Présidence de M. Alain TOURRET, Président

Mme Aubry est introduite.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Aubry prête serment.

M. le Président : Madame la ministre, dès le 4 mars dernier, en séance publique, vous avez exprimé la position du Gouvernement sur le régime de sécurité sociale des étudiants, non pas sur le principe d’une commission d’enquête, mais sur le fond, soulevant alors bon nombre de questions.

Nous souhaitons maintenant connaître plus en détail l’analyse que fait le Gouvernement des dysfonctionnements actuels des mutuelles étudiantes et des moyens d’y remédier.

Mme Martine AUBRY : Messieurs les députés, je tiens tout d’abord à rappeler l’intérêt que le Gouvernement porte aux travaux et propositions de votre commission d’enquête pour améliorer encore le régime de sécurité sociale des étudiants. Nous sommes tous attachés à sa pérennité.

Ce régime particulier permet de prendre en compte la spécificité de la population étudiante, qui, par le biais de ses mutuelles, est très étroitement associée à la gestion de sa couverture sociale. En vertu des principes généraux de la mutualité, cette représentation se fonde sur des règles démocratiques, sur l’absence de tout but lucratif et sur la solidarité entre les adhérents. Ce sont donc ces principes majeurs que nous devons avoir à l’esprit lorsque nous examinons le fonctionnement actuel des mutuelles, en l’occurrence des mutuelles étudiantes.

Les divers rapports réalisés sur les mutuelles étudiantes, qu’ils émanent de la Cour des comptes ou de l’IGAS, ont tous émis une appréciation favorable sur la qualité du service rendu. En effet, la gestion du régime de base par les mutuelles présente des avantages évidents : un accueil personnalisé, des facilités de contact, une possibilité de dialogue, la proximité, une unité d’interlocuteurs et une simplification pour les remboursements.

Cela dit, c’est bien parce qu’il est attaché au régime de sécurité sociale étudiant que le Gouvernement porte une attention particulière aux dysfonctionnements qui pourraient aboutir, si nous n’y prenions garde, à la remise en cause de la délégation de gestion dont bénéficient les mutuelles d’étudiants, ce que nous ne souhaitons bien évidemment pas.

Le Gouvernement entend en particulier agir pour que les mutuelles étudiantes soient gérées dans des conditions qui assurent la maîtrise de leurs coûts de gestion et la transparence. Il est par ailleurs de leur intérêt comme de celui de leurs affiliés qu’elles puissent être soumises à un contrôle efficace.

C’est pour ces raisons qu’à la suite du rapport général de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, remis fin 1998, et qui s’interrogeait, à propos des mutuelles, sur le niveau des remises de gestion et leur adéquation avec le coût réel du service rendu, j’ai, conjointement avec le ministre de l’Economie, des finances et de l’industrie, diligenté une mission de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales sur les coûts réels de la gestion du régime de base par les mutuelles étudiantes et sur les moyens de contrôler, de manière fiable et pérenne, l’évolution de ces coûts pour les années à venir.

Le rapport vient de m’être remis - il est à votre disposition. Il confirme entièrement le diagnostic de la Cour des comptes, en estimant que les remises de gestion sont trop élevées et proposant une diminution de 306 F à 260 F par étudiant, du même ordre de grandeur que celle que suggérait la Cour des comptes.

Ce rapport établit que les dépenses de communication des mutuelles - soit 14 % de leurs charges de gestion - sont liées à une logique commerciale qui n’est pas cohérente avec leur mission d’organismes délégataires de la sécurité sociale en matière de santé, ce qui fait qu’elles ne doivent pas être financées par les remises de gestion.

Le rapport constate également que le nombre important de mutuelles d’étudiants entraîne des surcoûts et des retards dans la mise en œuvre de l’informatisation. Chaque mutuelle développe ou fait développer ses propres outils informatiques. Ces développements progressent au rythme des possibilités financières des mutuelles qui sont limitées, et débouchent parfois sur des problèmes de comptabilité avec le système de la CNAM. Par ailleurs, la redondance de développements différents, pour satisfaire un même cahier des charges, s’avère in fine très coûteuse.

Le rapport suggère donc de soumettre les mutuelles d’étudiants à de véritables contrats d’objectif, qui ne se bornent pas, comme actuellement, à définir le montant des remises de gestion : ces contrats devraient fixer des objectifs en termes de mise à niveau informatique et de productivité. Dans ce cas, la CNAM pourrait voir son rôle élargi à celui de prestataire de service, et assurer, contre rémunération, la conception et le développement des outils informatiques des mutuelles. Une autre possibilité, selon le rapport, serait que les mutuelles se regroupent pour développer ensemble leur réseau informatique.

Plus globalement, des objectifs mesurables devraient être fixés en termes de qualité du service rendu aux étudiants, comme cela existe pour les caisses d’assurance maladie dans le cadre des conventions d’objectif et de gestion.

Je souhaite que les conclusions de ce rapport servent de base à l’élaboration du prochain contrat pluriannuel entre la CNAM et les mutuelles d’étudiants, qui doit fixer le montant des remises de gestion pour l’exercice 1999 à 2001 - soit trois ans. Ce rapport sera donc soumis à la CNAM dans les prochains jours.

Ce rapport IGF-IGAS a aussi le mérite plus général de mettre en lumière le fonctionnement original du régime de sécurité sociale des étudiants dans le paysage actuel de la sécurité sociale.

Comme pour le régime des fonctionnaires, la gestion du régime de base des étudiants est déléguée aux mutuelles, qui sont au nombre de deux par région : la MNEF, seule mutuelle nationale, et une mutuelle régionale. Les étudiants ont donc le choix de leur mutuelle d’affiliation, alors que les fonctionnaires, eux, ne disposent que d’une mutuelle par ministère. Ce fonctionnement déporte sur le régime de base la concurrence qui existe sur le marché du régime complémentaire. L’étudiant qui prend une assurance complémentaire la souscrit, en règle générale, auprès de la mutuelle grâce à laquelle il est affilié au régime de base.

Le Gouvernement n’a pas l’intention de remettre en cause cette concurrence : à condition d’être maîtrisée, notamment en ce qui concerne les dépenses de communication, celle-ci doit en effet permettre une qualité de service performante et des coûts de gestion réduits.

Enfin, nous porterons attention aux conclusions de votre commission pour atteindre les objectifs que nous nous fixons : que les mutuelles étudiantes satisfassent aux principes traditionnels de la mutualité ; que le coût du service soit le plus faible possible, pour une meilleure qualité du service rendu aux étudiants ; que les remises de gestion s’appuient sur la réalité des coûts et soient utilisées à bon escient.

M. le Président : Vous venez de rappeler que la mutuelle étudiante intervient à un double titre : pour la gestion, par délégation du régime général de sécurité sociale, et pour une couverture mutuelle complémentaire. Or on a souvent évoqué la difficulté voire l’impossibilité de dissocier, au travers des comptes des mutuelles, cette double activité. N’y a-t-il pas là, selon vous, une situation qui a trop longtemps rendu toute procédure de contrôle inefficace ?

Mme Martine AUBRY : De fait, au cœur de la question dont nous traitons aujourd’hui se pose le problème du contrôle des mutuelles.

Il existe actuellement un double système de contrôle, qui n’est pas coordonné et ne permet pas, sans doute, de porter une appréciation claire, à tout moment, sur la gestion des mutuelles.

La gestion du régime obligatoire des étudiants par les mutuelles qui reçoivent à ce titre les remises de gestion est soumise au contrôle de l’IGAS. Je signale à ce propos que le rapport demandé en 1995 à l’IGAS et remis en avril 1996 n’avait pas formulé de remarques critiques sur la dépense consentie en faveur de chaque mutuelle au titre des remises de gestion. C’est sans doute ce qui explique que mon prédécesseur n’ait pas remis en cause ce système avant la signature du contrat d’objectif entre la CNAM et les mutuelles étudiantes, pour la période 1996-1998. Il a fallu attendre le rapport de la Cour des comptes pour que nous nous intéressions véritablement à ce problème et que nous diligentions l’enquête commune IGAS-IGF.

Quant au contrôle de l’activité complémentaire, il est effectué par la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance, qui veille au respect des dispositions législatives et réglementaires du Code la mutualité.

Au titre de l’article L. 531-1-5 du Code de la mutualité, la commission de contrôle des mutuelles peut s’intéresser à d’autres activités que le régime complémentaire : aux filiales, par exemple, mais seulement si elle est convaincue que leur fonctionnement altère l’autonomie de fonctionnement ou de décision de la mutuelle en question. Ces conditions restrictives expliquent sans doute que la commission de contrôle n’ait jusqu’ici jamais fait usage de ce droit de suite. Par ailleurs, pour des engagements inférieurs à 150 millions de francs de prestations, c’est le préfet de région où est installé le siège social de la mutuelle qui effectue ce contrôle.

La coordination et la complémentarité des contrôles que nous pouvons réaliser aujourd’hui sur les mutuelles - essentiellement sur le régime de base - m’apparaissent insuffisantes pour nous permettre d’y voir clair dans le fonctionnement des mutuelles. D’autant qu’aucun des deux contrôles effectués, par l’Inspection générale d’une part, par la commission de contrôle d’autre part, ne peut donner lieu à un droit de suite, sauf preuve quasi certaine de l’existence d’un problème majeur.

Au-delà de la nécessaire coordination des différents contrôles s’impose donc la nécessité d’une gestion plus transparente des mutuelles. Elle passerait d’abord par la mise en place d’une comptabilité analytique, avec séparation des différentes activités, afin que l’on puisse mieux apprécier le coût de gestion et l’efficacité de chacune des mutuelles, et vérifier que les remises de gestion sont bien utilisées au titre du seul régime de base. Sur la base du rapport d’inspection et des travaux de votre commission d’enquête, je pense que nous trouverons les moyens d’améliorer cette transparence.

M. le Président : Madame la ministre, vous acceptez donc de remettre à la commission le rapport de l’IGAS daté de 1996 et le rapport conjoint IGAS-IGF de 1999 ? Par ailleurs, pensez-vous souhaitable de soumettre les mutuelles aux règles des marchés publics ?

Mme Martine AUBRY : Je vous remets bien volontiers un exemplaire de chacun de ces rapports.

Aujourd’hui, les mutuelles ne sont pas soumises au Code des marchés publics. Elles sont régies, il faut bien le dire, par des dispositions assez peu strictes quant à la séparation entre l’ordonnateur et le comptable.

Le Gouvernement est tout à fait favorable à un renforcement des contraintes et des sécurités s’appliquant aux mutuelles. Cela passe d’ailleurs par une réforme de l’habilitation : celle-ci, aujourd’hui de plein droit, pourrait être conditionnée à des garanties.

Faut-il aller jusqu’à soumettre les mutuelles au Code des marchés publics ? N’est-ce pas incompatible avec le Code des mutuelles ? Je n’ai pas encore de réponse sur ce point ; une expertise est nécessaire pour le déterminer. En tout cas, même si le Code des marchés, en tant que tel, juridiquement, ne s’applique pas, il va de soi qu’il faut plus de transparence dans le mode de fonctionnement et l’appel aux marchés.

M. le Président : Quelle a été votre position concernant la nomination d’un administrateur provisoire de la MNEF au deuxième semestre de 1998 ?

Mme Martine AUBRY : J’ai reçu, le 29 juillet 1998, une lettre du président de la Cour des comptes qui, au vu de premières constatations, m’indiquait qu’il était amené à saisir le parquet concernant la gestion de la MNEF.

Au vu de cette information et des articles de presse à ce sujet, et avant même que la commission de contrôle des mutuelles et la Cour des comptes n’aient rendu leurs rapports, il m’est apparu que la politique de diversification de la MNEF comportait des risques financiers. Que pouvait-on craindre ? Sans doute une faiblesse du contrôle interne suite à la politique de diversification, des relations privilégiées avec certains fournisseurs ou prestataires, et l’attribution systématique d’indemnités aux administrateurs qui nous avait été signalée et qui avait été signalée par la presse.

Aussi, le 14 septembre 1998, j’ai demandé au directeur de la sécurité sociale, commissaire du Gouvernement auprès de la commission de contrôle des mutuelles, de proposer à celle-ci de nommer un administrateur provisoire. Le 17 septembre, le commissaire du Gouvernement a demandé à la commission d’engager une procédure contradictoire en vue de désigner un administrateur provisoire à la MNEF. La commission de contrôle a décidé d’attendre l’envoi des documents faisant état des faits relevés par la Cour des comptes. Je signale que je n’ai moi-même reçu le rapport provisoire de la Cour que le 21 septembre.

Le 29 septembre, la commission de contrôle a décidé d’engager à l’encontre de la MNEF la procédure contradictoire susceptible d’aboutir à l’envoi d’une injonction ou à la désignation d’un administrateur provisoire du fait du manque de transparence et de contrôle évoqué par la Cour des comptes.

Le 22 octobre, la commission de contrôle a entendu la MNEF, dans le cadre de la procédure contradictoire, et ses membres ont alors décidé à l’unanimité de nommer un administrateur provisoire à la MNEF.

Cette décision se fondait sur deux raisons : le caractère non probant des documents soumis par la MNEF pour contrecarrer les risques financiers qu’avait relevés la Cour des comptes, d’une part ; la négligence des dirigeants de la MNEF, qui, selon cette commission, faisait courir à la mutuelle des risques financiers, d’autre part.

Bien évidemment, le commissaire du Gouvernement m’a rendu compte des conclusions de ces réunions. Par ailleurs, après le 22 octobre, le président de la Commission de contrôle a confirmé par lettre au directeur de la sécurité sociale la décision de la commission.

Or le 3 novembre, la commission de contrôle, au vu du mémoire déposé par la MNEF le 23 octobre, a finalement renoncé à nommer un administrateur provisoire.

Elle a alors décidé d’engager " un contrôle approfondi sur pièces et sur place de la MNEF afin notamment d’évaluer, de manière précise et exhaustive, les engagements de toute nature de la mutuelle auprès de ses filiales, sous-filiales et autres partenaires commerciaux ou associatifs et les risques qui leur sont associés ". Nous attendons ce rapport provisoire qui, d’après ce que je sais, devrait être soumis fin avril pour donner lieu à une réponse contradictoire.

Tout me laissait penser que la commission nommerait un administrateur provisoire. J’avais d’ailleurs moi-même téléphoné au président de la commission pour lui préciser que le commissaire du Gouvernement s’exprimerait au nom du Gouvernement en demandant la nomination d’un administrateur provisoire ; je ne voulais pas qu’il y ait d’ambiguïté en la matière. J’ai donc été très étonnée, le 3 novembre, d’apprendre que la commission de contrôle renonçait à désigner cet administrateur provisoire. Peut-être a-t-elle eu des éléments justifiant sa demande de contrôle sur pièces actuellement en cours ? Mais je ne peux donner d’appréciation sur cette décision.

M. le Président : La presse a fait état de nombreuses prises de participation de la MNEF dans des sociétés commerciales dont l’activité semble éloignée - pour ne pas dire très éloignée - de son objet social. Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point ?

Mme Martine AUBRY : Sur ce point, je n’ai d’information, comme vous, que par la presse. Mais je pense que ce qui est vrai pour la mutualité étudiante vaut pour d’autres mutuelles. C’est ce qui m’amène à penser que la réflexion que nous menons actuellement sur la mutualité étudiante devra s’étendre à l’ensemble des mutuelles.

J’ai d’ailleurs été amenée, lors de l’anniversaire de la mutualité française, il y a quelques mois, à dire combien j’espérais voir perdurer les principes de la mutualité, grâce à une plus grande transparence dans le fonctionnement des mutuelles et grâce à un contrôle plus démocratique en interne et plus ouvert sur l’extérieur. La mutualité aurait tout à y gagner, notamment dans le débat européen où nous défendons l’originalité que représentent les mutuelles.

Selon le Code de la mutualité, l’objet social d’une mutuelle est de mener, dans l’intérêt de ses membres ou de leur famille, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide, ce qui, aux termes du même Code et du même article, peut la conduire à assurer le développement culturel, moral, intellectuel et physique de ses membres et l’amélioration de leurs conditions de vie.

Sans doute le Code de la mutualité légitime-t-il donc les mutuelles à mettre en place des œuvres sociales telles que des établissements de santé, des centres d’optique, des crèches, des centres de vacances, et même des activités visant le développement culturel et sportif des étudiants.

En revanche, il me semble - mais je ne sais cela que par la presse, je le répète - que les investissements dans des agences de voyage, des sociétés de courtage d’assurance, des sociétés de communication devraient être contrôlés au regard de la mission même de la mutualité. C’est peut-être un des points qu’il nous faudra préciser lors de la modernisation du Code de la mutualité que j’ai annoncée lors de la célébration du centenaire de la loi du 1er avril 1898 sur les sociétés de secours mutuel. Recadrer cette loi permettrait d’éviter des dérives qui, apparemment, ne sont pas le fait des seules mutuelles étudiantes.

M. le Président : En quoi la mise en place prochaine de la couverture maladie universelle (CMU) remet-elle éventuellement en cause la spécificité du régime étudiant ?

Mme Martine AUBRY : La couverture maladie universelle ne bouleverse en rien la spécificité du régime étudiant, qui demeurera ce qu’il est pour le régime de base. Il en va de même pour le régime complémentaire : les étudiants, comme l’ensemble des Français, resteront adhérents à leur régime complémentaire. Et lorsque leurs ressources se situeront en dessous du plafond, qu’ils seront indépendants fiscalement et n’habiteront pas avec leur famille, ils pourront bénéficier de la CMU comme tout autre Français remplissant les mêmes conditions.

Les mutuelles étudiantes ne seront donc pas gênées par le développement de la CMU. A l’inverse, comme toutes les mutuelles, elles pourraient être amenées à gérer la CMU pour certains étudiants, si elles se portent candidates pour le faire.

M. le Président : Le régime étudiant de sécurité sociale est " à la croisée des chemins ", selon le rapport de la Cour des comptes qui ajoute : " Le cadre des financements que les pouvoirs publics entendent accorder à la mise en œuvre d’une politique visant la prise en charge globale des conditions sanitaires et sociales des étudiants appelle un véritable réexamen ". Comment le Gouvernement analyse-t-il ces appréciations ?

Mme Martine AUBRY : Je ne sais pas très bien ce qu’entend la Cour des comptes par " croisée des chemins ". Le Gouvernement, pour sa part, entend maintenir le régime de sécurité sociale étudiant, sur la base même des principes de la mutualité. Il apparaît en effet, tant au Gouvernement qu’à l’IGAS ou à la Cour des comptes, que ces principes apportent un plus en termes de qualité des services rendus aux étudiants.

Pour autant, il convient de progresser dans certains domaines : le financement des remises de gestion, la transparence de la gestion - sans doute avec la mise en place d’une comptabilité analytique, non suffisante mais nécessaire -, les conditions de contrôle de l’ensemble des mutuelles, afin de permettre un contrôle externe dans la plus grande transparence et leur accorder ainsi une certaine légitimité. Sur ce point, le Gouvernement attend les propositions de la commission d’enquête.

Nous comptons donc travailler sur l’ensemble de ces points, en renforçant la mutualité étudiante et non en la remettant en cause. D’ailleurs, l’ensemble de la mutualité souhaite moderniser ses principes, qui ont maintenant cent ans, afin de mieux asseoir sa crédibilité.

M. le Rapporteur : Il apparaît que les trois grands sujets sont l’efficacité des contrôles, les remises de gestion et la filialisation de certaines activités. Vous paraît-il souhaitable que les mutuelles étudiantes en viennent à bien cloisonner leurs différentes activités : l’assurance obligatoire, l’assurance complémentaire, et les diverses activités sociales ?

Mme Martine AUBRY : Il me semble que c’est la base de tout contrôle. Sans une gestion et des comptes séparés pour les trois domaines que sont le régime obligatoire, le régime complémentaire et la gestion des autres activités, nous en resterons là où nous en sommes aujourd’hui.

Je signale d’ailleurs que la mise en place de la comptabilité analytique, nécessaire à la séparation comptable, était prévue dans les deux contrats d’objectif précédents : 1993-95 et 1996-98. Ce qui n’a pas été fait. Peut-être cela tient-il au fait que les dispositions législatives ne donnent au Gouvernement aucun pouvoir de sanction ni même un pouvoir d’incitation, ce qui devra être revu lors de la réforme du Code des mutuelles. La comptabilité analytique devra donc être mise en place, accompagnée des dispositions législatives adéquates.

La comptabilité analytique permettra d’apprécier et même de comparer les coûts de gestion des mutuelles, mais aussi de séparer leurs différentes activités, et donc de vérifier que ce qui est imputé au régime de base en relève bien. Pour autant, nous ne souhaitons pas que les remises de gestion diffèrent de ce qu’elles sont aujourd’hui en vertu de l’égalité de traitement. Elles doivent être identiques pour toutes les mutuelles.

La comptabilité analytique révèlera la bonne ou la mauvaise gestion de certaines mutuelles, permettant aux meilleures d’entre elles de proposer aux étudiants des services de meilleure qualité. C’est par ce biais et non par celui des dépenses de communication - qui me paraissent excessives - que doit pleinement jouer la concurrence.

Je le répète, nous devons faire en sorte que la concurrence joue sur la qualité des services et leur étendue, et ne dépende pas d’une politique de communication qui, me semble-t-il, n’a rien à faire dans un métier comme celui-là. Nous aurons également besoin de préciser l’objet possible des filiales.

M. Robert PANDRAUD : Madame la ministre, vous nous avez dit que le rapport d’enquête de l’IGAS de 1995-96 n’avait rien relevé d’anormal, et qu’il avait fallu un rapport de la Cour des comptes pour s’inquiéter. Une telle situation aurait été impensable il y a encore dix ans. Ce fait ne remet-il pas en cause l’existence de l’IGAS, et même de tous les corps d’inspection ministériels ? Ne vaudrait-il pas mieux, pour plus d’efficacité, une inspection générale dépendant du Premier ministre, avec des personnels compétents ? Le contrôle souvent " tatillon " et a posteriori de la Cour des comptes n’est en effet pas très utile pour les ministres, quel qu’en soit l’intérêt pour le public.

Mme Martine AUBRY : Le rapport de l’IGAS de 1995 n’était à l’évidence pas d’une qualité extrême, car les problèmes aujourd’hui soulevés auraient dû l’être alors. Je vous rejoins donc sur ce point.

Cela dit, moi qui suis dans ce ministère depuis 1975, je me réjouis de voir que l’IGAS reçoit, depuis quelques années, certains des meilleurs élèves de l’ENA et les autres fonctionnaires de l’IGAS sont nommés parmi les meilleurs du ministère de l’emploi et de la solidarité. Or aujourd’hui, ce corps est d’une grande qualité. C’est lui qui a mis au jour, à titre d’exemples, l’affaire de l’ARC, qui a fait un rapport de qualité sur la Corse, sans oublier plusieurs saisines du procureur sur toutes sortes de problèmes et de mauvaises gestions.

Si nous avons demandé une mission commune IGAS-IGF, c’est que cela paraissait nécessaire au vu du rapport de la Cour des comptes. Pour autant, il me semble important de pouvoir disposer d’une inspection générale particulière aux affaires sociales, y compris pour des affaires financières. Il faut connaître le fonctionnement des hôpitaux, par exemple, pour bien les contrôler, y compris sur leur gestion. Or la grande majorité des rapports qui me sont remis sont de bonne qualité, et parfois même d’une qualité extrêmement bonne.

En conséquence, même si nous avons parfois intérêt à réunir l’expertise de plusieurs inspections générales ou à mieux coordonner leurs travaux, je crois nécessaire de continuer à conforter l’IGAS pour des missions spécifiques au ministère de l’emploi et de la solidarité.

M. Bruno BOURG-BROC : Madame la ministre, vous nous avez dit que la majorité des mutuelles n’avaient pas perdu leur crédibilité. Les mutuelles régionales, à votre connaissance, sont-elles exemptes des dérives éthiques perpétrées par la MNEF et certaines de ses filiales ? Par ailleurs, quel est votre sentiment personnel sur le nécessaire pluralisme des mutuelles étudiantes et les modalités de réforme des remises de gestion ?

Mme Martine AUBRY : Concernant les mutuelles régionales, je n’ai pas d’informations particulières autres que celles que j’ai pu lire dans le rapport de la Cour des comptes, lequel souligne que la plupart des mutuelles mènent une politique de diversification. Celle-ci est-elle légitime, dans le cadre de leur mission, ou va-t-elle au-delà ? Je n’ai pas d’élément particulier pour le savoir.

Les rapports sur les mutuelles régionales, demandés par le président de la Commission de contrôle, sont achevés - je l’ai appris hier - et sont actuellement soumis à procédure contradictoire. Ils seront examinés par la commission de contrôle en mai. Ce sont des rapports provisoires sur la Mutuelle interprofessionnelle de France (MIF), sur la Mutuelle Interjeunes (MIJ), sur l’Union technique des mutuelles professionnelles (UTMP).

Or le chef de l’Inspection générale des affaires sociales, qui est membre de la commission de contrôle des mutuelles, a eu connaissance de ces rapports et m’a informé qu’il avait décidé de saisir le procureur.

Ce sont là les seuls éléments dont j’aie connaissance. Je n’ai pas moi-même ces rapports provisoires. Ils ont été diligentés par les préfets - puisqu’il s’agit de petites mutuelles - à la demande du président de la Commission de contrôle, qui les a maintenant en main.

M. Robert PANDRAUD : Juridiquement, qui saisit les parquets ? Vous ?

Mme Martine AUBRY : Non. C’est le chef de l’IGAS qui, étant membre de la commission de contrôle et en tant que tel, a décidé, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, de saisir le procureur. Il m’a informé par lettre, hier, qu’il avait décidé, au vu de ces rapports, de saisir le procureur. Il n’a pas à m’en demander l’autorisation, ni même obligation de m’en informer.

Pour en revenir aux questions posées par M. Bourg-Broc, j’ai toujours pensé que la concurrence était une bonne chose. Il me semble donc bon que les mutuelles se fassent concurrence sur ce qui doit apporter un plus aux étudiants : sur la qualité et la quantité des services rendus. Mais elles n’ont pas à se faire concurrence par le biais de dépenses de communication en vue d’" attirer la clientèle " - dépenses dont la part s’élève tout de même à 14 % des charges de gestion, selon la Cour des comptes.

Aussi, si nous parvenons à cadrer les diversifications possibles ainsi que le montant des dépenses, nous devrions parvenir à une concurrence profitant à l’amélioration des coûts de gestion et à la qualité du service rendu, et pas à autre chose. C’est donc dans cet esprit qu’il nous faut travailler sur la réforme du Code de la mutualité.

S’agissant du montant des remises de gestion, le système prévu n’a jamais été appliqué parce qu’il est inapplicable. Aussi, maintenant que nous savons avec certitude, grâce aux rapports de la Cour des comptes et de l’IGAS-IGF, que les remises de gestion apparaissent trop importantes, il convient d’en modifier le mode de calcul.

A mon sens, il faut maintenir une égalité de traitement, et donc un montant de remise de gestion identique pour toutes les mutuelles. Le système forfaitaire devrait donc être maintenu. Mais il faudra désormais prendre en compte le résultat des comptabilités analytiques, afin de déterminer le coût de gestion réel du système de base - puisque s’agissant des remises de gestion, seul le système de base est concerné.

Ce système forfaitaire permettra aux mutuelles les plus performantes de dégager une marge, et donc de proposer des services complémentaires. Il ne me paraît d’ailleurs pas illégitime que ces mutuelles puissent bénéficier d’une prime d’intéressement à la bonne gestion, qui se retrouverait dans le service rendu aux étudiants. Faire l’inverse reviendrait, par le biais de remises de gestion plus importantes, à aider ceux qui sont les moins performants, ce qui n’irait pas dans le bon sens.

Nous allons donc maintenant travailler à la réforme du système de remises de gestion, qui, bien évidemment, doit être directement lié au coût de gestion du régime de base. Coût de gestion qui ressortira de la comptabilité analytique qu’il faut à l’évidence mettre en place et les propositions de la commission d’enquête sur ces points seront les bienvenues.

M. Yves NICOLIN : Il semble que les avantages accordés par la CNAM à la MNEF, entre 1985 et 1995, s’élèvent à près de 150 millions de francs, sur la base d’une somme forfaitaire de 317 F par étudiant en 1998. Vous venez de dire que la concurrence était une bonne chose. Entendez-vous demander à la MNEF de rembourser le trop-perçu, ou entendez-vous demander à la CNAM de rattraper l’inégalité subie par les mutuelles régionales indépendantes pendant toutes ces années ?

Par ailleurs, la délégation de gestion de la sécurité sociale aux mutuelles étudiantes implique que soit renégociée, chaque année, la somme forfaitaire versée par les étudiants. Suite à la renégociation de fin 1998 entre les caisses et les mutuelles, cette somme forfaitaire a été fixée à 317 F. Pour 1999, les mutuelles étudiantes sont encore dans l’incertitude alors que nous sommes déjà au mois d’avril. Peut-on imaginer que cette renégociation ait lieu en amont et que la CNAM annonce, en début d’exercice budgétaire, le niveau des remises, de façon à faciliter l’établissement et le vote de leur budget par les mutuelles ?

Mme Martine AUBRY : Je n’étais pas chargée de ce secteur avant 1994. Ce que j’ai cru comprendre, c’est qu’en 1994, le Gouvernement a décidé, sur la base d’un rapport, de fixer l’ensemble des remises de gestion à hauteur de celle de la MNEF, considérant que les autres remises de gestion étaient insuffisantes pour permettre un bon fonctionnement du régime de base.

Quant au dernier rapport IGAS-IGF, il indique que le passage de 306 F à 260 F par étudiant ne devrait mettre en péril aucune des mutuelles. Nous travaillerons donc sur cette base. Il est vrai que nous avons pris un peu de retard pour fixer le niveau du forfait, mais il m’a semblé utile d’attendre les conclusions du rapport IGAS-IGF pour pouvoir le soumettre à la CNAM avant que ne soit renégocié le contrat avec les mutuelles.

Venant tout juste de recevoir ce rapport IGAS-IGF, nous n’avons pas encore pu consulter les mutuelles, mais a priori, le montant de 260 F par étudiant paraît un chiffre vraisemblable. C’est donc sur cette base que la CNAM devrait discuter avec les mutuelles étudiantes.

Quant à ce que vous qualifiez de " trop perçu " par la MNEF, personne, jusqu’ici, n’a dit que la MNEF avait reçu des remises de gestion trop importantes. D’ailleurs, si le précédent Gouvernement a réévalué les remises de gestion à hauteur de celle de la MNEF, c’est bien qu’il estimait plutôt que c’était les autres qui étaient insuffisantes.

Je ne pense pas qu’on puisse revenir, des années plus tard, sur ce qui a permis, tout de même, un bon fonctionnement, et ce en faveur d’un très grand nombre d’étudiants en France. Je ne me suis donc pas posé cette question. L’important est désormais de mettre en place des règles transparentes, fiables et crédibles pour l’avenir.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Tout d’abord, je vous remercie pour la clarté de vos propos. Qu’en est-il, selon vous, de la qualité et de l’étendue des services rendus par les mutuelles d’étudiants ? De plus, de quelles réactions devraient-elles faire preuve pour mieux répondre à l’évolution des problèmes sanitaires et sociaux du monde étudiant ?

Mme Martine AUBRY : En tant que ministre, je n’ai affaire aux mutuelles étudiantes que pour ce qui concerne le régime de base. Or aucun rapport, ni celui de la Cour des comptes ni celui de l’IGAS, ne conteste la qualité du service rendu pour le régime de base par les mutuelles.

Il me semble qu’elles fonctionnent correctement, tant au niveau du service rendu à l’étudiant - proximité, écoute - que de la rapidité des remboursements. Sur ce terrain, en tant que ministre de la Santé, je n’ai pas de raison de considérer que les mutuelles étudiantes ne remplissent pas bien cette fonction. Le coût de gestion, en revanche, est un problème qu’il faut examiner de plus près, comme je l’ai déjà dit.

Pour le reste, il est important que les mutuelles continuent à jouer un rôle pour tout ce qui a trait à l’épanouissement des étudiants, dans les domaines culturel, sportif et même de prévention en matière de santé. Tout ce qui y contribue me paraît aller dans le bon sens.

En revanche, il convient d’éviter que leur mission, sortant du domaine de la mutuelle et du développement culturel, social, personnel de l’étudiant, ne s’étende au marché classique. C’est en ce sens qu’il va nous falloir travailler si nous souhaitons rester dans le cadre strict de ce que doivent être des mutuelles.

M. le Président : Merci, Madame la ministre, pour ces explications et pour les rapports que vous nous remettez. Je souhaite en effet que les membres de cette commission d’enquête disposent du maximum de pièces écrites ; c’est là la véritable transparence.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr