Présidence de M. Philippe NAUCHE, rapporteur, puis de M. Alain TOURRET, président

M. Grosz est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Rapporteur, M. Grosz prête serment.

M. le Rapporteur : Notre commission a tenu à être éclairée sur les relations entre la MNEF et l’association les amis de la MNEF, dont vous étiez le président, ainsi que sur le rôle du comité consultatif dont vous avez été membre.

Après un court exposé liminaire, au cours duquel vous pourriez nous présenter cette association et votre approche du fonctionnement de la MNEF, nous vous demanderons de répondre à nos questions.

M. Jean-Michel GROSZ : L’association Les Amis de la MNEF est une association loi 1901 des plus classiques, possédant les statuts types d’une association loi 1901. Son but, comme la plupart des associations de ce type en milieu étudiant, consistait à maintenir les liens existant entre les acteurs des différentes époques du mouvement étudiant, à savoir principalement les anciens responsables de l’UNEF, de la MNEF qui a été créée en 1948 et ceux de la Fondation santé des étudiants de France. Ce sont les trois mouvements d’origine essentiels des acteurs du syndicalisme étudiant mais également des gestionnaires, pour ce qui concerne la MNEF et la Fondation santé des étudiants de France.

Je n’ai pas tous les éléments en mémoire, mais nous verrons, au cours de l’audition, que les choses étaient peut-être plus informelles que l’on peut le penser. Cette association a été créée en 1984. J’étais à l’époque président de la MNEF, puisque j’ai exercé les fonctions de président de la MNEF de 1979 à 1985. Cela fait donc quatorze ans, ce qui explique certains oublis ou certains trous de mémoire.

L’association a donc été créée en 1984. Son président était à l’époque M. James Marangé auquel j’ai succédé après son décès survenu en 1986 ou 1987. J’ai exercé les fonctions de président de l’association jusqu’à sa dissolution. Celle-ci a semblé inéluctable aux principaux animateurs de l’association, dont moi-même, au moment où une campagne médiatique l’a mise en cause comme étant responsable de je ne sais quelle transgression au niveau des prises de décision au sein du conseil d’administration et de l’assemblée générale de la MNEF.

M. le Rapporteur : Le conseil d’administration de la MNEF tel que vous l’avez connu lorsque vous en étiez président, puis lorsque vous avez été responsable de l’association les amis de la MNEF, vous paraissait-il en mesure d’exercer réellement ses prérogatives et de faire prévaloir les intérêts des étudiants ? Le conseil d’administration était-il une instance délibérante parfaitement informée et autonome ou ressemblait-il plutôt à une chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs, en particulier, par le directeur général qui, peut-être, ne lui donnait pas toutes les informations nécessaires ?

M. Jean-Michel GROSZ : Il faut replacer les faits dans leur contexte. La période où j’exerçais les fonctions de président de la MNEF était sensiblement différente de celle que nous vivons aujourd’hui : les pouvoirs publics, toutes tendances confondues, ainsi que notre principale tutelle administrative, la CNAM, ne faisaient pas confiance à la gestion étudiante. Ils n’avaient de cesse que le conseil d’administration de la MNEF, son bureau et son président, nomment une direction générale qui soit une direction gestionnaire. Il était reproché aux étudiants, et cela durait depuis la fondation de la MNEF, de ne pas être capables de transposer les principes qui avaient permis à la mutualité de fonctionnaires d’exister en tant que telle et en tant que régime dérogatoire. Les fonctionnaires, disait-on, grâce aux possibilités de mise à disposition leur permettant d’exercer à temps plein un mandat de gestionnaire de mutuelle, pouvaient être véritablement des mutualistes et des gestionnaires de leur régime de sécurité sociale ; en revanche, les étudiants, qui avaient bénéficié d’un régime autonome, en raison des circonstances politiques de l’époque liées à la volonté de l’UNEF auréolée de son prestige de résistant après-guerre, n’étaient pas faits pour cela. En clair, ils pouvaient peut-être accompagner la gestion de la sécurité sociale et bénéficier d’un régime dérogatoire spécifique, mais ce décalquage du régime étudiant sur le régime des fonctionnaires, créé quelque trois ans auparavant, avec une mutuelle à laquelle la gestion était déléguée n’était pas bon.

En définitive, les pouvoirs publics n’avaient de cesse de demander des gages au bureau étudiant et au conseil d’administration, les estimant incapables de gérer convenablement, et en voyant la preuve dans l’accumulation de déficits constatée. Lorsque je suis arrivé à la présidence de la MNEF en 1979, il devait y avoir 100 millions de francs de déficit cumulés, ce qui, à l’époque, représentait une somme considérable. Ce déficit nous livrait en tant que gestionnaires étudiants pieds et poings liés aux pouvoirs publics et à CNAM puisque, pour parler clair, la MNEF était en situation de faillite. Elle n’avait pas la possibilité de boucler ses budgets et son fonctionnement quotidien.

Pour vous donner un exemple, l’une des pressions exercées par les pouvoirs publics lorsque je suis arrivé, a été de m’obliger à dénoncer la convention collective, jugée inadéquate, du personnel de la MNEF, soit près de 550 personnes salariées à l’époque. Il y avait là matière à discussion, et nous l’avons engagée, mais nous avons été obligés de dénoncer une part importante des avantages de la convention collective.

Nous n’avions pas le choix, la pression était totale. En fin d’année, les remises de gestion étaient bien évidemment négociées avec les pouvoirs publics et la CNAM - il s’agissait d’une négociation en binôme tout à fait particulière - et si nous n’avions pas les remises de gestion, nous étions en situation de faillite. Or, il était clair qu’aux yeux des pouvoirs publics et de la CNAM, cette situation de faillite aboutirait à une intégration du régime étudiant dans le régime général ; de fait, cela aurait conduit à une disparition, de la mutualité étudiante telle qu’elle existait au travers de la MNEF, et d’autres mutuelles créées entre-temps, que nous appelions à l’époque les " mutuelles régionales " parce qu’elles ne se présentaient pas sous forme de mutuelle nationale, mais de regroupements régionaux.

La création de l’association les Amis de la MNEF, qui est - en fait - la prolongation du comité consultatif dont vous m’avez parlé tout à l’heure, est une volonté des pouvoirs publics de l’époque. C’était une demande expresse du ministre des affaires sociales, qui voulait aux côtés des étudiants des personnes, qui ne seraient pas des étudiants, pour gérer. Il ne s’agissait pas de critiquer les options qui étaient les nôtres mais dans la mesure où, en termes budgétaires et d’équilibre de gestion, nous étions en déficit permanent, il fallait nous installer des " garde-fous ". L’idée de créer un comité consultatif ou une association de ce type semblait bonne, à condition que cette association ne soit pas là simplement pour faire de la figuration, mais ait un véritable pouvoir.

Le résultat de ces négociations a été la création de l’association. Celle-ci, autonome dans ses choix de recrutement - c’était une évidence pour une association loi 1901 - allait proposer au conseil d’administration de la MNEF et à son assemblée générale, seule souveraine en la matière, des personnalités qualifiées pour participer au conseil d’administration et servir de guide afin d’assurer une gestion plus académique, si je puis dire, du moins plus cohérente avec ce que les pouvoirs publics voulaient.

Vous comprenez bien qu’il y a eu, ces derniers temps, un complet renversement de situation : si j’ai bien lu la presse, on reproche à la MNEF de s’être éloignée de ses principes initiaux et des affaires étudiantes, en nommant, au nom du principe de bonne gestion, des personnes qui ne s’occupaient plus que de bonne gestion. Pour nous c’était l’inverse : on nous reprochait de ne pas avoir une gestion suffisamment bonne et l’on nous obligeait à nommer des gens pour régler les problèmes administratifs pendant que l’on nous laissait nous occuper du mouvement étudiant.

M. le Rapporteur : Le rapport de la Cour des comptes, dans ses observations, fait mention du contrat de travail de l’ancien directeur général de la MNEF. Ce dernier comportait un certain nombre de clauses - comme une clause de conscience ou encore la possibilité d’avoir des activités extérieures sans contrôle de la part du conseil d’administration - mais faisait surtout état du fait que le conseil d’administration de la mutuelle ne pouvait pas décider de son licenciement sans l’accord de l’association Les Amis de la MNEF. La Cour des comptes mettait donc en cause le fonctionnement du conseil d’administration et le rôle que pouvait y tenir une association qualifiée de parallèle.

M. Jean-Michel GROSZ : Je n’ai jamais été auditionné par la Cour des comptes sur ce rapport, dont je n’ai d’ailleurs pas été destinataire. Je ne l’ai pas lu, autrement que par voie de presse.

L’association, quant à elle, n’a jamais pris la moindre disposition pour servir de quoi que ce soit à qui que ce soit. Ses statuts, je le répète, sont des statuts types d’association loi 1901.

Si le directeur général, par le biais du conseil d’administration de la MNEF, a fait voter une disposition qui inclut l’association Les Amis de la MNEF, c’est le problème du conseil d’administration de la MNEF et du directeur général. En ce qui concerne les Amis de la MNEF, nous n’avons jamais été au courant de cette affaire et nous n’avons d’ailleurs jamais eu à la traiter, d’une quelconque façon.

M. le Rapporteur : D’après ce que vous avez pu en voir, le fonctionnement des instances de la MNEF et le fait que, pendant de nombreuses années, une seule structure syndicale, d’ailleurs subventionnée par la MNEF, ait eu le pouvoir - puisque l’on parle du pouvoir relatif du conseil d’administration - vous paraissent-ils correspondre réellement à un fonctionnement démocratique et à l’esprit mutualiste ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne comprends pas votre question.

M. le Rapporteur : La présidente d’un autre syndicat que l’UNEF-ID, pour être clairs, celle de l’UNEF-SE, avant qu’il y ait le rapprochement ces jours-ci, nous a dit que pendant des années on avait empêché son syndicat de siéger au conseil d’administration de la MNEF.

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne peux pas parler en tant que président de l’association " les amis de la MNEF ", mais en tant qu’ancien président de la MNEF. L’association n’avait rien à voir avec le processus électoral.

En ce qui concerne la MNEF, des élections étaient organisées. Celles-ci étaient fondées sur des statuts parfaitement en règle. Le résultat des élections était ce qu’il était ; certains étaient contents, d’autres moins.

J’ai siégé durant cinq ou sept années au conseil d’administration de la FNMF où je voyais le fonctionnement du mouvement mutualiste en général. Celui-ci est soumis au même type de règles. Dans certaines structures, des organisations syndicales sont dominantes et ce sont elles qui se trouvent avoir de l’influence, et pas davantage, peut-être, mais dominantes dans leur branche.

A cet égard, l’exemple des enseignants était très clair ; il existait, à l’époque, je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui, peu de mutuelles enseignantes où la tendance majoritaire de la fédération de l’éducation nationale n’était pas très largement représentée, voire en situation totalement hégémonique.

C’est le mode de fonctionnement des mutuelles. Il s’agit d’un mode de fonctionnement gestionnaire qui ne prête pas tellement à polémique une fois les élections terminées.

M. Robert PANDRAUD : Vous êtes la mémoire de la MNEF. Pourriez-vous, pour que nous voyions mieux quelles ont été vos responsabilités diverses, nous rappeler la chronologie de vos différentes fonctions ?

M. Jean-Michel GROSZ : J’ai été vice-président de 1976 à 1979, puis, président de 1979 à 1985. Durant cette période, j’ai également été président ou vice-président d’une série d’associations. J’étais notamment membre du conseil d’administration de la Mutualité française.

M. Robert PANDRAUD : Et président les Amis de la MNEF ?

M. Jean-Michel GROSZ : J’ai pris la présidence au moment du décès de M. Marangé.

M. Marangé a été secrétaire général de la Fédération de l’éducation nationale durant les événements de 1968. C’est lui qui avait eu l’idée, au cours d’une négociation - encore une fois, ce terme de négociation n’est pas tout à fait le bon - avec M. Bérégovoy, ministre des affaires sociales, de créer une association Les Amis de la MNEF, tout comme il existait depuis longtemps déjà une association des Amis de l’UNEF. De façon identique, cette association a été créée, sachant que le comité consultatif ne présentait pas aux yeux des pouvoirs publics de garanties suffisantes pour l’efficience d’une bonne gestion.

M. Robert PANDRAUD : Etiez-vous bénévole ou salarié ?

M. Jean-Michel GROSZ : Ni bénévole, ni salarié, j’étais indemnisé. Nous avions un statut un peu particulier qui avait fait l’objet de nombreuses polémiques, notamment avec la Cour des comptes. Le code de la mutualité disposait que le président, le trésorier et un des vice-présidents ou le secrétaire général avaient le droit, après accord de l’assemblée générale, d’être indemnisés sur la base d’un forfait x qui correspondait à une indemnité mensuelle de l’ordre de 5 000 ou 6 000 francs en 1979. Nous avons généralisé cette indemnité à tous les membres du bureau.

M. Robert PANDRAUD : Pour quelle raison, par rapport au salariat ?

M. Jean-Michel GROSZ : Nous n’avions pas droit au salariat parce que le système de la mutualité est calqué sur celui des fonctionnaires.

M. Robert PANDRAUD : Cela vous permettait-il de cumuler cette indemnité avec un autre traitement ?

M. Jean-Michel GROSZ : En théorie, oui. Mais ce n’était pas le cas puisque nous étions étudiants. En théorie, rien ne devait s’y opposer. Dans les faits, le cas ne s’est jamais posé.

Le problème était celui des fonctionnaires mis à disposition à l’intérieur de leur mutuelle et qui avaient donc la possibilité d’exercer leur fonction de gestion à plein temps, parce que détachés. Il n’existait rien pour les étudiants.

M. Robert PANDRAUD : Les fonctionnaires, en plus de leur traitement, percevaient une indemnité.

M. Jean-Michel GROSZ : Absolument. Cela pouvait arriver. A ma connaissance, ce régime existe toujours chez les fonctionnaires. Chez les étudiants, cela avait pris des proportions un peu particulières.

M. Robert PANDRAUD : Pour les fonctionnaires, c’est un régime très privilégié, car ils sont détachés et mis à disposition. Ils concourent donc à l’avancement et peuvent bénéficier éventuellement d’une indemnité.

M. Jean-Michel GROSZ : L’indemnité n’était pas obligatoire. En fait, je préfère ne pas continuer sur cette question, parce que je parle sans savoir, mais il est certain que le régime étudiant, calqué sur le régime des fonctionnaires, ne pouvait pas vivre en tant que tel avec de véritables gestionnaires, qui étaient obligés de faire cela à temps plein sans un système indemnitaire. Ce système n’existait que marginalement puisqu’il était réservé au président, au trésorier et au secrétaire général.

La Cour des comptes avait pris la mouche dans cette affaire en disant que, de fait, il s’agissait d’un salariat déguisé. C’était le point nodal de l’affaire qui s’était terminée devant la commission de discipline de la Cour des comptes où nous avions obtenu un non-lieu. Le magistrat s’était rendu compte du problème bien spécifique du régime étudiant, mais il y avait eu une montée d’adrénaline autour de cette dizaine de postes, qui étaient de fait rémunérés, sans en avoir par ailleurs les avantages puisque nous ne cotisions à aucun régime social et que nous touchions tous les mois une indemnité qui valait salaire, laquelle était d’ailleurs déclarée. Je tiens à le préciser parce que cela donne l’état d’esprit qui était le nôtre à l’époque. Nous avions d’ailleurs à ce sujet une lettre du ministre du budget, alors M. Laurent Fabius, qui considérait qu’effectivement, l’indemnité devait être déclarée et assimilée à un salaire. Nous déclarions donc cette indemnité et bénéficiions de l’abattement de 10 et 20 %, mais nous n’étions pas soumis à cotisations sociales.

M. Robert PANDRAUD : Je vais être encore plus indiscret, mais vous nous avez dit, si ma mémoire est bonne, que vous ne connaissiez le dernier rapport de la Cour des comptes que par la presse. Compte tenu des responsabilités diverses que vous avez occupées, vous n’êtes pas d’un tempérament curieux. Ce rapport a été public et traitait d’un secteur dans lequel vous avez passé plusieurs années de votre vie. Cela ne vous a-t-il pas intrigué de savoir ce que pouvait penser la Cour des comptes ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je vous répondrai très simplement. Je me suis adressé à plusieurs reprises aux personnes susceptibles de me fournir ce rapport, je ne parle pas du rapport public de fin d’année mais de ce rapport spécifique concernant la mutuelle, mais je n’ai pas obtenu satisfaction. Je ne l’ai donc pas lu.

M. Robert PANDRAUD : Actuellement, quelle est votre fonction ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je suis administrateur civil au ministère de l’Intérieur et je suis en position de disponibilité pour convenance personnelle. Je n’exerce pas de métier salarié.

M. Robert PANDRAUD : Vous avez été reçu normalement au concours ?

M. Jean-Michel GROSZ : J’ai été reçu au concours de l’ENA en 1984 ou 1985, sur la base du troisième concours. C’était la troisième session du troisième concours. J’ai un DESS de sciences économiques et, par ailleurs, une licence d’histoire et de philosophie. Je n’étais pas du tout prédestiné à tenter ce concours. Pour la petite histoire et puisque nous parlions de lui tout à l’heure, c’est M. Marangé qui m’a incité à le passer. J’en suis sorti trois ans plus tard, pour choisir le ministère de l’Intérieur en 1987.

M. le Président : Un choix qui plaira à M. Pandraud.

M. Robert Pandraud : C’est un choix que je connais. Mais, ministre à l’époque, j’étais suffisamment libéral pour ne lui avoir posé aucune question sur ses fonctions antérieures ... Je crois que vous pouvez l’attester.

M. Jean-Michel GROSZ : Je l’atteste et peux même préciser que cela n’a pas toujours été le cas par la suite.

M. le Président : Qui était le directeur général de la MNEF lorsque vous y aviez des responsabilités ?

M. Jean-Michel GROSZ : M. Montagner ?

M. le Président : Aviez-vous contribué à son recrutement ?

M. Jean-Michel GROSZ : Non, il était directeur général en poste lorsque je suis arrivé et a démissionné trois ou quatre ans après mon arrivée. Il a été remplacé par M. Olivier Spithakis.

M. le Président : C’est donc vous qui avez embauché M. Spithakis ?

M. Jean-Michel GROSZ : En quelque sorte, oui.

M. le Président : Comment s’est faite la négociation avec lui sur son contrat et ses activités ? Est-ce vous qui avez négocié directement ?

M. Jean-Michel GROSZ : Non, c’est le conseil d’administration parce que celui-ci avait à en connaître mais, de fait, c’est le bureau national qui s’en est chargé. C’était un contrat tout ce qu’il y a de plus classique ; nous avons repris les termes du contrat de M. Montagner, et les avons appliqués à M. Spithakis sans aucun changement.

M. le Président : Par la suite, le contrat de M. Spithakis a été modifié. En particulier, il a été introduit une clause dite de conscience, c’est-à-dire la possibilité d’invoquer telle ou telle circonstance extérieure qui fait que la rupture du contrat ne vous est pas imputable en cas de démission, mais imputable de plein droit à l’employeur, ce qui permet d’obtenir des indemnités particulièrement importantes. Auriez-vous accepté une telle clause lorsque vous avez été amené à discuter du contrat de M. Spithakis ?

M. Jean-Michel GROSZ : Le contexte n’avait strictement rien à voir, je m’en suis expliqué, monsieur le président, avant que vous n’arriviez ; le contexte était presque même sensiblement à l’inverse, les pouvoirs publics de l’époque nous demandaient de bien vouloir mettre en place des garde-fous administratifs suffisamment solides pour assurer à la MNEF une gestion correcte. Le mot gestion était le seul qui était employé par les pouvoirs publics d’une part et la caisse d’assurance maladie d’autre part.

La situation était très différente de ce qu’elle était il y a peu. Nous réclamions une gestion étudiante forte et les pouvoirs publics demandaient une gestion étudiante extrêmement restreinte. Aujourd’hui, il me semble que ce qui ressort des éléments médiatiques, je ne peux m’appuyer que sur eux, est que le pouvoir administratif, le pouvoir gestionnaire est trop fort, que la dérive de la MNEF vers le tout gestion est inadmissible et qu’elle a perdu ses principes mutualistes. C’est tout le contraire de ce que l’on nous disait. On nous opposait le fait qu’au nom du principe mutualiste, c’était la gabegie en termes de gestion.

M. le Président : M. Spithakis vous avait-il été conseillé par l’administration ? Quel a été le mode de recrutement ?

M. Jean-Michel GROSZ : L’administration, par la voix de M. Jean-Charles Naouri, qui était à l’époque directeur du cabinet de Pierre Bérégovoy, a souhaité mettre en place un directeur général qui soit un membre de l’administration, un membre de l’IGAS, me semble-t-il - ne retenez pas cela comme étant certain - nous nous y sommes opposés - je dis nous parce qu’il y avait une gestion collégiale du bureau et du conseil d’administration - parce que nous avons considéré que c’était mettre le doigt dans un processus qui conduisait à la fin du régime étudiant de sécurité sociale. A tort ou à raison, nous avons considéré qu’à partir du moment où nous déférions à ce type de mises en demeure et que le directeur général était directement issu de la tutelle qui dispensait, chaque fin d’année, la manne qui nous permettait de survivre, le régime étudiant n’existait plus et ce n’était pas la peine de continuer à jouer les faux-semblants.

Nous avons eu une série de réunions, y compris avec le ministre de l’époque, et avons indiqué que nous remettrions collégialement notre démission parce qu’une telle décision conduisait à la fin de la mutuelle.

La solution de substitution avancée a été que le bureau national et le conseil d’administration fassent une proposition à la tutelle qui soit acceptable par elle. Nous avons proposé la nomination de M. Spithakis, qui avait été mon trésorier à partir de 1979. Nous l’avons proposé sur ses qualités juridiques et gestionnaire, qui se sont révélées, au moins pour ce qui est de ses qualités de gestionnaires, plus qu’exactes, si j’en juge d’après ce que j’en lis. M. Spithakis a donc été nommé avec l’aval complet de la tutelle de l’époque, c’est-à-dire du ministère des affaires sociales.

M. le Président : Une forme d’agrément ?

M. Jean-Michel GROSZ : Tout à fait. Je rappelais tout à l’heure que la MNEF enregistrait un déficit de 100 millions de francs et que nous ne disposions pas de la moindre marge de manœuvre face à une pression forte des pouvoirs publics.

M. le Président : Donc, si de plein droit un agrément devait être sollicité pour la nomination du directeur général auprès de la tutelle, cela ne vous choquerait pas puisque c’est ce qui s’est passé en fait ?

M. Jean-Michel GROSZ : Il est tout à fait différent d’avoir la possibilité de faire une proposition, qui est ensuite acceptée, que de devoir déférer à un ordre qui viendrait parce qu’obligatoire.

M. le Président : Ce n’est pas ce que je disais, il s’agissait plutôt de formaliser l’agrément.

M. Jean-Michel GROSZ : A l’époque, nous ne l’aurions probablement pas accepté. O tempora ! o mores ! Nous raisonnions différemment. Aujourd’hui, je n’ai pas la moindre idée du bien-fondé ou non d’une telle mesure.

M. le Président : Il n’y a donc pas eu d’appel à candidature au niveau national avec une dizaine de candidats ? Il y a eu un seul candidat, sur lequel vous vous êtes mis d’accord parce que vous le connaissiez bien et qu’il avait toute votre confiance et était de l’intérieur, qui a eu l’agrément du ministère ?

M. Jean-Michel GROSZ : Cela ne s’est pas passé tout à fait ainsi. Le candidat proposé, sans appel d’offre, par M. Naouri, était un candidat fonctionnaire. Ce n’était en aucune façon M. Spithakis.

Ensuite, effectivement, le climat n’était plus à se réunir sereinement autour d’une table et à définir ensemble le profil idéal du directeur général. A partir du moment où nous avions abouti à faire au ministre une proposition de démission collective, donc de fin du régime étudiant de sécurité sociale... pour ce qui concernait la MNEF, puisque, par ailleurs, il existait des mutuelles régionales qui n’étaient pas touchées par ce problème. Nous ne raisonnions pas en essayant de déterminer le profil idéal du directeur général, car nous avions l’impression que la survie de la MNEF était en jeu, dans la mesure où nous ressentions une forte volonté d’intégration de la MNEF au régime général de la part des pouvoirs publics.

M. le Président : Admettiez-vous un droit de regard de la tutelle ? Il s’agit d’argent public.

M. Jean-Michel GROSZ : Oui, cela me paraît sain. Mais c’est un débat global. Je ne vois pas pourquoi il faudrait dissocier la mutualité étudiante ou la MNEF de la mutualité en règle générale, c’est-à-dire, par exemple, de la mutualité de la fonction publique, que je connais un peu mieux désormais. Le système est le même.

Au nom de quoi ? On le sait très bien, au nom des principes qui ont prévalu à la Libération et qui étaient d’ailleurs in fine prévus dans le programme du Conseil national de la résistance. Ce n’était pas rien. Cela avait été discuté pendant la guerre. Mais on vit encore en France, à l’aube de l’an 2000 sur la base d’idéaux qui étaient tout à fait différents. C’est un débat de fond : le régime dérogatoire des cheminots, en termes mutualistes, est-il toujours à l’ordre du jour ? Et celui de La Poste ? Est-il normal qu’existe un régime dérogatoire ? Comment est-il contrôlé ?

On peut se poser la question pour le régime étudiant, mais, vous savez, même lorsqu’il était structurellement déficitaire, ce régime ne coûte pas cher à la collectivité. Il ne faut pas confondre les sommes en jeu en la matière. Les étudiants, heureusement pour eux, sont peu malades.

M. le Rapporteur : M. Spithakis, lorsque nous l’avons auditionné, nous a expliqué que le comité consultatif de la MNEF était un instrument de lobbying. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne vois pas en quoi le comité consultatif de la MNEF peut faire du lobbying. Auprès de qui ?

M. le Rapporteur : Cela a été l’expression de M. Spithakis.

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne vois pas en quoi la MNEF peut faire du lobbying, je ne comprends pas bien ce que cela veut dire. Mais il a probablement ajouté autre chose.

M. Robert PANDRAUD : Je pense qu’il voulait dire que c’était un organisme qui faisait des relations publiques ou politiques à l’extérieur. Compte tenu de la composition, cela me paraît incontestable.

M. Jean-Michel GROSZ : C’est très clair.

M. Robert PANDRAUD : Je ne suis pas sûr que le terme de lobbying ait été bien choisi, mais Mme Devaux est-elle toujours présidente de ce comité consultatif ?

M. Jean-Michel GROSZ : Le comité consultatif n’existe plus. Il a été remplacé par l’association Les Amis de la MNEF. Mais Mme Devaux est en effet restée présidente très longtemps.

M. Robert PANDRAUD : Elle ne devait plus être très jeune. Il me semble qu’elle avait été rapporteur au conseil de la République, de la loi qui a porté la MNEF sur les fonds baptismaux.

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne sais pas si M. Spithakis voyait Mme Devaux comme un élément moteur du lobbying mutualiste étudiant...

M. Robert PANDRAUD : Elle avait été élue pour la première fois conseiller de la République du département de la Seine sous l’étiquette PRL !

M. le Rapporteur :Avez-vous eu, à titre personnel, des responsabilités dans les filiales de la MNEF ou dans les mutuelles dites " sœurs ", comme la MIF, la MIG, la MUL ou l’UTMP ?

M. Jean-Michel GROSZ : Dans une seule, en fait, car j’ai été à l’origine de la création de la MIF.

Nous nous sommes rendu compte, dans un bel élan d’unanimité qui était malheureusement rare dans le monde mutualiste étudiant - mutuelles régionales et MNEF confondues - que nous n’étions pas concurrents les uns des autres, ou du moins que notre principale concurrent était plutôt la mutualité de la fonction publique. En effet, celle-ci engageait des campagnes de " rétention " de leurs ayants droit, tout simplement en faisant en sorte que les enfants étudiants de leurs bénéficiaires restent affiliés aux mutuelles parentales jusqu’à 26 ou 27 ans, couvrant donc largement la période de leurs études universitaires.

Le véritable adversaire était les mutuelles de la fonction publique. Ce qui ne nous empêchait pas d’entretenir des relations cordiales au sein de la FNMF, mais les mutuelles sont aussi des entreprises d’économie sociale certes, mais des entreprises tout de même. Nous étions impuissants.

M. Robert PANDRAUD : La MGEN n’a toujours pas vu cela ?

M. Jean-Michel GROSZ : Bien sûr. C’était vrai pour la MGPTT, pour la MGEN, etc. C’est assez paradoxal parce que ces mutuelles étaient celles qui, au sein du mouvement mutualiste, soutenaient la MNEF depuis très longtemps - lorsque celle-ci rencontrait des problèmes de gestion importants, elles étaient les premières à essayer de l’aider - et, en même temps, il y avait derrière quelques sous-entendus économiques bien pensés, qui permettaient de rapporter de l’argent. Bref, charité bien ordonnée, en la matière !

Pour montrer que nous n’étions pas complètement dupes, nous avons eu l’idée de créer une mutuelle proche de la MNEF, dont le champ d’intervention était largement autre que le seul monde étudiant. Elle s’appelait la mutuelle interprofessionnelle de France (MIF), son nom dit bien ce qu’elle était. Elle était destinée à intervenir, d’une manière très modeste, parce que le régime fonctionnaire est un régime qui travaille en vase clos. C’est un système quasiment imperméable à l’extérieur, mais cela permettait d’expliquer à la mutualité de la fonction publique que nous n’étions pas totalement dupes et cela les a suffisamment gênés pour qu’il y ait des séances animées, dont je me souviens encore, dans le bureau de René Teulade lorsqu’il était président de la Mutualité française.

M. Robert PANDRAUD : Cet aspect concurrentiel des mutuelles dont on peut très bien comprendre la motivation justifie la politique de la Commission européenne en la matière. Puisque vous vous mettez vous-mêmes dans un monde concurrentiel, pourquoi ne pas aller au-delà ?

M. le Président : Je vous remercie pour votre exposé et vos explications qui nous seront fort utiles dans le cadre de nos propres réflexions.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr