Présidence de M. Louis MERMAZ, Président, puis de Mme Christine BOUTIN, Secrétaire

Mmes Chantal CRETAZ et Liliane CHENAIN sont introduites.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mmes Chantal Cretaz et Liliane Chenain prêtent serment.

Mme Chantal CRETAZ : Notre association a été fondée en 1932 et reconnue d’utilité publique en 1951. Elle a pour but de fédérer les visiteurs de prison, dont la mission est, selon le code de procédure pénale, "d’aider moralement et matériellement les détenus et leur famille pendant la période de détention et d’aider les détenus à préparer et à réussir leur réinsertion sociale lors de leur libération."

L’ANVP a signé une convention de partenariat avec l’administration pénitentiaire en 1995.

Nous comptons 1 400 membres bénévoles, citoyens ordinaires, qui visitent régulièrement des détenus qui en font la demande auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Tout détenu peut rencontrer un visiteur. Nous sommes présents dans la plupart des établissements.

Nous rencontrons des femmes et des hommes, non pas des délits, puisque nul ne peut être réduit à un acte, qu’il soit bon ou mauvais. Par une présence gratuite, par l’attention à une vie, par l’écoute, nous souhaitons permettre à la personne de reprendre pied dans son histoire, de renouer avec l’acte et ouvrir un avenir.

Nous sommes attachés à l’idée que la réparation est plus utile aux victimes et aux délinquants que la punition seule et qu’elle est davantage porteuse de sens pour l’ensemble de la société. Nous constatons combien la prison est une expérience catastrophique, dégradante, limite, parfois avilissante, très souvent effectuée dans des conditions inhumaines d’irrespect de la personne et de son intégrité.

Dans les prisons de ce pays, le respect des personnes passe après les obligations de sécurité. Parler de la situation dans les prisons françaises ne peut, bien entendu, se réduire aux conditions de détention relatives à la salubrité, à l’hygiène des bâtiments ; c’est aussi prendre en compte tout ce qui a trait à la considération des personnes incarcérées, à leur état et à leur avenir, à la vie relationnelle des personnes et des personnels, au sens que la sanction trouve dans l’exécution de la peine pour la personne et la société.

Vous avez entendu de nombreux témoignages, visité des prisons. Nous ne reviendrons pas sur la crasse innommable de certains lieux, sur la dégradation des bâtiments, l’entassement, la promiscuité en maison d’arrêt et les violences qui s’ensuivent. Non pas que nous minimisions ces aspects, mais parce que vous en êtes déjà informés. "Oui..." disait un détenu "... en détention, la promiscuité, faire ses besoins devant les autres, la saleté, les fouilles à corps incessantes, c’est dégradant, mais quand je parle, parce que je suis détenu, personne ne veut me croire ; c’est cela le pire et l’insupportable."

Qui rencontrons-nous en prison ? Des personnes jeunes, de plus en plus jeunes, de plus en plus perturbées et instables, des personnes de plus en plus pauvres, dans un grand dénuement, qu’il soit affectif, économique, culturel, social ou médical.

Le rapport du groupe de travail sur l’amélioration des conditions de repérage et de prise en charge des personnes en situation d’indigence que l’administration pénitentiaire vient de faire connaître a mis huit ans pour voir le jour ! Difficultés d’accord sur la définition du mot "indigence". Le constat est qu’un détenu sur cinq est illettré, 20 % des détenus sortent avec moins de cinquante francs en poche, 65 % des entrants étaient sans activité, dont 28 % en chômage indemnisé, avant d’y entrer. La pauvreté crée en détention un climat de danger majeur pour l’intégrité des personnes, soumettant les détenus les plus pauvres au trafic, au caïdat, aux pressions de toutes sortes.

L’incarcération aggrave l’indigence, empêche les aménagements de peine en raison du manque de lien et de soutien à l’extérieur. Les recommandations du rapport prennent en compte la multiplicité des indigences pour permettre de les diminuer en responsabilisant les personnes. Les plus démunis devraient être prioritaires pour le travail si leur santé physique et psychologique le permet. En effet, nous rencontrons des personnes en grande souffrance psychologique et mentale dont la place en détention est très contestable, car la prison est dans l’incapacité de les aider et de les soigner.

Mme Liliane CHENAIN : On constate un changement dans la population carcérale : 10 % des entrants en prison souffrent déjà de troubles mentaux selon le ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Selon trois syndicats de directeurs de prison, 40 % des détenus relèvent d’une prise en charge psychiatrique à des degrés divers, qui n’est plus assurée à l’extérieur. Le nombre d’accusés jugés irresponsables au moment des faits est passé de 16 % dans les années 1980 à 0,17 % en 1997. L’institution carcérale doit donc prendre en charge une population qui souffre de troubles mentaux, face à laquelle elle est particulièrement démunie. Ces détenus ont des conduites imprévisibles qui, portant atteinte au bon ordre de l’établissement, appellent une répression inadaptée à leur cas. Par ailleurs, les détenus ne bénéficient pas de l’accompagnement thérapeutique dont ils auraient besoin faute de personnel médical spécialisé. Ils peuvent rester de longs mois, voire de nombreuses années, sans soins appropriés. De plus, leurs difficultés relationnelles les empêchent souvent de travailler ou de s’insérer dans des dispositifs éducatifs, culturels et de formation. Ils cumulent de nombreux handicaps et la question de leur devenir se pose entièrement. Il nous semble donc indispensable d’interroger le milieu psychiatrique sur sa politique à l’égard des malades potentiellement violents et sur la manière dont sont conduites les expertises, le problème de la nécessité d’un procès symbolique du déroulement de la justice et de la prise en compte des dommages subis par les victimes n’exclut pas, qu’au terme de ce procès sans doute indispensable, les personnes puissent être soignées et prises en charge par des services compétents.

Mme Chantal CRETAZ : Notre association s’étonne de constater qu’à toutes sortes de délits, il n’est répondu que par une seule et même peine, dont seule la durée d’exécution varie. Comment expliquer en effet qu’à un crime, à des actes de petite délinquance, des atteintes aux personnes ou aux biens, des trafics illicites, corresponde une même sanction : la peine de privation de liberté, la prison ?

Manquons-nous à ce point d’imagination ou est-ce par paresse ? Ceci est grave, car cela compromet la clarté d’une sanction et la justesse de la peine, dont l’exécution n’aura pas de sens. Si tant de désespoir se manifeste en prison c’est que, de plus en plus fréquemment, les personnes ne comprennent pas la raison de cette incarcération. Elles commettent des délits, des crimes, mais se sentent profondément victimes d’un système, d’une société, d’une histoire. C’est la loi qui protège les innocents et les coupables de la vengeance. Encore faut-il que l’esprit de la loi s’entende dans la décision de justice, sinon la vengeance prend toute sa place - c’est ce que nous constatons -, l’inadéquation d’un acte et sa sanction poussant à la récidive. Ces détenus généralement subissent la détention et sortent brisés de l’épreuve, animés par un esprit de vengeance. C’est une question que nous devons nous poser : comment ne pas alimenter la fracture sociale en excluant des personnes en situation d’exclusion ? Comment la réparation est-elle envisageable dans un tel contexte ? Que veut-on faire de la peine de prison ?

La sanction devrait être accompagnée d’un projet positif pour le détenu. Aujourd’hui, il est encore impossible d’étudier et de travailler en même temps. Le détenu démuni qui veut travailler pour son pécule pour indemniser les victimes et gagner un peu d’argent pour mieux vivre en détention ne peut suivre des cours ou apprendre à lire. Il serait donc souhaitable, soit d’allonger la journée de vie en prison de quelques heures, - pourquoi la vie s’arrête-t-elle, comme dans les hôpitaux, à dix-huit heures ? - soit de rémunérer les personnes qui souhaiteraient suivre des cours, qu’ils soient de culture générale ou de formation. Comment peut-on expliquer le faible nombre d’heures d’enseignement dans les quartiers des mineurs ? Généralement, lorsque l’on parle de l’enseignement pour les mineurs, il ne s’agit que de quelques heures par semaine, bien en dessous du nombre d’heures prévues par l’Éducation nationale. À Bois-d’Arcy, quatre heures d’enseignement sont dispensées par semaine.

Par ailleurs, il existe des entreprises d’insertion qui peuvent assurer une formation professionnelle pendant la détention et embaucher pendant et après la période d’incarcération. Ces exemples sont à développer. Des entreprises classiques devraient être encouragées à créer un secteur d’insertion ou de réinsertion qui nécessite un investissement à l’accompagnement social.

Le travail est mal payé. Le travail interne à la prison, dit "service général", est le plus mal payé de tous. Des efforts sont annoncés. Il est important que le droit du travail s’applique aussi en prison. Le nombre d’heures hebdomadaires n’est pas respecté, sans bien entendu parler des trente-cinq heures. Peut-on laisser une certaine forme d’esclavage s’installer dans certains cas ? Puisque le droit du travail prévoit 2,5 jours de congé payés par mois, pourquoi les détenus ne seraient-ils pas payés à la fin de chaque mois ?

Les feuilles de salaire devraient être établies au nom de l’entreprise et non pas, comme encore aujourd’hui, sous le timbre de l’établissement. Cela devrait être vrai pour le travail général interne à la prison. Cela permettrait de rencontrer ultérieurement des employeurs avec des feuilles de salaires moins stigmatisantes. Il n’est pas acceptable de laisser des personnes dans l’inaction, l’inactivité, l’absence de projets pendant des mois, voire des années. Quel sens aurait alors préparer la sortie ? La formation est encore plus importante pour les longues peines, dont le nombre croît inexorablement et qui connaissent des problèmes spécifiques.

Mme Liliane CHENAIN : Vous nous demandez d’abord de dresser un état des lieux rigoureux et objectif de la situation des prisons françaises, d’examiner les conditions de détention et de formuler des propositions de nature à améliorer rapidement la situation dans les prisons françaises. Notre association souhaite que la commission d’enquête se penche sur ce que l’on appelle communément "les longues peines" et plus particulièrement sur les personnes condamnées ayant à subir une peine de réclusion criminelle à perpétuité et une période de sûreté obligatoire ainsi qu’une perpétuité incompressible.

Dans son livre "L’exécution" concernant celle de Buffet et de Bontemps, Robert Badinter cite maître Henri Torrès : "La mort du condamné c’est l’injustice à l’état brut, la seule, celle qui ôte à l’avocat même sa raison d’être, parce qu’elle est définitive, parce qu’il ne peut plus rien, parce qu’il ne pourra jamais plus rien. C’est le mur. Le mur lisse."

Pour les visiteurs de prison et les citoyens que nous sommes, attachés aux valeurs républicaines et à la déclaration des droits de l’homme, ces peines trop longues, qui transforment les prisons en mouroirs, sont inacceptables. Elles nous semblent contraires à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme qui précise : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Elle est également contraire à son esprit. Lors des débats qui eurent lieu en 1789, la question de savoir si les délinquants continuaient d’être détenteurs des droits s’était posée. La réponse fut claire : les droits de l’homme sont inaliénables, les remettre en cause c’est remettre en cause l’humanité de l’homme.

Remplacer la peine de mort par une peine qui consiste à détruire lentement l’intégrité physique et psychologique de la personne, incapable de se projeter dans l’avenir, sans espoir, progressivement abandonnée par ses proches, n’est-ce pas, en définitive, une autre barbarie qui témoigne du peu de confiance en l’homme et en sa capacité d’évoluer et de devenir meilleur ? Nous ne redirons jamais assez, pour les avoir accompagnés durant parfois de très nombreuses années, que des hommes qui entrent en prison criminels ne sont plus les mêmes après quelques années de prison. Que dire après quinze ans ? Rien ne remplacera jamais un enfant mort dans des conditions horribles. Pour autant, nous refusons de faire la distinction entre les vies qui ont été brutalement interrompues. Nous demandons, par conséquent, solennellement :

 Premièrement, que la période de sûreté soit facultative, non automatique et motivée dans le sens de l’individualisation de la peine ;

 Que la période de sûreté obligatoire dans le cadre d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité soit ramenée à quinze ans au lieu de dix-huit ans et que la possibilité d’une commutation de peine soit examinée systématiquement après cette période ;

 Que la possibilité d’allongement de la période de sûreté soit supprimée ;

 Enfin, que la perpétuité incompressible, loi de 1994, soit supprimée.

Cinq cent quatre-vingt dix-sept personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité cultivent en ce moment même, dans les prisons de la République, le désespoir, rejointes par les personnels qui en ont la charge, toutes catégories confondues de l’administration pénitentiaire que l’on condamne elle-même à l’impuissance.

Je souhaiterais maintenant aborder la question des liens familiaux et des parloirs.

Nous rappelons que les prévenus ont le droit d’être visités trois fois par semaine et les condamnés une fois. Les jours et les horaires des visites sont fixés par le règlement intérieur de l’établissement - article D 410 du code de procédure pénale.

En général, la durée des parloirs varie en maison d’arrêt de trente à quarante-cinq minutes pour les prévenus. Cette durée varie considérablement dans les centres de détention et dans les maisons centrales.

On s’accorde à reconnaître l’importance du maintien des liens familiaux comme facteur d’insertion et dans le but de prévenir la récidive. Toutefois, il ne semble pas que l’on veuille véritablement prendre en compte la difficulté des familles à se rendre en prison pour visiter leurs proches. Le temps passé dans les transports pour se rendre à l’établissement, la crainte qu’inspire le lieu, l’attente du moment de la visite, les sentiments mêlés de honte et d’échec, tout cela concourt à faire que ce sont les familles les plus "courageuses" qui fidélisent leur présence, mais, même si leur fidélité résiste un temps donné, à plus ou moins long terme, le temps s’avère être un bien mauvais allié. Tout d’abord, parce que la durée des parloirs, particulièrement en établissement pour peines, est laissée, malgré le règlement intérieur, à l’appréciation des équipes de surveillants, chargés des parloirs. Ces équipes s’arrogent le pouvoir de déterminer, à partir du règlement, la durée de la visite. Ainsi tel dimanche, avec telle équipe, l’on aura droit à deux heures ; une autre fois, à une heure.

Par ailleurs, les détenus ont à c_ur d’éviter à leurs familles les soucis et ils taisent le plus souvent leurs difficultés, persuadés aussi qu’elles ne pourront les comprendre. De la même manière, les familles ne veulent pas faire subir à leurs proches ce qui les préoccupe elles-mêmes et, au fil du temps, tout ce déficit de parole, ces non-dit accumulés font que l’on finit par ne plus avoir grand-chose à se dire ni à partager. On s’accordera volontiers sur le fait que les difficultés échangées tricotent davantage de liens que ne peut le faire la ronde ininterrompue des "ça va" et des "rien à signaler", conjugués à tous les temps. Parler et pouvoir véritablement exprimer les joies, les peines, voire les ressentiments, demandent du temps. Tout le reste n’est que bavardage et conversations formelles. Malgré quelques efforts dans certains établissements, nous appelons l’attention des membres de la commission sur le fait qu’avec peu de moyens mais une vraie volonté, on devrait pouvoir accorder aux familles et aux détenus des parloirs plus longs qu’ils ne le sont habituellement, une heure généralement admise en centre de détention prolongée de quarante-cinq minutes à une heure en cas de demande justifiée, ce qui éviterait la frustration et la rupture des liens familiaux, usés par le temps.

Cent vingt-cinq suicides ont eu en prison en 1999, dont vingt-deux au quartier disciplinaire, c’est-à-dire un sur six. Notre association souhaite une nouvelle fois appeler l’attention des membres de la commission sur le caractère profondément anxiogène de cette prison dans la prison. La réclusion au quartier disciplinaire, même réhabilitée comme le veut le ministère, ne correspond plus à une punition supportable pour la grande majorité des détenus, dont 45 % ont moins de trente ans.

La population carcérale est aujourd’hui particulièrement vulnérable, sans grands repères, présentant de nombreuses fragilités. Les détenus mis au quartier disciplinaire ont beaucoup de mal à donner du sens à la sanction infligée, la prison étant le plus souvent considérée comme sans véritable légitimité ni crédibilité. Ils se retrouvent seuls en tête-à-tête avec eux-mêmes. Cette confrontation, déjà difficile pour des personnes structurées, est insupportable pour celles qui ne le sont pas, d’où les nombreux passages à l’acte.

Nous avons exprimé le souhait que les visiteurs de prison puissent continuer à accompagner les personnes qui leur sont confiées quand celles-ci se trouvent placées au quartier disciplinaire. Toutefois, nous invitons fortement le ministère de la Justice, l’administration pénitentiaire, les responsables des établissements et les personnels à réfléchir sur les problèmes de discipline interne, de règlements clairement définis et contractualisés. Enfin, d’autres modes de coercition qui soient plus adaptés à notre époque devraient être envisagés. Il nous semble que tout ce qui pourrait se faire en termes de médiation ou de réparation présenterait de nombreux avantages, en particulier celui de privilégier la pédagogie par rapport à la répression.

Notre association souhaite également appeler l’attention des membres de la commission sur les problèmes que pose le maintien à l’isolement, sur une longue période. Les conséquences de ce maintien sont graves et constituent, selon nous, une atteinte à l’intégrité des personnes, tant physique que psychologique. On assiste, avec le temps, à une véritable destruction des personnes qui finissent par perdre la notion du temps et de l’espace. Par ailleurs, les détenus se voient doublement sanctionnés. Ils ne peuvent pas travailler et avoir les mêmes activités que les autres ; ils n’obtiennent donc pas les mêmes réductions de peine. Nous considérons qu’il est du devoir de cette commission de réfléchir à une véritable limitation de la durée de l’isolement. Il appartient à l’administration pénitentiaire de se donner les moyens de prendre en charge comme il convient les personnes qui lui sont confiées avec le souci de leur intégrité physique, morale et psychologique. La prison est une sanction ; elle ne peut être un instrument de destruction.

Nous sommes persuadés qu’il n’y aura pas de véritable réforme pénitentiaire sans l’implication des personnels de surveillance. Nous proposons donc que soient organisées de véritables assises et une consultation, au besoin anonyme, des personnels de surveillance afin qu’ils puissent s’exprimer et que les meilleurs d’entre eux ne quittent pas cette administration, car le plus souvent la fonction est à ce point dévalorisante qu’ils ne pensent qu’à s’en aller. Il conviendrait par ailleurs qu’ils soient assermentés, ce qui leur donnerait plus de crédibilité.

Mme Chantal CRETAZ : Nous avons trois propositions à vous soumettre.

La première : un détenu-une cellule, proposition déjà soutenue par le professeur Gentilini lorsque, à la demande du Garde des sceaux, Jacques Toubon, il avait procédé à un bilan dans les prisons françaises. Il avait été à ce point ahuri des conditions d’hygiène et de santé, en particulier sur les dangers de la contamination par l’hépatite C, dont on ne connaît pas la transmission, qu’il avait souhaité que soit appliqué ce principe. Nous reprenons cette proposition à notre compte. Cela éviterait les problèmes de violence, souvent engendrés par la promiscuité et le manque de place. Cela permettrait un meilleur respect de l’intimité et de la dignité humaine. Cela permettrait également que les magistrats réfléchissent à deux fois à l’incarcération et qu’ils ne la choisissent qu’en cas de nécessité absolue. Bien entendu, si des personnes ne supportaient pas la solitude, il faudrait prévoir des cellules à deux places.

La deuxième proposition porte sur le casier judiciaire. Nous souhaitons que les députés réfléchissent et votent l’effacement du troisième volet du casier judiciaire, après trois ans sans récidive. La sanction donnée, la peine effectuée, la dette est payée. Il est tout à fait anormal qu’une personne sortant de prison en ayant purgé la totalité de sa peine ait encore cette peine de prison et son acte collés à la peau, sans qu’elle puisse retrouver sa place à part entière dans la société, l’empêchant de trouver un emploi.

Notre troisième proposition a trait au contrôle extérieur des établissements. Nous avons été entendus par la commission Canivet, dont le rapport nous semble intéressant, bien qu’assez complexe à mettre en _uvre.

Nous souhaitons que les médiateurs notamment, puissent se mettre en place extrêmement rapidement, dans la mesure où cela demande le moins de moyens. Nous espérons que le contrôle extérieur des prisons permettra que s’exerce moins de maltraitance à l’égard des détenus, mais également à l’égard du personnel.

M. le Président : Je vous remercie beaucoup de ces exposés très denses.

Comment devient-on visiteur de prison ? Comment est organisée l’entrée dans votre association ? Selon quels critères ?

Mme Chantal CRETAZ : Nous procédons tout d’abord à une rencontre collective, réunissant quatre ou cinq personnes, pour déterminer leurs motivations et pour leur expliquer en quoi consiste la mission de visiteur de prison. Ensuite, nous rencontrons individuellement ceux qui souhaitent nous rejoindre et nous remplissons un dossier que nous transmettons à l’administration pénitentiaire. Ensuite, une enquête policière est effectuée. Contact est pris avec le directeur de l’établissement et le juge de l’application des peines.

M. le Président : Comment cela se passe-t-il avec la police ?

Mme Chantal CRETAZ : Très simplement. Il s’agit d’une démarche formelle. Nous sommes convoqués par le commissaire de notre quartier, qui nous demande nos motivations.

Mme Liliane CHENAIN : Il nous demande également si nous avons des revenus, certainement pour s’assurer que nous ne serons pas sujets à quelque corruption que ce soit. C’est le service des renseignements généraux qui détermine si, effectivement, nous sommes ou non aptes à devenir visiteurs de prison, car, c’est lui, qui, par le biais de la préfecture, nous donne finalement l’autorisation.

M. le Président : On comprend en effet que soient prises quelques précautions élémentaires.

Mme Chantal CRETAZ : Suit un temps probatoire de six mois avant d’obtenir une carte, renouvelable tous les deux ans.

M. le Président : Cela vous semble donc se passer à peu près normalement ?

Mme Chantal CRETAZ : Tout à fait, excepté lorsque les chefs d’établissement font obstruction, parce qu’ils ne veulent pas de nouveaux visiteurs.

M. le Président : Quelle est la qualité des relations que vous entretenez avec les directeurs de prison et le personnel pénitentiaire ? J’imagine d’ailleurs que cela varie d’un établissement à l’autre.

Mme Chantal CRETAZ : Nous dépendons directement des services d’insertion et de probation.

Nous rencontrons le directeur la première fois avant d’entrer en détention. L’ANVP compte un correspondant dans chaque établissement, chargé en particulier des relations avec la direction et avec le responsable des services sociaux éducatifs. Pour le reste, nous sommes essentiellement en relation avec les surveillants de prison, puisque ce sont eux qui vont chercher les personnes que nous rencontrons et qui les raccompagnent.

Mme Liliane CHENAIN : On peut s’étonner qu’une association comme la nôtre se préoccupe tant des personnels. Nous avons bien conscience que la vie en prison est rythmée par le rapport et les relations humaines complexes que les détenus tissent avec les personnels. Par conséquent, nous avons eu à c_ur d’informer les surveillants sur le rôle des visiteurs de prison. Nous intervenons à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire et nous avons diligenté un certain nombre d’actions sur le terrain, c’est-à-dire que nous rencontrons d’abord les représentants des syndicats au centre pénitentiaire de Fresnes où nous sommes 130 visiteurs. Il s’agit, en France, de l’établissement où nous sommes le plus nombreux. Nous avons conclu très récemment un partenariat, aux termes duquel nous interviendrons auprès des surveillants stagiaires pour leur expliquer notre action dans les établissements.

M. le Président : Comment entrez-vous en relation avec tel ou tel détenu ?

Mme Chantal CRETAZ : Les travailleurs sociaux doivent faire connaître aux détenus la possibilité qu’ils ont de rencontrer un visiteur. Tout détenu peut voir un visiteur et pas seulement ceux dépourvus de liens familiaux.

Les détenus présentent eux-mêmes aux services la demande de rencontrer un visiteur. Ensuite, les membres de l’association sont mis en relation par le biais d’un signalement, fiche qui donne de très faibles renseignements sur le détenu : le nom, le prénom, l’âge, parfois la nationalité.

Nous rencontrons les détenus dans des "parloirs avocats". Nous sommes libres de notre temps, sans aucune surveillance.

La difficulté réside dans l’information que les détenus ont de cette possibilité. Elle n’est pas toujours bien faite, parfois parce que les services sociaux-éducatifs sont insuffisamment nombreux, parfois parce que cela les ennuie ou prend du temps.

M. le Président : Avez-vous le sentiment que des détenus auraient voulu vous rencontrer et qu’ils en aient été empêchés ?

Mme Liliane CHENAIN : Bien sûr. Certains n’y parviennent pas. Leur demande n’aboutit pas, par manque de personnels ou parfois par manque de volonté que l’accompagnement ait lieu.

M. le Président : Votre association n’est pas informée directement par les détenus, mais par l’administration.

Mme Liliane CHENAIN : C’est cela même. Mais il faut que la vie de l’établissement offre des horaires où nous puissions intervenir. Il est normal que les détenus puissent aller à l’école et suivre des formations. Il serait tout aussi normal que l’on facilite au maximum les rencontres avec les citoyens que nous sommes à des horaires qui pourraient être un peu mieux aménagés qu’ils ne le sont. Nous nous battons pour que les établissements soient ouverts le samedi matin aux visiteurs de prison, afin que les personnes issues du monde du travail puissent entrer en prison et témoigner de ce qu’est la réalité sociale.

Mme Chantal CRETAZ : Nous demandons également que la journée de détention soit allongée, car, travaillant, nous pourrions rencontrer les détenus en soirée. A signaler que nous sommes empêchés de rencontrer les détenus en centre de semi-liberté car ils ne sont pas présents dans la journée, alors qu’ils auraient besoin d’avoir des contacts avec des personnes comme nous.

M. le Président : Si, au cours des conversations avec les détenus, vous constatez des problèmes, des anomalies, des dysfonctionnements, que faites-vous et quel accueil recevez-vous suite à vos réclamations ? Comment intervenez-vous au sujet de faits graves ?

Mme Liliane CHENAIN : Nous sommes partenaires de l’administration pénitentiaire, ce qui sous-entend que notre premier interlocuteur est la direction, par le biais des personnels de surveillance et des personnels gradés.

Si nous rencontrons une personne que nous jugeons suicidaire, notre devoir est d’alerter les personnels de surveillance pour qu’elle puisse faire l’objet d’une écoute et d’un suivi particuliers.

Nous comptons des correspondants dans les établissements. Le visiteur doit saisir immédiatement le correspondant, lequel saisit le directeur, pour lui faire connaître le dysfonctionnement dont il a été informé. Au-delà, nous avons le recours de la direction régionale, que nous ne manquons pas de tenir informée. Nous ne sommes pas l’observatoire international des prisons. Nous considérons nécessaire l’existence d’un capital de confiance et de parole, de pouvoir échanger et formuler ce qui ne va pas et ce qui est intolérable. C’est dire que nous reconnaissons à l’institution la capacité à faire cesser les dysfonctionnements.

En outre, lorsque nous sortons de prison, nous redevenons des citoyens libres de parole et, en conscience, nous devons alors décider ce qu’il convient de faire pour alerter.

M. le Rapporteur : Compte tenu de la qualité de vos observations et de vos exposés, je ne vous poserai que deux questions.

Que proposeriez-vous à la place de la prison, car vous avez commencé par nous dire que la prison était un mal nécessaire, mais qu’il fallait faire preuve d’imagination ?

Lors des visites auxquelles nous avons procédé, nous avons constaté que des jeunes, entre seize et vingt ans, auxquels il avait été proposé des heures d’enseignement, répondaient que cela ne les intéressait pas, arguant du fait que la scolarité n’était plus obligatoire à partir de seize ans. Que penseriez-vous d’une prolongation de l’obligation de scolarité au-delà de seize ans : pour des jeunes de seize à dix-huit ans en matière d’enseignement général et pour des jeunes de seize à vingt-cinq ans en matière de formation professionnelle ? Des jeunes de moins de vingt-cinq ans n’ont aucun métier. Vous avez indiqué que 65 % des personnes entrant en prison n’avaient pas d’activité, mais certains n’ont même pas de formation professionnelle. Ne pourrait-on créer cette obligation ?

Mme Chantal CRETAZ : Il nous a semblé capital d’entrer en relation avec les maires de France sur la question des alternatives à la prison, parce que c’est le lieu de médiation par excellence de la représentation. L’institution municipale est un carrefour stratégique, en termes de prévention de la délinquance. Il est essentiel que les mairies stimulent les collectivités locales pour mettre en place des travaux d’intérêt général, au plus proche d’une réparation. Selon nous, c’est par cette médiation locale que des actions pourraient être menées. Il y a des médiateurs de la justice. Il nous semble important de mettre en place, par ce biais, des alternatives à la prison, soit des travaux d’intérêt général, soit des réparations de biens quand il y a eu dégradation.

Pour les auteurs d’atteintes aux personnes, voire quand il y a eu crime, des thérapies sont à mettre en place. Il est nécessaire de convaincre d’une thérapie plutôt que de la rendre obligatoire. Il est anormal que la prison soit obligée de répondre à toutes sortes de problèmes liés à la toxicomanie. C’est un problème général de notre société. Il serait important, plutôt que d’incarcérer les toxicomanes qui souvent commettent des délits en raison de leur toxicomanie, qu’interviennent des traitements réels.

Mme Liliane CHENAIN : Nous savons que l’échec scolaire et l’exclusion sont l’une des causes de la délinquance.

Les jeunes que nous rencontrons en prison sont particulièrement en échec. Ils ont une très mauvaise image d’eux-mêmes et, très peu d’estime de soi. Par conséquent, ils ne peuvent, en groupe, aller à l’école, tout d’abord parce qu’ils n’en perçoivent pas le sens. Ensuite, cela renvoie à la question fondamentale : "Que vais-je faire de ma vie ?"

Or ces questions sont totalement occultées.

Dans les rapports que nous nouons avec ces jeunes, nous constatons que nous pouvons " retricoter " du lien social et leur donner la capacité de penser qu’ils sont "capables de".

Je pratique le soutien scolaire en prison. C’est un lieu de reconstruction. On se rend compte que, capable de lire ou de construire une phrase, l’on est capable de faire quelque chose. C’est là un enjeu majeur et, sans doute, vous avez mis le doigt sur un point essentiel.

L’association estime que, chaque fois qu’un jeune entre en prison, il doit pouvoir rencontrer, sans enjeu institutionnel, un adulte, un visiteur de prison, avec lequel il peut être accompagné dans une démarche de reprise en compte de ce qu’il est. Pouvoir maîtriser sa vie, son environnement, pouvoir faire des projets, réclament du temps. C’est pourquoi, chaque fois qu’un jeune entre en prison, l’insertion doit commencer dès le premier jour. Il ne faut pas attendre la sortie. Il faut essayer de mettre en place autour d’eux un dispositif qui leur donne du temps pour élaborer un projet. Il est vrai que c’est difficile, d’autant qu’il ne peut s’agir que d’un accompagnement individuel, car comment pouvoir dire, dans un groupe, "je ne sais pas" ?

Mme Christine BOUTIN : Estimez-vous le nombre de visiteurs de prison suffisant ?

A l’occasion de nos visites dans les établissements, certains responsables nous ont dit qu’il y avait pléthore de demandes pour être visiteurs de prison. C’est une bonne chose que de venir dans les prisons, mais l’on peut également faire preuve de générosité et de sens civique en s’impliquant dans un autre cadre. Qu’en pensez-vous ?

Comment cela se passe-t-il avec les détenus qui connaissent des difficultés d’expression dans la langue française ?

Mme Chantal CRETAZ : De nombreux visiteurs de prison parlent des langues étrangères. A nous tous, nous parlons beaucoup de langues étrangères. Ce peut être une spécialité d’une personne qui rencontrera particulièrement les détenus d’une certaine langue. Cette capacité nous offre même la possibilité d’obtenir un permis de visite dans plusieurs établissements pénitentiaires de différentes directions.

Il n’y a pas suffisamment de visiteurs. On peut répondre qu’il y a un engouement et beaucoup de demandes, mais les agréments ne sont pas accordés comme il se devrait. Certes, faire des allers et venues, accompagner des détenus aux parloirs est une charge. Réfléchir à qui l’on va confier tel détenu prend du temps. La tendance aujourd’hui est que les services utilisent ces compétences particulières, c’est-à-dire que se dessine une volonté d’instrumentaliser les personnes qui viennent en détention. Or nous sommes des intervenants particuliers et nous tenons au fait même que nous n’avons pas de compétences particulières.

Il y a là quelque chose qui devrait être repensé. Nous sommes formés à l’écoute pour être au plus près des besoins des détenus et les accompagner. L’association peut et doit offrir toutes sortes de services, même si on ne le fait pas toujours très bien. Nous ne rencontrons qu’un dixième de la population carcérale. Lorsque l’on voit des lieux comme Saint-Maur, on se dit que les visites devraient être absolument obligatoires dans les maisons pour peines. Ce sont des lieux qui devraient connaître une abondance de visiteurs. Nous sommes des gens qui avons traversé des épreuves et qui les avons surmontées. Nous sommes des personnes " lambda ", nous ne demandons rien aux détenus. Il est important qu’ils rencontrent des personnes qui viennent juste pour eux, gratuitement.

Mme Christine Boutin, Secrétaire de la commission, remplace M. Louis Mermaz au fauteuil de la présidence.

M. Jacky DARNE : Lorsque j’ai visité des établissements, l’on m’a indiqué que 10 % seulement des détenus avaient des contacts avec des visiteurs. Les personnes que j’ai rencontrées n’estimaient pas qu’il était difficile de devenir visiteur, mais que les candidatures étaient peu nombreuses. C’est un point de vue contraire à celui qui vient d’être exprimé. Comment promouvoir cette fonction, d’autant qu’il semble se dessiner un certain décalage sociologique entre les visiteurs - qui un peu à votre image, en général des femmes, dans la deuxième partie de leur vie active - et toute une catégorie de détenus, jeunes adultes, avec lesquels les difficultés de communication étaient plus grandes ? Les directeurs indiquaient qu’il serait intéressant de pouvoir élargir les profils de visiteurs. Ce n’est, en aucune façon, une critique à l’encontre des visiteurs. Mais il s’agit d’ouvrir une plus grande possibilité de dialogue entre ceux-ci et les détenus.

Après le temps de prison, voire pendant celui-ci, les détenus cherchent-ils des conseils de nature, si ce n’est à doubler les services sociaux-éducatifs, à se substituer à leur manque de temps et donc à vous inciter à des relations externes ?

Après la sortie de prison, les échanges entre visiteurs de prison et détenus se poursuivent-ils ?

Enfin, peut-on faire ce travail très longtemps ?

Mme Liliane CHENAIN : Il nous a déjà été dit qu’il existait une inadéquation entre le public et les visiteurs. Nous sommes souvent passés pour des gens très gentils, faisant appel à leur sens de la charité, avec peut-être cette question sous-jacente : à quoi servons-nous dans une société très technicienne ?

Nous sommes très attachés au fait que les établissements puissent recevoir des personnes vivant dans le monde du travail. Si on ne leur permet pas d’entrer, comment voulez-vous que nous essayions de recruter des personnes en mesure de témoigner d’une réalité sociale ?

Cela dit, la parité hommes-femmes est réelle parmi les visiteurs de prisons. La moyenne d’âge est, c’est vrai, plutôt de 65 ans. Nous faisons beaucoup d’efforts pour recruter de jeunes visiteurs afin de permettre aux jeunes incarcérés d’avoir en face d’eux des personnes avec lesquelles échanger. C’est un point auquel nous sommes très attachés et nous nous y efforçons.

Il est vrai que les travailleurs sociaux ont soit tendance à nous instrumentaliser - nous accompagnons les détenus en permission ou à l’ANPE, nous retirons de l’argent sur les comptes, allons chercher les valises dans les hôtels...

Nous acceptons ces tâches au titre de notre mission, telle que nous la définissons, pour la personne que nous accompagnons, car cela a du sens et parce que la demande, au fil des parloirs, n’est jamais la même. Une semaine, nous serons confrontés à une difficulté existentielle, l’approche du procès, le verdict, des difficultés familiales. Selon notre charte, nous pouvons contacter les avocats, les familles. Au fond, nous disposons d’une très large marge de man_uvre qui renvoie les travailleurs sociaux à leurs propres obligations. Parfois, ils ne nous situent pas très bien ou nous perçoivent comme intervenant sur un terrain extrêmement valorisant et qui les concurrence, eux qui n’ont pas le temps de s’occuper des personnes comme parfois elles le voudraient.

Nous revoir à l’extérieur ne pose pas de problèmes aux détenus, dès lors que de véritables liens se sont noués et quand ils ont intégré la prison dans leur histoire. Cependant, lorsque nous entrons en prison, nous symbolisons l’extérieur et quand les détenus sortent de prison, nous symbolisons alors l’intérieur. Entretenir des liens avec un visiteur de prison qui n’a jamais été identifié que comme tel renverra toujours cette image à la personne. Parmi les longues peines, des personnes intègrent très bien la prison à leur histoire et d’ailleurs ne récidivent pas. Le visiteur de prison peut alors être devenu, au fil des années, un ami avec lequel ils ont vécu un moment difficile et dont il reste quelque chose de fort. Je ne crois pas que l’on puisse établir des généralités.

Mme Chantal CRETAZ : Face aux difficultés pour entrer en conversation avec les mineurs dans un face-à-face dans un petit parloir, des visiteurs de Mulhouse ont eu l’idée de proposer à l’administration de l’établissement d’engager avec eux une action qui soit revalorisant, car telle est l’idée qui nous anime : redonner confiance. Ils ont récupéré du matériel de l’Education nationale mis au rebut. Ils l’ont retapé et peint et envoyé à des établissements scolaires en Roumanie. Dans le " faire ensemble ", la relation s’établit plus facilement.

Cela dit, il est possible d’entrer en relation avec des mineurs autrement. J’ai eu l’occasion de rencontrer de très jeunes mineurs à Fresnes. On parvient, petit à petit, à entrer en relation. Quand on a la chance de pouvoir accompagner scolairement ces personnes qui relèvent de l’enseignement, qui ont besoin d’un soutien pour un travail, ce chemin est facilité.

Il y a une génération qui a absorbé dans son biberon, à la naissance, l’idée que l’engagement dans la société était un devoir. Et puis notre société a évolué et comme de nombreuses associations de la loi de 1901 ayant ce type d’engagement social, longtemps perçu comme un engagement charitable, notre association connaît aujourd’hui des difficultés à renouveler les rangs. Elles sont liées pour nous aux horaires. Mme Chenain et moi-même travaillons et avons des engagements dans notre association, ce qui suppose une forme de gymnastique avec la vie professionnelle. Le fait de travailler et de mener ce type d’engagement ne nous est pas facilité par les horaires. Cela dit, pour des jeunes ce peut également être une chance de rencontrer des personnes retraitées. Il n’y a aucune raison de rencontrer uniquement des personnes de sa génération. N’est-ce pas aussi une chance pour ces jeunes de rencontrer des adultes qui ont traversé des épreuves et qui en sont sortis, surtout des personnes auxquelles ils n’ont pas de compte à rendre ? Peut-être n’ont-ils jamais rencontré cette opportunité au cours de leur vie.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Les responsables des collectivités locales, les maires, sont confrontés quotidiennement, nuit et jour, aux jeunes mineurs, de plus en plus jeunes, violents, en échec scolaire...

A Bois-d’Arcy, lieu où des multirécidivistes sortent et entrent en permanence pour trois mois, six mois, un an - les peines augmentent à chaque fois - rencontrez-vous de jeunes mineurs ? Ce suivi me paraît une voie à exploiter. Lorsque nous voyons que les jeunes reviennent dans leur quartier - on ne le voit pas du reste, on le sait le jour même par les problèmes que nous rencontrons à nouveau dès leur sortie de Bois-d’Arcy - les éducateurs les prennent en charge, mais nous n’avons jamais eu de contact avec les visiteurs de prison. Il serait intéressant qu’un contact soit établi entre nos acteurs de terrain et les visiteurs pour savoir comment ces derniers ont appréhendé les jeunes au cours de leurs visites et de leurs conversations. Il me semble que nous sommes face à un manque de liens, car nous ignorons ce qui s’est dit à l’intérieur.

Avez-vous déjà participé à de telles expériences ou pensez-vous qu’il faudrait monter une structure afin de savoir s’ils vous ont écoutés en prison et s’ils sont prêts à faire quelque chose à l’extérieur ?

Mme Liliane CHENAIN : C’est une question à laquelle nous réfléchissons. Nous avons demandé que les mineurs et les jeunes majeurs puissent rencontrer un visiteur de prison dès leur entrée en prison. On nous a rétorqué que cela ne figurait pas dans le code de procédure pénale et qu’il appartenait au détenu d’en formuler la demande. A ceci, nous avons répondu que la liberté c’était d’abord de faire un choix, à savoir rencontrer quelqu’un pour lui dire éventuellement que l’on a rien à lui dire.

L’idéal serait une sorte de tutorat ou de parrainage ainsi que cela existe d’ailleurs dans certaines collectivités, des chefs d’entreprise aidant les jeunes sur un parcours d’insertion. Il y a là une véritable piste à creuser, car le problème de ces jeunes est de n’avoir jamais rencontré quelqu’un. Ils n’ont jamais rencontré que des structures administratives. Il conviendrait d’instaurer un dialogue avec la protection judiciaire de la jeunesse qui nous considère avec beaucoup de suspicion. Ils estiment que les personnes travaillant autour des jeunes sont déjà très nombreuses, au point, nous disent-ils, qu’ils ne voient pas ce que nous pourrions faire ! Nous leur répondons que nous n’allons précisément rien faire, que nous ne servons à rien, que nous sommes dans l’inutile, mais cet inutile n’est-il pas l’essentiel : offrir la possibilité à ces jeunes de s’exprimer, d’exprimer même leur violence d’être. C’est sur ces bases que peut s’engager un travail d’accompagnement, de reconstruction de soi et l’élaboration de projets d’avenir.

Mme Chantal CRETAZ : Au collège d’Europe à Tourcoing, pour lutter contre la violence, la coordination entre tous les partenaires, qu’ils soient du collège ou de la ville, a abouti à des résultats positifs. Il me semble qu’une telle formule pourrait être reprise. Mais il faut savoir que la mise en place d’un travail entre divers partenaires autour des personnes en difficulté réclame un investissement, une réelle volonté politique et sociale. Nous sommes prêts à prendre une part à la mesure de nos possibilités.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Si les membres de votre association rencontrent des jeunes mineurs à Bois-d’Arcy, pourriez-vous leur demander d’entrer en contact avec nous pour savoir s’ils rencontrent suffisamment de mineurs et afin qu’ils nous livrent leur sentiment, car vous êtes les plus extérieurs de tous les intervenants ?

Mme Chantal CRETAZ : Bois-d’Arcy est le contre-exemple. Il n’est, pour l’heure, pas possible que nous y rencontrions des mineurs.

Cela dit, nous les rencontrons au centre de jeunes détenus et cela se passe plutôt bien.

Mme la Présidente : Je vous remercie au nom des membres de la commission d’enquête pour l’intérêt de vos propos.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr