M. Dominique Perreau a expliqué le rôle de la direction des affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères. Il consiste à entretenir un dialogue avec les compagnies notamment celles qui travaillent à l’étranger, à les informer des contraintes existant dans certains pays, et à leur donner des indications sur les conditions de vie des ressortissants français dans ces pays. Le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Industrie se partagent le suivi des grandes sociétés, dont les compagnies pétrolières en raison de leur rôle stratégique dans la sécurité des approvisionnements de la France. Il faut veiller à la sécurité des approvisionnements de la France ; elle passe par la diversification des sources d’accès au pétrole.

M. Dominique Perreau a insisté sur quatre points, le changement du cadre institutionnel des relations entre l’Etat et les compagnies, le dialogue et le soutien apportés par le Quai d’Orsay à ces sociétés, la défense de leurs intérêts et l’intervention du ministère des Affaires étrangères quand les décisions d’une compagnie française sont incompatibles avec la politique étrangère de la France.

Le cadre institutionnel des relations de l’Etat avec les compagnies Elf et Total a changé depuis leur privatisation. L’Etat n’exerce plus de pouvoir régalien envers ces compagnies. Le rôle du ministère des Affaires étrangères se borne dorénavant à des considérations légalistes. En ce qui concerne les participations à la société, en 1992 l’Etat qui détenait encore 32 % du capital de Total en a cédé 26 %, puis 5 % en 1996, le 1 % restant a été vendu en mai 1998. La participation de l’Etat au capital d’Elf est passée de 50,78 % du capital en 1993 à 0,75 % ; elle est constituée de certificats pétroliers échangés le 7 mai 1998. Quant aux règles qui régissent les relations de l’Etat avec ces sociétés, pour Elf un décret de décembre 1993 institue une action spécifique de l’Etat, assortie de droits. Tout franchissement à la hausse des seuils de détention directe ou indirecte du titre pour le dixième, le cinquième ou le tiers du capital doit être approuvé préalablement par le ministère de l’Economie. L’Etat est représenté au Conseil d’administration d’Elf par le directeur de la DIMAH et un représentant de la Direction du Trésor. Pour Total, des dispositions conventionnelles datant de 1928 rendaient la société "inopéable". Les actes de la société affectant la politique étrangère ou de défense du gouvernement sont soumis à l’arbitrage du vice-président du Conseil d’Etat, le Directeur de la DIMAH représente l’Etat au Conseil d’administration de Total.

Le Quai d’Orsay entretient un dialogue constant et nourri avec ces sociétés afin de s’assurer que leurs orientations et leurs projets sont élaborés dans l’optique des relations bilatérales de la France avec les Etats où elles opèrent. Ce dialogue s’inscrit dans deux types de contraintes. Premièrement, les compagnies doivent s’assurer qu’elles agissent dans le cadre de la légalité nationale et internationale, faute de quoi elles sont susceptibles d’être sanctionnées. Les résolutions du Conseil de sécurité sont transcrites dans le droit communautaire et des sanctions au titre de la politique européenne et de sécurité commune (PESC) dans le cas notamment de la Birmanie et du Nigeria ont été prises. Deuxièmement, ces sociétés doivent se comporter comme des entreprises multinationales industrielles avec des objectifs de rentabilité, et chercher à obtenir l’assurance qu’elles pourront conduire leurs opérations dans un pays conformément aux standards internationaux, de recruter elles-mêmes le personnel nécessaire à leurs chantiers, de procéder aux rémunérations et de respecter l’environnement.

Le rôle du Quai d’Orsay, de ses directions régionales ou fonctionnelles (affaires juridiques, directions des Nations Unies ou des Français à l’étranger) vis-à-vis des compagnies pétrolières se décline sous trois aspects : le soutien au projet, la défense des intérêts des compagnies lorsqu’elles sont mises en cause par des législations internationales et la sensibilisation voire la dissuasion quand leurs projets n’entrent pas dans le contexte diplomatique de la France.

Le soutien à un projet constitue une prérogative discrétionnaire de l’Etat. Pour valoriser un projet, il est fréquent que les compagnies pétrolières fassent appel aux entretiens du ministre des Affaires étrangères avec ses homologues étrangers ou que l’on demande aux ambassades d’entreprendre des démarches de soutien. Dans certaines régions du monde cet appui est indispensable. Ainsi au Moyen-Orient, on constate que les sociétés anglo-saxonnes sont soutenues par le Foreign Office ou le Département d’Etat. La France s’efforce d’agir de même. Dans ces pays, les dirigeants ne perçoivent pas toujours clairement que ces compagnies sont privées, ils font appel à l’Etat français comme interlocuteur ; pour eux, le pétrole et la sphère politique sont intimement liés. Les hydrocarbures appartiennent à l’Etat producteur et relèvent de sa souveraineté. Le ministre des Affaires étrangères use de son influence pour défendre les projets des compagnies françaises car l’Etat doit veiller à la sécurité des approvisionnements en pétrole et gaz naturel. Quand Elf et Total sont concurrentes dans un pays, le ministère des Affaires étrangères se fait un devoir de rester strictement neutre, c’est le cas au Qatar où Total conduit un projet avec Qatar Gaz tandis qu’Elf souhaite entrer dans un projet concurrent conduit par Mobil. Quand les deux compagnies sont partenaires sur un même projet comme en Azerbaïdjan, le ministère des Affaires étrangères s’en félicite : le plus souvent il n’interfère pas dans les dossiers. Dans le cas des activités d’Elf dans la zone de Safira revendiquée à la fois par la Guinée équatoriale et le Nigeria, le ministère des Affaires étrangères a considéré qu’Elf étant une compagnie privée, il ne lui appartenait pas de juger du bien fondé du différend opposant Elf au Nigeria aux autorités équato-guinéennes et il a prôné la négociation.

Le soutien financier de l’Etat s’exerce également par le biais de la Commission des garanties investissements (CGI) présidée par la Direction du Trésor dans laquelle la direction des affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères siège aux côtés de la Direction des relations économiques extérieures (DREE) et de la Coface. Les décisions d’appui à des projets d’investissements pétroliers sont prises au sein de cette commission et l’encours s’élève aujourd’hui à 3,307 milliards de francs pour l’ensemble des soutiens aux investissements. Certains dossiers sont acceptés, d’autres sont rejetés. En 1995-1996 trois dossiers ont été rejetés : Elf Syrie parce que trop coûteux, Total Libye en raison des mesures d’embargo contre ce pays et Total Algérie parce qu’il existait un risque politique et un cumul possible avec une garantie pour un autre champ. Le Trésor, après discussion avec Elf et Total, en juillet 1996, a arrêté de fait de soutenir les investissements pétroliers en raison de l’encours trop important (plus de 60 %) que représentaient les contrats pétroliers. Désormais on ne fait plus appel à la CGI, les pétroliers se tournent vers les compagnies d’assurances.

Le ministère des Affaires étrangères participe à la défense des intérêts des compagnies pétrolières mises en cause par des législations internationales non pertinentes. Le Congrès américain s’est opposé à la signature du contrat de Total en Iran en septembre 1997 sur le gisement de South Pars. Il se fondait sur la loi d’Amato visant à empêcher les entreprises pétrolières quelle que soit leur nationalité, d’effectuer des investissements d’un montant supérieur à vingt millions de dollars par an en Iran et en Libye sous peine de se voir imposer des sanctions économiques et financières aux Etats-Unis. Le gouvernement français a laissé se développer le projet, il n’avait pas à donner son aval à ce contrat car il était conforme au droit international. En revanche une mise en garde fut adressée aux Américains contre les sanctions applicables aux activités de Total aux Etats-Unis et à travers le monde. Avant la promulgation de la loi d’Amato, lors du sommet du G7 à Lyon, la France et ses partenaires de l’Union européenne avaient mis les autorités américaines en garde contre son adoption. Par la suite, en novembre 1996, le Conseil de l’Union européenne a exprimé son opposition à cette loi et a adopté un règlement communautaire stipulant que les personnes physiques ou morales ne devaient pas respecter les prescriptions des lois d’Amato ou Helms-Burton ou de lois du même ordre. Si elles s’y conformaient, elles étaient susceptibles d’être sanctionnées sur le fondement du droit communautaire. Total a prévenu à l’avance le ministère des Affaires étrangères de l’imminence de la signature du contrat de South Pars. Ce dernier a pu ainsi se tourner vers ses partenaires de l’Union et du Proche et Moyen-Orient pour leur fournir des explications et des arguments, ce qui a permis de désamorcer d’éventuelles critiques. En mai 1998, lors du sommet euro-américain, le ministère des Affaires étrangères a obtenu des Américains une exemption pour les projets du même type qui pourraient se développer en Iran.

Pour l’évacuation du gaz et du pétrole de la mer Caspienne, les Américains ont fait pression pour éviter que les tracés d’oléoducs et de gazoducs passent par l’Iran. La France estime qu’il faut éviter l’hégémonie de tel ou tel Etat. Les compagnies pétrolières sont libres d’étudier un tracé permettant à un gazoduc de relier le Turkménistan, l’Iran, la Turquie ; l’Iran pourrait à terme devenir un partenaire comme un autre. En Iran, la France s’efforce de conjuguer une grande fermeté sur le plan politique, au maintien des liens économiques pour ne pas pénaliser les populations ; deux clans s’affrontent aujourd’hui et les investissements étrangers peuvent aider les réformistes iraniens.

Le ministère des Affaires étrangères est parfois amené à pratiquer une politique de dissuasion à l’égard de certains projets des compagnies pétrolières françaises. Elf et Total négocient depuis 1992 des accords de partage de production sur deux champs pétrolifères en Irak, le gisement de Majnoun pour Elf (900 000 barils/jour) et celui de Nar Umr pour Total (440 000 barils/jour). Ces compagnies ont quasiment finalisé leurs négociations, les enjeux sont considérables, elles craignent la concurrence anglo-saxonne, une fois l’embargo levé. Ces compagnies jouissent d’un capital de sympathie dont bénéficie la France et souhaiteraient rapidement signer les contrats qui tombent sous l’embargo des Nations Unies, que la France entend strictement respecter. L’Etat dissuade ces deux sociétés d’aller plus avant. Ces discussions se mènent au sein de la direction des affaires économiques et financières, de la direction des affaires juridiques, de celle d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, et de celle des Nations Unies. La position du ministère des Affaires étrangères reste très ferme : il dissuade les projets d’exploration et de production des compagnies pétrolières françaises en Irak.

Pour conclure, M. Dominique Perreau a souligné que l’Etat et les sociétés françaises respectaient la légalité internationale, les embargos internationalement décrétés comme ceux vis-à-vis de l’Irak et de la Libye, les sanctions décrétées dans le cadre de la PESC vis-à-vis de la Birmanie et du Nigeria. En revanche, la France ne reconnaît pas la portée extraterritoriale de lois unilatérales américaines. Elle est convaincue que pour faciliter la transition démocratique d’un Etat, il ne faut pas couper totalement les communications avec ce dernier. Parfois les mesures d’embargo économique risquent de ne pas porter leurs fruits, de conforter les extrémistes tout en décourageant les réformistes, ce qui implique une grande vigilance.

Mme Marie-Hélène Aubert a demandé qui procédait à l’évaluation du respect des normes internationales, sur quelles bases et par qui un contrat était déclaré conforme à ces règles. Elle s’est enquise de la façon dont le respect des conventions internationales ratifiées par la France était assuré par les compagnies françaises, opérant dans des pays non signataires de ces conventions.

S’agissant des positions prises par Elf au Congo, elle a voulu savoir comment le Quai d’Orsay traitait ce problème. Elle s’est renseignée sur l’existence d’un contrôle concernant l’utilisation de certains fonds, voire sur des commissions même licites.

Observant que bien que privées, les compagnies pétrolières comme Elf et Total restaient une vitrine de la France, M. Pierre Brana a voulu savoir s’il existait des lieux ou des instances de contact permanent entre l’Etat et ces compagnies où des cas litigieux - atteintes à l’environnement ou interventions politiques (cas d’Elf au Congo) - pouvaient être évoqués. Il a demandé comment et par quel canal le ministère des Affaires étrangères réagissait.

M. Roland Blum a insisté sur les problèmes politiques comme l’intervention des compagnies pétrolières dans les affaires intérieures d’un Etat dans lequel elles exploitent du pétrole. Il s’est informé sur la manière dont ces questions remontaient vers les ministères compétents et y étaient traitées et sur les systèmes de coordination existants.

M. Dominique Perreau a apporté les précisions suivantes.

Le ministère des Affaires étrangères mène un dialogue critique avec les représentants des compagnies pour vérifier que les normes internationales sont respectées. Trois instances peuvent être compétentes pour un dossier dans lequel les droits de l’Homme ou les normes environnementales sont mal respectés. Il saisit la direction des affaires juridiques et celle de la coopération européenne au ministère des Affaires étrangères et la DIMAH au ministère de l’Industrie. Dans certains cas, comme pour l’Irak, l’examen du dossier s’appuie sur les constats des fonctionnaires de l’Ambassade de France du poste d’expansion économique, et des représentants de l’Etat dans le Conseil d’administration de la compagnie. Comme il connaît les projets à l’avance, l’Etat est en mesure de demander les pièces justificatives de ceux qui sont sensibles.

Dans le domaine de l’environnement, la France est attachée au respect d’un certain nombre de conventions internationales (protection des mers, démantèlement des installations offshore). Elle s’efforce d’encourager les Etats à les signer et de promouvoir leur extension quand le champ d’application de ces accords est limité. En effet, les accords relatifs à l’Europe sont nombreux et bien détaillés : Convention Ospar, Accord de Bonn de 1983. La protection de la mer vis-à-vis des rejets d’hydrocarbures ou de plate-forme offshore est excellente en Europe, mais le reste du monde est moins bien couvert. La France tente de promouvoir ce type de protection dans le cadre du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Pour le programme régional du PNUE qui touche les mers d’Asie, d’Afrique, la France envoie des représentants, comme à la réunion du Cap en novembre 1998, qui visait à favoriser une meilleure protection des océans en Afrique subsaharienne. Le ministère des Affaires étrangères en concertation avec celui de l’Industrie et de l’Environnement participe à l’élaboration d’accords internationaux environnementaux et tente de leur donner une dimension internationale. Ainsi le système Fipol d’indemnisation des victimes de pollution d’hydrocarbures progresse actuellement. En cas de pollution par une compagnie pétrolière française le ministère des Affaires étrangères est alerté par les Ambassades et les ONG qui disposent de relais à Paris. Les ministères de l’Environnement et de l’Industrie sont aussi sollicités. Le dossier est instruit et l’Etat passe par ses représentants au sein des conseils d’administration pour faire observer aux compagnies qu’elles sont dans l’illégalité. Total a signé un code de conduite pour ces activités internationales et une charte de l’environnement. En général les compagnies françaises respectent les normes environnementales.

Les problèmes politiques soulevés par l’intervention des compagnies pétrolières sont traités au niveau des directions géographiques du ministère des Affaires étrangères, au cabinet du ministre et au secrétariat d’Etat à la coopération et au développement.

S’agissant d’Elf au Congo, ce type de dossier est traité par l’Ambassadeur sur place et la direction Afrique qui est en charge de tous les problèmes politiques et des influences exercées par les groupes industriels. La direction des affaires économiques et financières intervient au niveau des embargos et de la négociation des conventions globales, comme celles de l’OCDE sur la lutte contre la corruption que la France a signée et qui s’appliquera aux compagnies pétrolières.

M. Michel Filhol a ajouté que l’application de ces conventions était du ressort des tribunaux dès lors qu’elles seraient ratifiées ce qui, si le Parlement l’accepte, devrait intervenir courant 1999. Il y a un mouvement consensuel entre les partenaires signataires afin que chacun agisse au même rythme. Les conventions anticorruption s’appliquent à tous les secteurs de l’activité économique et à toutes les formes de transactions, au sens large du terme dans les relations commerciales internationales. Malgré la diversité des procédures, les contrevenants seront traités de la même façon avec des échelles de peines correctionnelles équivalentes dans chaque Etat signataire. Les faits délictueux étant les actes de corruption active d’agent public étranger. La saisine se fera devant les tribunaux et la procédure sera juridictionnelle.

M. Roland Blum a souhaité des précisions sur le rôle fonctionnel de la direction des affaires économiques et financières par rapport à la DREE et sur la coordination des services.

Il s’est renseigné sur les politiques de sanctions décidées à l’égard de la Birmanie et du Nigeria et sur l’étendue du pouvoir de dissuasion du ministère à l’égard des entreprises. Il a voulu savoir comment ce pouvoir serait exercé quand l’Etat ne disposera plus de représentant au Conseil d’administration des compagnies pétrolières françaises.

Mme Marie-Hélène Aubert a rappelé que Total était attaqué en justice aux Etats-Unis à propos du chantier du gazoduc de Yadana et que sa présence en Birmanie était jugée inopportune, car pour certains, les investissements étrangers constituent un soutien à la Junte. Elle a estimé que cette présence risquait d’obérer l’avenir. A long terme, les intérêts de la France ne semblent pas toujours se confondre avec ceux de ses entreprises. La France n’aurait-elle pas été récemment écartée d’un contrat d’armement en Afrique du Sud en raison de l’attitude du secteur français de l’armement au moment de l’apartheid ?

Elle a demandé si les intérêts français en Birmanie ne seraient pas pénalisés par l’avènement d’un régime démocratique dans ce pays et a souhaité comprendre pourquoi le ministère des Affaires étrangères ne décourageait pas les entreprises françaises de s’y implanter.

M. Dominique Perreau a donné les explications suivantes.

La DREE dispose d’un large réseau à travers le monde et d’effectifs nombreux qui l’informent par notes. La direction des affaires économiques et financières se compose d’une vingtaine de rédacteurs qui négocient des conventions internationales et font des analyses macro-économiques et financières sur les pays de l’OCDE ; cette Direction assure l’interface entre DREE, Direction du Trésor, grandes directions internationales des ministères techniques et les directions géographiques du Ministère des Affaires étrangères.

Devant les dérives de la dictature birmane, l’Union européenne a pris des mesures de plus en plus sévères. Elle a décidé un embargo sur les armes, la suspension des visites de haut niveau et de toute aide autre qu’humanitaire, l’interdiction de délivrer des visas d’entrée aux dirigeants du régime et aux hauts gradés de l’armée, puis en mars 1997 le retrait du système de préférences généralisées accordé à ce pays. En octobre 1998 le Conseil des affaires générales a admonesté la Birmanie devant l’extension de la répression, la détérioration de la situation des droits de l’Homme, les interdictions de déplacement de Mme Aung San Suu Kyi et l’emprisonnement des opposants. La pression de l’Union européenne a été forte et la France y prend une part active. Au sein de l’ASEAN certains prônent une attitude plus flexible vis-à-vis de la Birmanie pour faire passer un message plus démocratique, d’autres préfèrent la tenir à distance. Les sanctions d’ordre politique ou sur le système de préférences généralisées ne s’appliquent pas au projet de gazoduc de Total en Birmanie suivi avec attention par la Direction. L’ambassade de France en Birmanie est en contact avec les ONG et essaie de faire le partage entre les exactions commises par le régime birman aujourd’hui et ce qui relève du développement classique du projet. Selon l’Ambassade de France en Birmanie, il n’y a pas de travail forcé sur le site contrôlé par Total dont les travaux nécessitent l’intervention de spécialistes. La position de la France sur la Birmanie est nuancée. Il semble que des projets économiques peuvent être vecteurs de développement et de débat démocratique. La Corée du Sud soumise à un régime militaire pendant trente ans est sortie de son sous-développement grâce à la coopération économique et a pu devenir un pays démocratique. Cette analyse pourrait s’appliquer à la Birmanie. Le Groupe Total y est un vecteur de développement, il ouvre des écoles, forme du personnel, envoie des Birmans se former à l’étranger. Le ministère des Affaires étrangères reste très ferme sur le refus de toute coopération politique avec la Birmanie mais considère que la coopération économique est un facteur de développement même si le débat est délicat. Néanmoins il s’assure soigneusement que Total n’est attaquable ni au sujet du travail forcé, ni au sujet de ses relations avec la Junte.

L’Union européenne a été très ferme à l’égard du Nigeria de 1993 à novembre 1998. La France y a concouru. Des sanctions multiformes vis-à-vis de ce pays ont été mises en place : sur le plan militaire, suspension de la coopération, restriction puis interdiction de la délivrance de visas aux militaires, suspension de toutes les visites de haut niveau ; sur le plan civil, suspension de la coopération avec le Nigeria depuis novembre 1998. Les sanctions civiles ont été levées afin de prendre en compte l’évolution positive du Nigeria depuis la mort du Général Abacha et de soutenir le processus de transition démocratique qui s’organise. Un débat sur les sanctions est en cours au ministère des Affaires étrangères, on estime que les sanctions économiques ne portent pas toujours leurs fruits et que les sanctions politiques sont plus efficaces. Le cas du Nigeria en témoigne.

Le pouvoir du ministère de dissuader les entreprises de s’implanter s’exerce surtout à propos de l’Irak. Le ministère des Affaires étrangères, via son représentant dans le Conseil d’administration d’Elf, a fait savoir qu’il était contraire aux intérêts diplomatiques de la France qu’Elf s’engage dans un contrat d’exploration-production en Irak actuellement. Les compagnies sont sur ce point soumises au droit français, au droit communautaire et au droit international. Elles sont susceptibles d’être sanctionnées au pénal si elles enfreignent ces règles. Le ministère des Affaires étrangères, comme celui de l’Industrie, entretient un dialogue étroit avec les compagnies pétrolières et utilise tous les canaux du droit national, communautaire et international, même après privatisation. Les compagnies pétrolières complètement privées comme Shell sont également soumises aux normes communautaires et internationales.

M. Pierre Brana a fait valoir que nombre de pays producteurs estiment que l’Etat d’origine d’une compagnie pétrolière dispose de moyens de pression sur elle. Aussi quoiqu’il advienne, Total et Elf engagent d’une certaine façon la France. Il a estimé difficile de ne pas tenir compte de cet état d’esprit et a sollicité l’avis de M. Dominique Perreau sur ce point.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est interrogée sur l’ambiguïté de la présence d’un représentant de l’Etat dans le Conseil d’administration d’Elf et de Total, qu’elle a estimée être à double tranchant car elle peut soit contribuer à une meilleure évaluation et un meilleur contrôle de l’activité de ces compagnies, soit au contraire accroître la confusion entre intérêts économiques et intérêts politiques.

Elle a demandé l’avis de M. Dominique Perreau sur le caractère dissuasif des sanctions à l’égard des compagnies dans le cadre de la PESC ou dans d’autres domaines.

Abordant les problèmes soulevés par le projet d’oléoduc entre le Tchad et le Cameroun, elle a voulu savoir si la direction des affaires économiques avait donné un avis puisque la compagnie française Elf détient 20 % des parts du consortium.

M. Dominique Perreau a apporté les précisions suivantes.

L’Union européenne conteste l’action spécifique que détient l’Etat dans le Conseil d’administration d’Elf mais le ministère des Affaires étrangères souhaite la conserver.

Pour la Birmanie, les sanctions ont un impact considérable car ce pays en développement se voit refuser toute aide. S’agissant des compagnies, tout manquement aux normes communautaires en vigueur peut être sanctionné par les tribunaux. Jusqu’ici aucune compagnie pétrolière française n’a été condamnée pour avoir enfreint les embargos internationaux décrétés contre la Libye et l’Irak. En cas de manquement, les compagnies peuvent se voir infliger des sanctions pénales et être également sanctionnées par le marché. Pour une grande compagnie d’envergure mondiale, la perspective de se trouver confrontée à un procès pour non-respect de la légalité internationale est très dissuasive en termes d’image même si les sanctions paraissent dérisoires eu égard au chiffre d’affaires. Les grandes compagnies pétrolières confrontées au non-respect des conventions en matière d’environnement ont très rapidement compris où leur intérêt se situait avant même une action juridictionnelle. Les sanctions politiques générées par les Etats contre un autre créent le cadre politique et diplomatique auquel les grandes compagnies doivent s’adapter. Si elles s’en écartaient, les sanctions encadrées juridiquement prévoient un dispositif juridictionnel qui peut avoir un effet amplificateur. La vigilance des Etats et des concurrents à l’égard de leur partenaire est également dissuasive.

La convention sur le milieu marin signée en juillet 1998 à Sintra oblige les compagnies pétrolières à démanteler toutes leurs installations offshore désaffectées et à les ramener à terre. Ce progrès en matière de respect des normes environnementales est conforme à l’intérêt général et les sociétés y sont de plus en plus attentives sous peine de conséquences lourdes.

Le projet d’oléoduc entre le Tchad et le Cameroun est en pointillé car sa rentabilité sera fonction des cours du pétrole, il est géré au niveau du ministère des Affaires étrangères par la Direction d’Afrique et de l’Océan indien.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est renseignée sur le fonctionnement de la CGI et sur les raisons de la suspension de ses activités.

M. Pierre Brana a souhaité des précisions sur les raisons et l’impact de cette suspension et sur le rôle de la Coface dans la garantie des risques.

M. Roland Blum a demandé si le ministère des Affaires étrangères avait participé aux discussions concernant l’AMI. Il a voulu savoir si le secteur pétrolier avait eu un poids particulier dans ces négociations.

M. Dominique Perreau a expliqué que la CGI avait existé jusqu’en 1996 et que ses encours étaient très élevés dans le domaine pétrolier. De même, depuis deux ans la Coface n’intervient plus dans ce secteur.

En comparant les projets soumis à la CGI au capital des entreprises et à leur chiffre d’affaires, on s’est aperçu que celles-ci sollicitaient un assureur, non pas pour assurer leur survie, mais pour alléger leur bilan comptable en évitant de provisionner le risque et fidéliser les actionnaires si l’opération tournait mal. Quand la CGI a été créée au début des années 1990, les compagnies pétrolières ont présenté des projets cohérents généralement dans des pays sensibles et instables. Elles devenaient omniprésentes dans ce guichet et représentaient 60 % des encours. Leur éviction du système n’a pas été brutale, elle s’est faite après discussion entre le ministère de l’Economie et des Finances et les compagnies pétrolières. Le fait qu’elles n’aient plus accès à ce système ne les empêche pas d’avoir recours à des assureurs privés.

La Direction économique du ministère des Affaires étrangères a été associée aux négociations sur l’AMI, et notamment à leurs suspensions, le secteur pétrolier ne pesant pas plus que d’autres sur ces négociations dans lesquelles intervenaient des considérations d’ordre culturel, environnemental ou social.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr