Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Botton est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Botton prête serment.

M. le Président : Monsieur Botton, nous avons tenu à vous entendre car vous avez travaillé avec l’ancien directeur de la MNEF et vous travaillez actuellement avec le nouveau. Vous pourrez donc, dans un exposé liminaire, nous présenter votre vision des choses, nous dire si cette mutuelle fonctionnait bien - et fonctionne encore - et si un certain nombre de transformations sont nécessaires.

M. Salomon BOTTON : Monsieur le président, n’ayant pas l’habitude d’être auditionné par une telle commission, j’ai limité mon intervention liminaire à trois sujets principaux : la nécessité du maintien du régime étudiant de sécurité sociale, son coût - et par conséquent les remises de gestion - et les dysfonctionnements et les dérives qui ont pu être constatés.

A propos de la nécessité du maintien du régime étudiant de sécurité sociale, je dirai que ceux qui considèrent que les mutuelles étudiantes qui gèrent le régime de sécurité sociale effectuent le travail d’une caisse primaire, se trompent lourdement et abordent ce sujet d’une manière assez simpliste. Dans de nombreux domaines, le rapport de l’IGAS de 1996 en fait état, ces mutuelles ont un rôle pédagogique à l’égard des étudiants ; le premier contact de l’étudiant avec la sécurité sociale s’effectue par le biais de sa mutuelle, à la différence de ce qui se passe pour les salariés.

Par ailleurs, les agents salariés de la MNEF viennent, pour une grande majorité, des caisses primaires d’assurance maladie du régime de sécurité sociale - ils ont en moyenne 38 ans et environ 15 ans d’ancienneté - ils sont qualifiés et ont à plusieurs reprises bénéficié de formations portant sur le domaine pointu de la sécurité sociale étudiante. Leur expérience est telle que lorsqu’une question de législation sociale se pose, le réflexe des CPAM est de se tourner vers la mutuelle étudiante qui gère le régime de sécurité sociale, et notamment vers la MNEF qui est la seule à avoir une assise nationale.

La MNEF a donc une bonne connaissance du milieu étudiant et la capacité d’assurer la formation des assurés sociaux. Les caisses primaires ne sont pas adaptées, à l’heure actuelle, dans leur mode de fonctionnement, pour assurer une telle formation, notamment elles ne disposent pas d’un réseau de lieux d’accueil comparable à celui des mutuelles étudiantes. En supprimant les mutuelles étudiantes, on supprimerait une spécificité très importante.

S’agissant, d’autre part, de la mise en œuvre d’une politique de santé auprès de la jeunesse, les mutuelles étudiantes sont un vecteur approprié. Elles peuvent faire évoluer les comportements des étudiants en matière sanitaire et sociale, et les sensibiliser pour l’avenir sur les questions de santé. Elles peuvent donc être un partenaire non négligeable de la CNAM dans la mise en œuvre d’une politique de maîtrise des risques.

La question des coûts de gestion des mutuelles et des remises de gestion se pose périodiquement depuis la création de la MNEF. Ce problème s’est amplifié depuis 1974 lorsque l’Etat a autorisé d’autres mutuelles étudiantes à gérer le régime de sécurité sociale.

Le rapport de l’IGAS de 1996, qui a procédé à une analyse des comptes de l’ensemble des mutuelles gérant le régime de sécurité sociale étudiant, conclut que pour l’année 1994 le coût moyen de gestion est de 320 F par immatriculé. La MNEF percevant 320,67 F à cette date, j’en déduis qu’il y aurait eu une dérive de 67 centimes par immatriculé. Nous sommes donc loin des 100 millions de francs que la MNEF aurait " détournés ", pour reprendre certains propos tenus par la presse !

Le rapport de l’IGF retient également l’hypothèse d’un coût de gestion qui oscillerait entre 277 et 320 F. En appliquant la même méthodologie que celle utilisée par les inspecteurs de l’IGF, les coûts de gestion de la MNEF s’établissent de notre point de vue à 320 F par affilié. En l’absence de comptabilité analytique et d’un discours serein et sans a priori, il est difficile de déterminer le montant exact des remises de gestion, mais il est clair qu’il se situe aux alentours de 300 F. Alors dire que la MNEF a une gestion coûteuse ... me paraît excessif !

En outre, si l’on regarde le classement des caisses primaires en fonction de leur coût de fonctionnement établi régulièrement par la CNAM, on constate qu’en 1996, la MNEF était classée parmi les dix premières caisses, ce qui montre que des efforts de gestion ont été réalisés. Les mutuelles étudiantes sont même tout à fait favorables à ce qu’un débat soit ouvert pour essayer de trouver une solution durable.

J’indique qu’à l’heure actuelle, nous ne savons toujours pas quel sera le montant de la remise de gestion pour l’exercice en cours qui va du 30 septembre au 1er octobre de l’année suivante. Comment voulez-vous gérer une entreprise de 700 salariés quand on ne sait pas, au mois de mai, après huit mois d’exercice, quel sera le niveau des recettes ? C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à une clarification du mécanisme de calcul des remises de gestion, à condition de renoncer au préjugé selon lequel la MNEF a une gestion trop coûteuse.

En matière de gestion, la dérive des coûts est surtout liée à la concurrence. Le régime étudiant de sécurité sociale est le seul régime où il existe une concurrence. En effet, un salarié n’a pas le choix de sa caisse primaire, il est obligatoirement affilié à celle de son domicile, alors que l’étudiant a le choix entre deux caisses. Je vous rappelle que ce n’est pas la MNEF qui a souhaité cette concurrence - elle était en situation de monopole jusqu’au début des années 70 - elle lui a été imposée par l’Etat. L’année dernière, le ministère de l’Education nationale a agréé de nouvelles mutuelles, notamment la SMERAG dans les DOM ; il a, de ce fait, introduit la possibilité d’une troisième mutuelle gérant le régime de sécurité sociale. Cette situation pourrait se généraliser sur l’ensemble des départements métropolitains. L’Etat est donc entièrement responsable de cette concurrence.

S’agissant des dysfonctionnements et des dérives, il convient de préciser qu’il s’agit d’un problème général concernant l’ensemble de la mutualité. Les dérives montrent que les élus comme les personnels administratifs ont failli. Les élus, dans l’exemple de la Mutuelle des élus locaux ; les administratifs, dans le cas de la MNEF et de la GMF. Cela prouve qu’il est nécessaire de clarifier le rôle non seulement des élus, mais également des administratifs.

La mission confiée à M. Michel Rocard, relative à la transposition des directives européennes au secteur de la mutualité, est une bonne chose. Il faut avant tout définir les rôles. Il est étonnant de constater que le Code de la mutualité ne définit pas la fonction de directeur général, qui n’est même pas citée. Cette vision de la mutualité est aujourd’hui dépassée. Les mutuelles, qui atteignent maintenant une taille importante, ont besoin que leurs représentants acquièrent un certain niveau de compétence technique et de professionnalisme. Pour éviter que le pouvoir ne tombe entre les mains de la technostructure, il me semble nécessaire de clarifier le rôle de chacune des parties : les élus et les personnels administratifs.

En ce qui concerne la MNEF, compte tenu du fait qu’elle est gérée par un conseil d’administration composé d’étudiants dont, par définition, le renouvellement est fréquent et important, il est nécessaire de prévoir un contrôle a priori des engagements financiers importants.

M. le Président : Monsieur Botton, je vous remercie. Un jugement a été rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 18 mai 1999 ; il prononce la nullité de l’assemblée générale du 24 juillet 1998, de l’élection du 11 mars 1999 intervenant en exécution de cette assemblée, et réserve, par ailleurs, la possibilité de demander la nullité de toutes les délibérations intervenues depuis le 24 juillet 1998. J’ai appris ce matin que ce même tribunal a été saisi en référé d’une demande d’administrateur judiciaire. Quelle est la situation actuelle de la MNEF ? Des mesures ont-elles été prises depuis ce jugement ? Comment entrevoyez-vous l’avenir après une telle décision ?

M. Salomon BOTTON : Tout d’abord, cette décision ne nous a pas été notifiée. Le conseil d’administration élu est donc toujours en place, ainsi que le directeur général. Ensuite, nous avons interjeté appel, nous allons introduire un référé pour demander la levée de l’exécution provisoire dans l’attente de l’audience du 9 juin.

En ce qui concerne l’entreprise elle-même, elle continue à fonctionner normalement. En revanche, cette décision est grave dans la mesure où elle touche la vie directe de 700 salariés. Après plus de deux ans de contrôle et de campagne de presse, il y a une profonde lassitude du personnel et un sentiment d’épuisement. Cette dernière péripétie est donc très mal vécue à l’intérieur de la MNEF.

Les salariés avaient en effet le sentiment que les choses allaient changer, le processus électoral - qui n’est pas remis en cause par la décision de justice - ayant permis à 35 000 étudiants de voter. Je rappelle que le taux de participation a été proche de 15 % contre 3 % les années précédentes ; il n’est donc pas possible de remettre en cause la légitimité démocratique de la nouvelle direction. Ils avaient le sentiment qu’avec la nouvelle équipe étudiante, qui a pris toute une série de mesures importantes - constitution de partie civile, vente de certaines filiales comme Media Jeunes éloignées de l’objet social de la mutuelle, rupture du contrat d’assurance avec la société Cap Iram - un tournant avait été pris.

La décision de justice, en se fondant sur deux points de forme - l’absence d’urgence à convoquer un conseil d’administration et le recours à une procédure inappropriée - permet éventuellement la remise en place de l’ancien conseil d’administration - et pourquoi pas de l’ancien directeur général ! Une telle décision serait très mal vécue par les salariés qui sont anéantis. Il serait pour le moins paradoxal que l’ancien trésorier de la MNEF, Matthieu Séguéla, qui a saisi la justice et s’est opposé à l’ancienne équipe dirigeante, obtienne par ce biais le retour de cette même formation.

Ce qui a toujours fait la richesse de la MNEF, c’est son personnel. Il s’agit d’un personnel de qualité, dévoué à son entreprise, qui, dans le passé, a déjà eu à subir des tracas et a toujours su relever la tête. Il se joue une partie sur le dos des salariés de la MNEF ; cette partie a-t-elle pour but de solder la gestion passée de la MNEF ou de supprimer le régime de sécurité sociale étudiant ?

M. le Président : M. Pouria Amirshahi a déclaré lors de son audition qu’il fallait désormais donner les moyens, aux élus étudiants, d’assurer leurs responsabilités et de reprendre vraiment le contrôle de la mutuelle, ce qui n’était pas, selon lui, le cas auparavant. Il s’agit là d’une appréciation grave sur le fonctionnement de la mutuelle et de son conseil d’administration. Pouvez-vous nous expliquer comment étaient préparées les réunions du conseil d’administration sous la direction de M. Spithakis ? Comment étaient prises les décisions, sur quelle base et qui décidait de l’ordre du jour ?

M. Salomon BOTTON : Le secrétaire général, en relation avec le directeur général, établissait l’ordre du jour du conseil d’administration et les questions qui devaient y être traitées. Bien évidemment, cet ordre du jour était soumis aux membres du bureau.

M. le Président : M. Spithakis a renégocié certaines clauses de son contrat de travail avec le président du conseil d’administration. Comment se sont alors déroulées les discussions ?

M. Salomon BOTTON : La négociation de ce contrat a eu lieu en 1992, or, je n’étais pas encore présent dans l’entreprise. J’imagine que MM. Lévêque et Spithakis en ont discuté et qu’il a été ensuite présenté et adopté en conseil d’administration.

M. le Président : Quel sont les rôles du président et du trésorier au sein du conseil d’administration ?

M. Salomon BOTTON : Il est bien clair que je vais vous décrire le fonctionnement que je connais, c’est-à-dire celui auquel j’assiste depuis juin 1995. Je prendrai l’exemple des versements effectués dans les différents pôles dans le cadre de la diversification des activités.

Lorsque la MNEF avait besoin de financer le secteur assuranciel, le directeur général lui-même menait les négociations avec les partenaires extérieurs ; puis, quand il fallait transférer une dizaine de millions de francs dans la holding de tête - prenons l’UES Saint-Michel -, le bureau se réunissait et validait cette décision en donnant son accord. Bien évidemment, la décision du bureau était validée au conseil d’administration suivant. Mais il s’agissait de l’affectation d’un montant global par pôle pour mener une politique définie par le directeur général devant les instances élues. Dans le détail, l’utilisation de ces fonds - répartition entre filiales, sous-filiales - relevait non pas de la MNEF, mais de la holding.

M. le Président : Aucune présentation n’était faite en conseil d’administration des comptes des filiales et des sous-filiales ?

M. Salomon BOTTON : Non, pas dans le sens où vous l’entendez. Seule la politique générale menée par la holding de tête était développée ; les détails de l’opération n’étaient pas présentés, seules les sommes dévolues à telle ou telle filiale étaient précisées.

M. le Président : Les membres du conseil d’administration s’opposaient-ils à ces versements d’argent ?

M. Salomon BOTTON : Non, jamais.

M. le Président : Donc tout était préparé à l’avance. Le conseil d’administration se contentait, en dehors des politiques de santé, de ratifier les décisions.

M. Salomon BOTTON : Sans doute, mais on ne peut pas comprendre ce fonctionnement si l’on ne prend pas en considération l’autorité et l’ascendant de M. Spithakis sur l’ensemble des membres du conseil d’administration. Si je vous ai parlé d’une nécessaire réforme du Code de la mutualité, c’est parce que la MNEF est l’une des rares mutuelles qui devraient bénéficier d’un traitement particulier, ses dirigeants étant des étudiants. M. Spithakis passait pour " le sauveur " de la MNEF, qui, alors que la mutuelle avait un déficit cumulé de 150 millions de francs, obtenait des pouvoirs publics de renflouer les caisses de la mutuelle, la redressant et la développant. Il s’agissait donc d’un personnage charismatique, auquel les jeunes gens du conseil d’administration ne s’opposaient pas lorsqu’il leur disait que ces opérations de financement des filiales s’effectuaient in fine pour le bien être des étudiants.

Aujourd’hui encore, si vous interrogez les étudiants, anciens membres du conseil d’administration, ils maintiendront en toute sincérité que tout a été fait pour le bien de la mutuelle

M. le Président : Il nous a été dit que l’une des qualités de M. Spithakis était de savoir " vendre du sable à un Bédouin ". Est-ce une expression que vous feriez vôtre ?

M. Salomon BOTTON : C’est une personne qui écoute avant de prendre une décision, mais qui, effectivement, a une très grande force de persuasion, mais qui sait aussi contourner l’obstacle. Je prendrai un exemple. La responsable du pôle de communication présente un jour un projet de création d’un journal - " In e dit " - en direction de la jeunesse. M. Spithakis présente ce journal en comité de direction et recueille des avis tempérés - la presse n’étant pas notre métier. Mme Micheline Derlhemans nous explique que ce journal sera diffusé auprès des détenteurs de la Carte Jeunes et que compte tenu des contrats passés par la MNEF avec les banques populaires et avec La Poste, cela représenterait 700 000 abonnés potentiels par an.

Lorsqu’on vous présente les comptes prévisionnels d’un journal avec 700 000 abonnements prépayés, vous ne pouvez pas rester insensible à l’argument qui consiste à dire que ce journal va immanquablement intéresser les annonceurs. Le comité de direction a donc décidé du montant d’une enveloppe en précisant qu’il n’irait pas au-delà.

La MNEF n’a pas dépensé plus que la somme décidée en comité de direction. Malheureusement, le lancement de ce journal qui avait aussi pour but de faire entrer des partenaires extérieurs a coïncidé avec la campagne de presse et l’on a dû procéder à sa liquidation. On s’est alors aperçu que le montant perdu par cette filiale était beaucoup plus important que la somme versée par la MNEF. D’où est venue la différence ? D’une mutuelle sœur qui avait, elle aussi, participé au financement de cette opération. En effet, lorsque M. Spithakis s’est rendu compte qu’au sein de son comité de direction il n’obtiendrait pas plus de 1,5 million de francs, il n’a rien dit et, en tant que dirigeant d’autres filiales, il a fait appel à l’une d’entre elles, pour financer son projet de journal.

M. Jean-Paul BACQUET : Monsieur Botton, vous avez insisté, dans votre propos liminaire, sur la grande compétence du personnel de la MNEF. Un ancien salarié de la MNEF nous a d’ailleurs déclaré qu’il assumait les erreurs qu’auraient pu commettre les étudiants élus. En général, ce sont plutôt les élus des conseils d’administration qui ont à assumer l’incompétence et les erreurs des salariés !

Vous aussi, vous avez insisté sur le professionnalisme des salariés, en nous expliquant que la MNEF remplissait un rôle que les caisses primaires d’assurance maladie ne peuvent remplir en milieu étudiant, et que celles-ci se retournaient souvent vers la MNEF. Ne considérant pas que les caisses primaires d’assurance maladie sont des lieux de référence de compétence, je ne peux pas considérer que cette compétence relative puisse constituer une référence à votre compétence.

Cela étant, vous avez dit que la grande majorité du personnel salarié de la MNEF venait des caisses primaires d’assurance maladie ; j’espère donc que vous avez sélectionné les meilleurs ! Qui sélectionnait le personnel de la MNEF et qui l’embauchait ?

M. Salomon BOTTON : Le service du personnel, la DPRH.

M. Jean-Paul BACQUET : Le directeur général et le conseil d’administration n’avaient aucun rôle ?

M. Salomon BOTTON : Le conseil d’administration, non. Formellement, le directeur général intervenait si les personnels étaient du ressort d’une direction.

La MNEF est organisée en deux branches dont dépendent 600 salariés : la branche assurance maladie et la branche développement, les 100 autres salariés travaillant au siège. J’ajouterai que lorsque je parle de compétence, c’est en matière de législation de sécurité sociale. Prenons un exemple concret : pour recruter un liquidateur pour la branche maladie, le directeur fait part au comité de direction de son souhait de recruter un agent ; un appel d’offres interne est diffusé. Si cet appel d’offre est infructueux, on lance un appel d’offres externe, soit en contactant les caisses primaires, soit par annonces. Il n’y avait pas de procédure spécifique de recrutement du personnel ; comme dans toutes les entreprises, la direction concernée détermine un profil de poste et la DPRH met tout en œuvre pour trouver la personne correspondante. Le service demandeur décide en dernier ressort. Le contrat de travail est signé par le directeur du personnel et quelquefois par le directeur général quand il s’agit d’un cadre.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez également insisté sur le fait que le coût de fonctionnement de la MNEF était inférieur au coût moyen pratiqué par la CNAM. Cela n’est pas obligatoirement une référence lorsqu’on connaît les analyses qui ont été faites sur l’incompétence de gestion de la caisse nationale d’assurance maladie !

Vous avez affirmé qu’il était difficile d’évaluer les choses sans comptabilité analytique. On peut pourtant lire, dans le rapport de l’IGAS d’octobre 1996 : " La comptabilité a été remise en ordre et de nouveaux instruments de mode de gestion ont été mis place : comptabilité analytique, suivi statistique détaillé de la prestation, comptables régionaux, gestion active de trésorerie ". Il semble donc que vous disposiez de moyens extrêmement performants d’évaluation de vos capacités de gestion.

Vous avez cité tout à l’heure votre place dans le classement des caisses primaires ; vous êtes plus près de Melun que de Marseille ! Et vous savez combien ce classement est aléatoire et le peu de valeur qu’il a. Considérez-vous vraiment que le rendement de la MNEF est un bon rendement par rapport au nombre de personnes employées, ou qu’il est très insuffisant et qu’il pourrait être amélioré ? Imaginons que toutes les personnes employées ne sont pas obligatoirement occupées au travail pour lequel elles sont théoriquement embauchées, et qu’éventuellement, il y a des emplois fictifs.

M. Salomon BOTTON : Les charges de personnel ne servent pas uniquement à payer des salariés chargés de liquider des prestations de sécurité sociale. Elles servent également à rémunérer les salariés qui s’occupent de l’activité mutualiste de la MNEF.

S’agissant de la partie obligatoire, si j’ai cité la référence du classement des caisses primaires, c’est tout simplement parce que c’est la seule qui existe et qu’elle nous est opposable par l’organisme qui nous verse les remises de gestion. Quand la CNAM nous demande d’améliorer nos coûts de gestion, elle le fait en référence à ses propres coûts et le rang que la MNEF occupe dans ce classement témoigne des gains de productivité réalisés par cette mutuelle.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous vous êtes réjoui d’un taux de participation de 15 % aux élections qui contraste avec le taux de 3 % généralement constaté. Ne doit-on pas se poser la question de la pratique de la démocratie ?

M. Salomon BOTTON : C’est effectivement un débat : qu’est-ce que la démocratie en milieu mutualiste ? Toutefois je ne pense pas que le taux de participation aux élections de la MGEN ou de la MAIF soit très élevé.

M. Jean-Paul BACQUET : Considérez-vous qu’avec un taux de participation de 3 % l’on puisse avoir un conseil d’administration à l’image de ce que le directeur souhaite ?

M. Salomon BOTTON : Je ne sais pas.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez également parlé des 700 salariés de la MNEF compétents mais épuisés par une histoire qui traîne ; ils peuvent être aussi inquiets de l’évolution du nombre d’affiliés.

Vous n’avez pas parlé des élus du conseil d’administration qui sont, eux aussi, peut-être épuisés, mais sont-ils compétents pour remplir leur fonction d’élu ? Quelle formation ont-ils ?

M. Salomon BOTTON : C’est tout le problème des élus ! Qu’il s’agisse des élus à l’Assemblée nationale ou ailleurs, je pourrais vous retourner la question !

Je ne connais les nouveaux élus que depuis quelques jours ! Mais ce que j’ai vu du fonctionnement du nouveau conseil d’administration me semble correspondre beaucoup plus à la réalité d’une mutuelle administrée par des étudiants, que ce que j’ai pu constater précédemment.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez travaillé avec M. Spithakis et Mme Marie-Dominique Linale. Vous nous avez décrit M. Spithakis comme une personne compétente et même charismatique ...

M. Salomon BOTTON : C’est en effet comme cela que l’on peut le décrire.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez également connu M. Séguéla comme trésorier ?

M. Salomon BOTTON : C’est exact.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez expliqué combien M. Spithakis était doué pour amener ses interlocuteurs là où il voulait. Avez-vous, par moment, douté de ses choix, et avez-vous une clause de conscience dans votre contrat de travail ?

M. Salomon BOTTON : Non, malheureusement, je n’ai pas de clause de conscience dans mon contrat de travail.

M. le Président : L’auriez-vous utilisé et pour quelle raison ?

M. Salomon BOTTON : Je vous ai envoyé mon curriculum vitae, vous pouvez donc constater que j’ai travaillé pour la MNEF à plusieurs reprises. En 1995, Olivier Spithakis m’a proposé de revenir alors qu’il était directeur général. J’ai accepté parce que je suis attaché à la MNEF et aux personnes qui y travaillent.

Monsieur le député, vous ironisiez sur l’épuisement des salariés de la MNEF ; mais, c’est une réalité. Vous parliez des conséquences commerciales qui devraient inquiéter davantage les salariés. La MNEF a perdu près de 10 % d’immatriculés lors de la dernière campagne de rentrée universitaire, soit 80 000 personnes - avec une remise de gestion à 300 F cela fait 24 millions de francs de moins. Les salariés sont donc très inquiets pour leur emploi.

De plus, les conséquences des jugements du tribunal de grande instance de Paris risquent d’aggraver la situation. En effet, toutes les décisions prises par le nouveau conseil d’administration - telles que le remboursement de la pilule micro-dosée ou l’augmentation du fonds de solidarité mutualiste à l’égard des étudiants en difficultés - figurent dans la brochure de rentrée qui est imprimée à 3 millions d’exemplaires et glissée dans tous les dossiers d’inscription des étudiants. Or, ces décisions peuvent être annulées non seulement par les demandeurs, mais également par toute personne se considérant comme partie prenante dans cette affaire - donc par n’importe quel étudiant. Si cette brochure est déclarée nulle et non avenue, il sera impossible de la glisser dans les dossiers des étudiants ; la campagne commerciale de la MNEF pour la prochaine rentrée sera alors réduite à zéro.

M. Jean-Paul BACQUET : Monsieur Botton, je ne parlais pas du " personnel épuisé " de façon péjorative. J’insistais simplement sur le fait qu’il devrait être plus inquiet qu’épuisé. En outre, les assurés sociaux étudiants ont, eux aussi, quelques raisons d’être épuisés.

Ma dernière question concerne l’ancienne présidente du conseil d’administration Mme Linale. Considérez-vous que cette personne était compétente, capable éventuellement de négocier un contrat de travail tel que celui de M. Spithakis ? La considérez-vous comme une personne charismatique, capable de s’opposer à l’intrusion d’un directeur compétent ? Enfin, Mme Linale avait-elle la capacité d’apprécier à leur juste mesure les équilibres financiers des filiales ?

M. Salomon BOTTON : Je ne permettrai pas de porter un jugement sur le caractère charismatique ou non de Mme Linale que vous avez reçue ! Mais je pense que la présidente, compte tenu de la situation dans laquelle elle s’est retrouvée, a correctement assumé la fonction qu’elle exerçait.

La plupart des dérives que la Cour des comptes a soulevées ont eu lieu sur la période de contrôle allant de l’exercice comptable 1992/1993 à l’exercice 1995/1996. La majorité des décisions lourdes de conséquences - la mise en place des filiales, la diversification, le contrat de travail de M. Spithakis ou d’autres - ont eu lieu pendant cette période. A ma connaissance, Mme Linale n’était alors pas présidente. Quand elle est arrivée, elle a eu à gérer une situation. Je crains fort qu’elle n’ait pas eu conscience de l’étendue des implications de certaines décisions. Dans la période précédant les élections, elle a fait preuve d’une détermination qui a permis la mise en œuvre d’un processus électoral démocratique.

M. le Rapporteur : Au cours des précédentes auditions, nous avons parfois eu l’impression que certaines personnes avaient des intérêts croisés entre leur fonction élective et leur fonction salariale. Aviez-vous des intérêts financiers ou des responsabilités dans des filiales ou sous-filiales de la MNEF, dans une " mutuelle sœur " ou dans des entreprises prestataires de services de la MNEF ?

M. Salomon BOTTON : Oui, j’ai en effet exercé d’autres responsabilités. Comme le montre mon curriculum vitae, j’ai travaillé à la MNEF à trois reprises. En revanche, je n’ai jamais perçu d’indemnités dans des " mutuelles sœurs " ; je n’ai jamais perçu d’autres salaires que celui qui m’est versé par la MNEF.

En ce qui concerne les " mutuelles sœurs ", je dois vous dire que je suis à l’origine de leur création. J’ai été le premier président de la MIF, et j’ai également créé la MIJ et l’Union technique mutualiste professionnelle, dont j’ai été directeur.

A la création de ces filiales, le conseil d’administration de la MNEF prenait des décisions les concernant ; mais il y a eu des abus. Je m’explique. La MIF a été créée en 1987, parce que la MNEF subissait des attaques commerciales : les mutuelles professionnelles, en permettant à leurs adhérents de conserver leurs ayants droit avec des taux de cotisation réduits, voire nuls, nous faisaient une concurrence déloyale. A ce moment-là, existait au sein de la mutualité française un pacte d’union qui précisait que chaque mutuelle intervenait dans son domaine et qu’il n’y avait pas de raison de se faire de la concurrence, entre mutuelles relevant de la FNMF.

Ce pacte d’union a été violé à plusieurs reprises par différentes mutuelles. Or les adhérents de la MNEF n’adhèrent que pour une courte durée ; ils ne sont pas là à vie. Un tiers des effectifs est renouvelé chaque année. A partir du moment où une concurrence était menée sur ce terrain, le conseil d’administration de la MNEF s’est légitimement senti " agressé " ; il a donc décidé de fidéliser ses adhérents. D’où la création de la MIF qui, au départ, avait pour vocation d’intervenir dans les secteurs où la MNEF subissait une concurrence déloyale.

D’autre part, le conseil d’administration a décidé de créer la mutuelle inter-jeune (MIJ) - en 1987 - en faveur des jeunes en situation précaire, afin de mener une action de solidarité intergénérationelle ...

M. le Rapporteur : Je comprends bien la démarche, et je voudrais que vous répondiez précisément à ma question : avez-vous des intérêts personnels dans une entreprise prestataire de services de la MNEF ou des parts sociales dans l’une de ses filiales ou sous-filiales ?

M. Salomon BOTTON : J’ai eu des parts sociales dans la société informatique de la MNEF et dans la société MÉDIA JEUNES. Cependant, il s’agissait de parts qui m’étaient prêtées par la MNEF afin que je puisse la représenter. J’ai remis l’ensemble de mes mandats le 1er octobre 1998 à M. Delpy, dès qu’il a été nommé directeur général. Il m’a ensuite renommé dans la filiale Raspail Participations et Développement. A titre personnel, je n’ai aucune participation.

M. le Rapporteur : Vous nous avez parlé, dans votre exposé liminaire, d’élus et d’administratifs qui avaient failli. Qu’entendez-vous par là ?

M. Salomon BOTTON : Lorsqu’on lit la presse, on constate que les élus mutualistes comme les personnels administratifs des mutuelles sont concernés par des affaires. Il est donc urgent de réformer le Code de la mutualité et de bien définir le rôle de chacun pour éviter ces dérapages.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur la clause de conscience. Vous avez dit regretter de ne pas en avoir eu dans votre contrat de travail. Cela veut dire, qu’à un moment donné, vous vous êtes posé des questions ?

M. Salomon BOTTON : Bien sûr. Depuis deux ans la MNEF subit des contrôles et des révélations sont faites. J’ai appris des choses ! Le simple fait de dire que je travaille à la MNEF induit des questions ; je suis obligé d’expliquer longuement que je n’ai rien à voir avec tout ce qui s’y passe. Dans un tel contexte, il est vrai que j’aurais souhaité faire jouer une clause de conscience.

Voici un exemple de ce que j’ai appris par la presse. Nous avions des bureaux dans des locaux municipaux à Toulon. Lorsque le Front national a pris la mairie, la question de savoir si l’on devait rester dans ces locaux mis à disposition par l’ancienne mairie s’est posée. Le conseil d’administration a décidé de rester afin de mener le combat de l’intérieur. En application de cette décision, des campagnes d’information sont menées dans ces locaux sur la contraception ou les étudiants étrangers. Or quelques mois plus tard, j’apprends que la totalité de la gestion locative de l’immeuble, qui porte le nom de " Maison de l’étudiant ", est confiée à une agence immobilière de Toulon, qui appartient à M. Spithakis - ou plus exactement à son ex-épouse à qui il venait de la vendre.

M. le Président : Quelle a été votre réaction ? Avez-vous prévenu la présidente de la MNEF de ce problème grave de confusion des genres ?

M. Salomon BOTTON : La présidente lisait la presse tout comme moi et était au courant des événements !

M. le Président : Mais vous avez la responsabilité de prévenir, de réagir !

M. Salomon BOTTON : Effectivement, si j’apprends une telle chose alors que la mutuelle fonctionne normalement, que tout va bien, bien sûr, j’alerte les responsables. Mais là, je me tourne vers qui ? M. Spithakis ?

M. le Président : Vous pouviez toutefois lui signifier votre désaccord !

M. Salomon BOTTON : Mais je l’ai fait sur certaines questions. Je vous rappelle tout de même que la Cour des comptes et l’IGAS étaient dans nos murs. Personnellement, j’avais en charge le contrôle de la Cour des comptes ; j’étais l’interface des magistrats instructeurs, comme je l’ai été avec les inspecteurs de l’IGAS.

Il m’a semblé, peut-être à tort, que par rapport à la pérennité de cette institution, et compte tenu du contexte - je suis salarié avec charge de famille - je n’avais guère de marge de manœuvre. Que vouliez-vous que je fasse ? Que j’envoie une lettre recommandée à M. Spithakis ?

M. le Président : Non, que vous en parliez au magistrat de la Cour des comptes.

M. Salomon BOTTON : Quelle loi interdit à M. Spithakis de posséder une agence de gestion à Toulon ? Citez-moi le texte de loi interdisant ce qu’il a fait.

M. le Président : Un directeur général d’une mutuelle n’a pas le droit d’avoir des activités commerciales.

M. Salomon BOTTON : Ce point n’est pas tranché.

M. Le Président : Avoir des activités commerciales, ce n’est pas la même chose que d’avoir un appartement qui vous rapporte de l’argent !

M. Jean-Paul BACQUET : Vous aimez beaucoup la MNEF - vous nous l’avez dit et répété - et vous y travaillez pour la troisième fois. Pourquoi l’avez-vous quittée deux fois ?

M. Salomon BOTTON : Je voulais faire autre chose. J’ai eu des propositions qui m’intéressaient davantage. Et j’y suis retourné quand on est venu me chercher.

M. le Président : Etes-vous parti avec des indemnités ?

M. Salomon BOTTON : Non, j’ai démissionné.

M. Jean-Paul BACQUET : Qui est venu vous chercher ?

M. Salomon BOTTON : M. Spithakis. Tout simplement parce que j’ai une grande expérience du monde mutualiste ; je suis un professionnel de la mutuelle. Il souhaitait remettre en ordre le cabinet de la direction générale de la MNEF et m’a demandé de le rejoindre. Je peux d’ailleurs vous laisser copie de la lettre d’information interne expliquant mon arrivée.

M. le Rapporteur : Comment analysez-vous l’articulation entre les différentes structures que sont le conseil d’administration, l’association les Amis de la MNEF et le comité national consultatif.

M. Salomon BOTTON : Le conseil d’administration fonctionnait normalement. En revanche, je n’ai jamais vu fonctionner les deux autres structures.

M. Bruno BOURG-BROC : Compte tenu des responsabilités qui étaient les vôtres, comment expliquez-vous que ce n’est que par la presse que vous avez appris certaines choses ? Par ailleurs, rencontriez-vous souvent la présidente ?

M. Salomon BOTTON : Les faits publiés par la presse étaient déjà révélés par la Cour des comptes et correspondaient à une période où je n’étais pas présent dans l’entreprise.

Quant à la présidente je la voyais une ou deux fois par semaine.

M. Bruno BOURG-BROC : Aviez-vous des réunions en tête-à-tête avec elle ?

M. Salomon BOTTON : Non. Je la sollicitais parfois sur un point ponctuel.

M. le Rapporteur : Lors de l’organisation du dernier processus électoral, vous étiez présent à la MNEF. Lorsque nous avons étudié les documents provenant aussi bien du conseil d’administration, de la commission électorale que des huissiers chargés de contrôler le processus électoral, il nous a semblé que le matériel électoral qui ne trouvait pas son destinataire et qui revenait n’était pas contrôlé. Savez-vous ce qu’il devenait ?

M. Salomon BOTTON : L’Imprimerie nationale était chargée de l’expédition du matériel électoral. Les retours arrivaient à la poste centrale du même arrondissement que l’Imprimerie, puis allaient à notre centre de gestion de Nanterre puis étaient transmis au siège. Tous les " NPAI " sont stockés chez nous et comptabilisés par un agent technique.

M. le Président : Monsieur Botton, je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre invitation.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr