pendant le génocide. Elle a jugé que le fait que la décision d’entreprendre des enquêtes parlementaires ait été prise en France et en Belgique donnait plus de force aux associations américaines pour faire pression sur leurs représentants. Elle s’est également réjouie de la possibilité qui est offerte à la mission d’information de clarifier certaines données relatives au comportement du gouvernement américain ; elle doit avoir accès à plus d’informations sur ce sujet que n’importe quel citoyen ou organisation non-gouvernementale et elle doit les publier. Elle a fait observer que des reproches graves avaient été formulés à l’encontre des Etats-Unis par l’association Human Rights Watch ainsi que par la FIDH, qui ont toutes deux publié des commentaires très critiques et sévères sur le comportement du gouvernement américain. Elle a insisté sur la nécessité de disposer de données fiables et détaillées en ce domaine et a cité l’exemple des obstacles mis par les Etats-Unis aux actions militaires de l’ONU, en indiquant qu’il fallait étayer ce type d’argument par des preuves, sans quoi il est difficile de parvenir à la vérité et à l’objectivité.

Elle a indiqué que les données qu’elle allait présenter étaient le résultat d’une recherche conduite depuis trois ans sur le terrain par une équipe de chercheurs de la FIDH et de l’association Human Rights Watch et qu’il s’agissait d’un projet commun d’entretiens avec des personnes ayant été la cible d’assassinats mais qui avaient survécu, qui avaient tué ou qui avaient dirigé les tueries, qui avaient sauvé des vies ou qui avaient assisté aux massacres en essayant de ne pas voir. Elle a également mentionné comme sources de ses recherches des documents administratifs officiels trouvés dans les préfectures et les communes, qui avaient été traduits et analysés ainsi que des entretiens avec des diplomates et des représentants de l’ONU.

Mme Alison Des Forges a estimé que le génocide n’était pas inévitable et qu’il aurait pu être arrêté à son début. Ce ne fut ni un orage ni une tempête ni le résultat de forces historiques impersonnelles, mais le fruit d’une décision politique prise par des hommes politiques qui voulaient garder le pouvoir. Au départ, la stratégie -sauf peut-être dans la tête des plus extrémistes- n’était pas celle d’un génocide, mais plutôt une stratégie visant à attiser les haines ethniques et à en jouer à un moment où le Président Habyarimana commençait à se sentir en difficulté.

Mme Alison Des Forges a fait observer qu’il fallait nettement distinguer les différents cercles politiques qui s’étaient constitués autour du pouvoir, à commencer par celui du Président Habyarimana, appelé l’Akazu, du peuple hutu en tant que tel. Certes, ces hommes politiques étaient des Hutus, mais l’on ne pouvait pas dire que le fait d’être Hutu équivalait à représenter 80 % de la population. Il s’agissait en effet d’un régime à la base assez restreinte, qui, après vingt ans au pouvoir, était devenu de plus en plus concerné par ses intérêts propres et qui sentait monter l’opposition intérieure, en même temps qu’intervenait une attaque extérieure.

Le régime a donc profité de la guerre pour essayer d’arrêter l’effondrement de sa base politique intérieure et de mobiliser la masse populaire contre l’ennemi tutsi. Pour rendre plus fort et plus réel ce sentiment d’une menace venant de l’intérieur même du pays, les dirigeants rwandais ont décidé de s’attaquer aux Tutsis de l’intérieur, les accusant d’être des " Ibyitso ", des complices des attaquants de l’extérieur. Ils espéraient de cette façon s’attirer le soutien de l’ensemble de la population hutue.

Mme Alison Des Forges a estimé que cette stratégie d’incitation à la haine poussée à un tel degré avait été de toute évidence une entreprise difficile. En effet, d’une part, il existait de nombreux liens entre Hutus et Tutsis ; d’autre part, il y avait des divisions importantes au sein des Hutus. Ce " travail d’ethnicisation " passait donc par l’exclusion des Tutsis et la réduction des causes de division entre Hutus. La grande crainte de l’entourage du Président Habyarimana était que certains opposants hutus puissent s’allier aux Tutsis et tout a été fait pour éviter cette alliance.

L’année 1993 s’est révélée particulièrement propice. La guerre était devenue une menace des plus sérieuses après l’attaque menée par le FPR en février et la peur de beaucoup de Rwandais rendit plus facile l’action du régime. En outre, les accords d’Arusha, intervenus cette même année, effrayèrent de nombreux Hutus, même parmi ceux qui n’étaient pas proches du gouvernement. On commençait à s’interroger sur les intentions du FPR, surtout après le succès militaire du mois de février. Enfin, au cours de cette même année, l’assassinat du Président Ndadaye du Burundi, finit de persuader un certain nombre de Hutus que les Tutsis n’étaient pas des gens fiables avec lesquels il était possible de conclure des arrangements politiques.

De surcroît, le fait que la communauté internationale n’ait pas réagi aux massacres qui ont suivi l’assassinat du Président burundais, alors que ces tueries avaient concerné entre 20 000 et 30 000 personnes, a conforté les extrémistes dans l’idée de perpétrer des massacres équivalents au Rwanda, sans plus de conséquences qu’au Burundi.

En même temps que progressait cette attitude qui conduisait les Hutu rwandais à adhérer à la nouvelle idéologie du " Hutu Power " et que l’on assistait à une forte ethnicisation de la vie politique regroupant les Hutus d’un côté et les Tutsis d’un autre, il y eut d’importantes évolutions dans l’encadrement de la population. Les dirigeants hutus se sont mis à faire évoluer le système des milices, distribuer des armes, planifier un système de forces d’autodéfense civiles, les milices n’étant pas tout à fait adaptées à cette tâche. Les milices étaient, dans un premier temps, des instruments de violence politique dans les luttes entre les partis. Or, pour créer une unité hutue contre les Tutsis, il fallait une organisation dépassant les partis, sous peine d’être traversée par des divisions importantes. Au lieu de se fier aux seules milices, les pouvoirs publics rwandais ont alors développé un système susceptible de fonctionner dans un cadre administratif, et non dans un cadre politique, fondé sur un réseau de responsables, par secteur, et non par parti politique. Il s’agissait là d’une évolution très importante, qui permettait d’atteindre la population dans tout le pays.

Mme Alison Des Forges a rappelé que le parti du Président Habyarimana était en train de perdre le pouvoir, comme l’avaient illustré les quasi-élections de l’année 1993, le MDR ayant obtenu davantage de bourgmestres élus que le MRND. Il est donc compréhensible que le MRND, parti au pouvoir, ait voulu trouver un moyen de ramener à lui les électeurs du MDR et du PSD, en les attirant dans d’autres structures que celles des partis politiques. Cette organisation n’était pas encore prête le 6 avril. Dans le centre du pays, région du MDR, bien que de nombreuses personnes aient accepté l’idéologie du Hutu Power, les organisateurs et les planificateurs n’étaient cependant pas certains que les gens seraient prêts à mettre leurs idées en oeuvre. Dans d’autres régions, dans le sud, vers Butare, par exemple, et même vers Kibungo à l’est, beaucoup n’avaient accepté ni l’idéologie du Hutu Power ni l’implantation de la nouvelle organisation.

Dans ce contexte, Mme Alison Des Forges a estimé qu’il était fort possible que les extrémistes aient perpétré l’attentat contre l’avion présidentiel. C’était leur dernière chance d’accéder au pouvoir, après l’accord donné par le Président Habyarimana de mettre en place le nouveau gouvernement, ce qui leur faisait perdre le contrôle stratégique du ministère de l’intérieur sans lequel il n’était plus possible d’utiliser les cadres administratifs pour mobiliser la population. De même, cet accord signifiait pour certains cadres militaires la perte immédiate de leur place et leur mise à la retraite. Mme Alison Des Forges a toutefois précisé qu’elle ne disposait d’aucune source confidentielle sur cette question, mais qu’elle voulait simplement soumettre aux membres de la mission l’idée que les extrémistes étaient contraints d’agir même s’ils n’étaient pas tout à fait prêts. Elle a cependant ajouté qu’il était tout aussi possible que ce soit le FPR qui ait commis l’attentat et a souligné tout l’intérêt qu’aurait la publication de données militaires indiquant que le FPR avait déjà donné des ordres de marche le matin du 6 avril.

Mme Alison Des Forges a indiqué qu’après l’attentat, les massacres avaient été déclenchés par un groupe très restreint qui avait décapité le gouvernement légitime pour pouvoir prendre le pouvoir. Ce groupe, qui pouvait compter sur la garde présidentielle, soit 1 200 soldats, quelques centaines de soldats réguliers et peut-être 2 000 miliciens environ, ne disposait pas encore de l’appui du reste du système militaire, ni du système administratif, ni de certains partis politiques importants comme le MDR. Au cours des premiers jours -les 7, 8 et 9 avril-, ce groupe a procédé à un recrutement intensif, en commençant par les militaires. Mais certains d’entre eux, hostiles à ce mouvement, ont refusé le Colonel Théoneste Bagosora comme Chef d’Etat qui a alors décidé de créer un gouvernement fantoche. Mme Alison Des Forges a déclaré que, parmi les militaires opposés aux tueries, deux ou trois lui avaient dit qu’ils avaient fait appel à la France, à la Belgique et aux Etats-Unis, mais que, sans réponse ni encouragement, ils n’avaient pas osé s’organiser pour s’opposer à la force que constituaient les auteurs du génocide.

Composée de gens convaincus et organisés, la force responsable du génocide a pu donner l’impression d’être beaucoup plus nombreuse qu’elle ne l’était en réalité. Elle disposait de collaborateurs au nord-ouest, à Gisenyi, au sud-ouest à Cyangugu, au sud-centre, à Gikongoro, et à l’est, à Kibungo. En plusieurs endroits, elle avait agi tout de suite, quelques heures après l’attentat. Mais dans le reste du pays, tout était toujours calme. Après avoir reçu l’accord, peut-être passif, des structures militaires, elle a eu l’accord de la structure administrative.

Mme Alison Des Forges a mis en évidence l’indifférence internationale en soulignant d’une part, que les soldats de l’ONU s’étaient retirés dans leurs casernes sur ordre de l’organisation, d’autre part, que les forces d’évacuation, venues rechercher leurs ressortissants, étaient reparties immédiatement. Elle a estimé que les extrémistes hutus avaient ainsi pu bénéficier d’un soutien militaire à l’intérieur et d’un accord passif à l’extérieur, et qu’ils avaient disposé de la structure administrative du pays et de l’aide de partisans des différents partis et que la fin de la semaine -les 15 et 16 avril- avait été marquée par l’emploi de la force contre les opposants aux massacres. Une fois remplacés le chef d’état-major et deux préfets, les miliciens s’attaquèrent aux îlots de résistance et des annonces à la radio ciblèrent ceux qui étaient en train de résister. Cette stratégie avait abouti au contrôle de la quasi-totalité du système administratif, militaire et politique et avait donné à leurs auteurs la possibilité d’entrer en contact avec n’importe qui dans le pays, sans pour autant leur donner la certitude d’obtenir la participation de tous. Mme Alison Des Forges a à ce propos distingué entre la possibilité qu’a une administration de toucher les gens et de leur donner des ordres et la décision de la population d’accepter ces ordres. Pour chacun, ce fut une décision individuelle que de prendre sa machette. Chaque jour, chaque matin, certains ont dû décider jusqu’à quel point ils allaient collaborer et il y a eu des différences d’attitude très marquées, certaines personnes ayant été plus ou moins protégées par la communauté.

Les détenteurs du pouvoir ont, bien sûr, commencé par cibler les personnes les plus faciles à attaquer, celles qui avaient des liens évidents avec le FPR ou celles qui étaient supposées en avoir, comme, par exemple, les jeunes gens partis suivre une formation politique. Puis, la population a été amenée à prendre des décisions de plus en plus dures, au point d’accepter de tuer les personnes âgées, les enfants en bas âge, les femmes, qui, habituellement, étaient toujours protégés lors de tels conflits. C’est par une campagne intensive de propagande de la radio RTLM que les détenteurs du pouvoir purent mobiliser la population.

Mme Alison Des Forges a estimé que ses recherches avaient en outre montré comment ces derniers avaient pu donner un caractère probant à leurs mensonges en procédant à de véritables mises en scène avec force détails pour convaincre la population et lui inculquer la peur des Tutsis en répandant des propos tels que : " pourquoi a-t-on trouvé des armes derrière la cathédrale de Kibongo ? Pourquoi a-t-on trouvé dans la maison d’un tel des plans de partage des terrains et des champs de tous les Hutus dans la commune de Ngoma à Butare ? Pourquoi a-t-on trouvé des listes de Hutus à tuer ? Pourquoi les Tutsis, qui se disent des réfugiés, font-ils des attaques pour tuer nos militaires ? "

Mme Alison Des Forges a fortement insisté sur la peur que suscite une telle attitude lorsqu’elle est affichée par des autorités que l’on croit légitimes et a souligné que le caractère convaincant de cette propagande venait essentiellement de la légitimité attribuée aux autorités qui la répandaient.

Elle a rappelé que s’ils craignaient le FPR, les citoyens ordinaires, les responsables de l’administration territoriale et ceux qui ont voulu empêcher les tueries ont eu aussi peur des autorités elles-mêmes, des militaires, des policiers, des gendarmes ayant été, dès le début, employés contre ceux qui résistaient. Les militaires ont circulé sur les pistes pour dire aux gens qu’il fallait tuer, qu’il fallait qu’ils s’organisent, sans quoi ils reviendraient les voir. De plus, les récompenses accordées pouvaient avoir une grande influence, surtout pour des jeunes sans emploi : on leur donnait à manger, des vaches, de la bière, des vêtements. On offrait à la population ordinaire. la possibilité de piller. Dans une société d’une pauvreté extrême, le fait de pouvoir voler une fenêtre ou une porte représente quelque chose de très important. Et surtout, on donnait aux cultivateurs, dans une société où il n’y a jamais assez de terre, la possibilité de disposer des champs des Tutsis tués, ce qui constituait une forte récompense. A l’élite, on offrait des voitures, des boutiques, des ordinateurs, des postes de télévision.

Certains ont accepté tout de suite de participer. Il était facile de recruter ceux qui étaient pauvres ou qui nourrissaient une haine très forte contre les Tutsis. Pour d’autres, c’était plus compliqué, d’où le phénomène notable de ces personnes qui, à la fois, sauvent des Tutsis et en tuent d’autres. Quand on s’interroge sur le fait de savoir s’il est encore possible de créer une Nation après de tels événements, il faut se rappeler que même certains meneurs du génocide avaient des liens si forts avec des Tutsis qu’ils en ont sauvé quelques uns, ce qu’ils essaient d’ailleurs aujourd’hui de faire valoir pour se disculper.

Mme Alison Des Forges a indiqué qu’à la fin du mois d’avril, il y a eu un effort de prétendue pacification, le Gouvernement ayant déclaré que tout était fini et que ceux qui se cachaient pouvaient sortir. De la part de certains membres du gouvernement, il s’agissait probablement d’un piège pour faire sortir les Tutsis et les tuer, mais il est aussi vrai que les autorités commençaient à perdre le contrôle de la situation et que les assassins agissaient à leur gré, notamment en tuant d’autres Hutus. D’autres avaient, en outre, permis à des Tutsis d’échapper aux massacres, soit pour de l’argent, soit, lorsqu’il s’agissait de femmes, parce qu’elles avaient accepté d’accorder des services sexuels.

A la mi-mai, alors que la situation devenait plus difficile pour le Gouvernement, les extrémistes ont relancé une politique de massacres généralisés et fait rechercher tous les Tutsis qui pouvaient être encore en vie. C’est à ce moment qu’ils ont tué les femmes -les femmes tutsies de Hutus surtout-, qui jusque là avaient été sauvées, et les enfants, et qu’ils ont entrepris un ratissage intensif pour trouver leurs victimes.

Mme Alison Des Forges a souligné l’importance du rôle des militaires dans ces événements. On se représente communément le génocide comme un acte commis par des civils, avec leur machette. Si cette représentation correspond en partie à la réalité, il convient cependant de ne pas oublier qu’avec chaque civil il y avait un soldat. Lors de chaque massacre important, des militaires commençaient avec des grenades, des mitrailleuses et même avec l’artillerie. Mme Alison Des Forges a récusé le propos de l’Amiral Jacques Lanxade, selon lequel il n’était pas possible de rejeter la faute sur la France ou d’autres pays, sous prétexte qu’il s’agissait d’un génocide commis avec des machettes ou des gourdins. Si ces machettes et ces gourdins ont eu un effet si terrible, c’est parce que les attaques ont été préalablement lancées avec des armes à feu. Cependant, à la suite des défaites militaires et des premières condamnations internationales, le Gouvernement a perdu beaucoup de son autorité. En outre, les gens qui avaient eu le droit de tuer commencèrent à s’entre-tuer. Enfin, une grande partie de la population avait fui et on commençait à refuser de faire des patrouilles pour garder les barrières. Seul restait un noyau dur, qui essaya de tout achever.

La victoire du FPR mit fin au génocide. Mme Alison Des Forges a fait observer à ce propos que, pour ce qui concerne l’attitude du FPR, ses recherches, pourtant minimes, indiquaient que ses troupes avaient commis d’importants crimes contre l’humanité. S’il ne s’agissait pas d’un génocide, certaines de ces opérations militaires avaient violé le droit international.

Evoquant l’attitude de la communauté internationale avant le génocide, Mme Alison Des Forges a rappelé qu’elle avait encouragé le Président Habyarimana et d’autres leaders politiques à progresser vers la démocratie, mais qu’en même temps des pratiques totalement antidémocratiques comme l’usage des cartes d’identité ethniques avaient été tolérées, ce qui revenait à accepter que soit pratiquée une nette discrimination contre les Tutsis. Après octobre 1990, la communauté internationale avait, en outre, toléré la violence politique et ethnique, les nombreux massacres de Tutsis n’ayant pas provoqué de réaction adaptée.

Mme Alison Des Forges a cité, dans ce contexte, la remarque d’un fonctionnaire français, faite le 31 mars 1993, quelques semaines après la publication du rapport de la commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Rwanda : " en dehors des zones de combat militaire, les exactions étaient à un niveau très acceptable ". Or, Mme Alison Des Forges a rappelé que, d’après le Ministre James Gasana entendu par la mission le 10 juin 1998, il y avait eu des agents français au centre de documentation, endroit bien connu de tous les activistes des droits de l’homme pour être le lieu de torture de la gendarmerie et de la police rwandaise.

C’est en 1992-1993 que la communauté internationale s’est rendu compte qu’il fallait tout de même trouver une solution diplomatique ou politique à la guerre. Le succès militaire assez dramatique du FPR au mois de février 1993 avait beaucoup aidé à faire progresser cette idée. Mme Alison Des Forges a évoqué un entretien qu’elle avait eu avec M. Bruno Delaye au mois de décembre 1993 au cours duquel ce dernier avait fait valoir que l’on était très satisfait en France d’être quitte du Rwanda parce qu’on avait la quasi-certitude que cela allait mal tourner. Il semblerait que cette conviction ait été partagée en France et Mme Alison Des Forges a indiqué qu’au mois de janvier 1993, une analyse avait été faite par des fonctionnaires du ministère de la Défense montrant qu’en cas d’un nouveau conflit au Rwanda, des pertes sérieuses en vies humaines étaient à craindre. De même, une étude de la CIA du mois de janvier 1994 indiquait également la possibilité de violences au Rwanda et, avec une exactitude assez étonnante, estimait que, dans le pire des cas, celles-ci pourraient conduire à des pertes de l’ordre d’un demi-million de vies humaines. Au mois de février 1994, une correspondance entre certains diplomates belges et les représentants de la Belgique à l’ONU faisait état d’une menace de génocide et concluait à la nécessité de renforcer et d’élargir le mandat de la MINUAR.

Mme Alison Des Forges a souhaité s’arrêter sur la création de la MINUAR ainsi que sur les ressources et les forces mises à sa disposition. Elle a estimé étonnant que Français et Américains aient déployé tant d’efforts pour obliger les deux parties à conclure les accords d’Arusha, mais que, lorsqu’il s’était agi de constituer la MINUAR, les Américains aient milité pour une limitation de ses effectifs en proposant 500 hommes alors que les experts militaires en demandaient 8 000. Avec l’effectif de 2 500 hommes, obtenu à titre de compromis, il a fallu réduire le mandat de la force et limiter la portée des engagements qui figuraient dans les accords d’Arusha. Au total, ces forces n’étaient pas suffisantes pour accomplir la mission qui leur était assignée.

Une fois la MINUAR mise sur pied, il y eut de nombreux avertissements. Le fameux télégramme du 11 janvier n’en était qu’un parmi une longue série entre les mois de novembre 1993 et avril 1994. Ces avertissements n’eurent cependant aucun retentissement, non qu’ils ne furent pas entendus, mais les Etats-Unis et le Royaume-Uni déclarèrent qu’il n’était pas question de renforcer le mandat ni les effectifs. Il fut plutôt procédé à de petits changements : le second groupe de soldats fut envoyé plus vite et certains militaires furent déplacés de la zone démilitarisée vers la capitale. Le Général Romeo Dallaire avait pourtant averti, dès le mois de février, que si l’on continuait avec de tels effectifs, la MINUAR serait tout à fait inefficace et qu’il ne pourrait rien faire. Mme Alison Des Forges a affirmé qu’il aurait été possible d’arrêter le génocide dès son commencement. Elle a insisté sur le fait que les responsables du génocide étaient en nombre limité mais contrôlaient une structure très centralisée et a indiqué que l’estimation fournie par Général Philippe Mercier selon laquelle une troupe de 40 000 soldats aurait été nécessaire pour les neutraliser rejoignait celle faite par un général américain en mai 1998.

Mme Alison Des Forges a toutefois estimé qu’un tel effectif n’était pas nécessaire, sauf à envisager une action militaire partout dans le pays, au même moment, ce qui n’était pas nécessaire. Au début, il y avait dans la capitale à peu près 7 000 hommes de l’armée gouvernementale et 1 000 hommes du FPR, qui, avec cet effectif, avait réussi à tenir ses adversaires à distance. Le FPR pensait qu’avec 900 hommes, il pourrait arrêter les tueries. Il a donc, le dimanche 10 avril, suggéré à la MINUAR et à certains militaires gouvernementaux de créer une force composée de 300 hommes appartenant à ses rangs, 300 de l’armée gouvernementale et 300 de la MINUAR pour faire cesser les massacres. Le Colonel Marchal, qui était sur place, a également dit qu’à son avis, il aurait été possible à ce moment-là d’arrêter les massacres en réunissant les forces d’évacuation et les forces de la MINUAR, ce qu’a confirmé le Général Christian Quesnot devant la mission. Mme Alison Des Forges a jugé qu’il serait nécessaire de connaître les détails de cet épisode pour savoir qui avait fait cette suggestion de réunion des forces, qui l’avait refusé et quand. Elle a rappelé que le Général Romeo Dallaire n’était pas enthousiaste à l’idée d’une force conjointe avec les forces d’évacuation, estimant que, logistiquement, elle serait difficile à mettre en oeuvre, mais qu’il avait également dit que si on lui avait envoyé 1 800 hommes supplémentaires, il aurait pu agir avec les forces de la MINUAR. Mme Alison Des Forges a fait observer que toutes ces solutions avaient été refusées par les uns ou par les autres, sur place et aussi au siège des Nations Unies à New York.

Sur place, 2 000 personnes furent ainsi laissées sans protection à la suite du retrait d’une centaine de soldats belges. Deux jours plus tard, à New York, il fut discuté pendant trois jours de la possibilité de retirer complètement toutes les troupes de la MINUAR, discussions dont la Belgique porte la responsabilité à l’extérieur du Conseil de sécurité, les Etats-Unis portant pour leur part cette responsabilité à l’intérieur du Conseil puisqu’ils ont soutenu cette idée du retrait.

Mme Alison Des Forges a rappelé que c’était le Nigeria qui, avec les pays non alignés, avait fait le contrepoids. Elle a estimé que, même sans examiner l’éventualité d’une intervention militaire, la communauté internationale aurait pu mener d’autres actions qui n’auraient rien coûté, mais qui auraient pu influencer de façon importante la suite des événements. Elle s’est demandée pourquoi la France, les Etats-Unis, la Belgique et toute la communauté internationale n’avaient pas conjointement condamné ce qui se passait au Rwanda, pourquoi l’engagement de ne plus donner d’argent à un gouvernement établi sur la base d’un génocide n’avait pas été pris. Au Rwanda, l’assistance internationale avait un tel poids qu’elle était d’une influence capitale, même au niveau des communes. Les bourgmestres eux-mêmes avaient la possibilité de négocier avec les missions de coopération des pays développés. Une position internationale claire déclarant qu’un gouvernement responsable d’actes de génocide était condamné à l’échec, n’aurait-elle pas facilité des actes de résistance et de courage de la part de personnes qui se seraient rendu compte qu’il s’agissait d’une aventure sans issue.

Mme Alison Des Forges a estimé que la participation générale de la communauté internationale à cette mascarade de légitimité avait beaucoup aidé les autorités à commettre le génocide. Sans envoyer de soldats, la communauté internationale aurait pu également mener par exemple des actions pour interrompre la radio RTLM, sachant que de très nombreux Rwandais l’écoutaient.

S’agissant du rôle de la France, Mme Alison Des Forges a insisté sur l’importance que revêtait le fait d’avoir reçu à Paris, avec tous les honneurs, l’un des pires représentants d’un gouvernement responsable de génocide. Elle a également indiqué que la livraison d’armes avait représenté un encouragement. Elle a attiré l’attention des membres de la mission sur une lettre dans laquelle un militaire rwandais, Rwabalinda, faisant le rapport d’une mission à Paris, du 9 au 13 mai, indique à ses supérieurs que le Général Jean-Pierre Huchon lui avait annoncé que des téléphones pour des communications secrètes avaient déjà été envoyés d’Ostende, que les Français étaient prêts à apporter leur aide mais qu’il fallait faire des efforts pour améliorer l’image du Rwanda dans le monde, la France ne pouvant aider un pays nettement condamné par les autres. Mme Alison Des Forges a estimé que le message, tel qu’il était rédigé, ne faisait pas état de la nécessité d’arrêter les tueries, mais de cacher les tueries. Elle a indiqué en outre que, deux jours plus tard, juste après la mission de M. Rwabalinda, des annonces avaient été faites sur la radio RTLM, dont des citations ont été publiées dans le livre du professeur Jean-Pierre Chrétien, et dont la teneur était la suivante : " nos amis, les Français vont nous aider mais ils nous ont conseillé de ne pas montrer un comportement si désagréable ". Aussi la radio RTLM avait-elle dit qu’il ne fallait pas de cadavres sur les routes, qu’il valait mieux les cacher dans les bananeraies.

Mme Alison Des Forges a également déclaré qu’elle avait trouvé dans les procès-verbaux des réunions de la commune de Bwakira à l’ouest du Rwanda des indications selon lesquelles le bourgmestre avait reçu un message de ses autorités de tutelle affirmant que les Etats-Unis n’accepteraient de reconnaître le Gouvernement intérimaire que si les tueries cessaient. Elle a conclu son propos en estimant que si les voix si timides des pays occidentaux avaient pu avoir un tel résultat, leurs protestations auraient pu avoir un tout autre effet s’ils avaient crié à haute voix.

Le Président Paul Quilès a demandé à Mme Alison Des Forges si elle estimait que l’application effective des accords d’Arusha aurait permis d’empêcher les massacres, même si elle pensait que le génocide avait été largement planifié. Evoquant les mises en scène destinées à créer la peur et la haine à l’égard des Tutsis, le Président Paul Quilès a voulu savoir à quel moment et qui en avait décidé.

Il a ensuite fait référence aux analyses de Mme Alison Des Forges relatives aux effectifs militaires qui auraient permis d’arrêter le génocide et s’est demandé pourquoi, si l’on admet qu’approximativement, un millier d’hommes aurait suffi pour y mettre fin à Kigali et, par voie de conséquence, l’empêcher dans le pays, le millier de militaires du FPR présent dans la capitale, durant cette période, ne l’avait pas fait.

Mme Alison Des Forges a estimé que, si les accords d’Arusha avaient été vraiment mis en oeuvre avec une force militaire suffisante pour les garantir, cela aurait certainement empêché les massacres. Elle a jugé que le fait d’avoir contraint les parties à accepter ces accords, sans avoir accordé, par la suite, les forces nécessaires pour les garantir, avait créé un contexte favorable au génocide.

Concernant les mises en scènes orchestrées par le gouvernement pour attiser la haine contre les Tutsis, elle a considéré que ces manifestations fournissaient la preuve du caractère centralisé de ce génocide. Elle a rappelé que, lors l’offensive du FPR au mois d’octobre 1990, le Président Habyarimana avait également monté une mise en scène, faisant croire à une attaque à Kigali même pour attirer l’assistance militaire étrangère. Dès le commencement des massacres, il y a eu des mises en scène identiques avec les mêmes mensonges répétés, les mêmes prétextes invoqués d’un coin à l’autre du Rwanda.

Mme Alison Des Forges a indiqué à ce sujet que, dans les bureaux communaux de Butare, l’association Human Rights Watch avait trouvé un texte extrêmement intéressant, probablement rédigé par une personne ayant fait un cursus universitaire à Paris dans un séminaire où elle avait étudié les méthodes d’intoxication des foules. Il s’agissait d’un travail tout à fait académique concernant l’oeuvre de M. Mucchielli, qui avait enseigné à Paris et écrit près de 70 ouvrages sur ces méthodes. Ce petit résumé soulignait clairement la nécessité d’organiser des mises en scène pour faire croire aux gens de bonne volonté qu’ils étaient attaqués et les pousser à commettre des actes très graves.

Répondant à la question du Président Paul Quilès relative aux effectifs militaires qui auraient été nécessaires pour arrêter les massacres et à la raison pour laquelle le FPR n’avait pas utilisé ses hommes dans ce but à Kigali, elle a indiqué que, si ceux-ci avaient sauvé beaucoup de monde, il était clair que leur objectif principal était de gagner la guerre. C’est pourquoi, plus tard, lorsque le FPR s’est opposé à la MINUAR II, en affirmant qu’elle était inutile puisque presque tous les Tutsis étaient morts le 30 avril, il s’agissait en fait pour lui d’empêcher l’intervention d’une force qui aurait pu jouer un rôle de force d’intervention s’opposant à son avancée militaire.

Le Président Paul Quilès s’est déclaré peu convaincu par cette affirmation car même si le FPR avait avant tout la volonté de gagner la guerre, il lui est apparu étonnant que l’on puisse considérer qu’il ait choisi de ne pas intervenir pour défendre les Tutsis, au motif que cela ne faisait pas partie de sa stratégie.

Mme Alison Des Forges a précisé que le FPR menait deux actions, l’une de protection des personnes et l’autre de lutte militaire contre les FAR, la seconde primant à ses yeux.

M. Pierre Brana, se déclarant très intéressé par la distinction entre les milices créées dans le contexte des luttes violentes auxquelles se livraient les partis politiques et la mise en place planifiée dans chaque commune, de groupes destinés à mener un autre type d’action violente, échappant au jeu politique, est revenu sur le terme de groupes d’autodéfense civile et a demandé à Mme Alison Des Forges si elle avait trouvé ou eu écho de documents officiels envoyés par le pouvoir central aux bourgmestres et notamment s’il existait des directives laissant prévoir à quoi ces groupes seraient effectivement utilisés. Il a également souhaité connaître la date à laquelle aurait commencé l’organisation de ces groupes et si elle coïncidait bien avec le début de la planification de la préparation du génocide.

Mme Alison Des Forges a déclaré que cette idée d’autodéfense civile était apparue très tôt et qu’il convenait d’en distinguer les différentes formes. Il y eut un premier effort dans le nord pour organiser la population contre les attaques du FPR parce que l’on n’avait pas assez de soldats, ou parce que ceux-ci n’étaient pas assez efficaces. Elle a précisé que c’est en 1991 que ce terme fut employé pour la première fois. L’idée était de choisir une dizaine de jeunes, qui devaient être formés pour faire des patrouilles ou de petites razzias avec un ou deux militaires. L’autre forme d’autodéfense civile, apparue en janvier-février 1993, fut de plus grande ampleur et marqua le début d’une véritable planification des massacres de Tutsis à grande échelle.

Mme Alison Des Forges s’est déclarée réservée à l’égard de l’idée d’une planification du génocide en tant que tel dès ce moment du fait qu’il était très difficile d’établir exactement quand est apparu le projet de génocide. Elle a toutefois indiqué qu’il existait un document important faisant état des premiers éléments de sa planification : il s’agit de l’agenda d’une personne très haut placée, évoquant, d’une part, l’utilisation des structures administratives pour recruter des participants et, d’autre part, l’emploi d’anciens soldats à la retraite qui résidaient dans les communes pour former et commander les civils. Mme Alison Des Forges a également indiqué qu’en janvier-février 1993, un groupe d’officiers avait été créé sous le nom " d’Amasasu ", ce qui signifie " des balles ", et que ce groupe de militaires demandait la création d’une force d’autodéfense civile. Elle a conclu de tous ces éléments que l’idée d’autodéfense civile avait véritablement commencé à être mise en oeuvre en janvier et février 1993. Elle a indiqué ensuite qu’au mois d’octobre 1993, s’était tenue une réunion entre certains militaires importants et des politiciens pour discuter du système d’autodéfense civile, qu’ils présentaient alors comme un système de " national guard ", avec le but officiel de soutenir l’effort de l’armée au sein du peuple, alors qu’en réalité, l’idée était plus de tuer des Tutsis que d’aider les militaires dans leur guerre contre le FPR.

Quand le génocide s’est déclenché, le système d’autodéfense civile n’était pas encore complètement formalisé, mais déjà, comme l’attestent certains documents, des listes de soldats retraités étaient dressées pour savoir où existaient des ressources. Au plus fort des massacres, dans les deux ou trois premières semaines, le système administratif fut employé pour mobiliser la population, commandée, dans la plupart des cas, par d’anciens soldats. Le système en tant que tel ne fut formalisé que plus tard, au mois de mai, lorsqu’ont été élaborées des directives très détaillées, qui ont été retrouvées. Ainsi, dès le début du mois d’avril, les idées et les moyens étaient là, mais ne furent concrétisés que plus tard. Quand quelques militaires ont commencé à s’opposer aux massacres, ce système fut même présenté comme offrant la possibilité de prendre le relais en cas de résistance de l’armée.

M. Jacques Desallangre s’est interrogé sur l’apparente discrétion des troupes FPR qui auraient pu venir en aide de manière très efficace à la communauté tutsie gravement menacée. Il a relevé dans les propos de Mme Alison Des Forges une apparente contradiction entre l’inquiétude causée par les accords d’Arusha chez un grand nombre de Hutus et l’absence d’adhésion massive et franche de la communauté hutue à la disparition de la communauté tutsie.

Mme Alison Des Forges a précisé qu’elle avait voulu dire que les accords avaient inquiété un plus grand nombre de personnes que le petit noyau d’extrémistes. Tout le monde était content de ces accords, qui avaient été fêtés partout, mais certains restaient cependant réticents car ils avaient peur que le FPR ait été trop avantagé. Mme Alison Des Forges a ensuite ajouté que le FPR avait chassé les auteurs d’actes de génocide et interrompu les massacres en cours, surtout à l’extérieur de Kigali, la lutte militaire primant à Kigali.

M. Jacques Myard a demandé à Mme Alison Des Forges d’apporter des preuves et de préciser ses propos quant à la présence de militaires français au centre de documentation, qui était également un centre de torture. Il a également interrogé Mme Alison Des Forges sur la logique du système qu’elle avait décrit et s’est demandé si, en affirmant qu’une intervention extérieure déclenchée le 6 avril aurait arrêté les massacres, tout se passant à Kigali, on ne fournissait pas la preuve a contrario que ce qui a été présenté comme une machine infernale préparée à l’avance, bien huilée, avec des listes de gens à éliminer, comme un génocide pensé par avance, était en réalité un enchaînement graduel, dont on ne pouvait pas prévoir qu’il dégénérerait en un génocide total.

S’agissant de la question relative à la présence de soldats français au centre de documentation, Mme Alison Des Forges a indiqué qu’elle avait simplement cité des données qui avaient été présentées devant la mission par le Ministre James Gasana.

Le Président Paul Quilès a alors indiqué qu’il n’avait pas le souvenir de déclarations en ce sens de M. James Gasana et que des vérifications s’imposaient.

Mme Alison Des Forges, ayant déclaré avoir lu ces informations sur Internet, sur le site de Médecin sans frontières, a reconnu qu’elle en avait été étonnée.

Quant à la planification du génocide, Mme Alison Des Forges a rappelé que dès le cinquième jour, le nombre de personnes tuées était évalué à 20 000 par la Croix Rouge Internationale, chiffre à rapporter à ce moment au petit effectif des assassins qui ont agi rapidement et avec beaucoup d’efficacité. Le fait que ces massacres aient été effectués à une telle vitesse, que la plupart des personnes tuées aient été des Tutsis, que ces tueries aient été le fait d’autorités gouvernementales, qu’elles n’aient pas été spontanées, qu’elles aient été commises en plusieurs endroits, tout cela aurait dû alerter la communauté internationale sur la nature des événements et le caractère de génocide des crimes perpétrés. Mme Alison Des Forges a ajouté que si l’on prenait en considération la propagande qui avait été faite pendant des mois et les attaques qui avaient déjà eu lieu précédemment contre les Tutsis, et que si on lisait, par exemple, les documents belges, on pouvait penser que, si les Belges étaient au courant, les Français l’étaient également.

M. Bernard Cazeneuve a demandé à Mme Alison Des Forges, s’il lui était possible de transmettre certains documents qu’elle avait mentionnés, notamment la liste des militaires et fonctionnaires rwandais qui avaient résisté aux consignes données par le clan Bagosora au lendemain de l’attentat pour déclencher le processus dont l’engrenage avait conduit au génocide, ainsi que la lettre de l’officier rwandais Rwabalinda qui avait rencontré le Général Jean-Pierre Huchon.

Mme Alison Des Forges a répondu que si la transmission de la lettre de M. Rwabalinda ne posait aucun problème, il lui faudrait en revanche veiller à garantir l’anonymat de certains officiers qui avaient résisté et qu’elle avait contactés, afin de protéger leurs vies.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr