Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

MM. Jean-Luc AUBIN, Gilles BOUGEARD et Christian LENZER sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Aubin, Bougeard et Lenzer prêtent serment.

M. le Président : Messieurs, nous sommes heureux de recevoir les membres de votre syndicat. Nous savons que les surveillants exercent un métier difficile. Nous avons commencé à les rencontrer dans un certain nombre d’établissements, maisons d’arrêt ou centres de détention. Nous aimerions savoir comment vous vivez votre métier et si, selon vous, il a évolué.

M. Jean-Luc AUBIN : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l’UFAP est la première organisation syndicale dans le monde pénitentiaire, représentant 42 % du personnel de surveillance et 38 % du " tous corps ", c’est-à-dire du personnel administratif, technique et socio-éducatif. Notre caractéristique est que nous ne syndiquons pas le personnel de direction, car un syndicat ne peut pas être à la fois pour les patrons et pour les salariés.

L’UFAP existe depuis 1987, et a conquis la première place au sein de l’administration pénitentiaire en dix ans. Grâce à votre commission d’enquête, l’administration pénitentiaire va enfin être portée devant les médias et l’opinion publique. L’UFAP a régulièrement essayé de dénoncer, mais en vain, les problèmes de fonctionnement de notre administration, les difficultés que pouvait rencontrer le personnel dans l’exercice de son métier et les conditions de détention des détenus. En effet, pour nous, tout est lié : les conditions de travail du personnel sont étroitement liées aux conditions de détention.

Oui, une évolution importante est à noter. Je suis surveillant dans l’administration pénitentiaire depuis 1987, j’exerce à la Santé - tant décriée dans le livre de Mme Vasseur -, et j’ai en effet constaté une évolution. L’administration pénitentiaire s’est ouverte vers le monde extérieur en accueillant des intervenants, des associations, et des personnalités qui apportent leurs connaissances et leur soutien aux détenus.

Malheureusement, cette ouverture s’est réalisée un peu rapidement, et l’on se heurte aujourd’hui à une grande différence entre la norme - l’application du code de procédure pénale - et la réalité sur le terrain. De nombreuses réformes sont inapplicables du fait, d’une part, des établissements pénitentiaires dont la plupart sont vétustes et inadaptés à la situation, et, d’autre part, du manque de personnel ; l’administration pénitentiaire, comme la fonction publique en générale, d’ailleurs, n’a pas suffisamment recruté.

Bien entendu, un recrutement a eu lieu, notamment dans le cadre du plan 13 000, mais en même temps, le personnel de surveillance posté aux grilles ou aux portes a été remplacé par des moyens électroniques - le contact humain entre les détenus et les surveillants a ainsi été coupé. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le nombre de suicides est moins élevé dans les établissements anciens - notamment à la Santé - où les surveillants aux grilles et aux portes sont encore en poste. Ces établissements sont plus humains, même si leur vétusté est tout à fait déplorable.

Nous souhaitons que les prisons soient plus humaines et que des moyens y soient affectés. Mais il ne faut pas aller trop vite ; ce n’est pas en un ou deux ans que l’on pourra tout réformer ; il convient avant tout de changer les mentalités, car les anciens surveillants, formés selon l’ancienne méthode de garde totale, ne se préoccupent que de leur mission sécuritaire. La nouvelle génération, quant à elle, est formée selon deux objectifs : la garde et la réinsertion.

Parler de " réinsertion ", est peut-être un peu exagéré, car notre action en ce domaine est dérisoire par rapport à la demande ; ce n’est pas avec 80 détenus sous notre responsabilité que l’on peut avoir des échanges et comprendre pourquoi un détenu va mal.

M. Gilles BOUGEARD : Monsieur le président, je n’ai rien à ajouter aux propos de notre porte-parole.

M. Christian LENZER : Monsieur le président, le secrétaire général a bien résumé l’ambiance actuelle. La création de cette commission d’enquête est une bonne chose, même si elle est peut-être un peu tardive. Nous avons souvent eu l’occasion de dénoncer les conditions de détention et de travail désastreuses, or c’est à la suite d’un lynchage médiatique des personnels que l’Assemblée nationale a décidé d’ouvrir cette commission.

M. le Président : Cette commission d’enquête est née à la suite de l’article du Monde, avant la publication du livre de Mme Vasseur. J’avais déposé une proposition de résolution au nom de mon groupe, M. Fabius avait fait de même, ce qui a débouché sur la constitution de cette commission d’enquête.

Nous avons reçu des personnalités diverses, mais nous savions depuis longtemps qu’il y avait des problèmes dans les prisons françaises : insuffisances d’effectifs, locaux vétustes, etc. Et nous avons bien conscience qu’il convient de s’occuper à la fois du personnel pénitentiaire et des détenus.

Je vous poserai la première question, messieurs. Quelle marge de man_uvre avez-vous dans les relations humaines que vous entretenez avec les détenus ?

M. Jean-Luc AUBIN : Je connais beaucoup d’établissements. La marge de man_uvre est très différente selon le type d’établissement et le type de population pénale. Dans un établissement pour peines comme une maison centrale, le temps est plus à la parole car les détenus sont libres de circuler au sein de l’établissement - notamment dans les établissements portes ouvertes. Il en va de même dans les centres de détention.

En maison d’arrêt, le temps de parole est largement insuffisant ; nous sommes confrontés à une surpopulation chronique, et le surveillant, qui est là pour exécuter un certain nombre de tâches matérielles, n’a pas le temps d’engager un réel dialogue avec les détenus. Dialogue qui, d’ailleurs, a longtemps été interdit par l’administration pénitentiaire. Certains gradés suspectaient les surveillants qui passaient trop de temps à discuter avec les détenus de compromission.

Heureusement, la nouvelle génération change. Mais je siège au conseil de discipline des personnels, et je peux vous citer l’exemple d’un surveillant qui a été sanctionné pour avoir joué aux échecs avec un détenu. Or il me semble que répondre aux questions des détenus - qui sont des personnes humaines - fait partie de notre fonction.

Pendant de longues années, il nous était interdit de discuter avec les détenus. Le détenu était considéré comme un mauvais sujet qui devait être écarté de la société et que l’on devait se contenter de garder. La maison d’arrêt de Fresnes reflète encore cette mentalité : les détenus sortent en promenade en rang, les mains dans le dos, et n’ont pas le droit de discuter.

M. le Président : Que pensez-vous du projet de code de déontologie en cours d’élaboration à la chancellerie ? Etes-vous associés à sa préparation ?

M. Jean-Luc AUBIN : Nous avons été, dans un premier temps, très réticents, l’administration pénitentiaire ayant présenté ce code comme un code de sanctions et a voulu y associer des sanctions pour le personnel pénitentiaire. Ce n’était pas le meilleur moyen pour convaincre un certain nombre de personnels d’appliquer des règles de déontologie qui existent déjà et qui sont, pour la plupart, appliquées.

En outre, il nous était interdit de nous exprimer devant la presse et à l’extérieur des établissements, ce qui nous a donné l’impression que l’on voulait nous museler afin que les événements qui se passent à l’intérieur de l’administration pénitentiaire ne soient pas connus.

Le code de déontologie a évolué. Nous avons été associés à la discussion. Nous avons même eu la chance d’être écoutés et nous avons ainsi pu modifier certaines choses. Mais le problème reste inchangé : la norme, édictée dans le code de déontologie, est inapplicable dans les établissements pénitentiaires. Le personnel se retrouve encore une fois sur le fil du rasoir : soit il transgresse la règle pour accéder à la demande du détenu ou pour faire fonctionner l’établissement et il est sanctionnable, soit il accepte d’appliquer le code et se retrouve confronté à une difficulté de gestion de l’établissement et à une difficulté relationnelle avec les détenus.

M. le Rapporteur : Monsieur le secrétaire général, vous avez décrit la fonction de surveillant il y a quelques années - garde et sécurité -, et la fonction aujourd’hui : garde et réinsertion.

Nous avons effectivement constaté qu’il existait une très forte différence entre les générations ; il y a une sorte d’incompréhension chez les plus anciens, alors que les jeunes ont envie de faire un autre métier, de donner une autre image de leur métier. Un de vos collègues me confiait dernièrement qu’il aimerait bien que son fils puisse enfin dire à l’école que son père est surveillant dans une maison d’arrêt !

Lorsqu’on connaît un peu le milieu carcéral, on se rend compte qu’il y a une grande différence entre la maison d’arrêt et le centre de détention, et que votre métier peut être exercé de manière différente selon le lieu. Partagez-vous ce sentiment ?

Enfin, pouvez-vous nous dire à quoi sert une peine de prison de moins de six mois ?

M. Jean-Luc AUBIN : S’agissant de l’image de notre profession, il est vrai qu’un bon nombre de nos collègues n’osent pas dire qu’ils sont surveillants dans un établissement pénitentiaire et préfèrent le qualificatif " d’agent de justice ". Nous avons, à l’UFAP, essayé de casser ce tabou en menant des actions devant les prisons, en projetant notre profession à l’extérieur et en essayant de la faire accepter par la société.

Cela est difficile. Nous sommes régis par un statut spécial qui nous interdit le droit de grève ; nous sommes pour notre part favorables à un droit de grève avec service minimum ; car si nous ne pouvons pas manifester, nous ne serons jamais reconnus. La jeune génération nous pousse donc à agir en refusant ce bâillonnement de l’administration.

Je partage tout à fait votre analyse, monsieur le rapporteur, lorsque vous dites que les méthodes de travail ne sont pas les mêmes en maison d’arrêt et en centre de détention. Il s’agit de deux logiques très différentes. La logique de la maison d’arrêt et une logique d’enfermement, qui peut être de 24 heures, car l’on ne peut pas obliger un détenu à sortir ou à participer à des activités. C’est comme cela que l’on assiste à des drames. En 1991, un détenu est mort de faim à Bois d’Arcy !

En fait, ce sont les détenus les plus agités et les plus perturbateurs qui obtiennent satisfaction ; au contraire, le détenu qui est dépressif et qui ne réclame rien, n’a rien. Et le personnel de surveillance sera dans l’incapacité de l’identifier comme tel, car trop occupé à gérer les détenus perturbateurs.

Dans une maison d’arrêt, le travail du surveillant se borne à ouvrir et fermer des portes, à accompagner des détenus ; il n’y a pas de contact, de discussion avec eux. Or il convient de savoir que lorsque les détenus vont bien, les surveillants aussi et vice versa.

En centre de détention, le problème est différent. Tout d’abord, parce qu’ils sont généralement tous en portes ouvertes, ce qui permet aux détenus de circuler plus facilement et de nouer des contacts entre eux. Bien entendu, cela n’est pas toujours une bonne chose puisqu’un caïd peut faire régner la peur et que les nouveaux arrivants sont alors agressés sexuellement et rackettés. Faute de personnel, nous ne pouvons pas toujours casser ces groupes ; nous demandons alors le transfert de certains détenus, ce qui est souvent difficile à obtenir, car la maintenance du lien familial est souvent invoquée.

Cependant, la plupart des détenus s’intègrent bien, un dialogue existe, et il y a moins de tensions ; un détenu qui peut circuler a la possibilité d’évacuer son agressivité en faisant du sport, en ayant une activité culturelle etc. Tout cela est plus facile à gérer, à partir du moment où l’administration n’est pas dans sa logique actuelle qui veut que lorsqu’il y a très peu de détenus à un endroit, on retire le personnel de surveillance que l’on affecte à d’autres postes.

Nous revendiquons le fait que tous les postes doivent être tenus : même s’il ne reste qu’un détenu à un étage, il doit y avoir un personnel de surveillance. Car c’est à ce moment là que l’on peut engager une discussion, écouter et peut-être comprendre pourquoi un détenu ne veut pas participer aux activités. Ce temps partagé nous permettra alors de déceler s’il existe une difficulté relationnelle avec les codétenus ou une difficulté familiale, et d’alerter les services sociaux.

Quant aux peines de prison de moins de six mois, elles sont tout à fait inutiles. C’est une erreur de la société d’enfermer les gens moins de six mois en établissement pénitentiaire. Ils vont se retrouver en maison d’arrêt - avec un régime de portes fermées - avec une population en surnombre et composée notamment de " vieux chevaux de retour " qui vont leur apprendre des choses illégales. En outre, ils se font racketter et subissent les agressions des autres détenus qui sont là pour plusieurs années.

C’est la raison pour laquelle l’UFAP a toujours été partisane de l’extension du bracelet électronique ; il faut absolument éviter l’incarcération pour certains délits. Nous sommes donc également favorables aux centres pour peines aménagées et aux semi-libertés, afin de ne pas couper les liens familiaux.

M. Michel HUNAULT : Monsieur le secrétaire général, vous travaillez à la Santé. Comment a été ressenti le livre du Dr Vasseur dans cet établissement ?

Par ailleurs, le bâtonnier de Paris nous a parlé d’une initiative qui nous a paru intéressante : celle d’une antenne permanente d’avocats à l’intérieur des établissements pénitentiaires. Le personnel pénitentiaire étant le seul lien avec les détenus, des avocats pourraient certainement leur apporter une aide. Que pensez-vous de cette initiative ?

Enfin, puisque nous ferons des propositions, quelle mesure spécifique souhaiteriez-vous que l’on retienne ?

M. Jean-Luc AUBIN : En ce qui concerne le livre de Mme Vasseur, je ne peux pas nier les faits qui y sont rapportés, car j’exerçais à la Santé durant cette période ; cependant, concentrer dans un livre des faits qui se sont étalés sur sept ans peut amener les lecteurs à penser que la Santé représentait une dérive totale de la société et qu’il s’y passait énormément de choses.

Les personnels ont été choqués, car le livre relate l’histoire d’une personne qu’ils ont côtoyée tous les jours et qui ne s’est pas manifestée contre les conditions de détention en parlant aux surveillants. Il y a eu pendant des années un fossé entre le personnel médical et le personnel de surveillance ; en raison du secret médical, le personnel de surveillance se trouvait exposé à de grosses difficultés.

Mme Vasseur a eu le mérite d’écrire ce livre, elle a répertorié des faits qui se sont déroulés sur sept ans. Elle a employé des termes un peu forts pour que son livre se vende bien et soit médiatique, mais elle a établi un constat. Il reprend en partie ce que nous dénonçons depuis plusieurs années - notamment le manque de moyens. Elle fait des allusions sévères aux personnels de surveillance, mais il est vrai qu’il y a des dérives, comme dans toute société ; et il convient de sanctionner ces personnes qui n’ont rien à faire dans notre institution.

La Santé est un établissement où l’UFAP est ultra majoritaire ; or, pendant des années, elle s’est battue pour dénoncer ce que Mme Vasseur décrit dans son livre. Voilà ce qui est choquant ; avec son livre elle a réussi là où l’UFAP a échoué : attirer l’attention des autorités.

En ce qui concerne la proposition du bâtonnier de Paris, l’UFAP, par mon intermédiaire, s’est opposée à la présence d’avocats à la Santé, mais pour une raison bien précise.

On ne s’oppose pas au fait que les détenus puissent consulter un avocat pour résoudre des problèmes liés à la vie extérieure - divorce, etc. Car très souvent, et vous avez raison de le dire, le seul lien du détenu avec l’extérieur, c’est le personnel de surveillance. Et quand ce lien est très fin - car les détenus sont nombreux -, les détenus peuvent être totalement isolés dans le monde carcéral.

Nous craignons qu’il y ait un décalage entre la norme et la réalité. Toutes les lois ne peuvent pas s’appliquer à la Santé, du fait de l’insalubrité de l’établissement ; la loi Evin sur le tabac, par exemple, ne peut pas être appliquée dans les établissements pénitentiaires - qui sont pourtant des établissements publics -, et les détenus non-fumeurs côtoient donc les fumeurs. Or un détenu qui aura connaissance de cette loi - et donc de ses droits - pourra exiger son application ; l’administration pénitentiaire sera sanctionnée et par conséquent le surveillant concerné également.

Un grand nombre de nos collègues sont déjà poursuivis pour non-application de règlements suite à des plaintes de détenus. Or nous ne le supportons plus. Nous souhaitons que soit établie une présomption d’innocence ; il faut que l’on reconnaisse que le personnel pénitentiaire ne peut pas appliquer la législation du fait de la vétusté des établissements. Ce manque de moyens ne permet pas à la norme de s’appliquer.

Quand un détenu arrive à la Santé, le surveillant, qui est le seul à prendre des décisions puisqu’il y a un manque de gradés important dans les établissements, affecte le détenu où il peut, en essayant de tenir compte de ses affinités, de son origine raciale, etc.

Nous craignons que la présence d’un avocat ne se retourne contre l’administration pénitentiaire, et notamment contre les surveillants qui exercent aux étages.

Vous savez également que les avocats souhaitent assister les détenus lors de leur comparution devant le conseil de discipline interne. Nous n’y sommes pas forcément opposés, mais nous réclamons la possibilité pour le personnel de surveillance d’être également assisté, afin que sa parole ne soit pas systématiquement mise en cause.

En ce qui concerne nos revendications, je ne peux pas vous faire part d’une mesure spécifique que vous pourriez retenir comme une proposition. Vous vous rendrez compte, lors de vos visites, qu’il manque du personnel, des moyens, qu’il est anormal que tous les matins les détenus aillent vider leur pot dans un trou, que les cellules sont délabrées, humides, avec des champignons sur les murs, que l’on y entasse quatre personnes et que les toilettes ne sont pas séparées !

Il y a énormément de choses à constater et à changer. Par exemple sur le travail en détention : à la Santé, certains détenus travaillent en cellule et celle-ci est encombrée de cartons, parce qu’on leur demande un rendement infernal ! Il s’agit ni plus ni moins d’ateliers clandestins !

Notre inquiétude est que soit établi un statut du détenu qui mettrait le personnel de surveillance en porte à faux ; un statut qui donnerait des droits importants aux détenus, sans contrepartie pour les personnels de surveillance. Il ne faut pas inverser les rôles, c’est-à-dire arriver à un système où tout serait dû aux détenus et rien aux personnels de surveillance.

Les jeunes surveillants n’admettent pas d’être privés du droit de grève, et revendiquent la liberté d’expression ; car lorsqu’il y a un problème, le chef d’établissement a tous les pouvoirs. Je crois donc que l’administration pénitentiaire sera encore secouée par des crises régulières tant que la liberté de parole ne sera pas accordée aux personnels.

Votre commission d’enquête suscite des espoirs au sein du personnel qui vous soutient. Nous demandons d’ailleurs à tous nos représentants de vous rencontrer et de vous faire part de l’état réel des établissements pénitentiaires. Il ne faudrait donc pas les décevoir en prenant des dispositions en faveur des détenus, sans contrepartie pour le personnel pénitentiaire. Soyez conscients que l’équilibre - précaire - qui existe peut, pour un rien, basculer d’un côté ou de l’autre.

Mme Nicole FEIDT : Monsieur le secrétaire général, je sais que le personnel de surveillance est d’astreinte 24 heures sur 24, toute l’année ; comment jugez-vous l’organisation de votre temps de travail ? Vous parliez tout à l’heure du manque d’effectifs, comment se répercute cette organisation sur le rythme de vie des détenus ? Par ailleurs, vous consulte-t-on sur l’organisation de la vie des détenus et par conséquent sur l’organisation de votre travail ?

Que pensez-vous du système de paiement des heures supplémentaires - la " boule à deux mois " ?

Vous nous avez conseillé, lors de nos visites, de demander à voir les syndicats ; mais vous aussi vous devez demander à votre direction de nous rencontrer. La demande doit venir des deux côtés.

Enfin, en ce qui concerne votre statut, je vous dirai que vous êtes simplement des fonctionnaires à part entière.

M. Jean-Luc AUBIN : Un établissement pénitentiaire fonctionne effectivement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec un service de jour et un service de nuit. Le service de jour se décompose en deux parties de six heures chacune, dont le rythme est le suivant : après-midi, après-midi matin, matin nuit, deux jours de repos, une nuit et un repos.

Il est évident qu’un tel rythme impose des contraintes sur la vie des détenus, notamment les changements d’équipes. Un établissement pénitentiaire ouvre à 7 heures du matin, ferme à 12 h 30, rouvre à 13 h 30, après la relève et ferme le soir à 19 heures - en maison d’arrêt, 20 heures en centre de détention.

Le rythme de travail est un sujet important, et actuellement en débat dans les établissements pénitentiaires, notamment avec l’application des 35 heures : nous ne souhaitons pas modifier le rythme de travail en allongeant la journée de détention. Le personnel y est opposé, car la contrainte psychologique est importante.

Il y a d’ailleurs très peu d’agents affectés à la surveillance ou à la gestion des détenus. Enormément de postes sont des postes fixes, d’autres sont annexes, et un seul agent gère l’ensemble des détenus à un étage. Or au bout de six heures, cet agent est usé, fatigué de sa journée. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte - une étude a été menée dans un établissement où les journées ont été allongées à 12 heures pour certains postes - que les agressions et les incidents se produisaient en fin de service. En effet, en fin de service le surveillant est moins accessible et a du mal à répondre aux détenus ; or la moindre " mauvaise réponse " peut engendrer une agression, un incident.

En ce qui concerne le paiement des heures supplémentaires, il s’agit d’une revendication de nos aînés il y a quelques années, qui avait le mérite d’éviter que le personnel pénitentiaire soit corvéable à merci. Ce privilège est défendu avec force par le personnel pénitentiaire - alors même que ce système a été dénoncé par la Cour des comptes -, mais il n’est pas fermé à toute discussion à ce sujet. Cependant le personnel pénitentiaire est attaché à ce système parce qu’il vit à un rythme décalé par rapport au reste de la société : ses repos sont en semaine, ses congés sont pris hors périodes scolaires - il a le droit de partir au moins d’août une fois tous les sept ans. La contrepartie de la " boule à deux mois " est d’éviter de cumuler les heures de repos sur des périodes creuses - octobre, novembre, mai et juin.

Nous sommes à peu près tous pères de famille et nous aimerions bien passer du temps avec nos enfants. Seulement l’administration pénitentiaire s’intéresse davantage à la gestion de la population pénale en rentabilisant le personnel de surveillance qu’à la vie privée de ce dernier.

S’agissant de notre demande de vous rencontrer, c’est fait. J’ai saisi non seulement la centrale, mais également les syndicats des personnels de direction afin qu’ils associent le personnel de surveillance - et notamment notre organisation - à vos visites.

Mme Nicole FEIDT : Actuellement, toutes les directions des centres de détention et des maisons d’arrêt proposent aux élus de visiter leur établissement. Mais je parle de la visite de la commission d’enquête, car c’est elle qui établira le rapport.

M. Jean-Luc AUBIN : Ma demande concerne effectivement la visite de la commission d’enquête. La directrice, qui a bien compris le sens de notre demande, a envoyé une note interne demandant aux chefs d’établissement de convoquer les organisations lors de vos visites.

M. le Président : Sachez que nous viendrons à l’improviste, car nous ne voulons pas que notre visite soit préparée.

M. Jean-Luc AUBIN : C’est une très bonne chose, car les visites programmées permettent souvent au chef d’établissement de débarrasser les couloirs, de lustrer les cellules, de faire des visites guidées !

M. Jacques MASDEU-ARUS : Monsieur, je souhaiterais avoir votre sentiment sur le rapport Canivet concernant la mise en place d’un contrôle extérieur, le manque de transparence, l’omerta dans les centres de détenus ?

J’aimerais également savoir quelle est la mobilité des personnels de surveillance, car vous avez parlé d’un métier différent selon le lieu où il est exercé. Cette différence de fonction doit-elle être enseignée au cours de votre formation de base, ou la formation doit-elle être générale et la mobilité importante pour que vous puissiez connaître différents établissements ?

M. Jean-Luc AUBIN : Notre organisation s’était associée à l’élaboration du rapport Canivet, mais nous avons dû quitter le groupe de travail, n’étant pas d’accord avec certaines orientations, notamment le statut du détenu. D’une part, il n’insiste pas sur le maintien de la sécurité interne, et, d’autre part, il remet en cause des pratiques telles que la fouille corporelle, les colis de linge et le parloir.

Il est vrai que des choses sont à revoir ; néanmoins la sécurité est une mission importante que l’on doit gérer, sinon c’est l’anarchie. Tout le monde sait que le caïdat existe et que les détenus qui règnent à l’extérieur règnent à l’intérieur, notamment chez les mineurs.

Cependant, nous sommes favorables à un contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Une méthode plus simple aurait pu être trouvée - il est peut-être inutile de créer un corps spécial. Nous étions assez favorables à une réforme de la commission de surveillance. Le contrôle extérieur est nécessaire, car l’on ne peut pas, dans un milieu aussi fermé, tout garder en interne - et vous avez parlé d’omerta, c’est exactement cela.

En ce qui concerne la mobilité, il n’y a pas de règles définies : le recrutement est national, l’agent pénitentiaire fait une demande sachant que l’on ne tiendra pas compte du type d’établissement souhaité.

S’agissant de la formation, nous souhaitons une formation généraliste, puis une formation continue - qui est prévue dans les textes mais qui n’existe pas. Le personnel pénitentiaire n’est pas recyclé, et les us et coutumes sont des pratiques fortes dans les établissements pénitentiaires où il n’y a pas de rappel à la règle. Des mémentos sont édités, mais personne ne les lit ; il serait plus utile de réunir le personnel pour lui expliquer les nouvelles règles.

Nous sommes attachés à notre mobilité - nous pouvons exercer dans tous les types d’établissements -, mais une adaptation et une formation continue de prise à l’emploi sont nécessaires. Or cela n’existe pas, le manque d’effectifs ne permettant pas aux agents de quitter leur poste de travail pour suivre une formation.

M. Hervé MORIN : Quels conseils pouvez-vous nous donner pour que nos visites soient fructueuses ?

Certaines personnes que nous avons auditionnées ont regretté le manque de structuration de la vie sociale au sein des prisons - les détenus pouvant regarder la télévision jusqu’à 5 heures du matin, se lever à n’importe quelle heure, etc. - et le non-respect des éléments fondamentaux de la dignité humaine - tels que le tutoiement systématique. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l’adoption d’un règlement intérieur unique pour tous les établissements pénitentiaires dont l’idée a été évoquée devant nous ?

Enfin, que pensez-vous de la judiciarisation d’un certain nombre d’éléments de la vie au sein des prisons ?

M. Jean-Luc AUBIN : Lorsque vous visiterez un établissement pénitentiaire, la première chose à faire sera de vous rendre directement en cellule. Vous assisterez ainsi au lever des détenus, après 12 heures passées dans des cellules qui ne sont pas aérées et où quatre détenus sont entassés. Vous vous rendrez compte qu’il est très difficile pour le surveillant de rentrer dans les cellules pour contrôler que personne n’a attenté à ses jours.

Vous vous rendrez compte aussi que parler de contrôle de nuit et de prévention du suicide est une utopie. Le surveillant qui regarde à l’_illeton le fait davantage pour éviter les réprimandes que pour voir ce qui s’y passe, car il ne voit rien - les détenus installent des couvertures ou des draps partout afin de s’isoler.

Nous regrettons également qu’il n’y ait plus de vie sociale dans les établissements pénitentiaires, car nous sommes confrontés à des détenus qui peuvent se laisser vivre et se laisser aller ; un détenu qui veut dormir toute la journée en a le droit, tout comme celui qui veut regarder la télévision la nuit. Le surveillant n’a aucun pouvoir, il ne fait que constater puisqu’il ne peut même pas en rendre compte à son supérieur hiérarchique qui ne s’intéresse pas à la vie du détenu.

L’UFAP est intervenue plusieurs fois, notamment en ce qui concerne les mineurs. Nous nous sommes battus, par exemple, pour que le film pornographique de Canal Plus, notamment diffusé le premier samedi du mois, ne le soit plus ; nous avons invoqué l’atteinte aux bonnes m_urs. On ne peut pas incarcérer des mineurs - avec une volonté de réinsertion - et les laisser faire tout et n’importe quoi à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire.

En réalité, le détenu est un assisté : on lui amène le repas, on va le chercher pour la douche, etc. D’ailleurs, puisque je parle de douche, sachez que pendant dix ans nous avons réclamé l’installation des douches dans les cellules - ce qui nous a été refusé même avec le plan 13 000, faute de budget. Heureusement, les choses ont changé et nous sommes maintenant satisfaits que les détenus puissent se doucher à leur guise.

En ce qui concerne le règlement unique, cette proposition est une aberration. Chaque établissement est différent : il est situé en ville ou en campagne, il est moderne ou ancien, c’est une maison d’arrêt ou un centre de détention, etc. Il convient également de tenir compte de la disponibilité des intervenants extérieurs qui, s’ils peuvent être à 9 heures à la Santé, n’auront pas les mêmes facilités pour se rendre à Joux-la-Ville, qui se trouve à une heure et demie de Dijon.

S’agissant de la judiciarisation de certains actes de la vie en détention, notamment les remises de peine, nous trouvons normal que les détenus aient une possibilité de recours. Nous avons souvent dénoncé le pouvoir énorme du juge d’application des peines qui peut refuser des permissions de sortie. S’agissant du pouvoir disciplinaire, il ne faut pas non plus aboutir à accorder plus de droits aux détenus qu’au personnel de surveillance.

Mme Nicole BRICQ : Monsieur le secrétaire général, j’ai noté, lors de mes visites en établissements pénitentiaires, une frustration des jeunes surveillants quant au déroulement de leur carrière, considérant que leur avenir était bouché. Vous avez d’ailleurs évoqué le problème avec la formation continue qui n’existe pas. Confirmez-vous ce sentiment ? Il semble par ailleurs que le poids du directeur d’établissement dans la promotion soit très important et soit critiqué par les personnels.

Le discours dominant de l’administration pénitentiaire - nous avons auditionné la directrice - est que les nouveaux établissements, donc l’immobilier, et l’augmentation des moyens vont changer les conditions de détention. Or j’ai pu constater qu’un bon nombre de détenus en maison d’arrêt préféraient être incarcérés dans des établissements petits, voire vétustes, que dans des établissements modernes. Il me semble qu’on attend tout de l’immobilier alors que les problèmes humains priment.

M. Jean-Luc AUBIN : S’agissant du déroulement de carrière, le personnel de surveillance fait partie de la fonction publique, catégorie C surclassée par rapport au classement indiciaire, et est assimilé en partie à la police nationale. Nous trouvons que ce dernier point est une aberration car nous ne sommes pas des policiers : nous sommes des personnels pénitentiaires à part entière, notre métier est particulier puisqu’il consiste à garder et à réinsérer des personnes.

Notre carrière est effectivement rapidement bouchée : j’ai 35 ans, je suis premier surveillant, au mois d’août je serai en fin de carrière. Il y a de quoi être découragé ! Nous recrutons des jeunes diplômés - qui possèdent parfois un bac+2, +3, voire +4 ou +5 - qui ont envie de faire carrière dans l’administration pénitentiaire pour accompagner les détenus et être utiles à la société. Or le système administratif les décourage ; ils sont broyés dans la masse, par des notes, des appréciations données par des anciens qui ne comprennent pas la nouvelle génération de surveillants - qui a beaucoup plus de contacts avec les détenus.

Le poids des directeurs d’établissement pose effectivement problème. En tant que corps de la fonction publique, nous fonctionnons par des tableaux d’avancement qui sont montés " à la tête du client " : l’agent qui n’a pas participé à des mouvements de protestation ou qui a toujours été présent en cas de difficulté obtiendra sans aucun doute le grade supérieur - ce qui ne donne pas forcément de bons gradés.

Nous souhaitons donc que le changement de grade se fasse par des tableaux d’avancement élaborés à partir d’une unité de valeur : les personnels pénitentiaires pourraient suivre des formations qui seraient validées par des unités de valeur sur des thèmes aussi différents que la gestion de la population pénale, des suicides, etc. Cela leur permettrait d’acquérir une expérience importante, une promotion ne devant pas se faire à la tête du client.

A la base, le personnel de surveillance était constitué d’une majorité de militaires. Ils étaient donc habitués à un ordre strict et des consignes claires ; ces personnes ont maintenant la responsabilité du personnel de surveillance, et un jeune agent ne supporte pas d’être jugé sur son apparence.

En ce qui concerne les nouveaux établissements, il est évident que ce n’est pas parce qu’ils seront plus beaux et plus clairs que tout ira mieux. Je vous le disais tout à l’heure, les postes de surveillants aux grilles et aux portes sont indispensables pour préserver le contact humain qui doit exister entre les surveillants et les détenus.

Avec les nouveaux établissements, ce qui importe, c’est la rentabilité. Les petites structures seront donc fermées, ce qui est une erreur. L’établissement de Fleury-Mérogis est un monstre qui ne devrait pas exister. Les établissements de 600 places que l’on est en train de construire, et qui comporteront différents régimes de détention, ne devraient pas exister : ceux à qui l’on appliquera le régime de la maison d’arrêt verront les détenus du centre de détention circuler librement, c’est insupportable !

Il s’agit là de sujets graves, sur lesquels nous ne sommes pas consultés. On nous a simplement présenté le plan retenu, avec interdiction de poser des questions. Or nous sommes favorables aux petites structures, au service public de proximité ; on en parle pour la poste, mais pas pour l’administration pénitentiaire ! Or c’est de cette façon que la prison sera mieux acceptée.

Vous avez dû constater la carence des panneaux indiquant la maison d’arrêt dans les villes ! C’est révélateur : pendant des années l’administration pénitentiaire a été exclue de la société.

Pendant de nombreuses années, l’école avait un rôle de filtre et détectait les jeunes en difficulté - tout comme l’armée. Malheureusement le monde éducatif est ce qu’il est ; il ne détecte plus ces jeunes ; ces filtres n’existent plus. Le monde pénitentiaire est devenu le fin fond de la société, avec un taux d’analphabétisme important. Les étrangers sont également nombreux, ils éprouvent des difficultés à exprimer leur malaise, et c’est la raison pour laquelle nous réclamons, pour les agents que cela intéresse, l’apprentissage de différentes langues. L’objectif actuel est la rentabilité : moins de surveillants, plus de détenus. Il n’y a plus de contacts. Cela explique que Neuvic, qui est un établissement 13 000, ait connu deux émeutes alors qu’il s’agit pourtant d’un centre de détention en province. Dans les établissements comme La Santé, il y a une certaine convivialité qui n’existe pas dans les établissements modernes.

M. Julien DRAY : Vous n’avez pas parlé de la manière dont vous abordez la question de la mobilité dans votre profession : êtes-vous favorable à la possibilité d’un redéploiement vers d’autres activités à l’intérieur de la fonction publique au bout d’un certain nombre d’années de carrière - notamment depuis que les jeunes surveillants ont un bagage culturel important ? Avez-vous interpellé l’administration sur cette question et présenté des propositions ?

Par ailleurs, quel est le rapport que vous souhaitez entretenir avec les autres professions et les autres intervenants à l’intérieur de la prison ? Je pense notamment aux travailleurs sociaux, aux enseignants et au personnel médical. Etes-vous favorable à la mise en place, dans chaque établissement, d’une commission dans laquelle l’ensemble des intervenants pourraient échanger leurs informations et discuter ?

Enfin, quelle est la priorité : la construction de nouveaux établissements ou la rénovation des anciens ?

M. Jean-Luc AUBIN : Il serait effectivement intéressant que le personnel pénitentiaire ait la possibilité de travailler dans une autre administration ; il pourra ainsi faire connaître le monde pénitentiaire. Nous avons interpellé notre administration à ce sujet, mais elle n’est pas prête à jeter des passerelles : nous avons énormément de besoins et pas assez de candidats.

Nous militons depuis des années en faveur de la féminisation du personnel des établissements pénitentiaires, ce qui non seulement serait une réponse au manque de personnels, mais créerait un climat plus serein, les détenus étant moins agressifs envers les femmes.

Il faut également réfléchir à décloisonner l’administration pénitentiaire, même vers le milieu ouvert, vers les SPIP - services pénitentiaires d’insertion et de probation - car le personnel pénitentiaire pourrait se charger du contrôle extérieur, sans pour autant investir le corps des socio-éducatifs. Il suffit de regarder le nombre de personnels pénitentiaires qui quittent la profession pour se rendre compte qu’il y a un malaise.

Nous sommes également favorables à la création d’une commission réunissant tous les intervenants. Nous pensons même que chaque bâtiment, chaque aile devrait être composée d’une équipe pluridisciplinaire qui se réunirait régulièrement.

En ce qui concerne votre troisième question, nous pensons qu’il convient de raser un certain nombre d’établissements et de les reconstruire au même endroit. De nombreux établissements sont vétustes et inadaptés, mais ont un rôle social important, parce qu’ils sont situés en ville.

Ce n’est malheureusement pas ce qui est en train de se passer, mais nous ne sommes pas écoutés et nous ne pouvons pas nous mettre en grève ! On est en train de créer des monstres qui deviendront ingérables, et dans lesquels les détenus seront entassés.

Nous espérons donc que la commission d’enquête insistera sur le fait que les petites structures sont importantes. Vous parliez tout à l’heure du tutoiement comme d’une atteinte à la dignité humaine ; dans certains petits établissements, le tutoiement est une règle générale acceptée et même réclamée par les détenus. Le fait de se serrer la main - qui valait autrefois la révocation d’un fonctionnaire - est devenu une pratique que les détenus réclament. Et un détenu qui est libéré vous sollicite souvent pour vous serrer la main, car c’est un moment d’échange privilégié.

Il ne faut pas oublier que seule une minorité de détenus est ingérable et crée de grosses difficultés. Nous demandons d’ailleurs la création d’établissements spécialisés pour les garder. Car si l’on pouvait identifier ces personnes et les envoyer dans des établissements spécialisés, de nombreux établissements fonctionneraient mieux et nous pourrions plus facilement travailler en vue d’une meilleure réinsertion.

Cette proposition d’établissements spécialisés a été écartée pour des raisons politiques, et je crois que c’est une erreur. Il convient de revoir la classification des détenus : les maisons d’arrêt pour les prévenus, les centres de détention pour les petites et moyennes peines, les maisons centrales pour les longues peines.

Je terminerai en vous disant que nous avions attiré, il a 5 ou 6 ans, l’attention des autorités sur le problème de la perpétuité réelle, car des détenus qui n’ont plus aucun espoir de liberté sont ingérables. Il faut leur donner une possibilité de sortir. Aujourd’hui, le système est arrivé à état de saturation, commençant à exploser. Il faut savoir si les établissements ne sont que des réserves à détenus ou si l’on veut leur donner une dimension sociale, ce que nous souhaitons. Cela implique des établissements à taille humaine.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Sans oublier le problème des détenus âgés, malades ou grabataires. Des établissements sanitaires pourraient également soulager le personnel surveillant !

M. Jean-Luc AUBIN : Tout à fait. Nous avions d’ailleurs édité une brochure sur ce sujet en 1992 : nous sommes favorables à des établissements spécialisés pour des individus dangereux, pour des détenus malades - le centre de détention de Liancourt avait à l’origine cette vocation - ainsi qu’à des établissements psychiatriques. Nous sommes également favorables à la création d’unités spécialisées dans les hôpitaux afin d’éviter les transferts qui sont toujours difficiles.

M. le Président : Monsieur le secrétaire général, je vous remercie pour la qualité de vos propos.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr