M. Jean-François Bayart a exposé qu’en tant que politologue, il avait surtout travaillé sur l’Afrique subsaharienne dans une perspective comparative et sur des pays d’Asie centrale dont l’Iran, et avait eu à étudier le rôle des compagnies pétrolières de manière indirecte.
En premier lieu, il a insisté sur la transformation rapide du système. En Afrique subsaharienne, quand on étudie la dimension politique du pétrole, il faut se garder de mythes qui circulent dans la presse et le monde associatif, ce mythe est celui d’Elf. Personne ne doute du rôle politique de cette compagnie, qui a souvent été perçu comme sulfureux en raison des liens structurels avérés qu’Elf entretenait avec la classe politique française et les services secrets français. Il y avait jusqu’à ces dernières années une très forte connexion entre certaines activités politiques et les activités de la compagnie pétrolière. Néanmoins, l’action de cette compagnie ne se réduisait pas à la politique africaine ou à des financements de la politique française. Toutefois, compte tenu de l’exiguïté de certains pays africains où elle opérait, comme le Gabon ou le Congo, son poids pesait sur leur classe politique. Elf n’avait d’ailleurs pas le monopole de ces relations un peu trouble avec les politiques ; les liens d’UTA, puis d’Air France avec les services étaient tout aussi évidents. On constate une fantasmagorie au sujet d’Elf qui demande à être nuancée et qui n’est pas un reflet exhaustif ou la réalité de la complexité du sujet.
Le cas de figure d’Elf est actuellement en transformation rapide, en raison de la chute des cours du pétrole : une série d’exploitations s’en trouvent déstabilisées. Ainsi, le projet d’oléoduc Doba-Kribi est probablement condamné à ne pas être mis en œuvre dans les années à venir, en raison du prix actuel du baril. Ce projet est plus complexe que sa présentation ne le laisse croire car il a des perspectives au Tchad, mais également en Centrafrique et au Soudan. La chute des cours transforme les données du problème même s’il n’est pas certain que l’importance de l’Afrique dans le portefeuille d’Elf s’en trouve diminuée.
La privatisation d’Elf, donnée qui échappe à beaucoup d’observateurs, voire aux chefs d’Etat africains, est également un facteur de transformation rapide. Les problèmes du PDG d’Elf Aquitaine aujourd’hui se situent plus à Wall Street, en raison de l’attitude des fonds de pension américains, que dans les capitales africaines. Il semble que cela change les données du problème y compris dans ses aspects sulfureux. Elf a mesuré les inconvénients de sa situation hégémonique au Gabon et au Congo, elle comprend son intérêt à ne pas être le seul opérateur pétrolier dans ces pays politiquement fragiles. Même si le monde pétrolier est celui de la concurrence acharnée, les joint ventures existent. Les compagnies pétrolières ont souvent intérêt à allier leurs forces pour diminuer leur visibilité, leur risque financier et politique. L’un des objectifs d’Elf dans les années à venir sera d’être moins exposé politiquement, moins hégémonique et visible dans un certain nombre de pays dont le Congo. Il est probable que les compagnies pétrolières ont mesuré les limites de leur puissance en Afrique. Pendant quelques années, elles ont pu estimer qu’elles avaient les moyens d’acheter les classes politiques et de financer des opérations mais depuis quinze ans la dureté des guerres civiles démontre les limites de leur puissance. Ainsi, en septembre 1997 au Congo, Elf a traversé une passe dangereuse à Pointe Noire, et ne donnait pas de consignes rassurantes à son personnel, contrairement au ministère des Affaires étrangères, qui encourageait les familles à revenir à Pointe Noire, car le Président d’alors, M. Pascal Lissouba, avait menacé d’attaquer les avions qui évacueraient les ressortissants étrangers. L’intervention angolaise fut pour Elf une divine surprise. Par ailleurs, Elf ne manque pas de savoir-faire pour assurer la sécurité de son personnel ; on s’en était aperçu lors de la prise de la ville de Soyo par l’Unita en Angola.
Dans le delta du Niger, les compagnies pétrolières vivent dans une grande insécurité et un climat social extrêmement détérioré. Aussi l’illusion de la puissance des compagnies pétrolières doit-elle être relativisée, les responsables de compagnies pétrolières en sont conscients, même si les champs de pétrole offshore, nombreux dans cette zone de l’Afrique, sont plus faciles à gérer au niveau de la sécurité.
En deuxième lieu, M. Jean-François Bayart a souligné le lien assez direct entre l’existence de ressources pétrolières importantes et l’extension de la guerre comme mode de solution des conflits politiques en Afrique subsaharienne. Bien que les compagnies pétrolières ne fassent pas a priori la politique du pire, elles y ont été, dans la pratique, entraînées. Les compagnies pétrolières anglo-saxonnes ont contribué à la chute de Mossadegh en Iran. Entre 1950 et 1960, la compagnie Chevron a indirectement alimenté la guerre civile au Soudan en distribuant des armes aux milices destinées à protéger ses installations pétrolières ; elle a joué un rôle dans l’extension de ce conflit. En Angola, les ressources provenant du pétrole permettent au MPLA, parti unique, d’acheter de l’armement pour financer son effort de guerre, et gouverner le pays sans se poser la question de sa légitimité politique, de sa représentativité ou de sa responsabilité.
En Afrique subsaharienne, les perspectives mêmes de l’exploitation pétrolière sont susceptibles de favoriser l’extension des conflits car elle permet à une partie ou à tous les belligérants d’acquérir des armes et elle rend la détention du pouvoir encore plus convoitable. Si le pétrole se met à couler au Tchad et à remplir les caisses de l’Etat, il deviendra un élément décisif de la guerre civile larvée dans le Sud. Tout indique que la bande au pouvoir du Président Idriss Déby capterait à son strict profit la rente pétrolière, les populations du Sud n’en connaissant que la répression, les armes. Dans le delta du Niger, les conditions d’exploitation du pétrole ont ainsi favorisé l’apparition de dissidences armées d’un type nouveau, inquiétantes en raison de la détérioration de la situation politique et sociale. Des dissidences de ce genre pourraient se développer dans le sud du Tchad si le pétrole venait à être exploité. Les compagnies pétrolières n’ont pas de responsabilités objectives et intentionnelles dans le développement de ces crises, mais elles doivent recourir à des sociétés privées de sécurité. Le contrôle du pipe-line virtuel entre Doba et Kribi intéresse des sociétés comme Executive Outcomes ou leurs concurrents. L’exploitation pétrolière est un facteur qui a poussé au développement de la privatisation de fonctions régaliennes de l’Etat, notamment en matière de défense. Le pétrole n’a pas le monopole de cette évolution que l’on retrouve pour le diamant, mais les enjeux financiers sont encore plus considérables.
M. Luis Martinez, politologue, a exposé qu’il s’était surtout intéressé à l’Algérie et à la Libye. Il a souhaité prolonger la réflexion de M. Bayart sur le rôle de l’exploitation des hydrocarbures dans le développement des conflits. En Algérie, entre 1993 et 1997, la guerre civile a fait entre 80 000 et 100 000 morts, mais elle n’a pas empêché l’exploitation du pétrole et du gaz dans de bonnes conditions. Plus de vingt compagnies pétrolières y sont présentes. En 1991 le marché algérien s’est libéralisé parallèlement au développement du conflit et plus de quarante contrats ont été signés. Le gazoduc Europe-Maghreb a été construit, il fonctionne. Au même moment, tout le nord du pays était réputé invivable en raison de la guerre civile. En Algérie, paradoxalement, le secteur pétrolier et gazier fonctionne de façon rationnelle et n’est nullement handicapé par la situation de guerre civile. Il constitue une sorte d’Etat dans l’Etat, comme l’affirment les responsables de ce secteur.
En Libye, depuis 1995-1996, une guérilla islamiste s’est développée dans la région pétrolière de la Cyrénaïque, qui est la plus pauvre du pays alors qu’elle détient la plupart des richesses pétrolières. Cette guérilla menace de couper le territoire en deux, de créer un émirat et de faire sécession. Malgré l’embargo, vingt-cinq compagnies pétrolières internationales, dont 1 % de françaises, exploitent le pétrole dans cette région où la violence n’apparaît pas comme un handicap. C’est aussi un Etat dans l’Etat. On assiste à une militarisation de la société, au développement des milices en Algérie comme en Libye, à l’effondrement des fonctions régaliennes de l’Etat. Il n’y a plus de représentants ; on transmet le pouvoir aux personnes de confiance qui ne détiennent pas de compétences. La notion de sécurité renvoie à une difficile répartition des richesses issues de l’exploitation pétrolière. La Cyrénaïque qui est la région d’exploitation du pétrole de Libye connaît des crises de subsistance et ne dispose pas d’infrastructures. Les richesses pétrolières n’ont donc aucune incidence sur les populations civiles et les infrastructures publiques. S’il n’y a pas de lien de cause à effet entre exploitation du pétrole et conflits, les ressorts du conflit qui ont des causes sociales, politiques et culturelles, sont à rechercher dans les enjeux pétroliers et gaziers. En raison des bénéfices qu’ils engendrent, ils justifient de nouvelles prises de positions qui anticipent les conflits.
Les relations égypto-libyennes se sont extrêmement crispées en raison de l’exploitation du pétrole dans cette région. Les prétentions égyptiennes sur cette région s’accompagnent d’accusations libyennes sur la manipulation des islamistes par les Egyptiens. On a le même effet entre le Tchad et le Soudan où les excellentes relations entre la Libye et le Tchad s’accompagnent de la crainte que le gazoduc passe par la Libye et non le Cameroun.
L’anticipation de bénéfices non redistribués aux populations civiles jusqu’à présent favorise des situations propices à des crises régionales.
Mme Marie-Hélène Aubert s’est interrogée sur l’enjeu de politique internationale qui est au cœur des stratégies des compagnies pétrolières et a demandé quel était le rôle de leur Etat d’origine dans cette stratégie notamment pour Elf.
Elle a voulu savoir si toutes les compagnies pétrolières se comportaient de la même façon.
Constatant que l’utilisation des ressources pétrolières aggravait les conflits, car elle finance des efforts de guerre d’un clan contre un autre, elle a souhaité connaître les propositions qu’il convient de faire sur ce point. Est-ce que des codes de conduite ou des règlements financiers internationaux permettraient de mieux gérer cette situation ?
Elle a souhaité mieux cerner la part prise par les sociétés civiles et le monde associatif dans ce débat ; celles-ci sont très mobilisées au niveau international comme local contre le projet d’oléoduc Tchad-Cameroun.
Elle a demandé si des points de vue différents sur l’évolution des sociétés africaines émergeaient et comment était déterminée la politique arabe de la France.
M. Pierre Brana a demandé quels étaient les rôles respectifs des réseaux communément appelés Foccart, Corse, Mitterrand, Pasqua, Balladur de la cellule élyséenne ... Certains ont-ils pratiquement disparu ? Ou bien exercent-ils tous encore une influence sur les questions africaines ?
Il a voulu cerner dans quels cas, délibérément, intentionnellement, un consortium pétrolier avait contribué à déclencher une guerre civile non seulement pour défendre ses intérêts mais aussi pour faciliter son implantation ou imposer sa propre puissance.
Observant que le pétrole a une forte spécificité, que l’on ne retrouve ni autour de l’or, ni autour des matières précieuses, il a souhaité en connaître les causes.
Par ailleurs, il a demandé l’avis de ses interlocuteurs sur la réforme de la coopération. Pensent-ils qu’elle amènera des éléments nouveaux dans la politique africaine ?
M. Jean-François Bayart a apporté les réponses suivantes.
Il est incontestable que la spécificité du pétrole existe, par l’ampleur des enjeux financiers qu’il génère et par le rôle stratégique qu’il joue dans les économies industrielles et donc la vie quotidienne des citoyens de ces pays. L’histoire du pétrole est liée aux péripéties des deux guerres mondiales, plus que les autres matières premières. Pendant la deuxième guerre mondiale, tout l’Occident avait besoin de pétrole pour combattre. Cette spécificité historique a engendré une culture du secret. Les pétroliers sont généralement peu bavards. Il existe incontestablement une tradition de "covered action", d’interventions secrètes ; ce fut le cas lors de la chute de Mossadegh en Iran, provoquée par les compagnies pétrolières anglo-saxonnes. De même, le rôle du pétrole dans la guerre d’Algérie n’était pas négligeable. L’exploitation du pétrole génère un alliage curieux de pratiques assez machiavéliques (complots, constitution de réseaux) et de haute technicité (forages en eaux profondes), ce qui n’est pas le cas du diamant. En outre, le pétrole est au cœur de l’histoire récente.
Les compagnies pétrolières ont joué un rôle direct dans le déclenchement récent de la guerre civile en Afghanistan. Il est clair que Unocal, "compagnie de cow-boys", selon la terminologie du milieu, a armé les Taliban pour faciliter son projet de pipe-line entre l’Asie centrale et le Pakistan via l’Afghanistan et s’est ensuite dégagée. Ceci est un exemple récent de stratégie de déstabilisation.
On peut se montrer sceptique sur le rôle des sociétés civiles. Dans les pays producteurs, les gouvernements se sont montrés habiles à créer leurs sociétés civiles pour obtenir des financements internationaux. Le Tchad et le Cameroun n’échappent pas à cette règle. Il faut aussi s’interroger sur le rôle de certaines ONG qui prétendent structurer la société civile à l’échelle internationale. Leur intervention dans les grands problèmes écologiques est souvent catastrophique. Le WWF, qui milite pour la protection des forêts, et l’extension des réserves, avait de fortes connections avec le Parti National, parti d’extrême-droite et les services secrets en Afrique du Sud. Ceux-ci ont utilisé les grandes réserves de chasse pour leurs bases armées. Le parc Krüger à la frontière de l’Afrique du Sud et du Mozambique a servi de base arrière à ces groupements. Le projet de doubler le parc au-delà de la frontière en territoire mozambicain pourrait avoir pour conséquence de privatiser une partie du territoire national de ce pays. L’intervention de grandes ONG de défense de l’environnement, pour protéger les éléphants, par exemple, a des effets très pervers sur le terrain. La problématique de la société civile et du rôle des ONG demande à être analysée avec minutie. Tous ses effets politiques ne participent pas forcément de la construction de la démocratie. On assiste à une mobilisation forte, venant de la société civile contre les compagnies pétrolières dans le delta du Niger, avec des modes d’action extrêmement violents et dangereux pour les populations même si l’objectif est d’éviter la prédation des richesses. Il n’est pas sûr que de tels actes émanant de la société civile soient très utiles comme un certain "prêt-à-penser" à l’échelle internationale le suggérerait. La problématique de la société civile peut véhiculer des phénomènes opposés à l’idéal de démocratie.
Toutes les contraintes et les conditionnalités imposées aux bailleurs de fonds pour éviter la prédation des ressources ont été d’une efficacité limitée dans le domaine des droits de l’Homme, car les régimes dictatoriaux sont habiles à contourner les injonctions des bailleurs de fonds. Ainsi, le FMI et la Banque mondiale se sont montrés impuissants pendant vingt ans à imposer au Cameroun, Etat modeste et dépendant, la budgétisation de ses ressources pétrolières, alors que le Cameroun était étroitement tributaire des financements internationaux. Toutefois, si un Etat comme la France voulait aller au bout de cette logique, il en aurait les moyens, mais le pouvoir politique hésite à bloquer les financements pour éviter de déstabiliser le pays concerné. La France ne s’est jamais donné les moyens d’appliquer strictement les règles de conditionnalité, sauf lorsqu’elle a fait comprendre au Président Kolingba qu’il devait partir car il avait perdu les élections. On n’a pas agi ainsi au Togo. Généralement les bailleurs de fonds sont pusillanimes et la plupart des pays échappent à leur influence.
En ce qui concerne le rôle du pétrole dans la politique étrangère, on observe que, lors de la constitution d’Elf Aquitaine, l’Afrique n’était pas au cœur de la décision du Général de Gaulle. L’indépendance énergétique de la France commandait cette création. Il en allait de même en Italie avec l’ENI. Il fallait constituer un pôle pétrolier national indépendant des majors. C’est en Afrique qu’Elf a constitué son portefeuille pétrolier, sans adéquation parfaite entre sa politique africaine et la politique étrangère de la France. Ainsi, lors de la sécession biafraise, le prédécesseur d’Elf, qui opérait au Nigeria, a été très prudent alors que le Général de Gaulle s’était laissé convaincre d’intervenir par le Président Houphouët-Boigny. Finalement, comme les autres compagnies pétrolières, Elf a dû jouer sur les deux tableaux. Le ministère des Affaires étrangères n’a jamais pu instrumentaliser Elf sur le Nigeria. Par contre, au Tchad, Elf ne souhaitait pas s’implanter. Or, le Président Idriss Déby a convaincu l’Elysée d’imposer une prise de participation d’Elf dans le consortium pétrolier opérant au Tchad. Elf faisait ainsi une mauvaise manière à son partenaire américain, sans croire à la richesse du gisement de Doba. En Iran, le gouvernement français a pris une position très ferme à l’encontre des Etats-Unis pour protéger Total quand il a signé ses contrats. Il y a eu une convergence d’intérêts entre cette société et la politique française dans la région. Le degré de connexion entre la politique étrangère de la France et la stratégie des compagnies pétrolières est variable.
Quant aux réseaux, cette notion, de plus en plus utilisée dans la théorie des relations internationales, n’est pas dénuée de pertinence. Certains réseaux africains existent encore. Les réseaux Foccart se sont auto-financés grâce à des connexions économiques. L’un des responsables du réseau Foccart dans l’ouest africain y représentait les berlines Mercedes, ce qui a facilité ses contacts avec les classes politiques. Il y avait des passerelles entre les réseaux Foccart et les services de sécurité protégeant les installations d’Elf. Au Cameroun, un ancien ambassadeur, devenu conseiller du Président Biya, avait de très bonnes relations avec les réseaux de M. Pasqua et M. Jean-Christophe Mitterrand. Il existe aussi une sociabilité liée au travail, aux alliances matrimoniales et au lieu de naissance. Il est frappant de constater que nombre de membres de la classe politique française sont nés en Afrique subsaharienne, au Maroc, en Tunisie, en Algérie. La notion de réseau renvoie à une réalité très complexe et ambivalente des relations internationales. Au niveau plus large, la politique africaine de la France est conditionnée par des facteurs structurants comme sa politique européenne ou sa politique arabe. La manière dont la France a géré la crise au Tchad était conditionnée par la politique arabe ; elle évitait une confrontation trop directe avec la Libye pour ne pas affronter les opinions arabes. Les réseaux ne sont pas un facteur explicatif majeur. Il existe une osmose entre la classe politique, le monde de l’entreprise, la presse et la société civile et les gouvernements africains, qui explique que certains débats sont évités pour se contenter d’un certain "prêt-à-penser". Les réseaux, notamment celui de Jacques Foccart n’ont pas disparu avec lui. Les réseaux de M. Pasqua restent très actifs et intéressent fortement les gouvernements africains, entre autres, car ils travaillent sur la coopération décentralisée qui a permis de redéployer un certain type de coopération entre la France et l’Afrique. Le réseau corse joue sur le mode diasporique avec une sociabilité de terroir. Les Corses sont très présents dans la police, dans l’armée, dans la criminalité organisée, dans le personnel politique. Ils étaient représentés par M. Tarallo dans le domaine du pétrole et par M. Dominici au ministère des Affaires étrangères.
En revanche, les liens traditionnels entre l’Afrique et la France se sont distendus, notamment car cette dernière a mal géré la question des visas et a, de fait, ruiné sa présence culturelle en Afrique. Jusqu’à ces derniers mois, il était impossible d’avoir une coopération scientifique avec les neuf dixièmes des pays francophones. Les bases de la coopération culturelle ont été sapées et beaucoup de flux éducatifs, culturels et commerciaux ont été orientés vers les Etats-Unis qui ont capté l’intelligentsia africaine. Cette politique de refus des visas s’est traduite par des rebuffades et des vexations. De hauts fonctionnaires africains qui se sont vu refuser des visas, en tiennent rigueur à la France. Un conseiller économique proche du roi du Maroc n’était pas venu en France depuis six ans car le refus de son visa au Consulat français de Rabat l’avait empêché de rencontrer en France une personnalité israélienne.
L’action de la société civile n’est pas en soi critiquable mais il ne faut pas considérer que parce qu’un mouvement se réclame de la société civile, il est salutaire. Le cas du Delta du Niger le démontre, ce n’est pas en massacrant que l’on construit une démocratie. Au Sénégal, au nom de la société civile, on a financé des ONG qui sont proches des mouvements islamiques. En revanche, ce n’est pas parce qu’une action émane de l’Etat qu’elle est suspecte.
La réforme de la coopération était, comme Godot, très attendue. Il aurait cependant été utile d’être plus radical. On aurait rendu un certain lustre à notre coopération, souvent accusée, en coupant le cordon ombilical entre la Présidence de la République, le ministère des Affaires étrangères, et l’aide publique au développement.
M. Luis Martinez a ajouté les précisions suivantes.
Une certaine indifférence caractérise les relations franco-africaines. Plus que la force des réseaux, toute une génération d’hommes et de femmes politiques français quelles que soient les appartenances politiques, estiment que dans cette région du monde un bon chef d’Etat est forcément un militaire. Sans se soucier des évolutions sociales, politiques et culturelles, cette génération reproduit des réseaux économiques. Ceux-ci n’agissent d’ailleurs pas tous dans le secteur pétrolier, ainsi en Algérie le réseau pharmaceutique est économiquement important, il échappe au domaine pétrolier, mais son existence dépend de la rente pétrolière.
Il est important de se demander ce que l’on fait des revenus pétroliers, quels sont les retours en terme de financement des partis politiques, où ont-ils été réinvestis pendant les années soixante et soixante-dix. Que fait-on au niveau européen pour le savoir ? On refuse des visas au commun des mortels mais les élites africaines ont les moyens d’envoyer leurs enfants dans les universités européennes. Une génération pense de façon unique sans prendre en compte l’évolution de ces sociétés qui se sont accrues du point de vue démographique et élargies sur le plan culturel. Elles regardent vers l’Asie et les Etats-Unis. Du point de vue politique, le modèle européen n’intéresse plus ces sociétés. Les échanges entre l’Afrique et l’Europe perpétuent un rapport de force déterminé par le militaire, ce qui est inquiétant pour l’avenir de ces relations. Il convient de réfléchir à cette évolution car la classe politique semble se nourrir de préjugés.
La politique arabe de la France ne pose pas en préalable la question des droits de l’Homme, du droit à l’information et à la démocratisation, et du développement de la société civile dans ces pays. Les régimes en place mettent habilement en avant d’autres notions comme la sécurité, les flux migratoires. Le dénominateur commun de ces échanges est : sécurité contre absence de critiques sur l’évolution interne des sociétés. La Tunisie qui offrait toutes les conditions de maturité pour permettre une évolution démocratique dérive vers un système autoritaire préféré à la démocratie qui serait plus instable. L’aspect économique et financier des relations est surdimensionné par rapport au politique alors que les échanges restent faibles.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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