Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

Mme Sophie-Hélène CHÂTEAU et M. Jean-Baptiste PARLOS sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Sophie-Hélène Château et M. Jean-Baptiste Parlos prêtent serment.

M. Jean-Baptiste PARLOS : Nous sommes membres du bureau de l’association française des magistrats instructeurs qui a vocation à regrouper les juges d’instruction et les membres des chambres d’accusation. Il s’agit d’une association non syndicale, à caractère professionnel.

Sophie-Hélène Château est membre du bureau. Elle est juge d’instruction depuis douze ans. Je suis également membre du bureau et juge d’instruction depuis deux ans et demi. Je m’attacherai dans mon exposé à traiter de la détention provisoire et des nouvelles mesures qui ont été votées au sujet de cette procédure, car tel est le centre du débat aujourd’hui. Ensuite, Sophie-Hélène Château exposera la vie en détention telle que nous l’appréhendons en tant que juges d’instruction.

J’ai été assez interloqué par l’article unique de la résolution adoptée par l’Assemblée nationale qui crée votre commission d’enquête, et notamment par le point suivant : "Réfléchir à la limitation de l’usage abusif de la détention provisoire." Je ne puis dire ici qu’il n’y a jamais eu d’usage abusif de la détention, mais réfléchir à la limitation de l’usage abusif signifie que l’on conçoit d’avance qu’il reste des usages abusifs, puisque l’on n’aurait pour but que de limiter l’usage abusif. C’est un point de départ qui peut éclairer la réflexion sur la détention provisoire, car je crois - c’est une conviction que nous sommes assez nombreux à partager - que la détention provisoire en elle-même est abusive.

Quel est le principe de la détention provisoire ? Incarcérer une personne présumée innocente qui n’a pas encore été jugée. En cela, la loi crée une situation extraordinaire et contraire au principe de la présomption d’innocence. J’illustrerai mon propos en évoquant les conditions du placement en détention. L’article 144 du code de procédure pénale énonce un certain nombre de critères, qui peuvent être des critères d’enquête. Il existe également deux autres critères sources de difficultés pour nous depuis longtemps : le premier concerne les risques de renouvellement de l’infraction et le second le trouble à l’ordre public.

Pardonnez-moi d’être quelque peu provocateur, mais j’ai l’impression, avec ces critères, que la loi demande au juge à la fois d’être enquêteur et de se préoccuper de problèmes qui ne sont pas directement liés à l’enquête. En effet, si la loi permet à un juge d’instruction de placer une personne en détention provisoire au motif d’éviter le renouvellement de l’infraction, c’est que l’on considère que l’infraction dont le juge est saisi est déjà constituée. Or le juge d’instruction a pour mission de déterminer, dans le cadre de ses investigations, s’il y a infraction pénale et si cette infraction est susceptible d’être imputée à la personne mise en examen. Finalement, le critère légal concernant les risques de renouvellement de l’infraction préjuge du résultat de l’instruction. Il en est de même pour le critère de trouble à l’ordre public. Le législateur indique que nous pouvons placer en détention si tel est l’unique moyen d’apaiser le trouble à l’ordre public. Est-ce un critère d’enquête ? Je n’en suis pas tout à fait certain et, vous livrant ces deux exemples, je voulais vous dire que si des modifications législatives devaient intervenir en matière de détention provisoire, il pourrait être envisagé de réformer ces deux critères qui ne relèvent pas réellement des critères d’enquête.

Il faut insister sur le fait que nous disposons d’assez peu de moyens alternatifs à la détention provisoire. Je veux notamment parler du contrôle judiciaire. La liberté est le principe, et la détention provisoire doit rester l’exception. Néanmoins, le contrôle judiciaire n’est pas obligatoirement pour nous le moyen d’éviter la détention provisoire, car sa mise en application ne se révèle pas toujours suffisamment efficace. Pour un certain nombre de dossiers, nous préférerions de beaucoup laisser la personne en liberté, car nous sommes attachés au principe de la liberté ; le rôle du juge d’instruction n’est pas de juger, mais d’enquêter. Il apparaît que les mesures de contrôle judiciaire que nous pourrions prendre ne sont pas susceptibles d’être exécutées dans des conditions qui nous paraissent satisfaisantes, notamment s’agissant de l’information sur le déroulement du contrôle judiciaire. De même, lorsque nous sommes amenés à prendre une décision, nous regrettons souvent de ne pas être suffisamment informés de la situation de la personne qui nous est présentée. Bien sûr, il existe un système d’enquête rapide, mais je rappelle qu’il ne s’applique qu’aux personnes de moins de vingt et un ans - c’est une obligation légale - et aux délits pour lesquels, si je ne me trompe, la peine encourue est au plus de cinq ans. Je crois que l’on pourrait en premier lieu généraliser les enquêtes rapides à toutes les personnes présentées au juge d’instruction et, en second lieu, prévoir des enquêtes un peu plus approfondies, même si, le temps nous étant compté, elles doivent rester rapides. Pour le moins, il nous faudrait obtenir des renseignements au cours de ces enquêtes permettant d’apprécier les conditions dans lesquelles nous pourrions prendre une mesure alternative à la détention.

Lorsqu’une personne nous est présentée et que l’on envisage la mesure coercitive la plus adéquate à sa situation, il n’est pas rare que nous prenions nous-mêmes notre téléphone pour appeler telle ou telle personne, citée par le mis en examen et susceptible de lui trouver un hébergement ou du travail. Cela se fait souvent à des heures indues, en fin de soirée, au moment du débat contradictoire, lorsque nous sommes appelés à prendre la décision. Il est dix-neuf trente, vingt heures, vingt et une heures et l’on nous propose tel hébergement, telle formation professionnelle. Nous prenons notre téléphone pour vérifier, et, très souvent, nous n’obtenons pas la réponse. Au moment du placement en détention provisoire, il serait très utile que nous soyons très largement informés dans les délais les plus brefs de la situation de l’intéressé et des garanties qu’il présente pour rester à l’extérieur et non en détention provisoire.

Troisième élément sur le placement en détention provisoire : actuellement, la seule mesure alternative est le contrôle judiciaire. Il serait bon de développer d’autres mesures alternatives. On a parlé du bracelet électronique, mais je ne suis pas certain que l’on en ait les moyens. En tout état de cause, il est certain que plus l’éventail des choix sera large, plus on limitera la détention provisoire. J’insiste encore une fois sur un point sujet à discussion : le plus souvent, le juge d’instruction ne souhaite pas placer la personne en détention. Nous sommes attachés, contrairement à ce que certains d’entre vous pourraient croire, au principe de la liberté. Mais, même si vous n’êtes pas convaincus par cette affirmation, il existe également une règle naturelle qui est la suivante : toute personne en détention est, pour nous, une source de contentieux, qui représente une charge de travail supplémentaire. Par conséquent, plus nous pouvons éviter la détention provisoire de notre côté, plus nous évitons le contentieux et la charge de travail qu’il induit.

Je reviendrai à la fin de mon intervention sur le juge de la détention et sur la loi sur la présomption d’innocence.

Je ferai donc, après ces propos liminaires, trois propositions sur la décision de placement : éclairer le juge le mieux possible sur les mesures qu’il est susceptible de prendre, et notamment sur la situation personnelle du prévenu, développer les mesures alternatives à la détention provisoire et renforcer le suivi du contrôle judiciaire.

Un mot sur le problème important des mineurs. J’ai exercé les fonctions de juge d’instruction des mineurs pendant quatorze mois. Je me suis aperçu, malgré la bonne volonté des personnels éducatifs en charge de la situation des mineurs, que nous disposions de très peu de solutions adaptées aux mineurs délinquants, ce qui n’est pas sans soulever de graves difficultés.

Le second point sur la détention provisoire porte sur sa durée, car une fois prise la décision de la détention, se pose la question de la durée.

D’après les statistiques du ministère de la Justice, la durée moyenne d’une détention provisoire à l’instruction est d’un peu plus de cinq mois, toutes matières confondues. De l’extérieur, on a le sentiment que la détention provisoire est souvent beaucoup plus longue. A ce titre, deux éléments nous semblent devoir être soulignés. Tout d’abord, la durée de la détention est souvent liée, pas toujours cependant, aux difficultés que nous rencontrons dans le déroulement de nos dossiers. Nous sommes en charge de beaucoup de dossiers et disposons de peu de moyens, ce que j’illustrerai d’un exemple concret : lorsque nous demandons aux services de police ou de gendarmerie d’exécuter dans des délais raisonnables et rapides des commissions rogatoires, ou lorsque nous demandons aux experts de réaliser rapidement leur mission, nous ne sommes pas toujours suivis. Ce sont là des éléments qui peuvent expliquer les difficultés que nous rencontrons en terme de durée de la détention.

Cent trente dossiers en moyenne pour un cabinet d’instruction représentent une lourde charge de travail, et il faut bien observer qu’un dossier ne correspond pas toujours à un mis en examen, mais représente parfois dix mis en examen et plusieurs détenus.

Le second point qu’il me paraît important de souligner à propos de la durée de la détention provisoire concerne les délais d’audiencement, lorsque le juge d’instruction a terminé ses investigations et que la personne est en attente d’être jugée. Je donnerai l’exemple de la cour d’assises de Paris. Une instruction criminelle dure en moyenne un an. Une personne qui est renvoyée devant la cour d’assises de Paris attend son jugement entre douze et vingt-quatre mois après l’instruction. C’est dire qu’une personne mise en examen le 5 février d’une année pourra attendre jusqu’à trois ans sa comparution devant la cour d’assises, ce qui n’est d’ailleurs pas sans créer une difficulté au regard de la nouvelle disposition sur l’appel des décisions de cour d’assises. Le délai de détention provisoire avant jugement sera d’autant plus augmenté que la personne, jugée une première fois, fera appel, retournera en détention provisoire et sera jugée une seconde fois.

Sur le problème de la durée de la détention provisoire, nous sommes donc confrontés à deux difficultés : la première est liée aux conditions dans lesquelles se déroule notre instruction et aux moyens dont nous pouvons être dotés, notamment en ce qui concerne les services enquêteurs et les experts. La seconde difficulté est celle des délais d’audiencement beaucoup trop longs, non liés à la juridiction d’instruction, mais au retard pris par l’institution judiciaire pour le jugement des affaires.

Je terminerai ce propos en évoquant la réforme de la détention provisoire prévue par le projet de loi sur la présomption d’innocence. Nous sommes en même temps soulagés et inquiets. Soulagés, car c’est un contentieux que nous ne traiterons plus ; c’est un contentieux difficile, lourd, grave. Encore une fois, nous préférons largement laisser quelqu’un en liberté que le placer en détention. Nous sommes cependant relativement inquiets, car nous ne sommes pas certains que la disposition instituant le juge de la détention soit la bonne solution. L’association des magistrats instructeurs a toujours pensé que la bonne solution résidait dans une collégialité des juges, quitte à supposer que le juge d’instruction ne fasse pas partie de cette collégialité. Nous sommes prêts à nous exclure du collège, mais nous ne pensons pas qu’un juge seul, aussi expérimenté soit-il, prenne de meilleures décisions qu’un juge d’instruction qui a, en plus, la maîtrise de l’enquête. Cet avis est assez partagé par un certain nombre de nos interlocuteurs, notamment des avocats, pas nécessairement ceux qui sont à la tête des organisations représentatives ou qui s’expriment dans les médias. Nous rencontrons régulièrement des avocats, des habitués de nos cabinets. Ils nous confient leur inquiétude, dans la mesure où, au final, ils n’auront plus d’interlocuteur. Le juge d’instruction chargé de l’enquête leur dira de s’adresser au juge de la détention et celui-ci leur conseillera de s’adresser au juge d’instruction, maître de l’enquête. Il y a là une vraie difficulté.

Seconde remarque sur le projet de loi. Nous ne pensons pas qu’il sera de nature à réduire considérablement les décisions de placement en détention provisoire, car même si l’on considère qu’il faut maintenir la détention provisoire en France - c’est une vraie question à laquelle il faut répondre - il existe néanmoins un seuil incompressible de placements en détention. Si l’on fait l’addition des dossiers criminels, des dossiers de stupéfiants, de violence et de ceux relatifs aux étrangers en situation irrégulière sur notre territoire, on s’aperçoit que l’on est très proche du nombre de mandats de dépôt tel qu’il est recensé par les statistiques du ministère de la Justice. Si l’on considère que la détention provisoire doit être maintenue, on pense, malheureusement, qu’il y a un seuil incompressible de détentions provisoires.

Mme Sophie-Hélène CHATEAU : J’approuve l’intégralité du propos de M. Parlos. Je souhaiterais simplement vous livrer un chiffre afin de vous donner une idée du caractère incompressible des détentions provisoires, illustré par l’exemple concret de mon cabinet à l’heure actuelle : j’ai 112 dossiers en cours, qui concernent 28 détenus, dont 7 criminels, 14 stupéfiants, 2 trafics d’étrangers au niveau international, et 2 détenus pour violences graves.

M. le Président : De quel ressort dépendez-vous ?

Mme Sophie-Hélène CHATEAU : De Paris depuis cinq ans. Je suis juge d’instruction depuis douze ans. J’ai été auparavant juge de l’application des peines. J’ai donc également quelque idée du problème de la détention.

Je compte 28 détenus incarcérés sur 112 dossiers. J’ignore quels détenus je pourrais libérer aujourd’hui et lesquels pourraient être considérés comme détenus à titre abusif, dans la mesure où les critères de détention énoncés recouvrent le risque de pression sur les victimes ou sur les témoins, le risque de renouvellement de l’infraction, les cas d’affaires criminelles et les affaires de stupéfiants. Pour l’heure, il est difficile de trouver une solution alternative à la détention. Je confirme que cela n’a jamais été un plaisir pour nous de recourir à la détention, qui demeure un acte difficile et pénible. Nous serons tous soulagés lorsque le contentieux de la détention nous sera retiré.

J’aborde maintenant le suivi du détenu dès lors qu’il est placé en détention provisoire par le juge d’instruction. C’est quelque chose d’assez particulier qui n’a rien à voir avec le suivi du juge de l’application des peines. On peut constater une distorsion forte entre les conditions de détention provisoire et les conditions de détention d’une personne condamnée. Bien souvent, les prévenus nous demandent de nous dépêcher de clore l’instruction, car ils savent que leurs conditions de détention seront meilleures une fois qu’ils seront condamnés. C’est un vrai problème. Le jour où nous prononçons le mandat de dépôt, nous remplissons une notice individuelle destinée à la maison d’arrêt pour donner quelques renseignements sur le détenu, qu’il nous livre lui-même : ces renseignements concernent son état de santé, le fait qu’il soit ou non toxicomane, son état psychologique au moment de la détention, et le risque éventuel d’attenter à ses jours. Nous prévenons également la maison d’arrêt du risque de concertation avec des codétenus impliqués dans la même affaire et sur laquelle nous ne souhaitons pas qu’il y ait communication.

Nous livrons ce type de renseignements et donnons des consignes sur la gestion du courrier selon que nous souhaitons qu’il passe ou non par nous. Mais, à partir du jour où nous livrons cette notice, plus aucun échange n’est prévu entre la maison d’arrêt et nous. Nous ne sommes plus du tout au courant de la manière dont se déroule la détention, excepté les rapports d’incidents disciplinaires si le prévenu s’est battu avec un codétenu ou est passé en conseil de discipline. Pour la suite de la détention, rien n’oblige la maison d’arrêt à nous prévenir et rien ne nous contraint à demander quoi que ce soit. Nous ne savons rien de l’évolution de son état de santé. On nous demande simplement une autorisation lorsque la personne doit se faire opérer, ce qui est assez curieux, car je ne vois pas de quel droit nous serions compétents ; il est un peu abusif que nous soit octroyé le pouvoir de nous y opposer.

Nous ne sommes pas du tout informés s’il suit ou non un stage, s’il travaille, si sa famille lui rend visite, ou bien s’il est actuellement en phase dépressive. Se pose bien sûr, dans ce dernier cas, le problème du secret médical. Il est normal que l’on ne nous tienne pas au courant en détail de l’état de santé du prévenu, mais nous devrions pour le moins avoir un dialogue un peu plus approfondi avec la maison d’arrêt et connaître sa vie, savoir s’il est placé avec un codétenu, s’il reçoit ou non des visites ; si l’avocat ne joue pas le rôle d’intermédiaire entre nous et le détenu, nous pouvons parfois ignorer que le prévenu est complètement coupé de sa famille. Il arrive souvent qu’elle demande au début un permis de visite. Ensuite, des disputes, des problèmes graves peuvent survenir avec pour conséquence de le couper complètement de tout. Il ne va pas forcément très bien et nous ne sommes pas au courant.

Si, comme cela peut arriver, nous réclamons des renseignements à la maison d’arrêt, la démarche n’est pas toujours très bien reçue, dans la mesure où cela n’est pas du tout prévu. La maison d’arrêt peut considérer que nous nous immisçons dans son fonctionnement et que cela ne nous regarde pas.

Vous pourriez me demander pourquoi nous ne leur rendons pas visite, car il est vrai que les juges d’instruction rencontrent très peu souvent, contrairement au juge de l’application des peines, leurs prévenus. Mais ces visites présentent un caractère ambigu. Dès lors qu’une personne est mise en examen, on ne peut l’interroger qu’en présence de son avocat. Si l’on rend visite au prévenu, non pour évoquer le dossier mais ses conditions de détention, la situation sera très ambiguë, dans la mesure où le prévenu ne fait pas la différence entre les causes de sa détention et la détention elle-même ; il ne fera pas la distinction dans son discours et parlera inéluctablement du dossier, ce qui est pour nous impossible hors la présence de l’avocat, ce que le prévenu ne pourra comprendre. Nous ne rendons donc pas visite au prévenu bien souvent pour cette raison : pour ne pas nous trouver confrontés à des confidences, à des aveux, qui seraient recueillis dans des conditions qui ne seraient pas du tout légales ou bien qui pourraient être exploitées d’une façon peut-être logique, mais également abusive par la défense qui nous reprocherait d’avoir voulu faire pression pour obtenir des renseignements de la part du prévenu en son absence.

Il est par conséquent difficile de rendre visite au prévenu en dehors d’un contexte d’interrogatoire.

En détention provisoire, il n’y a pas de permissions de sortie possibles, du fait des pressions éventuelles sur les témoins, ainsi que des risques de renouvellement de l’infraction. Autoriser les sorties en détention provisoire n’a pas de sens.

Il existe une permission de sortie sous escorte, mais, là encore, c’est une démarche très lourde à organiser et c’est, finalement, très mal perçu de l’extérieur. Il m’est arrivé d’en organiser en cas de décès, pour qu’un détenu puisse assister à des obsèques ou rendre visite à un parent malade, mais la procédure est d’une telle lourdeur que nous ne le faisons pas. Cela peut avoir des répercussions importantes sur le prévenu qui aurait voulu participer encore un peu à sa vie de famille, ce qui est une préoccupation tout à fait normale. Je pense que nous pourrions réfléchir à faciliter ce type de mesures.

Pendant le temps de la détention provisoire, rien n’est organisé pour préparer la sortie, car il est assez fréquent que l’on place en détention provisoire le temps de l’enquête, le temps d’entendre tous les témoins. Au bout de quatre mois, même si l’instruction n’est pas tout à fait terminée, les confrontations les plus importantes ont été faites et les investigations qui risquaient d’être polluées par des pressions sont achevées. Mais rien n’est prévu pour la sortie. En fait, aucun service éducatif, aucun service social de la maison d’arrêt ne s’occupe d’une préparation à la sortie, puisqu’il n’y a pas d’échanges et que l’on ignore le temps de la détention. Rien n’est prévu pour préparer un hébergement, car, parfois, un hébergement en province serait possible, hors contexte du lieu où se sont déroulés les faits. Je parle en tant que juge d’instruction parisien, mais si on est en province, on peut se placer dans le cadre d’un éloignement général. Si donc les faits ont eu lieu dans la ville où l’on est saisi et que la victime habite là, il est ennuyeux de remettre le prévenu en liberté avant le jugement. Si l’on pouvait prévoir un hébergement éloigné, nous autoriserions peut-être plus souvent une remise en liberté en cours d’instruction. Malheureusement, si l’avocat n’a pas travaillé avec la famille sur cette possibilité, il est très difficile pour le prévenu détenu d’entreprendre des démarches et ce, d’autant plus qu’aucun service social n’est chargé de le faire. Il y a là une petite faille. La détention provisoire pourrait être réduite si, en cours de détention, des recherches régulières étaient effectuées, ainsi que des contacts pris avec les familles pour trouver des solutions alternatives. C’est une possibilité qui peut être avancée.

Je proposerai des solutions pour réduire la détention, pour qu’elle soit mieux vécue au quotidien par le prévenu dans le cas où elle est inévitable au vu des textes actuels qui concernent les grosses affaires criminelles ou de stupéfiants. Je ferai également des propositions pour la rendre plus efficace pour l’instruction, car je ne pense pas que l’instruction ait à gagner à ce que le prévenu soit mal et se présente agressif ou dépressif aux interrogatoires. Il serait donc intéressant de disposer, entre la maison d’arrêt et le juge d’instruction, d’un outil d’échanges qui prendrait la forme d’un cahier ou d’une fiche de renseignements, d’une notice régulièrement réactualisée, qui permettrait d’être informé de l’adaptation du mis en examen en milieu carcéral, des conditions exactes de sa détention, de son isolement, des visites de sa famille, des événements importants de sa vie familiale. Il arrive que l’on prévoie un interrogatoire deux jours après l’annonce d’un décès, d’une maladie grave dans la famille ou d’une rupture conjugale faisant suite à la détention. Ce sont là de très mauvaises conditions pour un interrogatoire et qui sont inhumaines pour le prévenu. Il conviendrait donc que nous en soyons informés. De même, s’agissant de l’état de santé, sans que soit violé le secret médical, il serait utile que nous sachions si la personne est suivie régulièrement et si elle pose problème. Il serait également intéressant que nous soyons informés du suivi psychologique, ainsi que des démarches réelles en vue d’une désintoxication pour ce qui concerne les toxicomanes.

Parmi les solutions auxquelles on peut réfléchir, l’on pourrait envisager une solution alternative et plus souple des sorties sous escorte.

Je rejoins M. Parlos pour ces propositions concernant la réduction du délai de la détention provisoire. Il conviendrait, ce qui serait une des meilleures choses, que nous disposions de moyens supplémentaires pour que les enquêtes se réalisent plus vite, que la police soit plus nombreuse à traiter nos dossiers, que nous ayons peut-être chacun moins de dossiers en cours, puisque chaque juge d’instruction sur le territoire national traite environ 130 dossiers, ce qui est très lourd, et que nous obtenions des moyens accrus pour réaliser des expertises plus rapides. Comme vous le savez sans doute, les experts sont fort mal payés ; nous avons beaucoup de mal à trouver des experts techniques, psychologiques ou médicaux. Voilà ce que je puis dire aujourd’hui sur les conditions de détention du point de vue de l’instruction.

M. le Président : Monsieur Parlos, après vous être inquiété de la formulation retenue par la résolution concernant la détention provisoire, vous nous avez finalement confortés dans notre sentiment sur l’usage abusif de la détention, à la condition évidemment que cette notion d’usage abusif ne soit pas imputée à une seule catégorie de responsables ou de fonctionnaires ; car si nous prenons l’ensemble des données que vous avez exposées avec beaucoup de franchise, on s’aperçoit que cela ne fonctionne pas comme il conviendrait dans une démocratie. Il est important que nous soyons d’accord sur ce point. Nous ne mettons pas en cause tel corps de fonctionnaires ou de magistrats, mais il est vrai que cela ne peut pas durer ainsi. Chacun a ses responsabilités pour changer les choses. Je vous remercie de vos propos et des critiques fortes et positives que vous avez portées sur l’ensemble du système. C’est l’ensemble du système qui est en cause, non tel ou tel magistrat ; le problème est plus vaste.

Je voudrais, en premier lieu, savoir quelle est la représentativité de votre association, dont vous avez indiqué d’entrée de jeu qu’elle était professionnelle ?

Quel regard portez-vous sur l’évolution de notre droit pénal et notamment sur l’allongement des peines ?

Comment abordez-vous la question de l’incarcération des mineurs ? Nous avons visité beaucoup de prisons ; c’est un problème excessivement délicat et douloureux. Enfin, nous l’avons constaté au cours de nos visites dans les prisons, il y a des personnes incarcérées qui sont quasiment démentes. Quel comportement avez-vous en face de ces personnes, non pas formellement, mais dans la réalité profonde ?

M. Jean-Baptiste PARLOS : Sur le problème de la représentativité de notre association, tout est relatif. Il est vrai que les cotisants ne sont pas nombreux et représentent 30 % des magistrats instructeurs, mais les sympathisants le sont davantage, puisque, au cours des assemblées générales que nous tenons régulièrement, ils représentent 50 % des magistrats en comptant les personnes présentes et celles qui nous envoient des pouvoirs, étant observé que notre association compte des personnes qui appartiennent, soit au syndicat national de la magistrature, soit à l’union syndicale des magistrats. D’autres encore sont dépourvus d’appartenance syndicale.

S’agissant de la question de l’évolution du droit pénal, je ne parlerai pas du droit pénal en lui-même si ce n’est pour préciser qu’il serait bon que l’on ne prévoit pas à chaque nouveau texte une disposition pénale nouvelle. C’est une incidente. Je veux davantage évoquer la procédure pénale. Je fais le compte des réformes intervenues depuis 1980 pour m’apercevoir que l’on arrive à peu près à douze ou treize réformes de la procédure pénale. Il y a de quoi rendre chèvre un magistrat, un avocat et même le justiciable, car nous ne travaillons pas pour les avocats ni pour les magistrats, mais pour les justiciables. Je pense donc qu’un système réformé douze ou treize fois en l’espace de vingt ans est un système qui n’a plus d’avenir. L’association française des magistrats chargés de l’instruction estime que la première solution pourrait être d’arrêter les réformes successives et, en tout cas, de donner les moyens, en l’état actuel du droit, aux magistrats de les appliquer, sachant qu’une réforme met environ sept ans à être appliquée, sept ans étant le temps nécessaire pour que la jurisprudence de la cour de cassation soit fixée. Pendant sept ans, on est dans un système où "l’on ne sait pas", parce que les jurisprudences des chambres d’accusation comme celles de la cour de cassation ne sont pas fixées.

Je prends l’exemple criant de la notification des droits en garde à vue. Pendant longtemps, certaines chambres d’accusation ont considéré que l’on pouvait notifier ces droits dans un temps relativement long après l’interpellation alors que certaines autres ont considéré qu’il fallait les notifier de suite. Certains dossiers ont été considérés valables et les personnes jugées, d’autres ont été invalidés et les procédures ont été annulées. Il existe un délai entre la loi et son application.

Outre la première solution, qui consiste à figer un peu le système et à donner aux magistrats, aux avocats, la possibilité d’appliquer les textes, il existe une seconde solution qui consisterait à réformer globalement le système de façon organisée, en définissant des objectifs : reste-t-on dans un système inquisitoire ? Passe-t-on à un système plus accusatoire avec un parquet conduisant l’enquête, un juge qui la contrôle et un tribunal qui juge ? C’est un peu le système ambiant. Il faut également que l’on donne, après avoir défini les orientations, les moyens de leur application.

Voici le regard que je porte sur l’évolution de la procédure pénale. Un système réformé de façon aussi régulière ne peut plus fonctionner. Je me référais ce matin à l’article 144 du code de procédure pénale. Il fait l’objet de modifications législatives tous les quatre mots ; tous les quatre mots, on trouve : loi n° tant, telle date. Et l’article fait quatre alinéas ! C’est la preuve d’une vraie difficulté.

Sur le problème de l’allongement des peines, je serai un peu plus court, car tel n’est pas notre domaine. Cela relève des juridictions de fond et des juges de l’application des peines. Je puis seulement vous livrer mon expérience d’assesseur à la cour d’assises, car être juge d’instruction, c’est tout d’abord être juge du tribunal, c’est-à-dire juge au tribunal civil, juge au tribunal correctionnel et juge à la cour d’assises. Il faut rappeler que nous occupons également ces fonctions.

Sans violer le secret du délibéré, des discussions que l’on peut avoir avec les jurés qui représentent le peuple français ressortent deux tendances : une tendance très hostile à des peines relativement longues et une tendance opposée favorable à des peines relativement longues et sévères, et en tout cas exécutées jusqu’à leur terme. C’est un petit peu ce que nous ressentons. Pour vous livrer mon sentiment personnel et ma conviction, je crois que si on veut casser quelqu’un et lui faire perdre tout espoir, il faut le condamner à une longue peine d’emprisonnement. Quand il m’est arrivé de participer à des délibérés ou de discuter avec des jurés, j’ai toujours expliqué cette position : peut-être les faits sont-ils graves, mais il faut faire attention à l’avenir et à la personnalité de celui que l’on condamne, car on juge non seulement des faits, mais également des personnes. On ne peut casser définitivement l’avenir d’un homme. C’est une conception presque philosophique qui m’anime. Cela dit, je sais qu’il existe d’autres tendances, et qu’un certain nombre de personnes souhaitent que la peine prononcée soit exécutée de la manière la plus ferme possible et qui réclament l’emprisonnement à vie pour certains faits.

Voilà ce que je puis vous dire sur l’incarcération et sur la longueur des incarcérations, à titre personnel puisque cela ne relève pas de mon champ de compétences professionnel.

Sur la question de la détention des mineurs, problème très compliqué, je dirai que si l’on pouvait l’exclure de façon quasiment systématique, nous en serions tout à fait heureux. La seule difficulté réside dans le fait que nous ne disposons pas des structures permettant l’accueil des mineurs en difficulté ni l’accueil des mineurs délinquants, car placer les mineurs délinquants et récidivistes dans des foyers classiques met souvent en danger la situation du foyer. C’est pourquoi ont été créées les unités éducatives à encadrement renforcé, mais celles-ci restent en nombre insuffisant. J’ai récemment placé sous contrôle judiciaire un mineur et j’ai, dans le même temps, pris une ordonnance de placement provisoire dans un foyer. Au bout de dix jours, on m’a appelé pour me dire que le foyer était en train de fermer. J’ai demandé ce qu’il fallait que je fasse, ce à quoi les responsables du foyer m’ont répondu qu’ils n’avaient pas de solution à me proposer. J’ai alors changé mon ordonnance de contrôle judiciaire et j’ai mis un terme à l’ordonnance de placement provisoire dans le foyer. J’ai envoyé l’intéressé chez sa mère, ce qui n’était pas forcément la meilleure solution, et cela n’a d’ailleurs pas manqué : il a commis d’autres infractions, qui m’ont conduit à révoquer son contrôle judiciaire, et donc finalement à le placer en détention provisoire.

Pour éviter la détention des mineurs, il conviendrait de développer de façon massive les structures éducatives permettant leur accueil ; si l’on proscrit la détention des mineurs, il nous faut absolument disposer de moyens alternatifs.

S’agissant de l’évolution psychiatrique des détenus, quel aspect souhaitez-vous que j’aborde ?

M. le Président : Lors de nos visites, nous avons rencontré des personnes présentant des troubles psychiatriques. Comment appréciez-vous ces cas et quelles solutions envisagez-vous en tant que juge d’instruction ?

M. Jean-Baptiste PARLOS : Les psychiatres déclarent de moins en moins des personnes "en état de démence au moment des faits" pour reprendre une phrase datant d’avant le nouveau code pénal, qui dit mieux l’état des choses. Il fut un temps où les experts psychiatres arrivaient souvent à cette conclusion, ce qui est, aujourd’hui, de plus en plus rare. Ils nous expliquent, ce qui est un peu mystérieux pour nous, que cela correspond à une évolution de la psychiatrie : ils estiment qu’il reste toujours une once de libre arbitre dans l’individu, qu’il est très rare qu’une personne soit hors de sa raison, ou soit atteinte de troubles ayant totalement aboli son discernement. N’étant pas psychiatres, nous sommes subordonnés à leur avis. Dès l’instant où le psychiatre nous indique que la personne en question a une responsabilité pénale ou que sa responsabilité pénale n’est pas abolie par les troubles dont elle est atteinte, nous n’avons pas les moyens de dire le contraire. C’est souvent le cas dans les affaires graves de violence, dans les affaires criminelles. La personne est en détention, ce qui explique que des personnes en détention ont des troubles graves de la personnalité, troubles jugés graves par l’expert, mais insuffisamment graves pour considérer que son discernement ait été totalement aboli au moment des faits. Nous pouvons apprécier, demander une contre-expertise, mais nous ne sommes pas juges, car nous ne sommes pas psychiatres et ignorons l’état de l’intéressé au moment des faits, car telle est la question posée par le code pénal : l’intéressé a-t-il eu, au moment des faits, de par ses troubles, un discernement totalement aboli ?

Mme Sophie-Hélène CHATEAU : Une fois l’expertise réalisée, on constate un déséquilibre. Tout le monde le constate, y compris vous, au cours de vos visites. Même s’il n’a pas été jugé suffisant pour conduire à abolir tout discernement, un déséquilibre psychiatrique existe. Dès lors, se fait jour une grande carence de l’administration pénitentiaire en terme de moyens de suivi psychiatrique. Nombre de détenus, de toxicomanes, voire de déséquilibrés, souhaiteraient un suivi psychologique, même s’ils n’en expriment pas le souhait dès le début, mais ce n’est pas possible. Ceux qui le souhaitent attendent quinze jours, parfois un mois, avant de rencontrer le psychiatre et ils ne peuvent le voir que tous les dix ou quinze jours alors qu’ils auraient besoin d’un suivi une ou deux fois par semaine. C’est là un véritable problème. Ceux qui sont conscients de leur déséquilibre et qui voudraient se faire soigner ne le peuvent pas et ceux qui mériteraient d’être vus régulièrement par le psychiatre ne le sont pas suffisamment.

M. Jean-Baptiste PARLOS : Je reviens sur l’allongement de la durée des peines, car je crains de ne pas avoir été suffisamment clair : je ne suis pas favorable à des peines trop longues.

M. le Rapporteur : Madame, monsieur, j’ai écouté avec très grand intérêt votre intervention. Mais le ton que vous avez utilisé n’est pas tout à fait le même que celui dont vous usez dans un certain nombre de vos écrits ou publications. La dernière en date, que vous avez cosignée avec des organisations syndicales de policiers, portait sur votre analyse du projet de loi concernant à la fois la détention provisoire et sa durée, les mises en examen et les gardes à vue. Vous y faisiez une analyse très critique et même, à la limite, difficilement acceptable par le législateur. Le ton que vous utilisez n’est pas le même que celui que vous utilisiez à l’instant pour décrire votre fonction dont nous connaissons à la fois l’importance et la qualité. Je vous le dis, car j’ai été choqué par ces écrits et par la manière dont vous nous traitez, nous rédacteurs de la loi. Certes, nous avons des responsabilités, et notamment celle qui a conduit à modifier trop fréquemment le code de procédure pénale. Vous avez cité les douze modifications intervenues en quelques années.

Je vous rappelle que bien souvent, trop souvent d’ailleurs, ce n’est pas le législateur qui est à l’origine des modifications et que, sur ces douze demandes, pas une seule n’a été le fait du Parlement, mais bien des différentes équipes qui se sont succédé à la chancellerie. L’administration de la justice - dont vous faites partie -, notamment les cabinets ministériels, réclame trop souvent des modifications de la loi. Cette demande est-elle le fait de la base, c’est-à-dire des magistrats qui souhaiteraient une modification du code de procédure pénale pour améliorer leurs conditions de travail ou bien s’agit-il d’une sorte de lubie abusive qui fait que l’on change pour changer ? Je suis comme vous partisan d’une stabilité, car l’on constate aujourd’hui de graves difficultés dans l’application des textes.

Vous avez parlé des échanges et des dialogues avec l’administration pénitentiaire, vous avez décrit les difficultés que vous rencontriez. Madame, l’argument que vous avancez est particulièrement intéressant : vous ne pouvez visiter de prévenus en maison d’arrêt, car vous ne pouvez les rencontrer qu’en présence de l’avocat. C’est un argument incontestable. Cela vous empêche-t-il d’aller voir les conditions dans lesquelles sont retenus des prévenus en maison d’arrêt ? Nous en avons visité quelques-unes. Ces conditions sont parfois inacceptables. Etes-vous d’accord pour que l’on introduise cette notion que l’on appelle un peu abusivement "le numerus clausus" en maison d’arrêt et comment pourrait-il être géré ?

Monsieur Parlos, vous avez indiqué le peu de moyens alternatifs à la détention provisoire. Dans les écrits et publications de votre association, je n’ai pas trouvé de propositions concernant ces moyens alternatifs. Avez-vous réfléchi à cette question dans le cadre de votre association ? Si oui, pouvez-vous nous faire part de vos réflexions ?

M. Jean-Baptiste PARLOS : Je répondrai tout d’abord au sujet de la loi sur la présomption d’innocence et plus particulièrement sur le ton de nos écrits.

S’agissant de la réforme de la détention provisoire, nous avons formulé des critiques et présenté une proposition, celle du tribunal de la détention ; concernant la procédure pénale en elle-même - je ne parle pas de la détention provisoire mais du déroulement de l’instruction et du procès pénal - il est possible de tout voter ; encore faut-il donner au juge les moyens d’appliquer les textes. Je le dis très sereinement, mais très fermement : on ne peut accroître sans cesse les obligations du juge en lui confiant le même nombre de dossiers et en ne déployant pas les moyens suffisants pour que les obligations prévues par le législateur soient appliquées normalement. Telle est notre question et notre difficulté. En l’état du texte sur la présomption d’innocence, il faudrait largement diminuer le nombre de dossiers d’instruction par juge, car la question soulevée est bien celle des moyens. Le législateur est souverain pour voter les textes qu’il veut. Nous vous mettons simplement en garde : si vous votez ces textes, cela engendrera telle contrainte, cela nous posera telle difficulté ou telle autre d’efficacité, car la procédure pénale c’est le respect des droits de la personne mise en examen, mais aussi des droits de la victime et de l’efficacité de l’enquête. C’est ce que nous avons voulu dire ; nous n’avons pas voulu en cela porter atteinte à la fonction législative.

M. le Rapporteur : Il n’en reste pas moins que vous avez écrit que l’objectif de la loi sur la présomption d’innocence était d’empêcher les délinquants d’être jugés. Est-ce un langage abusif de votre part ou bien une erreur d’interprétation de la mienne ?

M. Jean-Baptiste PARLOS : Je ne suis pas certain que ce soit exactement les termes qui figurent dans le document que vous évoquez. Mais si tel était le cas, peut-être l’avons-nous formulé maladroitement, car nous souhaitons nous faire entendre, ce qui n’est pas toujours facile par rapport à d’autres professions. En tout cas, s’il est toujours possible de voter toutes les dispositions que l’on veut, il faut avoir - tel est notre souhait - le sens de l’équilibre, autrement dit savoir respecter le droit des personnes en même temps qu’avoir le souci de l’efficacité des enquêtes en donnant au juge et à ses collaborateurs les moyens de les mener dans l’application du droit positif.

S’agissant des moyens alternatifs, par exemple, en matière de contrôle judiciaire, je vous invite à relire l’article 138 du code de procédure pénale. C’est extraordinaire ! Vous avez l’impression que vous pouvez tout faire ! Le premier des moyens alternatifs serait de pouvoir assurer l’efficacité du contrôle judiciaire. Je cite un exemple : le contrôle judiciaire permet d’assigner une personne à résidence, c’est-à-dire qu’elle ne sort pas de chez elle, sauf pour se rendre à son travail ou pour les besoins de la vie courante. Je viens, dans le cadre d’un dossier, de placer quelqu’un sous contrôle judiciaire et de l’assigner à résidence en province, car je suis juge d’instruction à Paris. Je ne dispose d’aucun moyen de vérifier que cette obligation est respectée. Certes, j’ai appelé la brigade de gendarmerie locale en lui signalant que je lui avais envoyé copie de mon ordonnance de placement sous contrôle judiciaire. Je lui ai indiqué que la personne dépendait de son ressort et lui ai demandé si elle pouvait vérifier de temps à autre si mon contrôle judiciaire était exécuté. Le commandant de brigade, très gentiment, m’a répondu qu’il le ferait, mais il a également ajouté que lui et ses hommes étaient très chargés.

Le premier point consiste donc à assurer l’efficacité de la mesure alternative.

Deuxième point : existe-t-il d’autres mesures alternatives que le contrôle judiciaire ? On a parlé du bracelet électronique. C’est un moyen utilisé efficacement dans d’autres pays. Pourquoi pas ? Encore faut-il avoir les moyens, là encore, de le mettre en application.

Faut-il réduire les délais de détention provisoire ? Cela me paraît nécessaire et utile. Pour les réduire, il suffit d’augmenter le nombre de magistrats et le nombre de formations appelées à juger les crimes et les délits. Ce sont là des moyens peu compliqués en même temps que des moyens alternatifs, qui en tout cas par leur nature, permettent d’éviter la détention provisoire, ou d’en limiter la durée.

S’agissant des mineurs, j’ai rappelé qu’il faudrait pouvoir disposer de structures éducatives suffisamment efficaces et aptes à recevoir des mineurs en danger, car un mineur délinquant, c’est, tout d’abord, pour moi, un mineur en danger. Nous pourrions éviter de la sorte de nombreuses incarcérations. Les mesures alternatives sont assez simples, mais, comme toutes mesures, elles nécessitent des moyens. Je crois savoir, mais je me trompe peut-être, que le Parlement vote aussi le budget !

M. le Président : J’ai été inquiet d’entendre M. Floch reprendre la phrase "empêcher des délinquants d’être jugés." Vous écoutant, je me disais que vous étiez plus humains. Sans vouloir mener une enquête, je pense que ce n’est pas vous qui avez dit cela, mais l’association à laquelle vous appartenez.

Vous n’avez pas dû lire la dernière page de la publication de votre syndicat, qui comporte une phrase qui me terrifie : "Le titre du projet n’est qu’un habillage terminologique destiné à camoufler l’objectif réel de ses rédacteurs : empêcher les délinquants d’être jugés." L’expression est certainement différente de ce que vous pensez. Vous rendez-vous compte de cette phrase : "Empêcher des délinquants d’être jugés." ! On peut avoir des appréciations différentes sur le projet de loi, mais je ne pense pas que ce soit ce que vous pensiez au fond de votre c_ur.

M. Jean-Baptiste PARLOS : Ce n’est pas du tout ce que nous pensons.

M. le Président : Merci de me le dire.

M. Jean-Baptiste PARLOS : Nous pensons que l’effet combiné de dispositions nouvelles complexes et de l’absence de moyens suffisants conduiraient - je souligne le conditionnel - à de réelles difficultés dans l’identification et dans le jugement d’auteurs d’infractions.

M. le Président : Ainsi que vous le savez, au commencement était le verbe ! Après le verbe, viendront les moyens !

Mme Sophie-Hélène CHATEAU : Pour être plus clairs sur cette difficulté à juger, j’ajouterai que les possibilités d’actes complémentaires ouverts aux avocats conduiront également à un contentieux plus élevé encore de requêtes en nullité qui nous affectent déjà beaucoup. Il est tout à fait normal de soulever des clauses pour nullité dans les dossiers, c’est incontestable, mais il faudrait que les requêtes soient examinées par les chambres d’accusation dans des délais raisonnables, ce qui n’est absolument pas le cas à l’heure actuelle. Pendant ce délai d’attente d’audiencement par la chambre d’accusation, elle nous demande de suspendre les instructions pour quasiment tous les dossiers. C’est dire que si elle met quatre mois à statuer sur une requête en nullité, pendant quatre mois, il ne se passe rien pour personne. Ni la police, ni nous-mêmes ne pouvons poursuivre l’instruction. C’est un point très important qu’il faut souligner et que nous visions dans cette petite phrase certainement fort mal rédigée.

M. le Président : Merci de nous le dire, cela nous rassure.

M. Hervé MORIN : Lorsque nous parlons avec certains de vos collègues magistrats en tête-à-tête, ils nous disent que le volume élevé des détentions provisoires naît de la pression à la fois de l’opinion publique et des officiers de police judiciaire. Ce qui veut dire que si l’on ne place pas en détention provisoire, les gendarmes ou les policiers s’étonnent que le fautif qu’ils ont arrêté ne se trouve pas en prison. Quelle est votre opinion ?

Que pensez-vous du procès que l’on vous intente régulièrement d’user de la détention provisoire pour obtenir des aveux ? On l’a vu dans un certain nombre de cas, notamment pour les délits financiers. Tous les avocats disent que le magistrat instructeur utilise la détention provisoire, car il estime que le coupable qui ne dit pas la vérité avouera après avoir séjourné quelques semaines en prison. Est-ce là un moyen adapté dans un Etat de droit ?

Je reprends maintenant la question de M. le Rapporteur à laquelle vous n’avez pas répondu. Tous les directeurs d’établissements pénitentiaires que nous rencontrons nous disent que les magistrats sont quasiment absents des établissements pénitentiaires. Comme le relevait Mme Château, je conçois que l’on ne puisse visiter le détenu, mais il y a un pas entre voir le détenu dont on s’occupe et se rendre régulièrement dans les établissements pénitentiaires. Hormis la période de stage de quinze jours ou trois semaines que vous effectuez dans le cadre de l’Ecole nationale de la magistrature, au cours duquel vous faites un travail de surveillant ou d’éducateur, vous n’y mettez ensuite quasiment plus les pieds, excepté pour des visites de château ! Je voudrais que vous m’expliquiez cet état de fait.

Nous avons lu dans la presse la semaine dernière que l’observatoire international des prisons estimait que, grâce à la récente loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, un certain nombre de faits liés notamment aux procédures disciplinaires engagées dans les prisons allaient pouvoir faire l’objet d’une défense par un avocat. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons tous relevé, soit lors de visites, soit au cours de rencontres, la longueur de l’instruction. On constate que les personnes dans les maisons d’arrêt passent un temps extrêmement long en détention provisoire pour des crimes ou des délits parfaitement identifiés, où l’aveu a été effectué. On ne comprend pas pourquoi ces personnes, qui peuvent encourir des peines longues, voire très longues sont encore dans des maisons d’arrêt et pourquoi le jugement n’a pas encore eu lieu. A cette question, vous avez déjà répondu.

Ma dernière question concerne les toxicomanes ; elle est également valable pour ceux qui sont atteints de maladies psychiatriques. La question n’est pas tant de déclarer une personne en état de démence au moment des faits, elle est de savoir si la prison est bien la place où doivent se trouver ces personnes. Même si elles ne sont pas démentes au moment du crime ou du délit, peut-on les laisser huit ou dix ans en prison ? La question se pose dans les mêmes termes pour les toxicomanes. Un toxicomane est certes une personne qui consomme des produits, mais c’est aussi quelqu’un qui deale, puisque, pour consommer, il faut vendre. La place d’un toxicomane est-elle bien en prison ? Est-il intelligent de placer un toxicomane en détention provisoire et de le soumettre à des conditions qui risquent davantage de l’abîmer que de le restaurer ?

M. Jean-Baptiste PARLOS : Concernant la première question relative à la pression de l’opinion publique et des enquêteurs sur la décision de placer en détention provisoire, je vous renvoie à la loi : la détention provisoire doit être l’unique moyen d’apaiser le trouble à l’ordre public. C’est ce qui figure dans la loi. Si l’on veut supprimer ce critère, il faut le faire, mais il convient de savoir que nous prenons une décision sur la base des réquisitions du procureur de la République qui défend les intérêts de la société, donc les vôtres, et de la plaidoirie de la défense. Souvent, des réquisitions ne sont fondées que sur le trouble à l’ordre public, car tel est le critère figurant dans la loi. Son application a été limitée lors de dispositions récentes, mais, en tant que magistrats qui appliquons la loi, c’est là un critère que nous devons prendre en compte.

En règle générale, il est extrêmement rare qu’une décision de placement en détention provisoire soit prise sur ce seul critère. Je ne puis m’engager au titre de mes collègues, mais c’est personnellement mon cas. Cela dit, il est bien évident qu’à partir du moment où la loi prévoit la mise en détention et si la détention provisoire est l’unique moyen d’apaiser le trouble à l’ordre public, nous nous devons de prendre en considération le trouble à l’ordre public.

Pour ce qui est des policiers, je vous exposerai clairement ma pratique, dont je pense qu’elle est également celle d’un certain nombre de mes collègues. Lorsqu’ils identifient une personne comme étant l’auteur d’un délit, alors même que nous devons pour notre part la considérer, selon la loi, comme innocente, ils souhaiteraient que des mesures coercitives soient prises immédiatement. Dans les cas où nous ne prenons pas ces mesures, j’ai coutume de les appeler pour leur en expliquer les raisons. Rien n’est plus désagréable pour quelqu’un qui a accompli des actes d’enquête compliqués, qui s’est donné dans son enquête, d’apprendre par une autre voie une décision qu’on ne lui a pas expliquée. Je considère les policiers et les gendarmes comme mes collaborateurs et je leur explique pourquoi je ne prends pas une décision de détention provisoire. Il est vrai que cela "remue" parfois, mais nous assumons notre rôle de magistrat. C’est en cela que notre fonction est importante. Nous sommes des enquêteurs indépendants. Nous ne sommes pas à la botte ou à la disposition du procureur de la République ou des services de police. Quelqu’un qui souhaite exercer ses fonctions en toute indépendance doit être indépendant tout aussi bien vis-à-vis de l’accusation que de la défense. Dès lors, s’il estime en conscience que la personne ne doit pas être placée en détention, il ne l’y place pas.

Il y a peu, à l’issue d’un débat contradictoire, je n’ai pas placé une personne en détention. On entend souvent dire que le débat contradictoire ne sert à rien. Ce n’est pas vrai ; il arrive ainsi que nous ne placions pas une personne à l’issue d’un débat contradictoire. Le lendemain, j’ai été appelé par la victime. Je me suis fait vertement tancer. Je lui ai expliqué les raisons de ma décision. Il s’agit là de notre rôle, notre responsabilité.

Sur la détention utilisée comme moyen de pression, je ne vous dirai pas que cela n’a jamais existé. Il faut quand même savoir que l’enquête pénale a changé de visage. L’aveu n’est plus la reine des preuves, notamment en matière financière. En matière financière, nous travaillons sur des documents, sur des comptes, sur des éléments papiers. Il en va de même dans les affaires de banditisme. On travaille aussi sur les tests d’ADN, les téléphones portables, plus souvent qu’auprès des personnes placées en garde à vue ou celles en détention provisoire qui ne disent rien ou contestent leur responsabilité pénale. Je ne vous dirai pas que cela n’a jamais existé, mais il serait totalement illusoire de fonder une enquête et une instruction sur une détention utilisée comme pression.

Concernant l’absence des magistrats des établissements pénitentiaires, je vous livrerai mon expérience. Je suis magistrat instructeur et à Paris depuis deux ans et demi. Je me suis rendu une fois en 1998 à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, car, m’occupant de mineurs, j’ai visité le quartier des mineurs, et une fois à la maison de la Santé le 27 décembre 1999. Soit deux fois en deux ans, ce qui est grandement insuffisant si on veut faire autre chose que des visites de château, comme vous le dites !

Je pense, en effet, qu’il faudrait que nous nous rendions plus souvent dans les maisons d’arrêt et dans les maisons centrales. Malheureusement, jusqu’à preuve du contraire, les journées ne font que vingt-quatre heures. Au vu de la somme de travail qui nous est demandée, du nombre de dossiers dont nous sommes chargés, il nous est très difficile de dégager du temps pour nous rendre régulièrement dans les établissements pénitentiaires. Sans doute est-ce la seule explication que nous puissions vous donner, en étant tout à fait d’accord avec vous sur l’utilité de nous déplacer plus souvent pour visiter les maisons d’arrêt ou les centres de détention. Cela nous permettrait tout d’abord de rencontrer les gens, notamment les personnes qui exécutent notre mandat de dépôt.

S’agissant de la procédure disciplinaire, la prison, tout respect gardé pour les personnels de l’administration pénitentiaire, est une zone de non-droit. La personne est seule face à quelqu’un qui prend une sanction. Nous sommes tout à fait favorables à la présence de l’avocat au prétoire, si c’est pratiquement réalisable - et nous le pensons.

J’ai la curiosité de lire les rapports d’incidents qui me sont envoyés par les maisons d’arrêt et les sanctions prononcées. En l’occurrence, s’applique le principe de la légalité des délits et des peines, de la légalité des fautes et des sanctions disciplinaires. Or parfois, je ne comprends même pas le libellé de la faute ; j’appelle alors la maison d’arrêt pour de plus amples informations ; on m’indique alors ce qui s’est passé précisément. C’est là une zone où le droit également doit entrer. Ce n’est pas du tout une remise en cause, une suspicion portée à l’encontre des personnels de l’administration pénitentiaire. Je dis que c’est un domaine important pour le détenu. Le détenu provisoire est présumé innocent ; le détenu condamné, s’il n’est pas privé de ses droits, a le droit d’être défendu. La présence de l’avocat nous semble donc nécessaire en ces lieux. Reste le problème des moyens.

J’en viens à la dernière question : les toxicomanes sont-ils bien en prison ? Sûrement pas. Ainsi que vous l’avez très bien souligné, parfois, les mêmes personnes sont usagers et trafiquants. Malheureusement, c’est le quotidien de nos dossiers : trafic de stupéfiants et étrangers en situation irrégulière sur le territoire, soit parce qu’ayant déjà été condamnés à une interdiction sur notre territoire, soit parce qu’ayant déjà fait l’objet d’une décision administrative d’expulsion ou de reconduite à la frontière. Dans l’hypothèse où la personne est à la fois usager, dealer et trafiquant - des comparses sont donc dans la nature - et en situation irrégulière sur le territoire - c’est le cas le plus fréquent - il est difficile de laisser la personne en liberté. S’il existe une autre solution, nous l’adopterons, mais, pour l’heure, tel n’est pas le cas.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Une remarque et une question.

La remarque : je trouve normal que s’expriment des points de vue, même s’ils sont divergents de ceux de la majorité qui légifère. Le fait que nous soyons un certain nombre à penser que la loi sur la présomption d’innocence est un point d’équilibre précaire qui ne règle pas définitivement un certain nombre de questions est un propos légitime et je ne vois pas pourquoi notre rapporteur s’émeut outre mesure que l’idée en soit exprimée, qui plus est par des organisations professionnelles, car le problème des moyens évoqués est une juste revendication. Le juge de la détention n’aura pas le temps ou la vraie possibilité de se replonger dans l’intégralité d’un dossier. La collégialité serait préférable. Or qui dit "collégialité" d’une décision dit a fortiori des moyens supplémentaires.

M. le Rapporteur : Je ne m’émeus pas, je m’indigne !

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Eh bien, je suis choqué que, dans le cadre d’un débat parlementaire et d’une commission d’enquête, tous les propos ne puissent pas être tenus. On n’est pas forcé de les partager, mais tous les propos sont légitimes.

M. le Rapporteur : Les miens également !

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Bien sûr. La clarification nécessaire vis-à-vis de nos concitoyens du rôle des différents partenaires de la procédure judiciaire avec la meilleure séparation possible entre l’enquête et le jugement de l’instruction suscite le débat. C’est pourquoi des magistrats, des élus, des analystes de la situation de notre pays considèrent que nous sommes entre deux eaux et qu’il faudra un jour procéder à une clarification. Il n’est donc pas choquant d’entendre ce genre de propos. En tout cas, je voulais préciser que cela ne choque pas un certain nombre des parlementaires présents au sein de la commission d’enquête.

S’agissant du travail qui nous réunit, pensez-vous nécessaire qu’intervienne une forme de spécialisation des établissements pénitentiaires adaptée à la nature des détenus affectés ? En effet, selon la nature de leur infraction, du crime ou du délit qu’ils ont commis, et bien évidemment, dans l’idée d’une future réinsertion - ce qui n’est pas toujours possible - pensez-vous qu’il y ait des cohabitations non souhaitables ? Pensez-vous nécessaire de se diriger vers une spécialisation des établissements ?

M. Jean-Baptiste PARLOS : C’est une question difficile, que je traiterai en évoquant tout d’abord les mineurs. Si l’on conserve la possibilité d’incarcérer un mineur, il faut absolument des établissements pénitentiaires spécialisés. Je vous parlerai du quartier "mineurs" de Fleury-Mérogis. En fait, il existe deux quartiers : celui des moins de seize ans - que l’on peut incarcérer - et celui des plus de seize ans.

Au quartier des mineurs de moins de seize ans, il y a un surveillant extraordinaire. Peut-être l’avez-vous rencontré ; si ce n’est pas le cas, peut-être pourriez-vous le voir. Il est plus éducateur que surveillant, bien qu’étant surveillant et n’ayant pas reçu de formation d’éducateur. Il a fait du quartier des mineurs de moins de seize ans, non un havre de paix, mais, en tout état de cause, un lieu où les jeunes garçons bénéficient de conditions de détention à peu près convenables.

M. Julien DRAY : Ce n’est pas si idyllique que cela !

M. Jean-Baptiste PARLOS : Non, mais comparé au reste, ce n’est pas si mal !

En revanche, dans le quartier des plus de seize ans, c’est la jungle. Il est absolument nécessaire de disposer d’établissements spécialisés dans l’accueil des mineurs, mais ce serait une erreur d’avoir des établissements spécialisés pour les mineurs, où l’on regrouperait six cents, sept cents jeunes. Je force un peu le trait !

M. Hervé MORIN : Il faut des petites structures.

M. Jean-Baptiste PARLOS : Oui, des petites structures, ce dont nous ne disposons pas. C’est là une vraie difficulté.

J’en arrive aux autres spécialisations, par type d’infraction : quand on incarcère une personne à qui l’on reproche des faits à caractère sexuel, on le jette souvent dans la fosse aux lions. Au sein des établissements pénitentiaires, la spécialisation par infraction comporte sept catégories. A la maison d’arrêt de la Santé, il existe des spécialisations par infraction, par origine ethnique, par langue... C’est une question difficile, qui peut se poser. Pour certaines infractions, il faudrait spécialiser les centres, du moins les quartiers. C’est en ce sens que nous pouvons vous répondre.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr