Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci, monsieur Carrasco, de nous recevoir. Nous souhaitions vous rencontrer, car vous avez exercé à Monaco des fonctions éminentes en qualité de procureur général, et nous entretenir avec vous d’un certain nombre de sujets. Notre mission porte sur les nombreux obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux. Nous ne souhaitons pas aborder les questions financières et fiscales avec vous, mais il reste un obstacle fondamental qui concerne les difficultés rencontrées aujourd’hui pour faire vivre, de façon satisfaisante, l’entraide judiciaire internationale.

Nous sommes arrivés à Monaco dans un climat que vous connaissez certainement beaucoup mieux que nous, et qui est relativement difficile sur les questions judiciaires. La mission n’existe que depuis juin. Selon certains articles parus dans la presse, il semblerait qu’il y ait eu, il y a un an ou deux, des difficultés à l’intérieur du service. Je vous le présente ainsi, de façon très globale. Certains nous ont fait part de différents éléments. Il était donc tout à fait normal que chacun puisse s’exprimer et donner son interprétation des faits tels qu’ils ont pu se produire.

J’imagine que vous souhaitez, sur ce sujet, nous donner votre interprétation, sinon vous n’auriez pas accepté cette rencontre. Je vous ferai tout d’abord un résumé de la situation. Nous avons encore eu hier une conversation sur ce sujet lors de laquelle il a été dit que l’exécution de plusieurs commissions rogatoires internationales aurait rencontré quelques difficultés. Sur cette question, il est tout à fait légitime que nous ayons ces informations, que vous nous fassiez part de votre point de vue et qu’ensuite, nous élargissions le champ de la discussion.

M. Gaston CARRASCO : Je voudrais, en premier lieu, préciser que je ne souhaitais pas cette rencontre, pour deux raisons. Tout d’abord, j’ai tourné la page depuis octobre 1998. J’ai été profondément déçu et je ne souhaite plus être magistrat. D’ailleurs, je ne me sens plus magistrat. J’ai beaucoup aimé mon métier, là n’est pas la question. Mais je n’ai pas souhaité reprendre des fonctions en France. En effet, à la suite d’une campagne de presse - c’est ainsi que j’ai vu la chose - il m’est devenu impossible d’exercer des fonctions où il faut être exemplaire. Il ne s’agit pas de savoir si je le suis ou non, mais les gens doivent vous imaginer comme tel. C’est pourquoi je me suis mis en disponibilité, mais ma décision est définitive, il est hors de question que je reprenne des fonctions de magistrat.

Dans cette optique, j’ai tourné la page. Je n’ai plus voulu entendre parler de cela. Maintenant, vous m’obligez à revivre un passé qui, pour moi, est pénible, mais enfin je suis là. Quelle était votre question ?

M. le Président : Qu’en est-il des commissions rogatoires ?

M. Gaston CARRASCO : En France, on connaît principalement les commissions rogatoires internes qui, à Monaco, n’existent pas. Nous n’avons, ici, que des commissions rogatoires internationales que seuls quelques magistrats connaissent bien. J’ai eu un directeur, M. Museux. A ce propos, je voudrais dire que je croyais savoir ce qu’était l’honnêteté, en fait, je l’ai vraiment su lorsque j’ai connu cet homme, spécialiste des commissions rogatoires internationales. Moi-même, j’arrivais de Périgueux où ce type de commission était quasi inconnu.

Les commissions rogatoires sont soumises à des accords, tels que prévus avec Monaco. En l’absence d’accords, il n’y a, en principe, aucune commission rogatoire. Douze accords internationaux ont été signés avec Monaco, chacun ayant sa propre histoire. Certains sont très anciens tels que celui avec l’Italie qui date de 1866. Les plus récents ont été signés avec l’Allemagne, il y a cinq ans, l’Australie, et la France.

Il est vrai que des difficultés sont intervenues au niveau des commissions rogatoires, en fait principalement avec un pays, ensuite deux, dues au comportement du magistrat. Ce premier pays est l’Italie. Dans le régime italien, vous avez le parquet et l’instruction, mais le parquet italien diffère du parquet français, en ce sens qu’il mène les enquêtes préliminaires. Lorsque les magistrats ont besoin de décisions coercitives, telles que des perquisitions, des saisies ou des arrestations, ils font alors appel au juge des enquêtes préliminaires.

Quoi qu’il en soit, au regard des textes italo-monégasques, lorsque nous recevons une commission rogatoire, elle ne peut être signée que par un juge chargé des enquêtes. On peut être d’accord ou pas avec la démarche, mais si la commission est signée par un magistrat du parquet, un substitut, elle n’est pas conforme aux accords qui exigent la signature d’un juge. Comme l’accord date de 1866 et que depuis, les choses ont évolué, nous avions accepté de nous plier à la procédure italienne, sans toutefois déroger sur ce point.

Sans le visa du juge chargé des enquêtes, la commission rogatoire était renvoyée en Italie afin d’être complétée. Ceci est donc la difficulté rencontrée avec l’Italie, laquelle est uniquement procédurale. D’ailleurs, par la suite, les Italiens ont exigé de nous la même chose, alors qu’en vertu de l’accord de 1866, toujours en vigueur, quand Monaco adresse une commission rogatoire à l’Italie, elle doit avoir fait l’objet d’une délibération du tribunal. Les difficultés rencontrées avec l’Italie sont d’ordre procédural. Sur le fond, il n’y en a jamais eu.

Le second pays est la Suisse avec lequel les textes prévoient que la commission rogatoire nous est adressée par la voie diplomatique, c’est-à-dire un consul honoraire. Les difficultés sont venues d’un juge d’instruction qui entretenait des rapports personnels avec la Suisse. A mes yeux, ce n’était plus de la procédure, mais des échanges de correspondances personnelles. L’exécution se faisait ainsi : le juge suisse envoyait directement les documents par fax au juge d’instruction monégasque qui, ensuite, contactait directement la police. Ceci n’était conforme ni à l’accord helvético-monégasque, ni à notre code de procédure pénale. Ce sont les difficultés telles qu’elles se sont posées.

M. le Président : Même si ces problèmes n’étaient pas liés à des personnes, il semble qu’il y a toutefois un problème de fond qui est le suivant. A la suite de ces affaires, la loi a été modifiée afin que les commissions rogatoires internationales soient délivrées au juge pour instruction, en passant par le parquet, confirmant ainsi une pratique que l’on souhaitait entériner.

Il est vrai que c’est peut-être une évolution contradictoire avec ce que l’on observe dans d’autres pays, par exemple en France, où au contraire, on dit que l’information circule plus vite de juge à juge, avec l’inquiétude que le parquet ait une fonction de crible éventuellement politique. J’aimerais entendre votre interprétation sur cette question de fond, à savoir s’il revient au parquet de juger, de modifier ou filtrer les commissions rogatoires ainsi que sur l’évolution législative de Monaco en la matière.

M. Gaston CARRASCO : Le texte ancien et le texte nouveau, en ce qui me concerne, ont la même signification. Jusqu’ici, le déroulement était le suivant. La commission rogatoire parvenait, par la voie diplomatique, à mon directeur qui la transmettait. Le parquet émettait au juge ses réquisitions de pure forme, puis le juge décidait et exécutait la commission rogatoire. Ensuite, dans certains cas urgents, la commission rogatoire pouvait être transmise par fax, en suivant le même cheminement : réquisitions par le parquet et transmission au juge.

Est arrivé un magistrat qui a progressivement mis en cause le système. Il a dit qu’il n’était pas tenu d’avoir les réquisitions du parquet. S’est donc posé un problème d’interprétation et notamment, en raison de ces difficultés, celui de savoir s’il fallait ou non modifier la loi. M. Museux a refusé de modifier la loi, car cela signifiait qu’elle n’était pas adaptée. D’autres auraient préféré que les choses soient clairement et nettement établies.

En fait, l’objet de la réforme était tout autre. Il s’agissait de régler des problèmes de rapports entre collègues. C’est donc dans le cadre de cette réforme que cette mesure a été prise. Toutefois, à mes yeux, elle n’a rien apporté par rapport à ce qui se faisait auparavant.

Quand je suis arrivé au parquet, il n’y avait qu’un seul magistrat. En principe, il était prévu trois magistrats et un juge d’instruction. Les textes de lutte contre le blanchiment datent de 1993, même si la prise de conscience est bien antérieure à cette date. On a bien senti qu’un seul juge ne suffisait pas et que le parquet n’était pas armé pour lutter efficacement contre le blanchiment et la délinquance financière. On a alors dit qu’il nous fallait deux juges. Un deuxième poste de juge suppléant a été créé. A l’occasion de cette réforme, le parquet a obtenu deux juges, puis on a fait venir un quatrième magistrat, un substitut, uniquement pour se consacrer à la lutte contre le blanchiment et la délinquance financière.

Je tenais à souligner qu’à partir de 1993, il y a eu cette volonté de se donner les moyens de lutter contre la délinquance financière, donc le blanchiment.

Vous m’avez posé une question personnelle sur le système d’exécution des commissions rogatoires :

 soit maintenir le système ancien et classique des CRI comme c’est le cas dans le système français où la commission rogatoire n’est exécutée que par le juge et, en droit international, que si elle est passée par la chancellerie.

 soit la transmission directe de magistrat à magistrat préconisée, dans le nouveau système, par un certain nombre d’entre eux.

Se pose la question de savoir si à Monaco, cela est souhaitable ou pas. Cela reste à voir. Néanmoins, si c’est ce que l’on souhaite à Monaco, rien ne s’y oppose. Actuellement, une réforme est menée par M. Davost sur la détention préventive. A la lecture des textes monégasques, on se trouve dans la situation que connaissait la France en 1958 et, tout d’un coup, on va introduire dans notre législation monégasque les dispositions françaises les plus récentes stipulant que la détention n’est pas nécessaire. La loi française, avant d’en arriver à ce stade, est passée par plusieurs réformes alors que Monaco le fera en une seule fois. Ce qui est possible là est possible ailleurs.

M. le Président : Hier, nous avons rencontré l’Association monégasque des banques. Nous avons été très intéressés par leurs propos et, en même temps, avons retrouvé un sentiment général, celui de la volonté de préserver au maximum l’image de la Principauté, en indiquant qu’il n’y a aucun problème. Malheureusement, nous avons découvert qu’il y en avait néanmoins quelques-uns, ce qui n’est pas grave car il y en a partout.

Cela m’amène à une interrogation. Beaucoup disent qu’ici il y a une lutte avec ceux qui, toujours dans de bonnes intentions, considèrent que lorsque l’image de Monaco est en jeu, il y a un réflexe de protection, lequel peut entraîner des incompréhensions, voire des difficultés dans certaines affaires, dont celles qui ont eu lieu il y a deux ans.

Cela m’amène à une troisième réflexion sur laquelle j’aimerais votre jugement. Ne serait-il pas préférable d’avoir une rotation rapide des magistrats ? En effet, cela éviterait aux magistrats français, qui exercent dans des conditions difficiles dues à leur nationalité, d’être imprégnés de ce souci d’image.

M. Gaston CARRASCO : Cette question est essentielle pour Monaco. Tout d’abord, cette réaction à l’image que vous venez de mentionner est exacte. Monaco est un petit pays et quand on est petit, on n’est pas libre. Ce qui reste, c’est l’image. La Principauté est critiquée, en tout cas plus que d’autres. Monaco n’est pas parfait, mais moi qui suis ici depuis dix ans, je peux vous affirmer que la volonté des autorités monégasques est de n’avoir aucun argent sale à Monaco, notamment l’argent de la drogue. Monaco n’en veut pas. C’est le premier point.

S’agissant de la rotation des magistrats, question essentielle que je suis d’ailleurs étonné que vous me posiez... Monaco est un tout petit pays. Ce serait une erreur que les magistrats soient tous monégasques, eux-mêmes en ont d’ailleurs conscience. De ce fait, Monaco frappe à la porte de la France, comme on peut frapper à la porte d’un ami. Mais la réaction que j’ai connue - je parle en mon nom propre - n’est pas la réaction d’un ami, mais de quelqu’un qui vient piétiner quelque chose qu’il ne respecte pas.

Dans le cadre d’une rotation instituée tous les cinq ans, trois éléments doivent être pris en considération :

1) Sont présents des magistrats monégasques et des magistrats français, lesquels doivent être majoritaires au siège par juridiction.

2) Sur le plan disciplinaire, on est désarmé à l’égard des magistrats du siège. L’indépendance est nécessaire, voire indispensable, mais ce dans certaines limites. Le magistrat doit être non seulement indépendant, mais également responsable.

3) Supposons un magistrat monégasque et deux magistrats français. Le magistrat monégasque va vouloir faire carrière ici, tandis que le magistrat français va venir pour cinq ans. Le droit monégasque et le droit français sont quasi identiques, mais il est plus facile de travailler deux droits totalement différents, comme du droit japonais et du droit français, car on doit alors tout apprendre. Toute la difficulté vient du fait que le droit monégasque est très proche du droit français, sans être totalement identique. Pour être un magistrat compétent, il faut au minimum deux ou trois ans de pratique.

A titre d’exemples, à Monaco, nous n’avons ni les tribunaux de commerce, ni les tribunaux administratifs. Le tribunal de première instance a une compétence générale. Si cette rotation est instituée à Monaco, nous aurons des magistrats français qui ne seront pas compétents et qui seront alors totalement sous la coupe des magistrats monégasques. Aujourd’hui, c’est un problème que l’on ne connaît pas. M. Landwerlin est ici depuis vingt ans, ce dont il ne se plaint absolument pas.

Comme dans tout chose, rien n’est totalement blanc ou noir. Mais l’institution d’une rotation à Monaco serait au détriment de Monaco et des magistrats français.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Quel est votre métier maintenant ?

M. Gaston CARRASCO : On me dit conseiller du prince, mais je suis, en fait, conseiller juridique et je travaille avec M. Sosso, conseiller aux travaux publics et aux affaires sociales. Je suis chargé du droit social et ma mission première est de mettre en place un code du travail à Monaco. Je ne sais si vous avez connaissance du droit du travail à Monaco, mais la situation est déplorable. Le Gouvernement a voulu que cela change et nous élaborons un code du travail. Par ailleurs, depuis quelques mois, je suis très occupé car je suis chargé des adaptations de la loi Aubry à Monaco et cela pose des problèmes.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Comme vous êtes l’un des conseillers du Premier ministre, vous êtes attaché à défendre l’image de Monaco. Ma question sera quelque peu personnelle. Considérez-vous avoir défendu l’image de la Principauté dans vos précédentes fonctions ?

M. Gaston CARRASCO : Défendre l’image de la Principauté n’était pas dans mes préoccupations. Quand j’étais magistrat, ma préoccupation première était l’application de la loi. Quand j’étais magistrat en France, on parlait des instructions dans le cadre du parquet, ce qui est bien, sous réserve que les instructions ne soient pas contraires à la loi. On pouvait vous dire de poursuivre cette affaire, mais dire de classer cette affaire signifiait " n’appliquez par la loi ", ce qui est impossible. De même qu’ici, on prête serment au prince pour l’application de la loi.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Dans le maniement de l’opportunité des poursuites dont vous étiez en charge, c’est-à-dire les problèmes d’exécution des CRI, considérez-vous avoir permis au juge d’instruction de coopérer avec le reste du monde ou bien que, dans certains cas, il n’était pas possible au juge d’instruction de donner des informations recueillies dans le cadre de l’exécution des CRI ?

M. Gaston CARRASCO : Il faut faire une distinction. Si la procédure de la commission rogatoire était tout à fait régulière, on ne pouvait s’opposer à quoi que ce soit.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Considérez-vous, de ce fait, que tous les textes en vigueur ont été respectés à la lettre ?

M. Gaston CARRASCO : Non, c’est comme si vous disiez qu’il n’y a pas de blanchiment ici ou à Paris.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je parle dans le cadre de votre action judiciaire, car on retrouve du blanchiment dans tous les pays. Les procédures ont-elles été respectées à la lettre ?

M. Gaston CARRASCO : Mon action tendait à cela.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : C’était votre idéal.

M. Gaston CARRASCO : J’ai essayé de mettre en application.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Des informations concordantes et confirmées nous sont parvenues et nous laissent penser que vous avez utilisé vos fonctions à des fins - interprétées comme étant un empiétement sur les compétences du juge - de réfaction de commissions rogatoires internationales exécutées. Le juge d’instruction exécutait. Comme le texte était silencieux avant l’intervention de la loi 1200, votre travail a consisté à demander au juge d’instruction, à plusieurs reprises, de refaire l’exécution des commissions rogatoires internationales qui, à vos yeux, avaient été mal exécutées. Cela vous paraît-il exact ou non ?

M. Gaston CARRASCO : Cela s’est produit deux fois.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Dans quelles affaires ?

M. Gaston CARRASCO : Des affaires dont je n’ai pas à donner les noms ici.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Donc, cela s’est bien produit...

M. Gaston CARRASCO : Dans le cadre de deux affaires, nous n’avons pas respecté la loi lors de l’exécution de la commission rogatoire. J’ai alors demandé au juge de refaire cette commission rogatoire, ce qu’il a refusé.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Dans le cadre des informations dont vous disposiez et des pouvoirs qui étaient les vôtres, c’est-à-dire notamment demander la saisie du compte bancaire, surtout en présence de présomptions de blanchiment, il nous est apparu que vous ne vous êtes jamais interposé pour empêcher le cours normal de la justice. Vous avez fait refaire les CRI, demandé à des juges d’instruction de recommencer leur travail...

M. Gaston CARRASCO : Pour me conformer à la loi.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Considérez-vous que vous avez permis à Monaco de coopérer avec toutes les autorités étrangères judiciaires qui en faisaient la demande ?

M. Gaston CARRASCO : Ce n’est pas ainsi que la question se pose. S’agissant des poursuites contre Mme Tiberti, le résultat auquel on aboutit est une nullité à la procédure. Pour moi, ce n’est pas bon. Pour être efficace, il faut commencer par respecter la loi au cours de la procédure. Toute mon action n’a été que cela. Quand vous dites que j’ai voulu faire obstruction à tout cela...

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Non, je vous pose des questions, je n’affirme rien.

M. Gaston CARRASCO : La réponse est non. Il est certain que j’ai été mal compris.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je dois vous dire que vous avez été très mal compris par les Allemands, dans une affaire Leiduck. Nous avons un rapport circonstancié du parquet de Stuttgart dont je vais vous donner lecture, car il vous concerne en partie puisque vous étiez alors à la tête du parquet monégasque. La narration en est faite par notre magistrat de liaison en Allemagne. C’est une synthèse du rapport du ministère fédéral de la Justice allemand, rien moins que cela !

(Lecture.) " Le parquet de Stuttgart a sollicité le concours des autorités judiciaires de Monaco, via une demande d’entraide formulée le 25 mars 1996 et transmise par la voie hiérarchique prescrite. Il était demandé l’envoi de copies des actes en cours au cabinet du juge d’instruction monégasque dont la disposition était déterminante pour la poursuite et l’aboutissement de l’enquête allemande. Le 30 mai 1996, le parquet de Stuttgart essuyait un refus formel opposé par la direction des services judiciaires de Monaco, au motif que "cette requête paraît en l’état sans objet, des poursuites étant toujours en cours à Monaco."

Le 12 juillet 1996, le parquet allemand persistait une nouvelle fois dans sa demande d’entraide, insistant gravement sur l’intérêt décisif lié au recueil des données monégasques. Cette requête restait alors lettre morte, malgré trois relances officielles du ministère fédéral de la Justice à Bonn, en date des 29 janvier 1997, 22 août 1997 et 17 février 1998. En raison des réticences observées, les autorités allemandes modifiaient dans leur dernier courrier leur demande initiale pour solliciter le droit de prendre connaissance sur place des pièces de procédure en cours en Principauté.

Ce n’est qu’à la suite de la parution d’articles de presse (photocopies jointes) en Allemagne, dans les journaux allemands mais aussi français, que le procureur général de Monaco a fini par donner un accord téléphonique au transport du fis* allemand. Cet accord ne sera confirmé dans aucun courrier, contrairement aux usages habituels en matière de coopération judiciaire internationale. Il doit être précisé ici que le parquet de Stuttgart ne s’était pas privé de faire savoir, via son correspondant de presse, que les investigations allemandes étaient bloquées par le refus de coopération judiciaire émanant de la Principauté.

Ce transport a été effectué du 1er au 3 avril 1998, par un substitut de Stuttgart, Mme Ritzer, et un fonctionnaire de police du lander du Bade-Wurtemberg. Les conditions pour le moins épiques du déroulement de ce transport ont donné lieu à un rapport du magistrat dont je résume, ci-après, la substance :

1) Les autorités monégasques ont d’emblée soutenu ne jamais avoir reçu de demandes d’entraides réitérées.

2) Malgré le souhait formulé par les autorités allemandes, la justice monégasque s’est volontairement abstenue d’indiquer, avant le déplacement, l’ampleur des documents à consulter sur place, précision dont dépendait la durée de séjour à prévoir. Il s’avérera que l’enquête monégasque comportait déjà huit classeurs.

3) Monaco s’est refusé, par ailleurs, à fournir le moindre concours local pour la traduction, ce qui a induit un retard supplémentaire dans le démarrage du transport du fis*.

4) Sur place, le substitut a dû solliciter l’autorisation individuelle du procureur général de Monaco, acte par acte (...) ", soit huit classeurs...

M. Gaston CARRASCO : Vous actez, c’est faux !

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : " (...) pour obtenir copies des pièces maîtresses du dossier local. En raison de l’ampleur des faits, le magistrat allemand a finalement décidé qu’il serait indispensable de pouvoir disposer, en copie, de l’intégralité des pièces judiciaires monégasques. Il s’est vu signifier que le volume de ces pièces nécessiterait un délai supplémentaire de trois à quatre semaines pour réaliser les photocopies. Cette précision était donnée au magistrat allemand alors même que celui-ci s’était proposé au préalable de participer personnellement aux tâches matérielles liées à la réalisation des copies, en concours d’ailleurs avec le policier.

5) Lors d’un entretien sur place avec le procureur général de Monaco, le substitut de Stuttgart apprenait avec stupéfaction, de la bouche du haut magistrat, que M. Leiduck, objet des poursuites, avait produit en Principauté de faux bilans sociaux, pourtant validés par son conseiller fiscal, ce dernier étant le fils du conseiller économique du prince. De ce fait, le procureur général estimait inopportun d’attacher tant d’importance à cette affaire qui ne vaudrait à M. Palermo, l’intéressé, auteur des faux, "qu’une peine d’amende qui ne contribuerait qu’à indisposer inutilement le prince."

De plus, le procureur général déconseille aux visiteurs allemands d’entrer en contact avec le juge d’instruction au motif que c’était "un Français venu de l’extérieur". En dépit de ce voeu pressant, le substitut persistait dans son souhait de rencontrer le juge d’instruction. Cette entrevue n’eut lieu qu’à la faveur d’un arrangement monté par la traductrice qui accompagnait la délégation d’Outre-Rhin et qui connaissait personnellement le juge d’instruction.

De multiples précautions ont d’ailleurs dû être déployées pour éviter d’indisposer davantage encore le parquet général. Lors de l’entretien, le juge d’instruction fit état de nombreuses difficultés procédurales rencontrées dans le traitement de cette affaire qui était devenue, entre-temps, une "affaire politique" pour la Principauté. En particulier, l’annulation d’une partie de la procédure par la cour d’appel de Monaco l’avait obligé à reprendre presque à zéro de nombreuses investigations, jugées déterminantes.

Enfin, ce n’est que fin juin 1998 que les photocopies des pièces judiciaires monégasques sont parvenues au parquet de Stuttgart, Monaco ayant refusé l’envoi postal que le transfert par voie diplomatique, c’est un fonctionnaire de la police allemande qui a dû se transporter à cette fin, en Principauté, pour recevoir livraison des pièces. "

Ce vaudeville est assez distrayant, mais cela montre manifestement que la Principauté a un problème avec un parquet. Ce n’est qu’un exemple. Mais à l’évidence, les Français, dans cette affaire, n’y sont absolument pour rien puisque ce n’est que la traduction littérale d’un rapport fait par Bonn. Qu’en pensez-vous ?

M. Gaston CARRASCO : C’est faux.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Mais quel est l’intérêt des Allemands de mentir ?

M. Gaston CARRASCO : Je n’en sais rien. Je vais vous dire la vérité. Il y a eu ce dossier Leiduck qui a posé problème. La durée de l’instruction n’en finissait plus, à tel point qu’il a fallu sortir de ce dossier d’information, une procédure pour trafic d’armes et que M. Leiduck soit condamné à trente mois de prison pour que l’information continue de se dérouler. Les Allemands voulaient aussi une copie des pièces.

En principe, lorsque vous avez une information en cours quelque part, vous ne fournissez pas, si cela peut gêner au déroulement de l’instruction, les pièces demandées. Il est arrivé à plusieurs reprises que le Parquet de Paris refuse de nous fournir des copies de pièces car des informations étaient en cours. On ne pensait pas à l’époque que l’information allait durer aussi longtemps. Dès lors que l’information était terminée, il est évident que l’on donnait toutes les pièces demandées. Notre volonté n’était ni de garder ou de cacher quoi que ce soit. En revanche, je ne me souviens plus des rappels.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Ils sont quand même précis. C’est une manière très discourtoise d’accueillir, en terre monégasque, des Allemands qui luttent contre le blanchiment d’argent sale...

M. Gaston CARRASCO : Vous prenez ce rapport pour argent comptant, je ne suis pas d’accord. Si l’affaire est déjà jugée, je n’ai plus rien à ajouter.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Nous ne jugeons pas, nous enquêtons.

M. Gaston CARRASCO : Cela ne s’est pas du tout passé ainsi. L’information étant beaucoup trop longue, à un moment donné, on a informé les Allemands qu’ils pouvaient disposer des pièces, mais pour ce faire, on leur a demandé de venir à Monaco parce qu’il y avait huit volumes. S’il n’y avait eu que trois ou quatre pièces, nous les leur aurions envoyées. De plus, dans ces huit volumes, je ne savais pas quelles pièces pouvaient retenir l’intérêt des magistrats allemands.

Une dame est venue, que j’ai reçue avec un interprète car je ne parle pas allemand. Je n’ai pu faire mieux que de leur dire de prendre contact avec le juge et de s’arranger avec lui. Le dossier a été mis à sa disposition, ainsi que la photocopieuse. Elle est restée un jour ou deux, a fait photocopie des huit volumes du dossier et est repartie avec. Ce n’est pas du tout ce que vous me rapportez là.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Ce n’est pas moi qui le dis. C’est ce que les Allemands pensent de Monaco. Mais si tout va bien à Monaco...

M. Gaston CARRASCO : Je n’ai jamais dit que tout allait bien à Monaco, mais que cela n’est pas tout à fait exact.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Nous dirons aux Allemands que vous considérez ce rapport comme étant mensonger.

M. Gaston CARRASCO : Je le conteste totalement.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Nous verrons alors ce qu’ils pensent de l’un des conseillers du gouvernement de la Principauté qui qualifie de faux un document fait par un magistrat. Puis on s’expliquera. Il est regrettable que ce soit une mission parlementaire française qui soit obligée d’organiser le dialogue entre les pays européens, surtout si Monaco veut l’euro.

M. Gaston CARRASCO : Vous sortez de votre impartialité. Vous me dites cela sur un ton de reproche que je ne peux accepter.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : J’ai une autre affaire...

M. Gaston CARRASCO : Cela dit, cette dame a-t-elle obtenu ou non le dossier ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Deux ans après. Cet exemple de coopération judiciaire est formidable. Nous travaillons sur les obstacles à la coopération judiciaire. Les Allemands nous disent qu’un procureur général s’est mis en travers de l’exécution de leur commission rogatoire, parce que ce personnage, M. Leiduck, semblait être proche d’une mouvance princière. Cela ne nous concerne pas et ne semble pas n’intéresser les Allemands, au contraire des Monégasques.

M. Gaston CARRASCO : Je dis que c’est faux.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Nous transmettrons. J’ai une autre affaire dans laquelle il est dit que le parquet général avait abandonné les poursuites contre un certain Doré, suspecté de blanchir de l’argent en Principauté. Le parquet a abandonné les poursuites envisagées à partir de mouvements financiers douteux ou d’activités suspectes et a donné la main levée des comptes. L’intéressé a eu le temps de clôturer ses comptes, puis de quitter la Principauté. Quelques mois plus tard, la Drug Enforcement Administration a procédé à son arrestation, dans sa propriété de Floride, où 650 kilos de cocaïne ont été découverts. Connaissez-vous cette affaire ?

M. Gaston CARRASCO : Pourquoi ne posez-vous pas cette question précise au procureur qui est en charge des dossiers et qui pourra vous répondre ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : N’était-ce pas à votre époque ?

M. Gaston CARRASCO : Qu’est-ce que cela a à voir ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Vous étiez alors procureur général. Je vous pose cette question parce qu’il nous a été rapporté que c’est le parquet général qui a abandonné les poursuites et donné la main levée des comptes.

M. Gaston CARRASCO : Mais actuellement, qui est procureur général ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Nous l’avons déjà interrogé.

M. Gaston CARRASCO : J’espère que vous lui avez posé la question.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Pour l’instant, c’est à vous qu’on la pose puisque vous étiez chef du parquet de l’époque.

M. Gaston CARRASCO : Je ne nie pas les faits, mais je m’étonne que, sur des dossiers précis, vous posiez des questions alors que le procureur en place dispose des pièces.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Néanmoins, cette affaire vous rappelle-t-elle quelque chose ?

M. Gaston CARRASCO : ...

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je me permets de vous adresser la parole de cette manière parce que vous êtes ressortissant français.

M. Gaston CARRASCO : Qu’est-ce que cela a à voir ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Cela a tout à voir. Nous avons à Monaco des magistrats français - ce que vous êtes encore puisque vous n’êtes qu’en disponibilité - de nationalité française qui sont apparemment des obstacles à la coopération judiciaire internationale. C’est notre constatation aujourd’hui.

M. Gaston CARRASCO : Je vous assure que les magistrats français à Monaco ne font pas obstacle. Méfiez-vous des informations que l’on vous donne. Je vous livre mon souvenir de l’affaire Doré, mais qui serait tout à fait claire avec le dossier. Demandez à M. Serdet qu’il vous le communique car cette affaire a dû depuis être réglée. Il me semble que c’est le SICCFIN qui nous a saisis de cette affaire. Nous n’avions rien, si ce n’est un soupçon. Or je n’envoie pas les gens en prison sur un soupçon.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Mais là, c’était la saisie des comptes, car les comptes ont été bloqués.

M. Gaston CARRASCO : Avec le SICCFIN, une procédure particulière se met en place. Lorsque le SICCFIN nous saisit, le parquet présente alors une requête. Sur ordonnance du président, il y a séquestre et on bloque les comptes.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : C’est une procédure habituelle à Monaco, elle n’est pas du tout rare...

M. Gaston CARRASCO : Qui vous dit qu’elle est rare ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : C’est la routine.

M. Gaston CARRASCO : Non, cette procédure date de 1993 et sort de la procédure pénale, car nous sommes en fait moitié au pénal, moitié au civil. A un moment donné, le président a demandé ce qu’il en était de l’argent. C’est là qu’il faudrait pouvoir consulter le dossier. A l’époque, les premiers éléments de l’enquête n’ont pas confirmé les soupçons. Je ne me souviens plus des demandes du parquet, mais je me rappelle que toutes ces affaires financières étaient suivies par le substitut venu à Monaco, pour prendre ces affaires en charge. Je signais les documents, j’accomplissais mon travail, mais ce n’est pas moi qui faisais ces tâches en tant que telles. Cela dit, j’endosse toute la responsabilité si une erreur a été commise.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je ne juge pas.

M. Gaston CARRASCO : On pourrait se méprendre.

M. le Président : Ne vous méprenez pas. On cherche à comprendre quels sont les obstacles réels...

M. Gaston CARRASCO : On me parle sur un tel ton que je me sens sur le banc des accusés ! Ce qui a été écrit est scandaleux.

M. le Président : Cela vous donne l’occasion de le dire, car ce rapport existe.

M. Gaston CARRASCO : D’autres rapports existent dans lesquels on me présente comme un mafieux, mais bien évidemment...

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Ce n’est pas du tout le cas. Je n’ai jamais rien vu de tel.

M. Gaston CARRASCO : N’empêche que l’on s’est bien gardé de me demander des explications. A cet égard, je vous suis très reconnaissant. Pour en revenir à ce problème avec le parquet allemand, je suis tout de même étonné que l’on ait pu écrire de telles choses, après ce qui a été fait. C’est vrai qu’il y a eu du retard avec le système allemand et que l’on n’a pas compris leurs demandes, mais dire que ce magistrat a été reçu dans ces conditions, c’est faux.

Pour en revenir à l’affaire Doré, une procédure particulière - séquestre sur ordonnance du président - qui date de 1993, a été mise en place. Par ailleurs, les éléments de l’enquête n’ayant pas été pas confirmés, à un moment donné, le président a demandé s’il y avait des éléments complémentaires. Je ne souviens plus exactement, mais sans doute le parquet a-t-il demandé le maintien du séquestre. Pour tous ces détails, il faudrait pouvoir consulter le dossier. Ensuite, il y a eu levée du séquestre dans laquelle le parquet n’est pas intervenu. Je n’y suis pour rien dans cette levée. Par la suite, il s’est avéré que cette personne était un vrai trafiquant et que nous avions complètement raté le coche. Croyez-vous que je ne l’ai pas regretté ? Dès lors que nous avons eu connaissance de ces éléments, nous avons ouvert une information.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Qu’a-t-elle donné ?

M. Gaston CARRASCO : Honnêtement, je ne m’en souviens plus. A ce moment-là, je rencontrais de gros problèmes avec les magistrats d’instruction. Une justice rendue au bout de trois ans n’est plus la justice. Ces dossiers prenaient trop de temps, tant et si bien que l’on a dû, à mon grand regret, constater que l’action publique était prescrite dans plusieurs dossiers d’instruction. Je n’étais pas satisfait et je le faisais savoir.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Dans l’affaire de la SBM et de la SMAR, semble-t-il, le parquet général, qui a fait ouvrir l’information judiciaire, avait sélectionné et tronqué des procès-verbaux dont il n’avait pas transmis l’intégralité au juge d’instruction.

M. Gaston CARRASCO : Cela a été jugé.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : En effet, il y a eu un non-lieu, puisqu’il n’y avait pas l’intégralité du dossier.

M. Gaston CARRASCO : Le non-lieu n’était pas dû à cela.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Le non-lieu a été pour Mme Motto et M. Giaccardi, secrétaire général de la Société des Bains de mer.

M. Gaston CARRASCO : Ils ont été condamnés. Mme Motto a été condamnée à un an de prison ferme et l’a exécuté.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Dans le cas de Mme Motto, c’est exact. Toutefois s’agissant des faux qui avaient été poursuivis, y a-t-il eu un non-lieu ?

M. Gaston CARRASCO : S’il y a un dossier dans lequel j’ai souffert comme un damné, c’est bien celui-là. Lorsque cette affaire a été ouverte, un certain nombre d’infractions sont apparues. Le parquet a ouvert trois informations. M. Giaccardi, numéro deux de la SBM et secrétaire général, avait plusieurs casquettes.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : De quel type d’infraction avez-vous saisi le juge d’instruction ?

M. Gaston CARRASCO : Pour M. Giaccardi, il devait y avoir usage de faux. Il y avait toute une série d’infractions.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Pourquoi avez-vous souffert comme un damné ?

M. Gaston CARRASCO : Chose que je maintiens. Il y a eu trois dossiers. Le juge d’instruction, sur le premier dossier, a rendu un non-lieu auquel le parquet a fait appel. Ensuite, je ne sais plus très bien à quel niveau, mais ce dossier est allé jusqu’en cour de révision, mais pas dans le cadre d’une décision au fond. C’était avant le jugement. Il y a eu décision de la cour de révision.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Dans le cadre de vos pouvoirs d’enquêtes préliminaires, vous avez fait une enquête et fait interroger de nombreuses personnes. Pourriez-vous nous expliquer pour quelles raisons la totalité des procès-verbaux, semble-t-il, n’a pas été transmise au juge d’instruction chargé de l’enquête postérieure ?

M. Gaston CARRASCO : Je peux vous l’expliquer. J’ai souffert parce que j’avais, face à moi, un magistrat qui, chaque fois, répondait par un non-lieu. Dans les trois dossiers, il y a eu trois non-lieux. J’ai fait appel, et chaque fois il y a eu condamnation. Voilà pourquoi j’ai souffert. Je me battais non seulement contre le prévenu, mais en plus contre le juge d’instruction.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Vous estimez que le juge d’instruction, peu importe son nom, ne faisait pas bien son travail.

M. Gaston CARRASCO : On peut le dire ainsi.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Pas assez rapide ?

M. Gaston CARRASCO : Vous n’y êtes pas du tout ! Une mauvaise application du droit.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Qu’en est-il de la célérité des informations ?

M. Gaston CARRASCO : Il y a eu des retards. J’ai écrit à plusieurs reprises que, dans tel ou tel dossier, les délais n’étaient pas acceptables.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Pourtant, dans l’affaire Binyamin - qui a défrayé la chronique - il y a eu, semble-t-il, un conflit entre le siège et le parquet général sur un réquisitoire supplétif que le parquet avait demandé et il y a eu refus d’informer de la part du juge d’instruction. La cour d’appel a infirmé et a ordonné un complément d’information. Dans le cas présent, c’est le parquet qui voulait rallonger l’instruction, non pas le juge qui voulait, pour sa part, accélérer la procédure. C’est pourquoi d’ailleurs il a été poursuivi devant la cour de révision.

M. Gaston CARRASCO : Il a été poursuivi ?

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Oui, parce qu’il s’était plaint de la façon dont le parquet menait l’affaire.

M. Gaston CARRASCO : Vous mélangez tout.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Eclairez-nous parce que vos propos ne sont pas très clairs.

M. Gaston CARRASCO : Pour moi, l’affaire Binyamin est très claire. Je vais vous dire quelque chose que je n’ai pas dit jusqu’ici. D’ailleurs, si je vous l’avais dit, qu’auriez-vous pensé de moi ? La procédure était nulle pour deux raisons :

1) Tout d’abord, au niveau de l’arrestation de M. Binyamin. Quelle que soit la personne, cela n’autorise pas à faire n’importe quoi, car bien souvent, les décisions qui suivent traduisent ce n’importe quoi.

2) S’agissant de la deuxième nullité, je peux vous la dire car M. Binyamin a été jugé. Lorsque le juge l’a inculpé, il a omis d’accomplir une formalité substantielle, prévue par l’article 166 du code de procédure pénale monégasque. Cela n’a pas été fait et personne ne l’a remarqué.

Dans ce dossier, ces deux éléments me gênaient beaucoup. Quant au fond du dossier, l’instruction a eu lieu. Comme les délais étaient trop longs, j’avais demandé au juge de se déplacer. Cela ne servait à rien d’envoyer des commissions rogatoires, il fallait aller trois mois sur place, aux Pays-Bas. Au vu du dossier, de mon point de vue, il n’y avait aucun élément pour soutenir l’accusation. M. Serdet qui a réglé ce dossier, et non pas moi, a alors dit qu’on ne pouvait continuer ainsi, sinon on allait au non-lieu. Aujourd’hui, on me reproche d’avoir demandé un réquisitoire supplétif et c’est peut-être grâce à lui qu’il a été condamné. M. Binyamin n’aurait jamais dû être condamné à douze ans, mais à quarante. Je l’ai dit devant la cour.

M. le Président : Merci beaucoup.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr