M. Jean de Gliniasty a exposé qu’il avait à connaître de par ses fonctions une partie de la problématique posée par la mission d’information, à savoir la politique sociale et les questions que soulèvent les sanctions. La direction des Nations Unies gère les aspects organisationnels du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) mais n’est pas véritablement compétente sur le fond.

A l’ONU, on assiste à un phénomène récent (un an et demi) de généralisation au travers de la société civile, voire des multinationales, d’un certain nombre de valeurs qui jusque-là étaient celles des pays du Nord, industrialisés. Les pays du Sud étaient restés jusqu’à la chute du mur de Berlin d’une prudente réserve, puis ils ont proposé des déclarations sur les droits de l’Homme d’inspiration islamique ou asiatique. Depuis un an, on assiste à une certaine homogénéisation. En juin 1998, la Conférence sur la déclaration universelle sur les droits des travailleurs de l’OIT a montré cette convergence sur quatre grands principes : interdiction du travail forcé, liberté d’association, interdiction du travail des enfants et non-discrimination sur les lieux de travail.

Brusquement nombre d’Etats qui n’avaient jamais signé ce type de convention, ont accepté le document de l’OIT qui implique pourtant un suivi de son exécution. L’atmosphère de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU a changé et un certain nombre d’exemples démontrent que la communauté internationale tend à s’approprier collectivement des valeurs considérées jusque-là comme étant celles de l’Europe occidentale.

Pour les questions de l’environnement, il en va autrement. A la conférence de New York en 1997, les pays du Sud ont critiqué les normes environnementales imposées sans contrepartie par ceux du Nord. Les pays du Sud ont fait valoir leur besoin de développement. Mais les dégâts causés par l’ouragan Mitch ont montré que les pays les plus pauvres souffrent davantage que les riches, des dégradations de l’environnement mondial. Même si la Conférence de New York a été un échec, il est probable qu’à l’avenir un consensus sera trouvé sur des normes internationales en matière d’environnement. En revanche, en matière de sanctions, on assiste à un rejet par les membres des Nations Unies qui ne souhaitent pas se faire dicter des normes de comportement par le Conseil de sécurité largement dominé par les pays occidentaux.

On relève une évolution contradictoire ; d’un côté des normes occidentales sont acceptées, de l’autre, on rejette leur application par la force. L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a voté récemment une résolution reconnaissant à ses membres le droit de ne pas respecter une résolution du Conseil de sécurité instituant des sanctions contre la Libye. Cette position a été prise par une organisation régionale forte de 53 Etats s’arrogeant le droit de ne pas respecter les résolutions des Nations Unies. Les Américains et les Anglais ont dû faire une proposition spécifique de sortie de crise par l’intermédiaire du secrétariat des Nations Unies. Cette résolution de l’OUA constitue la manifestation extrême d’un rejet des sanctions, dont il faut reconnaître qu’elles sont presque toutes dirigées contre des pays africains ou arabes : la Libye, le Soudan et l’Irak. On note aussi une certaine compassion à l’égard de l’Irak, malgré les erreurs commises par Saddam Hussein. Le thème de l’effet des sanctions sur le peuple irakien est populaire dans le monde arabe. La mise en cause des sanctions provoque une réflexion en France comme aux Etats-Unis où chaque Etat applique un régime de sanctions autonome contre tel ou tel comportement d’un pays souverain qui n’a pas respecté certaines normes.

Lors d’un séminaire organisé par le ministère des Affaires étrangères, il est apparu que les normes s’imposaient dans les pays en voie de développement, non pas grâce à la menace de sanctions, mais paradoxalement grâce aux multinationales qui disposant de code de conduite, sont les premières dans les pays les plus pauvres à appliquer des normes sociales et des règles de comportement de type occidental. Si elles ne respectent pas ces normes, les opinions publiques de leur pays d’origine peuvent les sanctionner. Les multinationales jouent donc un rôle positif en termes de droit social dans un pays peu développé. L’adoption rampante de ces normes s’explique également par la volonté des gouvernements dictatoriaux, même les plus cyniques de donner d’eux-mêmes une bonne image.

La communauté internationale a modifié son approche lors de l’avant dernière Commission des droits de l’Homme au cours de laquelle la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont refusé de condamner la Chine, estimant plus efficace l’établissement d’une coopération pour appliquer les droits de l’Homme. La Chine est contrainte d’évoluer. Elle a signé la Convention sur les droits économiques et sociaux. Le nouveau Haut-commissaire aux droits de l’Homme, Mme Mary Robinson, a expliqué qu’il fallait mettre sur le même plan les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux. Pour y parvenir, il faut recourir à l’assistance technique ce qui constitue une approche nouvelle mais onéreuse. La mondialisation de l’économie entraîne celle des valeurs, même les régimes les plus dictatoriaux veulent renvoyer une image moderne et doivent donner certaines garanties. Le refus des sanctions pose un réel problème de droit international car elles ont parfois été utiles comme dans la lutte contre l’apartheid, voire même dans l’ex-Yougoslavie.

C’est à travers l’embargo contre l’Irak et la Libye que la direction des Nations Unies s’est intéressée au pétrole. Elle s’assure du respect des limitations strictes des exportations de pétrole dans le cadre de l’application de la résolution "pétrole contre nourriture". Ce système sévère fonctionne correctement. La direction des Nations Unies ne dispose pas d’indications sur la façon dont les sanctions sont appliquées par l’industrie pétrolière ; on notera cependant qu’aucune mise en cause n’a été signalée.

Certains pays producteurs de pétrole ne respectent pas les droits de l’Homme. A la Commission des droits de l’Homme et en Assemblée plénière à l’ONU, la France est amenée à voter des résolutions mettant en cause certains de ces pays. Aucune de ces résolutions ne met en cause des multinationales à ce stade mais cela pourrait évoluer dans le cas de la Birmanie car la pression de l’opinion publique aux Etats-Unis est très forte. Il en résulterait une mise en cause de firmes pétrolières. Une commission d’enquête informelle de l’OIT sur la Birmanie a été créée et Total a été citée par des témoignages secondaires en 1995-1996 comme bénéficiaire de travail forcé, ce que la firme a contesté.

M. Roland Blum s’est renseigné sur la notion de "témoignage secondaire" s’agissant du travail forcé.

M. Pierre Brana a demandé quels étaient les pays producteurs de pétrole qui auraient fait l’objet de plainte devant les Nations Unies pour violation des droits de l’Homme.

Mme Marie-Hélène Aubert a voulu savoir qui avait rédigé la Charte des multinationales, observant que ce document était, peut-être, révélateur d’un souci d’image, un certain nombre de dégâts sociaux et environnementaux ayant été provoqués par des exploitations pétrolières. Certains pays comme le Mozambique s’inquiètent des désordres sociaux provoqués par les possibilités d’exploitation du pétrole sur leur sol.

Rappelant qu’en Afghanistan, les Américains avaient soutenu le régime des Taliban pour permettre à Unocal de s’implanter et promouvoir leurs intérêts pétroliers, elle a sollicité l’avis de M. Jean de Gliniasty sur ces différents problèmes.

M. Jean de Gliniasty a répondu à ces questions.

Le témoignage secondaire émane de témoins indirects ; les intéressés rapportent des témoignages mais n’ont pas été eux-mêmes témoins.

La Birmanie, la Colombie, la République démocratique du Congo, le Nigeria, l’Iran ont fait l’objet de plaintes pour atteinte aux droits de l’Homme. L’Arabie Saoudite faisait l’objet d’une procédure confidentielle dite 1503 à laquelle il a été mis fin. A la Commission des droits de l’Homme, le débat est politisé.

La Charte des multinationales, qui a été rédigée dans le cadre de l’OIT de manière informelle, est le fruit de la collaboration des syndicats et de multinationales L’exploitation du pétrole par les multinationales est susceptible de provoquer des désordres sociaux par le décalage entre les salaires versés par les compagnies pétrolières et les salaires moyens de certains pays. La différence crée un déséquilibre social.

Les dégâts provoqués sur l’environnement par les compagnies pétrolières sont souvent réels, mais ils ont été perpétrés avec la complicité des autorités locales, longtemps insensibles à ces enjeux, ce qui semble changer actuellement. L’installation de multinationales dans un pays peut générer une certaine corruption voire une perte de contrôle des ressources ; mais en termes de normes sociales, elle a généralement un effet bénéfique, car ces entreprises versent des salaires importants et confèrent des protections sociales et syndicales de haut niveau, même lorsqu’elles s’adaptent aux conditions locales. Parallèlement, les retombées sur les populations locales peuvent être insuffisantes, ce qui crée des déséquilibres.

Pour des raisons géostratégiques, face à l’Iran et la Russie, les Etats-Unis ont soutenu les Taliban pendant un temps, au point de vouloir leur donner le siège de l’Afghanistan aux Nations Unies, puis ils ont évolué, en raison de campagnes de presse. Le tracé du pipeline d’Unocal a été modifié. Récemment les Américains ont bombardé la résidence supposée d’Oussama Ben Laden.

M. Roland Blum a fait observer que le poids de l’opinion publique, de la presse et de la télévision, notamment CNN, était considérable aux Etats-Unis, ce qui infléchissait largement les positions prises par les autorités de ce pays.

Il s’est renseigné sur les procédures en cours contre Total, notamment devant le Bureau International du Travail (BIT).

Il a voulu savoir si les entreprises américaines respectaient les embargos.

Evoquant le cas de la Compagnie Elf au Congo, M. Pierre Brana a demandé comment, concrètement, la direction des Nations Unies opérait quand la France était mise en cause à ce sujet.

S’agissant de la présence de Total en Birmanie, il a souhaité savoir comment la direction des Nations Unies du ministère des Affaires étrangères réagissait quand cette compagnie pétrolière était mise en cause.

M. Jean De Gliniasty a apporté les précisions suivantes.

Il a reconnu que la presse américaine et les chaînes de télévision influençaient largement l’opinion publique américaine voire les diplomates en poste aux Nations Unies.

Selon lui, l’ONU n’a pas à connaître du comportement d’Elf au Congo car les critères d’intervention du Conseil de sécurité sont la situation humanitaire grave et les menaces pour la paix.

Total n’a pas été condamnée à la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, en l’absence de toute accusation explicite. Toutefois, on ne pouvait exclure que la compagnie soit mise en cause devant le BIT par voie de recommandation. Dans ce genre de cas, des démarches pouvaient être envisagées.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr