Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Georges Rochiccioli, ambassadeur de France en Tanzanie de décembre 1992 à mai 1995. Il a souligné que M. Georges Rochiccioli a occupé ses fonctions au moment où les négociations d’Arusha, après de nombreuses difficultés, ont débouché sur les accords d’août 1993.
M. Georges Rochiccioli a tout d’abord exposé qu’il n’avait jamais entendu prononcer le mot Rwanda à l’occasion des visites qu’il avait rendues aux différentes administrations, cellules et autorités militaires, avant son départ en poste, sauf au quai d’Orsay bien entendu.
Au Département, la négociation d’Arusha était suivie par un observateur que le ministère envoyait en fonction de l’importance des sujets traités. En son absence, la relève était prise par les diplomates en poste à Dar Es-SalaM. Pour des raisons diverses, le Département a mis fin à cette procédure d’observateurs particuliers et lui a demandé de suivre à temps complet cette négociation d’Arusha, avec son collaborateur, M. Jean-Christophe Belliard, ce qu’ils ont fait jusqu’au mois d’août, au cours duquel ont été signés les accords.
Certes, la mission était essentiellement une mission d’observation, de contact avec les autorités tanzaniennes qui jouaient le rôle de facilitateur et avec des diplomates belges, allemands et américains qui étaient eux-mêmes également observateurs. Bien entendu, au moment où les sujets les plus importants étaient traités, l’ambassadeur de France au Rwanda, qui avait la connaissance du sujet et des hommes, venait en renfort à Arusha pour participer également à la négociation.
La mission n’avait aucune autre instruction que de suivre et maintenir les contacts, tant avec ceux qui négociaient qu’avec ceux qui entouraient la négociation, et de rendre compte au Département.
Ultérieurement, après l’attentat d’avril 1994, l’ambassade en Tanzanie a eu à connaître des événements du Rwanda en raison de l’afflux de réfugiés qu’ils avaient provoqués sur le territoire tanzanien. Là aussi, la mission de M. Rochiccioli fut de renseigner Paris sur la situation des camps où se regroupaient ces réfugiés et son évolution possible tout en maintenant les contacts les plus étroits, tant avec les différentes ONG présentes qu’avec les organismes relevant des Nations Unies.
Le Président Paul Quilès a demandé des indications sur l’attitude de la Tanzanie et des observateurs belges et américains à l’égard de la revendication du FPR qui consistait à poser le retrait des troupes françaises comme préalable à toute discussion sur la formation d’une nouvelle armée nationale rwandaise. Il a rappelé que le prédécesseur de M. Georges Rochiccioli avait rapporté que la Tanzanie considérait que, puisqu’il y avait un accord entre la France et le Rwanda, cette présence n’était pas fondamentalement critiquable.
M. Georges Rochiccioli a expliqué que le rôle des autorités tanzaniennes dans cette négociation avait véritablement été un rôle d’arbitre. Elles tenaient à leur rôle de facilitateur. Elles avaient pu amener les différentes parties à Arusha et, pendant toute la négociation, elles se sont vraiment efforcées de maintenir la balance entre le FPR et le gouvernement rwandais de l’époque, de façon très neutre, du moins la plus neutre possible. A leur avis, il n’était pas question d’imposer le départ des troupes françaises du Rwanda comme condition essentielle à l’aboutissement de la négociation qui se déroulait à Arusha.
Il convient de rendre hommage à l’action qu’ont menée les autorités tanzaniennes à l’époque. Elles se sont toujours efforcées de jouer leur rôle de facilitateur dans la plus grande neutralité possible et de renseigner les différents observateurs qui suivaient la négociation.
Le Président Paul Quilès a demandé comment la Tanzanie avait réagi lorsqu’il y avait eu violation du cessez-le-feu par le FPR en février 1993. D’après ce qu’on peut savoir, le gouvernement tanzanien aurait demandé à la France de faire davantage pression sur le Président Habyarimana pour faire cesser les exactions contre les Tutsis.
M. Georges Rochiccioli a déclaré qu’il ne pouvait pas répondre à cette question. Il ne se souvenait pas de pressions insistantes des autorités tanzaniennes pour amener la France à changer de politique au Rwanda.
M. Pierre Brana a demandé en quoi consistait le rôle de M. Rochiccioli, s’il rencontrait les différents protagonistes et s’il avait des entretiens avec eux .
M. Georges Rochiccioli a exposé qu’il assurait une permanence constante à Arusha avec son collaborateur, M. Jean-Christophe Belliard, sauf lorsqu’il y avait quelques temps morts. Leur présence était quasi-continue. Tout se passait dans le cadre assez réduit d’un hôtel. Il leur était permis d’assister à certains moments de la négociation dans la salle des séances. Le reste du temps les contacts se faisaient en commission avec les autorités tanzaniennes qui leur rendaient compte de l’évolution des négociations lorsqu’elles se déroulaient en dehors de la présence des observateurs. Cela se faisait sur un plan informel mais quotidien.
M. Pierre Brana a demandé s’il y avait beaucoup de huis-clos.
M. Georges Rochiccioli a précisé que les négociations étaient assez ouvertes.
Le Président Paul Quilès a souhaité savoir s’il y avait beaucoup de discussions de couloirs.
M. Pierre Brana a demandé si ces conversations en coulisses se faisaient devant les observateurs.
M. Georges Rochiccioli a répondu par l’affirmative.
M. Pierre Brana s’est enquis de savoir quels observateurs étaient présents en permanence outre la France.
M. Georges Rochiccioli a précisé qu’il y avait les Belges, les Allemands et les Américains. L’Egypte était également représentée en permanence, ainsi que le Zaïre, le Burundi et le Zimbabwe. Tous les pays africains n’étaient pas représentés.
M. Pierre Brana a demandé s’il y avait un représentant permanent de l’OUA.
M. Georges Rochiccioli a répondu que par la négative.
Le Président Paul Quilès a fait observer qu’il y avait un représentant du Président Museveni, qui avait de fait une double casquette.
M. Georges Rochiccioli a précisé que le Président Museveni n’était pas représenté en tant que Président de l’OUA.
Le Président Paul Quilès a rappelé qu’au cours de son audition devant la mission, M. Gasana, qui avait participé aux négociations en qualité de Ministre de la Défense du Rwanda, avait regretté la faiblesse de la contribution française à ces négociations.
Il a demandé à M. Rochiccioli comment il pouvait expliquer ce jugement et si la France aurait pu faire plus.
M. Georges Rochiccioli a estimé qu’à partir du moment où la négociation plaçait les deux parties sous l’égide du facilitateur tanzanien, qui plus est à Arusha même, la France et les autres observateurs n’avaient rien d’autre à faire que du lobbying ou de l’observation au sens strict. Il a émis l’hypothèse qu’il fallait peut-être comprendre l’observation de M. Gasana comme un reproche fait à la France de ne pas avoir exercé de pressions en dehors du contexte d’Arusha.
Le Président Paul Quilès a précisé que M. Gasana parlait d’Arusha.
M. Georges Rochiccioli a déclaré que la France ne pouvait agir autrement qu’elle l’a fait à moins d’outrepasser son rôle d’observation. Il a fait remarquer que si les observateurs étaient sortis de leur rôle, cette attitude aurait été vraisemblablement très mal perçue par les Tanzaniens. Certains observateurs faisaient quand même un peu d’activisme comme l’ambassadeur américain, par exemple.
Le Président Paul Quilès a demandé de quelle façon.
M. Georges Rochiccioli a expliqué que l’ambassadeur américain tenait des propos qu’on pouvait qualifier de soutien aux positions défendues par le Président Museveni. Mais ce n’étaient que des propos de couloir car il n’intervenait jamais au cours de la négociation proprement dite.
M. Pierre Brana a souhaité savoir si M. Rochiccioli avait assisté à la rencontre de Dar Es-Salam qui s’est déroulée le 4 et le 5 avril, avant l’attentat.
M. Georges Rochiccioli a confirmé sa présence à cette rencontre. Tous les membres du corps diplomatique y avaient été conviés par le Président Mwinyi.
M. Pierre Brana a demandé si M. Rochiccioli avait perçu une certaine tension. On a lu un peu partout qu’il y avait eu des retards, plus ou moins voulus dans le déroulement des travaux.
Le Président Paul Quilès a relevé que l’on avait dit que Président Museveni aurait retenu le Président Habyarimana.
M. Georges Rochiccioli a déclaré qu’il n’avait rien remarqué de particulier. Dans certains pays, les emplois du temps sont bien souvent un peu bouleversés. A posteriori, si on interprète ces modifications comme le résultat de calculs politiques, toutes les conclusions sont possibles.
M. Pierre Brana a demandé si les participants avaient l’impression de vivre un moment important.
Le Président Paul Quilès a rappelé que d’après certains témoignages, il s’agissait presque de l’aube d’une ère nouvelle et que l’on était convaincu que tous les problèmes allaient enfin se régler. Il paraît que le Président Museveni voulait faire venir le Président Habyarimana en Ouganda pour accomplir des progrès décisifs dans le processus de paix.
M. Georges Rochiccioli a estimé que l’évolution des attitudes n’était pas aussi spectaculaire et que cette réunion ne serait pas entrée dans l’histoire, s’il n’y avait pas eu l’accident malheureux qui l’a suivie. Dire le contraire est un peu une réécriture de l’histoire.
M. Bernard Cazeneuve a relevé que de nombreux témoignages rapportaient que le Président Habyarimana avait déclaré à la fin de la réunion à laquelle il avait assisté qu’il considérait que des choses déterminantes s’étaient passées et qu’il croyait, pour la première fois depuis le début du processus de négociation à Arusha, que le dialogue et la réconciliation étaient possibles.
Il a également été indiqué que le Président Museveni avait demandé au Président Ntaryamira de rentrer avec le Président Habyarimana à Kigali pour se rendre plus facilement le lendemain à Kampala afin de participer à une réunion de travail destinée à sceller définitivement leur accord.
M. Georges Rochiccioli a répondu qu’il n’avait aucune information à ce sujet.
M. Jacques Myard a demandé si, à la fin de cette journée du 6 avril, M. Rochiccioli était au courant de ce qui s’était passé lors des négociations ou s’il attendait un compte rendu.
M. Georges Rochiccioli a indiqué qu’il avait directement suivi les négociations à Arusha, mais qu’à Dar Es-Salam il devait attendre la publication d’un compte rendu, ce qui n’avait pas encore été fait le soir du 6 avril.
M. Jacques Myard a demandé si ce compte rendu avait été publié par la suite.
M. Georges Rochiccioli a répondu par la négative car après l’attentat, les problèmes ont pris une autre envergure.
M. Bernard Cazeneuve s’est interrogé sur le fonctionnement diplomatique d’un processus comme celui d’Arusha. Deux parties négociaient entre elles : le FPR et le gouvernement d’Habyarimana. Il y avait un facilitateur, le gouvernement tanzanien, et des observateurs. On peut s’interroger sur le rôle de ces observateurs : soit ils observent sans rien dire et, dans ce cas, il s’agit d’un exercice dont l’utilité politique mérite sans doute d’être démontrée ; soit ils interviennent et, dans ce cas, il est intéressant de comprendre comment ils interviennent, quels objectifs ils poursuivent en intervenant et quelles sont les relations qui se nouent entre eux.
M. Georges Rochiccioli a répondu que le rôle des observateurs était d’observer.
M. Bernard Cazeneuve s’est inquiété de cette activité.
M. Georges Rochiccioli a précisé que, dans la négociation d’Arusha, il faisait de l’observation de terrain et que l’ambassadeur de France au Rwanda venait en renfort lorsque la négociation prenait une tournure importante sur des points essentiels. Le rôle l’ambassade de Dar Es-Salam était un rôle d’observation, au sens le plus plat du terme. Bien entendu, le Département lui demandait de temps à autre de faire passer des messsages à l’autorité tanzanienne qui servait de facilitateur. Les messages aux délégations rwandaises étaient en revanche délivrés par l’ambassadeur au Rwanda.
M. Bernard Cazeneuve, rappelant que les observateurs assistaient à l’ensemble des réunions, en tiraient des informations qui pouvaient aboutir éventuellement à des conclusions et des démarches communes, a demandé s’ils avaient beaucoup de contact entre eux.
M. Georges Rochiccioli a déclaré que ses relations avec ses collègues, allemands et belges en particulier, étaient particulièrement étroites et que l’échange d’informations était vraiment très loyal. Avec les collègues africains, la communication passait bien. Avec les Tanzaniens, la communication passait très bien parce qu’ils jouaient le jeu très loyalement et très correctement.
M. Pierre Brana a souhaité savoir si M. Georges Rochiccioli se souvenait de messages que le Département aurait pu demander de faire passer au facilitateur par l’intermédiaire de l’ambassadeur au Rwanda ou par lui-même.
M. Charles Cova a demandé si l’ambassadeur au Rwanda lui apportait une aide pour la connaissance des dossiers et des hommes.
M. Georges Rochiccioli a précisé que l’ambassadeur au Rwanda n’était pas chargé de lui apporter une aide. Lorsque la négociation le justifiait, il faisait le déplacement pour Arusha, et lorsque les sujets abordés étaient très importants, il venait vraisemblablement avec des instructions du Département.
M. Charles Cova a demandé si l’ambassadeur au Rwanda lui demandait d’intervenir auprès des Tanzaniens pour leur communiquer des messages.
M. Georges Rochiccioli a répondu par la négative.
M. Charles Cova a demandé si M. Rochiccioli avait uniquement un rôle de messager.
M. Georges Rochiccioli a répondu par l’affirmative et qu’il se considérait comme un messager informel.
M. Jacques Myard a souhaité savoir ce que voulait dire le terme " messager informel " et si on pouvait l’assimiler au rôle d’un " petit télégraphiste ".
M. Georges Rochiccioli a répondu qu’un consensus existait sur la nécessité de faire aboutir les accords d’Arusha et que chaque observateur s’efforçait non pas d’orienter les débats, mais de faire passer certains messages, de faire apparaître certaines difficultés, de compléter éventuellement l’information des Tanzaniens sur des points précis.
M. Pierre Brana a demandé si l’ambassadeur de France au Rwanda avait des contacts directs avec les négociateurs, que ce soit l’équipe du Président Habyarimana ou le FPR.
M. Georges Rochiccioli a déclaré que l’ambassadeur au Rwanda était un observateur plus engagé du fait de sa connaissance beaucoup plus grande des dossiers.
M. Pierre Brana a demandé si l’ambassadeur au Rwanda avait des messages du Département à faire passer aux négociateurs.
M. Georges Rochiccioli a répondu qu’il ignorait la réponse à cette question.
Le Président Paul Quilès a demandé a partir de quel moment le représentant de l’ONU à Arusha avait participé aux discussions et quelle avait été sa contribution à la conclusion de l’accord.
M. Georges Rochiccioli a observé que la présence du représentant des Nations Unies ne l’avait pas marqué de façon particulière.
Le Président Paul Quilès a noté que si la contribution de ce représentant avait été très forte, elle aurait marqué M. Georges Rochiccioli.
M. Georges Rochiccioli a estimé que la contribution de ce représentant n’avait pas été essentielle à la signature des accords.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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