Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

M. Daniel FARGE est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. À l’invitation du Président, M. Daniel Farge prête serment.

M. le Président : Monsieur, vous avez récemment rédigé un rapport sur les questions touchant à la libération conditionnelle, sujet qui intéresse notre commission car la réduction du nombre de libérations conditionnelles a des conséquences de tous ordres, notamment sur la surpopulation carcérale. Nous avons eu communication de votre rapport. Peut-être pourriez-vous souligner ce qui est essentiel à vos yeux avant que nous vous posions quelques questions.

M. Daniel FARGE : La commission que j’ai été chargée d’animer a été saisie par Mme La ministre de la Justice le 21 septembre 1999. Il s’agissait, selon la lettre de mission, de rechercher les moyens de relancer le recours à la libération conditionnelle.

La libération conditionnelle est une mesure très ancienne dans notre droit, puisqu’elle date de 1885, année où, paradoxalement, a été votée la loi sur la relégation . Ceci démontre bien la vision dichotomique de l’époque quant à la délinquance : d’un côté, les délinquants définitivement perdus ; de l’autre, ceux que l’on pouvait espérer reclasser.

Depuis 1970, on constate un dépérissement très inquiétant de la libération conditionnelle. D’aucuns ont même envisagé sa suppression à plus ou moins long terme.

Dans l’état actuel du droit, la libération conditionnelle est décidée par le ministre de la Justice pour les peines supérieures à cinq ans. Or, en 1997 et 1998, seulement 9 à 10 % des détenus qui pouvaient être proposés à la libération conditionnelle l’ont été par les juges de l’application des peines au Garde des Sceaux.

Il convient également de savoir - ce qui est très significatif, je crois, de l’état d’esprit qui règne actuellement dans les établissements pénitentiaires quant à la libération conditionnelle - que 20 % des détenus proposables ont refusé d’être proposés à la libération conditionnelle, ce qui est singulier.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Daniel FARGE : Parce que la libération conditionnelle est aujourd’hui considérée comme une sorte de faveur céleste. Elle s’apparente à une forme de grâce, au point que les gens n’y croient plus. En outre, le système des réductions de peine non individualisées est tel que les détenus, après avoir procédé à un calcul, préfèrent sortir totalement libres sans mesures de contrôle ni de surveillance.

Il faut savoir que cette année certains détenus ont pu obtenir treize mois sur douze de réduction de peine. 95 % ou 98 % des détenus bénéficient, tous les ans, de trois mois de réduction pour bonne conduite. Les mesures exceptionnelles - deux mois de réduction - concernent en réalité 80 % des détenus. Il faut y ajouter deux mesures, dont sont exclus un certain nombre de condamnés, notamment les délinquants sexuels et les trafiquants de drogue : les grâces du 14 juillet qui vont de deux à quatre mois et celles de quatre mois qui ont été décidées à l’occasion de l’an 2000.

Ces réductions de peine expliquent que le moment de la libération conditionnelle intervient beaucoup trop tard, beaucoup trop près de la date de sortie.

Pour en revenir aux chiffres, les décisions d’admission n’ont fait que diminuer. En ce qui concerne les décisions du garde des Sceaux, le taux d’admission est passé de 64 % à 30 % entre 1970 et 1999.

Si l’on considère que seulement 10 % des détenus sont proposés et que seuls 30 % de ces 10 % bénéficient de la libération conditionnelle en ce qui concerne les longues peines, on s’aperçoit, très vite, que le chiffre des libérés conditionnels est extrêmement restreint.

S’y ajoute la question, qui n’est pas nouvelle, mais qui s’est beaucoup accentuée ces dernières années des condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, car, entre 1970 et 1999, le nombre de ces condamnés est passé de 305 à 597. Parallèlement, les décisions de commutation des peines perpétuelles en peines à temps ont diminué pour devenir quasiment inexistantes ces dernières années. Dans beaucoup de centres de détention et de maisons centrales, cela a créé une certaine désespérance chez de nombreux condamnés.

Pourtant, il est acquis, à la suite de diverses études, dont l’une menée par Annie Kensey et Pierre Tournier, que la libération conditionnelle est un facteur très important de prévention de la récidive. Les chiffres peuvent être simplifiés de la façon suivante : la récidive varie du simple au double entre les détenus libérés conditionnellement et ceux libérés à la fin de leur peine. L’incidence du mode de sortie de prison sur les nouveaux passages à l’acte, de quelque nature qu’ils soient, fait ressortir cette même différence.

Il convient donc de s’interroger sur les causes du dépérissement de la libération conditionnelle.

Incontestablement prévaut, en premier lieu, un facteur conjoncturel. En l’état actuel des textes, l’article 729 du code de procédure pénale, dont la rédaction n’a pas varié depuis 1972, prévoit que peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle les condamnés qui présentent " des gages sérieux de réadaptation sociale ".

Cette notion date d’une période de grande expansion économique. Elle ne pouvait être comprise qu’au regard d’un critère essentiel qui tenait à la possibilité de disposer d’une activité professionnelle. Dès lors, tous les acteurs de la libération conditionnelle que ce soit les travailleurs sociaux, les autorités de décision ou les condamnés eux-mêmes ont axé leur démarche en fonction de cette principale exigence d’activité professionnelle. La crise économique n’a pas modifié cette perception restrictive. Il s’en est nécessairement suivi une forte diminution des mesures.

Le deuxième facteur à prendre en compte est l’évolution de la population pénale. J’ai entendu le premier président Canivet en faire état en réponse à vos questions. On assiste à un accroissement très fort des peines, qui tient, me semble-t-il, à l’accroissement des infractions sexuelles et à cette conception moderne qui consiste à livrer à la justice des personnes dont la médecine psychiatrique ne peut ou ne veut pas s’occuper. L’augmentation de la délinquance et des peines prononcées en matière de trafic de stupéfiants joue également. Je pense que ce deuxième facteur explique le dépérissement.

Enfin, le dépérissement de la libération conditionnelle s’explique aussi par les modalités d’exécution des peines privatives de liberté, notamment par l’effet des réductions de peine qui ne sont pas individualisées et qui présentent quasiment toutes un caractère automatique.

La libération conditionnelle se trouve en concurrence très forte avec d’autres modes d’aménagement des peines, qui sont autrement plus souples. Je pense à la semi-liberté pour les peines courtes ou moyennes et surtout au placement à l’extérieur, ce que l’on appelle " le placement sur les chantiers extérieurs ".

Dès lors qu’un détenu condamné à une longue peine remplit les conditions pour être présenté à la libération conditionnelle et dès lors qu’il ne lui reste pas plus de trois ans de détention à accomplir, la possibilité de placement à l’extérieur existe. Les juges de l’application des peines y recourent de plus en plus, parfois même dans des conditions qui peuvent être critiquables, car on connaît des placements à l’extérieur de détenus qui travaillent à cinq cents kilomètres de leur lieu d’incarcération, qu’ils ne regagnent pratiquement jamais. Il s’agit en quelque sorte d’une libération conditionnelle qui se déroule hors de toute contrainte carcérale.

On ne peut raisonnablement nier que la libération conditionnelle en ce qu’elle consacre la volonté de réinsertion du condamné et en ce qu’elle organise sa libération anticipée dans des conditions de contrôle et d’assistance est une mesure destinée à prévenir la récidive.

L’une des propositions de la commission sur la libération conditionnelle serait que le législateur affirme, en exergue d’une nouvelle loi, que le rôle de la libération conditionnelle est précisément de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion.

L’opinion publique, encline par nature à la sévérité, ne serait peut-être pas insensible à cette idée si la loi l’exprimait de façon ostensible. L’expérience récente des contrats locaux de sécurité montre, dans un contexte particulier - local il est vrai - que les citoyens français, lorsque l’on prend soin de les informer, ne sont pas nécessairement hostiles à un traitement de la délinquance autre que carcéral.

Nous savons aujourd’hui que la libération conditionnelle est possible lorsqu’un condamné présente des gages sérieux de réadaptation sociale. La commission a pensé qu’il fallait supprimer cette formule et que deux directions pouvaient être envisagées.

Il convient d’indiquer, préalablement, qu’il n’est pas paru opportun à la commission, même si elle en a débattu, de proposer que la libération conditionnelle revête un caractère automatique, ce qui existe dans certains pays et dans certains cantons suisses. Lorsque les condamnés sont arrivés aux deux tiers de leur peine, ils sont automatiquement, sauf cas particuliers, placés en libération conditionnelle. La commission a considéré qu’une telle automaticité était contraire à l’esprit même de la libération conditionnelle qui doit exiger de la part du futur libéré conditionnel une démarche personnelle de réinsertion.

Si l’on admet que la formulation prévoyant l’existence de gages sérieux de réadaptation sociale doit être supprimée, on peut donc envisager deux directions : la première consiste à énoncer simplement que la libération conditionnelle est un mode normal d’exécution de la peine qui peut être mis en _uvre sous certaines conditions de délais. La seconde conduirait à préciser que la libération conditionnelle peut être accordée en fonction de divers critères tenant notamment - ces critères ne seraient pas limitatifs - à l’exercice d’une activité professionnelle, à l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle, à la vie familiale, à la nécessité de subir un traitement. Exprimer cela dans la loi serait peut-être le moyen d’élargir de façon explicite les critères actuels d’octroi qui sont entendus de façon restrictive, c’est-à-dire comme un emploi et un hébergement et ainsi la libération conditionnelle pourrait concerner d’autres condamnés que ceux qui peuvent actuellement en bénéficier. Je pense aux personnes malades, aux personnes handicapées, aux personnes âgées, celles-ci étant de plus en plus nombreuses dans nos établissements pénitentiaires, précisément en raison de l’accroissement de la délinquance sexuelle.

La loi prévoit aujourd’hui que la libération conditionnelle peut être accordée lorsque le détenu est arrivé à la moitié de sa peine ou aux deux tiers de celle-ci s’il est récidiviste. Il faudrait que la loi exprime clairement que ce délai de moitié doit prendre en compte les réductions de peine intervenues, car, à l’heure actuelle, subsistent des ambiguïtés et des pratiques différentes selon les juges de l’application des peines. Le comité consultatif de libération conditionnelle, que je préside, a lui-même une doctrine selon laquelle la libération conditionnelle ne peut être envisagée qu’à mi-peine effective.

Actuellement, le juge de l’application des peines est compétent pour accorder la libération conditionnelle lorsque la peine est inférieure ou égale à cinq ans ; au-delà le ministre de la Justice devient compétent après consultation du comité consultatif de libération conditionnelle. Comme son nom l’indique, ce comité est simplement consultatif et sa consultation n’est pas même obligatoire. Bien que facultative, elle a lieu dans 90 % des cas. Lorsqu’elle n’a pas lieu, ce sont pour des raisons d’urgence ou parce que l’on est au mois d’août, période au cours de laquelle le comité ne se réunit pas.

La commission a proposé de donner compétence au juge de l’application des peines seul, pour les peines allant jusqu’à dix ans et, au-delà, de confier cette compétence à une juridiction du tribunal de grande instance, qui serait présidée par le juge de l’application des peines ou, au moins, à laquelle ce dernier appartiendrait. Les assesseurs pourraient être, soit deux magistrats professionnels, soit - et l’idée a été jugée louable par un grand nombre de membres de la commission - deux assesseurs citoyens qu’il faudrait recruter selon des modalités à déterminer. Ces modalités pourraient s’inspirer de celles qui président actuellement au recrutement des assesseurs des tribunaux pour enfants. Nous avons pensé qu’associer directement le peuple français à de telles décisions pouvait présenter un très grand intérêt. Bien sûr, le système que nous préconisons revient à judiciariser la libération conditionnelle. Le terme de " judiciarisation ", déjà difficile à prononcer, de surcroit n’est pas approprié, dans la mesure où on entend plutôt par là cette tendance actuelle à vouloir porter toutes les difficultés devant les tribunaux. Peut-être serait-il préférable de parler de " juridictionnalisation ", mais c’est encore plus difficile à prononcer ; nous nous en tiendrons donc à " judiciarisation " ! Celle-ci suppose la disparition du système actuel, dans lequel les décisions du juge de l’application des peines sont des décisions dites " d’administration judiciaire " et celles du ministre de la justice des décisions d’un ministre après consultation du comité consultatif. Il faudra prévoir des audiences obéissant aux règles habituelles de la procédure pénale.

Il faudra prévoir que les avocats pourront intervenir, car, jusqu’alors, le domaine de la libération conditionnelle leur échappe. Il y a certainement là, pour les jeunes avocats, un large champ de compétence qui pourrait les intéresser et qui, ainsi, contribuera à la relance de la libération conditionnelle.

Il faudra également prévoir des voies de recours ouvertes tant au ministère public qu’au condamné lui-même. Nous avons envisagé deux solutions. La première consiste à porter les appels devant la chambre des appels correctionnels, composée de trois magistrats professionnels et qui serait présidée par le conseiller à l’application des peines, car il en existe un, parfois plusieurs, dans chaque cour d’appel. Une telle solution aurait le mérite d’opérer une uniformisation, car, pour l’heure, c’est la chambre des appels correctionnels qui est la juridiction d’appel s’agissant du suivi socio-judiciaire, créé par une loi de 1998 et pour la surveillance électronique, non encore mise en _uvre, faute, à ce jour, de décret d’application.

La deuxième solution serait de prévoir comme juridiction d’appel une juridiction nationale, calquée sur le modèle de l’actuel comité consultatif de libération conditionnelle, ce qui présenterait le mérite d’associer un grand nombre de personnes différentes. En revanche, ce système reproduirait l’extrême lourdeur qui caractérise actuellement le fonctionnement du comité consultatif. En effet, celui-ci n’émet que rarement un avis avant sept ou huit mois, compte tenu des nécessités d’instruction qui mettent en jeu deux directions du ministère de la Justice. Il faut pratiquement un an avant d’obtenir, pour les longues peines, une décision de libération conditionnelle, ce qui nécessairement, compte tenu des réductions de peine que j’évoquais précédemment, aboutit à ce que des détenus mis en libération conditionnelle, ne feront, en fait, l’objet d’un contrôle et d’une surveillance que pendant quelques mois, car la fin de leur peine est extrêmement proche.

M. le Rapporteur : J’ai écouté avec grande attention votre intervention et je retiens deux éléments.

Tout d’abord, je note le paradoxe tel que vous l’avez défini. Vous avez additionné toutes les réductions de peines possibles dont pouvait profiter un détenu, mais il y a toujours autant de personnes en prison, alors que le flux des entrées reste à peu près stable depuis quelques années. Je parle bien du flux et non du nombre de personnes, car c’est l’allongement des peines qui a engendré une surpopulation dans les prisons.

Ensuite, j’ai retenu les solutions qui pourraient être préconisées pour améliorer l’attribution des libérations conditionnelles. La complexité de la méthode, aboutit à ce que, ainsi que vous venez de le souligner en conclusion de votre propos, sept à huit mois sont nécessaires pour prendre une décision pour les longues peines. Dans certains cas, la durée d’examen du dossier correspond à la réduction de peine, voire est supérieure à la libération conditionnelle dont aurait pu bénéficier la personne détenue.

Vous avez dit un petit mot sur l’utilisation du bracelet électronique, précisant qu’à votre connaissance aucune décision n’avait été prise sur son utilisation. Quel est votre sentiment sur ce point ? Qu’est-ce qui retient aujourd’hui l’administration pénitentiaire ou la chancellerie de ne pas envisager l’usage du bracelet électronique comme méthode de contrôle de la libération conditionnelle ?

M. Daniel FARGE : Dans le rapport, nous avons préconisé d’ajouter aux mesures de contrôle la surveillance électronique. J’avoue néanmoins ne pas savoir pourquoi le texte n’entre pas en application. Je pense qu’il finira par être appliqué, du moins je l’espère.

Il faut toutefois préciser que dans l’état actuel du texte, le bracelet électronique n’a été prévu que comme substitut à de courtes peines d’emprisonnement, non comme moyen de contrôle de la détention provisoire.

M. le Rapporteur : Dans le texte que nous venons d’adopter en première lecture sur la présomption d’innocence, nous avons introduit cette nouvelle possibilité. Mais il n’est pas adopté définitivement.

J’aurais souhaité recueillir votre sentiment sur ce sujet.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Répondez comme si la presse n’était pas là.

M. Daniel FARGE : Je pense qu’il s’agit d’une excellente mesure.

Mme Nicole BRICQ : Quels sont les blocages ?

M. Daniel FARGE : Je les ignore.

M. le Président : Quelqu’un ici aurait-il une idée, mis à part l’inertie trop connue ?

M. Daniel FARGE : Peut-être peut-on s’interroger sur la détention provisoire. Après avoir créé le contrôle judiciaire, destiné à limiter la détention provisoire, on s’est très vite aperçu que si le contrôle judiciaire avait limité la détention provisoire, il avait aussi empiété sur la liberté, parce que des personnes qui n’auraient pas été mises en détention provisoire se voyaient nanties d’un contrôle judiciaire. On peut penser, du moins en matière de détention provisoire, que le bracelet électronique risque de conduire à la même situation. Mais j’ignore si c’est là un facteur de blocage, je ne le crois pas.

M. le Président : Je n’ai pas non plus ce sentiment. Votre hypothèse se fonderait sur l’idée qu’il risquerait d’y avoir davantage de condamnations " au bracelet électronique ".

M. Daniel FARGE : Je pensais au bracelet électronique en matière de détention provisoire en faisant le rapprochement avec le contrôle judiciaire.

M. le Président : C’est l’une des questions que nous poserons à ceux qui en sont directement responsables, c’est-à-dire l’administration et le ministère de la Justice. Réaffirmons ici que c’est la loi de la République, le moins étant qu’elle soit appliquée.

M. Jacky DARNE : Comme vous, je suis convaincu que la libération conditionnelle est très utile pour éviter la récidive. Elle suppose un certain nombre de conditions. Vous en avez évoqué quelques-unes, sur lesquelles je voudrais vous interroger. Il s’agit d’une relation personnelle avec le condamné, d’une invididualisation de la peine, beaucoup plus que d’une réduction de peine générale qui relève d’autres logiques. Or, qui dit " individualisation " dit " moyens humains ". Ma question revêt donc deux aspects.

Tout d’abord à l’intérieur de la prison les travailleurs sociaux ont-ils la capacité de suivre les problèmes particuliers des détenus ? Pour avoir dialogué avec certains d’entre eux, j’ai été frappé par leur difficulté à trouver des réponses à des questions - qui se posent d’ailleurs pour des sorties de prison, indépendamment de la libération conditionnelle - telles qu’offrir un logement à un mineur qui doit sortir. Si la libération conditionnelle ne prend pas en compte ce type de contraintes, alors elle échouera. Il faut donc que les travailleurs sociaux ne suivent pas un nombre de dossiers ou un nombre démesuré de personnes. Les chiffres portés à ma connaissance jusqu’ici me paraissent incompatibles avec une plus grande efficacité de cette mesure.

Disposez-vous d’indications sur le nombre et la capacité des travailleurs sociaux à suivre ces dossiers ?

De façon complémentaire, la libération conditionnelle suppose une relation entre la prison et l’extérieur, donc un travail commun. Vous avez évoqué, à l’instar de M. le président Canivet, l’exemple des contrats locaux de sécurité qui présentent la caractéristique de permettre un partenariat. Cette politique des contrats locaux de sécurité est aisée, parce qu’elle recouvre un territoire communal où les acteurs se retrouvent facilement. Quand il s’agit de condamnés appartenant à une commune et dispersés dans différents établissements, les relations sont plus compliquées à établir. Que pensez-vous des relations institutionnelles en vigueur entre l’extérieur et l’intérieur, au sein du système éducatif, entre les groupements d’employeurs, entre les travailleurs sociaux de territoire par rapport à ceux de la prison ? Quelles sont les voies sur lesquelles travailler pour permettre une libération conditionnelle donnant les meilleurs gages de réussite ?

M. Daniel FARGE : Il faudrait d’abord que les travailleurs sociaux pénitentiaires croient à nouveau à la libération conditionnelle. Ils n’y croient plus guère du fait de son dépérissement progressif et de sa quasi-disparition.

L’articulation entre ce qui doit se passer en détention et ce qui doit se passer à l’extérieur est fort difficile. Même en voulant à tout prix relancer la libération conditionnelle, il est difficile de libérer des personnes qui n’auraient pas au moins un hébergement. Il est tout aussi vrai qu’il existe en France des structures associatives très fortes sur lesquelles on pourrait s’appuyer davantage. Il existe de nombreux établissements qui permettraient de recueillir, au moins temporairement, des libérés conditionnels. La crédibilité de la libération conditionnelle tient à son exécution et au sérieux avec lequel les mesures de contrôle et d’assistance sont exercées. La commission a souhaité ardemment un renforcement des travailleurs sociaux à l’extérieur.

M. Michel HUNAULT : M. le conseiller vous avez parlé des espérances de nombreux condamnés et des causes de dépérissement de la libération conditionnelle. Permettez-moi de rappeler que la libération conditionnelle est une faculté, en aucun cas un droit.

Vous avez évoqué les conclusions de la commission que vous avez présidée en disant que vous souhaitiez que la libération conditionnelle soit un mode normal d’exécution de la peine. Ce n’est pas un point de vue forcément partagé par tous, en premier lieu par moi-même.

Vous avez aussi rappelé le mécanisme des réductions de peine, disant qu’elles étaient automatiques. Il faudra être très prudent en parlant de libération conditionnelle, puisque, en l’état actuel des choses, on ne prend pas en compte la dangerosité du condamné. Vous avez expliqué que le juge d’application des peines était compétent pour les condamnés à des peines de moins de cinq ans et que, au-delà, cette compétence relevait du garde des sceaux sur proposition du comité consultatif de libération conditionnelle. Nous avons eu un débat fort intéressant avec Mme le garde des sceaux sur ce sujet. Je prendrai le même exemple qu’au cours du débat dans l’hémicycle. L’opinion publique était très choquée voilà plus de deux ans de voir que dans le Nord, deux femmes avaient été violées, étranglées, puis enterrées dans les dunes. Les coupables étaient des récidivistes. Ils avaient été condamnés par la cour d’assises à seize ans de réclusion criminelle. Ils ont commis cet acte huit ans après. Ils étaient sortis. L’opinion publique est choquée que la libération conditionnelle puisse bénéficier à des criminels sexuels. C’est pourquoi je pense nécessaire de rester très mesuré lorsque l’on parle de libération conditionnelle et estime que le législateur doit prendre en compte la dangerosité du condamné. On ne peut traiter tous les condamnés de la même façon. Il en est de plus dangereux que d’autres. Il est vrai que si nous sommes réunis ici au sein de cette commission d’enquête, c’est que nous sommes tous animés du même désir de voir la situation s’améliorer, désireux que, au-delà de la peine de privation de liberté, n’interviennent ni brimades quotidiennes, ni viols, etc. Mais, de grâce, ne donnons pas non plus l’impression de vouloir, au-delà de l’automaticité des réductions de peines, faire de la libération conditionnelle une mesure automatique, sans quoi nous choquerions l’opinion. Mettez-vous à la place des parents des victimes, d’autant que l’on connaît le taux de récidive des criminels sexuels. L’opinion est très choquée et s’interroge quand il s’agit d’un récidiviste qui n’a pas accompli la moitié de sa peine.

Puisque vous avez donné votre point de vue en incitant le législateur à changer la loi, je me permets de préciser qu’il s’agit d’un point de vue qui vous est personnel.

M. Daniel FARGE : C’est le point de vue de la commission.

M. Michel HUNAULT : Et qui peut être partagé par certains de mes collègues parlementaires, mais, puisque le garde des sceaux, pour certains cas, dont celui que j’ai rappelé, a permis la libération conditionnelle après l’avis et à la demande du comité consultatif que vous présidez avec les résultats que je viens de rappeler, je pense que la prudence est de mise en la matière.

M. le Président : Je rappelle que M. Farge est ici en tant que président de la commission qui a travaillé sur le sujet de la libération conditionnelle. Vous exprimez, mon cher collègue, votre opinion personnelle et vous avez raison de le faire. Mais il convient de replacer le débat sur le terrain institutionnel.

M. Daniel FARGE : D’autant que je croyais avoir dit que la commission avait refusé l’automaticité de la libération conditionnelle. Par ailleurs, il n’est pas exact de dire que la dangerosité des candidats à la libération conditionnelle n’est pas soigneusement examinée. Sachez bien qu’elle l’est, aussi bien par les juges de l’application des peines que par le comité consultatif de libération conditionnelle et, encore dans le système actuel, par Mme la ministre de la Justice.

Que des libérations conditionnelles se terminent parfois fâcheusement, j’en conviens et je crains que cela ne se reproduise à l’avenir. Cela dit, n’est-il pas préférable de libérer conditionnellement un délinquant sexuel avec des mesures de contrôle et d’assistance un an ou dix-huit mois avant sa sortie prévue que de le libérer en fin de peine sans aucun suivi psychiatrique, par exemple ? On peut se poser sérieusement la question. Il faut garder à l’esprit que les détenus sortent toujours de prison - dans 99 % des cas.

M. Robert PANDRAUD : Il en sort 100 % !

M. Daniel FARGE : Sauf décès en prison, ce qui arrive.

M. Daniel FARGE : L’une des propositions de la commission a été de donner dans tous les cas, quelle que soit la durée de la peine, au juge de l’application des peines la possibilité d’ordonner la libération conditionnelle lorsqu’il reste moins d’un an à accomplir. Ce serait, à mon sens et à celui de la commission, privilégier la nécessité de prévention de la récidive qui passe par des mesures de contrôle et d’assistance, à condition, bien sûr, que ces dernières soient exercées de façon efficace.

M. Robert PANDRAUD : Monsieur, je vous interrogerai sur l’automaticité des libérations conditionnelles pour une certaine catégorie de détenus. Y aurait-il un inconvénient à accorder la libération conditionnelle très largement aux étrangers, après l’accord du consulat pour les accueillir et après qu’ils auraient montré au juge de l’application des peines un billet d’avion ? Cela diminuerait d’autant la population pénale et la récidive, toujours possible, n’interviendrait pas sur le territoire national.

M. Daniel FARGE : Ils n’auraient pas même à présenter un billet d’avion, parce qu’ils sont frappés d’un arrêté d’expulsion. Cela pose la question de la nature même de la libération conditionnelle, qui n’est pas une réduction de peine. Elle suppose un effort personnel de réinsertion de la part du détenu. Le candidat à la libération conditionnelle doit proposer un projet de réinsertion. Il est extrêmement difficile de vérifier la qualité des projets dans les pays étrangers, même s’il existe des conventions internationales.

M. Robert PANDRAUD : C’est leur problème.

M. le Président : La question que soulève M. Pandraud, issue de sa réflexion et de ce que nous avons déjà entendu, est celle-ci : la place des personnes étrangères en situation irrégulière est-elle ou non en prison ? Selon M. Pandraud, la libération conditionnelle pourrait leur permettre de sortir plus rapidement de prison et, le cas échéant, de quitter la France plus vite. Je crois que la question n’est pas directement liée à la libération conditionnelle mais est plus vaste. Nous aurons l’occasion d’en débattre.

M. Robert PANDRAUD : Non, non ! Monsieur le président, ma question est plus générale : je pense à tous les étrangers condamnés pour un crime ou un délit quelconque.

M. Daniel FARGE : Fait significatif, la loi actuelle prévoit que la libération conditionnelle ne peut intervenir sans le consentement du condamné, sauf pour les étrangers précisément. La commission, quant à elle, propose que le consentement soit requis désormais pour tous, y compris pour les étrangers, car cela s’inscrit dans la philosophie de la libération conditionnelle. Cela dit, nous trouverons peut-être une autre solution pour les étrangers.

M. Hervé MORIN : Monsieur le conseiller, lorsque vous avez évoqué l’évolution de la population carcérale, vous avez eu une phrase qui m’a choqué car je n’ai pas dû bien la comprendre. Je reprends vos termes : " On envoie en prison des personnes dont la médecine psychiatrique ne veut plus s’occuper ".

De deux choses l’une : soit notre régime d’assurance maladie, notre système de santé ne fonctionnent pas et nous savons qu’il est des domaines où c’est effectivement le cas ; soit on incarcère des personnes relevant de la médecine et non de la prison. Les magistrats enverraient donc en prison des personnes qui sont plus ou moins irresponsables. Il me semble qu’il existe une contradiction assez fondamentale dans un régime de droit.

M. Daniel FARGE : Je perçois fort bien cette contradiction. C’est là une conception relativement moderne développée par les psychiatres. On considère aujourd’hui que des personnes qui auraient été jugées irresponsables il y a vingt ou trente ans, au temps de l’article 64 du code pénal, doivent comparaître devant une juridiction. On invoque pour cela l’aspect catharsis, la victime et le reclassement du condamné qui doit prendre conscience de ses actes. Un mouvement _uvre en ce sens. Il ne faut pas se le dissimuler. Et puis les établissements psychiatriques ne gardent aujourd’hui plus grand monde. Il s’agit tout simplement d’une question de prévention sociale.

M. Robert PANDRAUD : C’est le vrai problème

M. le Président : Deux questions se posent : d’une part, l’effet de la disposition qui s’est substituée à l’article 64 du code pénal et d’autre part, le cas des personnes accessibles à des sanctions pénales qui se trouvent psychiatriquement en difficulté. Faut-il qu’elles soient en prison ou dans des établissements de santé ?

M. Daniel FARGE : Les prisons sont peuplées de gens dits " caractériels ".

M. Noël MAMÈRE : Compter des personnes caractérielles n’est pas uniquement le privilège des prisons ! Je voulais m’inscrire dans le sens de ce qu’a dit M. le conseiller : il ne faut pas attribuer à la libération conditionnelle les tares du système lui-même. Nous avons entendu plusieurs personnes, dans le cadre de nos auditions, exprimer l’idée selon laquelle la culture dominante est celle de l’enfermement et que nous n’avons pas été capables de lui trouver des solutions alternatives.

Nous avons reçu des représentants des institutions et des associations qui nous ont expliqué de manière très décisive que la récidive naissait principalement en prison de la promiscuité et du fait que l’on ne mise que sur l’enfermement. Je ne puis donc partager ce qui a été dit par M. Hunault, car, pour un cas malheureux qu’il a cité, il serait intéressant de savoir - cela figure d’ailleurs dans le rapport de M. Farge - combien de personnes ont pu se réinsérer.

Par ailleurs, il nous a été indiqué que le système pénitentiaire français n’intégrait pas dans sa politique le souci de réinsertion. C’est sans doute la raison des défaillances à l’issue des libérations conditionnelles. Celles-ci peuvent s’expliquer par l’absence de politique de réinsertion et de substitution à la peine de prison.

Enfin, je ne sais ce que M. Pandraud appelle " un étranger ". S’agit-il de quelqu’un sans papiers ou qui n’a pas la nationalité française, qui n’a pas le droit de vote, mais qui vit depuis quarante ans sur le territoire français ?

M. le Président : Le débat entre M. Mamère et M. Pandraud n’est pas ouvert ! Il est à la fois permanent et non ouvert !

M. Noël MAMÈRE : C’est donc un débat qui tourne autour d’une question essentielle, celle de la double peine et de la situation des étrangers.

M. le Président : M. Mamère souligne la question importante de la réinsertion. M. Farge, est-ce que je force votre pensée en disant que l’on attache du prix à la libération conditionnelle, notamment parce qu’elle se calque sur un projet de réinsertion ? En même temps, on pourrait souhaiter que ce projet de réinsertion existât pour tous les détenus, qu’ils fassent ou non l’objet d’une libération conditionnelle.

M. Daniel FARGE : La libération conditionnelle est " la carotte ". C’est aussi un instrument de gestion des prisons, il convient de ne pas se le dissimuler.

M. le Président : Compte tenu de votre expérience de président du comité consultatif, pensez-vous que la prison devrait avoir un rôle de réinsertion pour tous les détenus - même si la carotte existe ?

M. Daniel FARGE : Ce serait, bien sûr, l’idéal.

Je voudrais dire un mot sur l’accroissement de la délinquance sexuelle, sur laquelle je ne crois pas que l’on porte le meilleur regard. Je ne suis pas certain qu’en considérant tous les délinquants sexuels indistinctement - les pédophiles pervers, les pères incestueux et les violeurs - l’on soit sur la bonne route.

On a créé le suivi socio-judiciaire, qui est mis en _uvre et va permettre de soumettre à des mesures d’assistance et de contrôle des délinquants sexuels pendant des durées qui pourront atteindre vingt ans. Les cours d’assises prononceront, croyez-le bien, cette peine complémentaire, car c’est extraordinairement rassurant. Puisque le contentieux des cours d’assises - elles prononcent les peines les plus longues - consiste pour 70 % dans la délinquance sexuelle, on peut se poser la question de l’articulation entre le suivi socio-judiciaire et la libération conditionnelle qui fera un peu double emploi, puisqu’il s’agira également de mesures d’assistance et de contrôle.

Face à cela deux attitudes sont possibles. La première consiste à laisser le détenu purger sa peine jusqu’à son terme, parce que l’on est assuré, grâce au suivi socio-judiciaire, qu’il sera contrôlé et suivi plusieurs années durant. Je crains que ce ne soit la conception qui prévale. La seconde consiste à considérer que le suivi socio-judiciaire court pendant une durée plus longue que la libération conditionnelle et donc à envisager la libération conditionnelle dès qu’elle sera possible.

M. le Président : Je vous remercie beaucoup, tout à la fois d’être venu et de vos propos.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr