Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

Mme Nicole MAESTRACCI est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Nicole Maestracci prête serment.

M. le Président : Quelle est, Madame, le rôle de la mission interministérielle que vous dirigez ?

Mme Nicole MAESTRACCI : Je préside une mission interministérielle qui est chargée sous l’autorité du Premier ministre de mettre en _uvre le plan du gouvernement sur les questions de drogue et de dépendance, puisque depuis le mois de juin 1999 le gouvernement a étendu mes missions aux drogues licites que sont l’alcool, le tabac, les médicaments et les pratiques dopantes. Je coordonne environ une vingtaine de ministères qui s’intéressent à un titre ou à un autre à ces questions et donc le ministère de la justice, en particulier la direction de l’administration pénitentiaire.

Je dois préciser que je suis magistrat et que j’ai été un certain temps juge de l’application des peines. J’ai donc eu à connaître de ces questions à une autre place que celle que j’occupe aujourd’hui.

Je puis vous donner un certain nombre d’éléments chiffrés sur la situation de prévalence des problèmes de drogue dans les prisons et vous indiquer sur quels thèmes nous travaillons aujourd’hui, les difficultés que nous rencontrons et les perspectives que l’on peut avoir dans ce domaine.

En ce qui concerne la prévalence de la drogue en prison, je suis extrêmement prudente sur les chiffres. Ceux que je vais vous communiquer résultent d’une enquête de 1997 faite à l’entrée en prison, avec des méthodologies et des questions posées qui n’étaient pas nécessairement extrêmement comparables.

Environ 32 % des personnes entrant en prison étaient consommateurs de drogues illicites, 25,6 % consommatrices de cannabis - la plus grosse consommation - 14 % consommateurs d’héroïne, 9 % consommateurs de cocaïne ou de crac, 9 % consommateurs de médicaments détournés et 3,4 % consommateurs d’autres produits, soit des solvants, soit des drogues de synthèse.

Le total de ces chiffres est supérieur à 32 % car dans 14 % des cas, il s’agit de poly-consommation et de consommation de plusieurs produits.

La question de l’alcool a été très largement sous-estimée dans les établissements pénitentiaires pendant assez longtemps. Environ 33 % des détenus déclarent à l’entrée une consommation dite problématique, c’est-à-dire selon les normes en vigueur à l’OMS, plus de cinq verres pris régulièrement par jour ou alors cinq ou six verres consécutifs en une seule prise, une fois par semaine. Il peut y avoir des recoupements entre les consommateurs de drogue et d’alcool et cela est bien souvent le cas.

Environ 78 % des entrants consomment du tabac et 20 % sont de gros fumeurs, c’est-à-dire de plus de vingt cigarettes par jour. Cette consommation s’accroît d’ailleurs en prison puisque c’est au fond le seul produit qui y est autorisé. En réalité l’alcool et les drogues illicites sont interdites en prison et l’autorisation du tabac résulte du fait que tout ne peut être interdit alors qu’en même temps c’est sans doute, en termes de santé publique, le produit le plus dangereux.

Les chiffres concernant les traitements de substitution à l’entrée sont également intéressants. Les personnes sous traitement de substitution aux opiacés sont de 0,6 % pour la méthadone et 6,3 % pour le subutex, soit un chiffre assez comparable à la population hors de la prison. En revanche, nous verrons qu’en prison ce chiffre diminue considérablement parce que dans un certain nombre d’établissements pénitentiaires les traitements ne sont pas poursuivis comme ils devraient l’être.

Par ailleurs, certaines enquêtes ont été faites sur les pratiques de consommation à l’intérieur de la prison, bien qu’évidemment ces produits soient interdits dans les établissements pénitentiaires. Une enquête a été menée auprès des " injecteurs actifs ", essentiellement des injecteurs d’opiacés mais qui peuvent être injecteurs d’autres produits. 13 % des injecteurs actifs au cours des douze mois précédents l’incarcération disent s’être injecté des produits en prison pendant les trois premiers mois de l’incarcération. La moitié de ces personnes se sont injecté des produits en partageant leurs seringues puisque les seringues propres ne sont pas disponibles en prison dans les mêmes conditions qu’à l’extérieur.

Une autre enquête a été faite à partir de la population qui fréquente les structures d’accueil de bas seuil, c’est-à-dire les structures d’accueil à destination des usagers les plus marginalisés, les usagers encore actifs et qui ne sont pas en mesure d’avoir un traitement ou un sevrage. Parmi ces personnes qui ont toutes fait des séjours en prison, 35 % déclarent s’être injecté des produits en prison et 6 % déclarent avoir commencer à s’injecter des produits en prison.

Ces éléments semblent importants en termes de santé publique d’autant plus que la moitié de ces personnes déclarent qu’elles n’ont jamais utilisé l’eau de Javel alors que, dans le cadre de la réduction des risques et des mesures prises par l’administration pénitentiaire et par le ministère de la santé, figure la mise à disposition des détenus de l’eau de Javel pour désinfecter les seringues, en cas de circulation.

Enfin, voici quelques chiffres sur la prévalence du VIH, du VHC et du VHB. On compte aujourd’hui chez les usagers de drogue détenus environ 13 % de prévalence du VIH. Ce chiffre est inférieur à ce qu’il était il y a quelques années mais c’est également vrai pour la population à l’extérieur.

En revanche, le taux de prévalence du VHC est très important : 55 % des usagers de drogue injecteurs sont infectés par le VHC et 24 % par le VHB.

Il convient toutefois de préciser que les évolutions chiffrées ressemblent aux évolutions chiffrées à l’extérieur. Au fond, il n’y a pas tellement de raisons pour qu’elles soient très différentes. En particulier, on a affaire de plus en plus souvent à des poly-consommations qui associent plusieurs produits, des produits licites et des produits illicites, des médicaments, des produits de synthèse. Contrairement à ce qui se passait il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, les éléments en notre possession démontrent qu’il y a de moins en moins ou presque plus d’usagers d’opiacés purs, c’est-à-dire des héroïnomanes qui entrent en prison avec souvent des faits de délinquance violente à leur actif. On observe au contraire une diversité des comportements de consommation et une population qui devient extrêmement hétérogène. Cette diversité et cette hétérogénéité rendent assez difficiles la prise en charge et exigent une adaptation du dispositif, d’ailleurs à l’extérieur comme à l’intérieur.

Quels dispositifs existent à l’intérieur des établissements pénitentiaires pour prendre en charge ces populations ?

En 1987, des " antennes toxicomanie " avaient été créées dans seize établissements pénitentiaires qui regroupaient à peu près le tiers des détenus et qui regroupent encore aujourd’hui à peu près 28 % de la population pénale. Le cahier des charges donnait pour mission à ces antennes, d’une part de prendre en charge les toxicomanes à l’intérieur des établissements pénitentiaires et d’autre part de préparer leur sortie sous tous ses aspects, aussi bien sociaux que sanitaires.

Ces antennes étaient et sont toujours rattachées au service médico-psychologique régional ; elles sont au nombre de vingt-six. Ces centres se sont transformés en " centres spécialisés de soins aux toxicomanes " en 1992. Il y a donc un dispositif de soins aux toxicomanes à l’extérieur et il a été décidé par la direction générale de la santé et l’administration pénitentiaire de transformer ces seize antennes en CSST internes aux prisons.

Les vingt-six SMPR évoqués précédemment prennent en charge les toxicomanes dans les établissements où il n’y a pas d’antenne. Depuis 1994, il existe aussi les UCSA, les Unités de Consultation et de Soins Ambulatoires. Dispositif créé à titre expérimental, les unités de préparation à la sortie concernent aujourd’hui sept établissements. Ce dispositif est en cours d’évaluation et les premiers éléments nous montrent tout son intérêt parce qu’il prend en charge à la fois les aspects sanitaires et sociaux. Toutefois, il rencontre beaucoup de problèmes de recrutement à l’intérieur des établissements pénitentiaires. Compte tenu des difficultés que l’on a pour connaître la date de sortie et pour mobiliser à la fois le personnel et les détenus, des stages peuvent être organisés sans pour autant que les détenus soient en nombre suffisant pour les remplir. Néanmoins, ce dispositif est intéressant et il faudra certainement le réorienter et l’utiliser différemment.

Enfin dans une quarantaine d’établissements, des centres de soins aux toxicomanes extérieurs, en milieu libre, interviennent à l’intérieur des établissements sous la forme d’un protocole avec une subvention de la direction générale de la santé.

En revanche, pour ce qui concerne l’alcool, le dispositif est totalement indigent. En effet, les questions d’alcool ont été extrêmement sous-estimées à l’intérieur des établissements pénitentiaires, comme à l’extérieur d’ailleurs, et aucune prise en charge spécifique n’a été organisée. En 1997, l’intervention des consultations spécialisées pour alcoolo-dépendants ne concernaient que deux établissements sur l’ensemble des établissements. Il n’y avait donc pas de consultation spécialisée concernant l’alcool alors qu’on sait par ailleurs qu’un grand nombre d’actes de délinquance, de délits, sont commis sous l’emprise d’un état alcoolique, notamment des conduites en état alcoolique ou surtout des faits de violence, soit familiale, soit extra familiale.

Quels problèmes ce dispositif pose-t-il ?

Premier point important : le repérage dans les établissements pénitentiaires. On s’est rendu compte qu’en réalité ces questions étaient souvent posées. Cependant à la question formulée en ces termes : " Est-ce que vous estimez que vous avez une consommation problématique d’alcool ? ", très peu de Français répondent par l’affirmative ! Une méthodologie de repérage un peu plus affinée est nécessaire et nous y travaillons. Dans les semaines à venir, une méthodologie de repérage reconnue internationalement permettra d’avoir un repérage des consommations véritablement problématiques. Ce point me paraît très important parce que pour traiter une situation il faut savoir de quoi on parle et ce qu’elle représente exactement.

La deuxième question est celle de la poursuite des traitements et des prises en charge extérieures à l’intérieur des établissements pénitentiaires et en particulier la question des traitements de substitution.

Alors qu’une circulaire de la direction générale de la santé, déjà ancienne, invite les services médicaux à offrir aux détenus une offre de soins équivalente à celle de l’extérieur, nous nous sommes rendu compte que la substitution ne concerne qu’un détenu héroïnomane sur sept dans les établissements pénitentiaires alors qu’à l’extérieur elle concerne un héroïnomane sur trois. On s’est donc véritablement heurté davantage à une difficulté de caractère idéologique qu’à une difficulté de moyens. En effet, un certain nombre de médecins à l’intérieur des établissements pénitentiaires considèrent pour des raisons éthiques, morales, idéologiques que la substitution n’est pas une bonne chose pour les détenus qu’ils ont en charge.

Ce débat à l’intérieur des établissements pénitentiaires entre médecins favorables et médecins non favorables aux traitements de substitution, a été très vif entre les médecins qui prenaient en charge les toxicomanes à l’extérieur. A l’extérieur ce débat est désormais totalement pacifié parce que personne ne revendique les traitements de substitution comme seule réponse à la toxicomanie. Tout le monde est d’accord pour dire que c’est une aide considérable pour prendre en charge et conduire un toxicomane à une vie plus normale mais qu’évidemment cela ne peut pas être tout le traitement et que, notamment, l’accompagnement social et psychologique sont fondamentaux. Il existe donc un déficit de prise en charge des héroïnomanes dans les établissements. Même si la situation s’améliore, elle est néanmoins encore préoccupante.

Le troisième point, c’est la question de l’offre de soins et de prise en charge. Pour ma part, je dirai aujourd’hui que ce n’est pas une question de moyens parce que finalement, dans les établissements pénitentiaires, il y a plutôt parfois pléthore de services concernés par cette question plutôt que déficit. En présence d’une UCSA, d’un SMPR, d’une antenne toxicomanie, d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation, plus deux ou trois associations qui interviennent de l’extérieur, la vraie question est celle de la coordination et de savoir qui fait quoi.

Certaines situations sont même assez absurdes. Dans certains établissements, le psychiatre s’intéresse à tout ce qui concerne la " tête ", c’est-à-dire tous les médicaments psycho-actifs qui agissent sur le système nerveux central. " En dessous de la tête ", c’est le médecin de l’UCSA. Le service socio-éducatif, lui, s’occupe du social. On retrouve ainsi à l’intérieur de l’établissement toute une série de cloisonnements institutionnels, disciplinaires qu’on est en train de régler dans les prises en charge sanitaires et sociales à l’extérieur. Au fond, c’est comme si la prise en charge dans les établissements pénitentiaires avait pris cinq ou six ans de retard par rapport à ce qui se passe à l’extérieur. Ce point est très préoccupant.

Certes, il y a une amélioration considérable de la prise en charge sanitaire des détenus depuis la loi de 1994. Lors de mes déplacements dans les établissements pénitentiaires, je pose aux détenus la question du délai nécessaire pour obtenir un rendez-vous avec le médecin. Il apparaît qu’aujourd’hui ce délai est de l’ordre de vingt-quatre heures. Il y a dix ou quinze ans, c’était loin d’être le cas. Cette situation s’est donc considérablement améliorée et, paradoxalement, la prise en charge des dépendances ne s’est pas autant améliorée, autant que l’expérience intéressante de 1987 pouvait le laisser espérer.

En outre, les antennes toxicomanie, les centres de soins aux toxicomanes sont restés beaucoup trop longtemps figés sur la prise en charge d’une seule population, celle des héroïnomanes injecteurs qui ne prennent qu’un seul produit, alors que se sont développées bien d’autres formes de consommation qu’ils n’ont pas vu venir et pour lesquelles ils n’ont pas développé de savoir-faire adapté.

Telle est la difficulté à laquelle nous sommes confrontés en ce qui concerne les prises en charge. J’ai déjà dit que pour l’alcool on était véritablement loin de ce que l’on devrait faire.

Enfin en ce qui concerne la préparation à la sortie, problème qui n’est pas propre aux toxicomanes ou aux alcoolo-dépendants, la situation reste très préoccupante malgré tous les dispositifs qui ont été développés par l’administration pénitentiaire ces dernières années. Cela tient à la fois au fait que beaucoup de détenus sortent alors qu’ils étaient en détention provisoire et au fait que les libérations conditionnelles se sont raréfiées et que les alternatives à l’incarcération ne se sont pas suffisamment développées. En outre, la culture des travailleurs sociaux fait qu’on ne sollicite pas suffisamment les détenus, me semble t-il, pour organiser avec eux une préparation à la sortie. On attend plutôt qu’ils en fassent la demande.

Nous avons affaire à des détenus jeunes, souvent en grande difficulté d’insertion. Ils font donc peu de demandes, préférant souvent rester allongés sur leur lit, vingt-deux heures sur vingt-quatre, à regarder la télévision que préparer une sortie. S’agissant souvent de détenus jeunes, il est essentiel de les solliciter pour préparer leur sortie. Lorsqu’ils acceptent, il est évident, et plusieurs enquêtes l’ont montré, que cela marche.

Dans une extrapolation qui croise les données épidémiologiques et les données du flux carcéral, on peut estimer que 25 000 personnes environ sortent par an avec un problème de dépendance à l’alcool ou aux drogues illicites et que, dans la majorité des cas, ces jeunes sortent de détention sans aucun suivi judiciaire. Or pour mettre en place un suivi sanitaire, le fait d’avoir un suivi judiciaire et social est souvent indispensable et essentiel.

Qu’est-ce qui a été prévu dans le cadre du plan qui a été adopté par le gouvernement ? Je vous ferai parvenir tous les documents dont vous pourriez avoir besoin sur ce plan.

L’effort porte d’abord sur le repérage, question dont je viens de parler, puis sur la poursuite du traitement, points sur lesquels un certain nombre de travaux ont été faits. Une évaluation est en cours pour voir si les chiffres de 1997 se confirment en 1999. J’espère qu’il y a une amélioration.

Sur la position des médecins, nous avons fait en sorte tout de même que, dans tous les établissements pénitentiaires, au moins un médecin accepte de prescrire les traitements de substitution. Les situations sont assez variables. Ainsi, quand un psychiatre ne veut pas prescrire, c’est un médecin de l’UCSA et inversement. D’une manière générale, je crois que nous n’avons plus d’établissements où la situation soit totalement bloquée, en vertu d’une position de principe totalement opposée mais c’est encore loin d’être satisfaisant.

Enfin, en ce qui concerne l’offre de soins, nous sommes en train de redéfinir entièrement les missions des antennes toxicomanie, à partir de l’expérience que nous avons dans les services hospitaliers de l’alcoologie de liaison ou de la toxicomanie de liaison. Au fond, ce dont on a besoin ce n’est pas un service spécialisé mais de deux ou trois personnes assez mobiles et assez compétentes qui permettent aux autres services de prendre en charge correctement cette population là.

Nous sommes donc plutôt en train de réorganiser le dispositif dans ce sens, en donnant la responsabilité à l’un des services (SMPR ou UCSA) de remplir cette mission de liaison qui n’est plus une mission de service spécialisé. L’idée est que l’on doit préparer la sortie, avec des objectifs évidemment sanitaires mais également sociaux, et que l’on ne peut pas " saucissonner " les détenus, comme on l’a fait par le passé.

Nous sommes en train de travailler sur un nouveau cahier des charges qui refond entièrement le dispositif en intégrant également la question de l’alcool. Il n’est plus pertinent de cloisonner, d’avoir un service spécialisé ou une antenne spécialisée pour l’alcool et une antenne spécialisée pour les toxicomanes mais il s’agit plutôt d’avoir une petite équipe qui soit capable de répondre à l’ensemble des questions posées par toutes les dépendances (drogues, alcool, médicaments).

Enfin, nous avons mis en place dans tous les départements un dispositif qu’on appelle les conventions départementales d’objectifs. Une convention est passée entre le procureur de la République et le préfet, via son directeur des affaires sanitaires et sociales, dont l’objectif par exemple est de proposer une alternative sanitaire ou sociale à tous les usagers qui sont interpellés par la police, qu’ils soient usagers de drogue illicite ou usagers excessifs d’alcool.

Ces conventions concernent aujourd’hui 75 départements. Elles sont actuellement financées par la mission que je préside, par le biais de crédits déconcentrés dans les préfectures. Pour 1999, ces crédits étaient de l’ordre de 45 MF. Ils ont été déconcentrés à la fois pour prendre en charge les usagers d’alcool ou de drogue interpellés et pour préparer les alternatives à l’incarcération. Ce dispositif est très intéressant parce qu’il oblige l’ensemble des acteurs à avoir des objectifs clairs et il évite un certain nombre de cloisonnements. Sur ce point, ce dispositif paraît tout à fait adapté.

Enfin, la question de la modification des pratiques à l’intérieur des établissements pénitentiaires est importante. Il s’agit de prendre conscience du fait que les personnes qui vont poser le plus de problèmes d’insertion et le plus de problèmes de sécurité à la sortie sont aussi les plus exclues et qui font le moins de demandes. Selon moi, il faut donc que toute la vie professionnelle à l’intérieur des établissements pénitentiaires s’organise autour de cette idée. Il s’agit de repérer en particulier les jeunes qui vont sortir assez vite des établissements pénitentiaires, parce que même si la durée de détention a augmenté, elle n’est que de huit mois, délai extrêmement court. Il faut faire en sorte que systématiquement soient proposées des alternatives à l’incarcération, des suivis judiciaires.

La mise en pratique d’un tel système, à l’instar par exemple du système canadien ou de tout système qui examine systématiquement les libérations conditionnelles ou les alternatives en incarcération, pourrait obliger nos travailleurs sociaux à modifier les pratiques. Sinon, en dépit de toutes les circulaires que l’on voudra, nous serons toujours confrontés à cette difficulté d’un trop grand nombre de jeunes qui sortent des établissements pénitentiaires sans aucune prise en charge.

M. le Président : Madame la présidente vous avez décrit un océan de misère et dit tout ce qu’il restait à faire : un immense chantier. Est-ce que les magistrats qui jugent ont conscience de cette situation ? Est-ce que vous êtes en relation avec eux pour les en alerter ? Dans nos visites de prisons, nous constatons que si les juges d’application des peines font bien leur travail, après eux, c’est terminé. On a parfois l’impression que les gens en prison sont, si je puis dire, dans un cul de basse-fosse et qu’on ne s’en occupe plus. Avez-vous des relations pour sensibiliser les magistrats à tout ce travail que vous avez la volonté de mettre en _uvre ?

Mme Nicole MAESTRACCI : Je rencontre effectivement beaucoup de magistrats parce que je me déplace beaucoup dans les départements. Vous connaissez leur problème : ils sont confrontés à une diversité de situations et à une diversité d’approches sur ces questions. Il est vrai que seuls les juges d’application des peines sont présents dans les établissements pénitentiaires et, en outre, cette fonction n’est pas extrêmement valorisée à l’intérieur d’un tribunal. Personnellement, après des passages en cabinet, en administration centrale, j’ai voulu aller à Bobigny être juge d’application des peines. Je n’ai cessé d’entendre autour de moi des commentaires et des interrogations sur ce choix. Ce n’est pas une fonction extrêmement valorisée dans les tribunaux et il faut reconnaître que ces juges travaillent un peu dans l’indifférence générale de leurs collègues.

La question principale est quand même celle-ci : " Quelle politique pénale est menée à l’intérieur des établissements pénitentiaires " ? Au fond, la Chancellerie n’a jamais véritablement défini de politique pénale en ce qui concerne l’exécution des peines. Je le dis d’autant plus que les directeurs successifs des affaires criminelles le reconnaissaient eux-mêmes.

Une politique pénale pour l’exécution des peines suppose que le parquet soit présent dans les commissions d’application des peines, qu’il doit avoir une politique en termes de sortie des détenus et ne pas seulement s’opposer à un certain nombre de sorties sous prétexte que cela pose des problèmes de sécurité. Ces problèmes de sécurité sont réels mais la sortie des jeunes sans prise en charge aucune en pose encore bien plus. Il se pose donc une véritable question des politiques pénales à l’intérieur des établissements.

En revanche, lorsque je me déplace dans le cadre de ma mission actuelle sur les conventions départementales d’objectifs, je trouve que les parquets manifestent leur intérêt à l’idée que l’on va pouvoir leur donner les moyens de travailler avec le secteur sanitaire et social. De ce point de vue, la démarche est positive. Mais l’intérêt des magistrats pour les prisons est limité. Il m’est arrivé un certain nombre de fois d’aller visiter des prisons dans le cadre de mes fonctions actuelles et d’accompagner des magistrats qui visitaient la prison pour la première fois. Je ne citerai pas de département. En tout cas, c’est une situation que l’on rencontre assez fréquemment.

M. le Président : Nous le constatons dans nos visites, c’est une des questions que l’on pose. Sans citer non plus mes sources plus que vous, au cours d’une conversation, un juge d’application des peines très motivé me tenait à peu près le même propos. " On enferme pendant un an tel jeune qui a commis tel ou tel délit et les gens dans le quartier sont tranquilles. Mais dans quel état va-t-on le retrouver à la sortie " ?

S’agissant de l’alcool et des stupéfiants, certains des témoins qui sont venus devant la commission nous ont dit que, dans le fond, l’administration pénitentiaire, dans certains établissements, fermerait les yeux sur des petits trafics qui assurent finalement la tranquillité et maintiennent la paix dans la prison. Y a-t-il moyen de combattre efficacement ce fléau, étant entendu que le sevrage n’est pas facile ? Comment appréciez-vous ce trafic et la possibilité d’avoir au contraire une médicalisation sérieuse ?

Mme Nicole MAESTRACCI : Dès lors que les prisons sont ouvertes sur l’extérieur, à partir du moment où il y a eu des visites sans dispositif de séparation, à partir du moment où il y a beaucoup d’intervenants de l’extérieur, il est certain que les produits circulent. Ils circulaient déjà auparavant et les prisons sont également des lieux de trafic de ces produits. Mais il est aussi certain que, même si c’est préoccupant, ces produits circulent beaucoup moins en prison qu’à l’extérieur.

Je pense que là aussi il faut avoir une politique pragmatique et il ne faut pas confondre toutes les consommations. Il y a des consommations d’héroïne ou de produits extrêmement dangereux et il y a des consommations plus occasionnelles, qui résultent souvent du fait que les jeunes sont dés_uvrés, enfermés et que l’offre de produits reste relativement tentante et importante. Dans ces cas-là, il est important de poser des interdits mais, en même temps, il convient de prendre acte de ce qui existe, ce qui pose en effet beaucoup de problèmes à l’intérieur des établissements pénitentiaires.

Premièrement, il est absolument indispensable de permettre à tous les usagers de drogue de bénéficier des traitements de substitution à l’intérieur. Le sevrage peut être un traitement efficace. Néanmoins, avant que le traitement de substitution ne soit mis en _uvre, à peine 20 % des héroïnomanes arrivaient à s’en sortir avec le sevrage. Aujourd’hui, environ 70 000 personnes à l’extérieur sont sous traitement de substitution, sur un effectif proche de 150 000 héroïnomanes. Le résultat de cette situation est tout de même que l’on a une moins grande prévalence du VIH à l’extérieur, une baisse d’un certain type de délinquance, c’est-à-dire toute la délinquance associée à la toxicomanie dure : les agressions et les cambriolages de pharmacie etc. ont baissé considérablement ces dernières années et l’insertion sociale des héroïnomanes s’est améliorée. Les effets sont extrêmement positifs.

A l’intérieur des établissements pénitentiaires, on se rend bien compte qu’il y a un problème de réduction des risques et que l’on n’éradiquera pas complètement la présence de produits. De l’eau de Javel a été distribuée mais on ne va jusqu’à distribuer des seringues, ce qui poserait, il est vrai, beaucoup de problèmes. Nous avons eu les mêmes débats sur les préservatifs. C’est un débat de caractère politique qui dépasse largement les spécialistes et les techniciens. Je rappelle toutefois que l’on a eu, en France, pendant longtemps, des positions extrêmement rigides sur la question des échanges de seringues et sur la question de la vente des seringues en pharmacie. A cet égard, la France a été un des derniers pays à les mettre en vente libre pour des raisons très idéologiques, ce que l’on a payé par un certain nombre de morts de toxicomanes dans les années 1990-1991.Il faut se souvenir de ces questions-là.

Il existe d’autres pistes à l’intérieur des établissements pénitentiaires. J’ai personnellement travaillé dans une prison 13 000. Dans ces prisons, le fait que les détenus soient incarcérés seuls en cellule réduit quand même la question des passages de stupéfiants. D’autre part, le fait que le service médical soit ou non très attentif à ces questions joue un rôle très important. C’est pour cela que l’offre de soins est très importante comme l’est le rôle des infirmiers. Il est important aussi que les personnels de surveillance soient concernés et suffisamment informés sur ces questions. A cet égard, un travail est en cours dans le cadre du plan qui a été adopté par le gouvernement pour arriver à former tous les professionnels non spécialisés, les policiers et les gendarmes mais aussi les personnels pénitentiaires. Il est vrai que, la plupart du temps, ils n’ont pas la formation minimum sur ces questions qui leur permettrait d’avoir une attitude de prévention de proximité.

Une autre piste de travail fonctionne bien dans certains établissements : travailler avec les familles, non pas seulement dans une perspective répressive c’est-à-dire en faisant un contrôle avec les chiens à l’entrée, même s’il faut en faire sans doute un certain nombre, mais en profitant de cette attente des familles et de ces permis de visite pour avoir un travail préventif et d’alerte sur ces questions.

Aucune politique ne repose sur une seule mesure. Mais un certain nombre de mesures qui ont été testées, soit en France, soit dans d’autres pays étrangers, peuvent être mises en _uvre en France.

M. le Président : Nous sommes quelques-uns ici à avoir visité des prisons de Guyane, Martinique et Guadeloupe tout récemment. D’après ce qui nous a été dit tant du côté des chefs d’établissements que des détenus, il ne nous a pas semblé que le suivi médical en matière de toxicomanie soit aussi rapide que vous ne le dites. Il serait intéressant que vous voyiez ce qui se passe dans ces départements lointains.

Mme Nicole MAESTRACCI : Vous avez parfaitement raison et je sais qu’il y a un problème sur ces départements là. Sur le reste des départements, la situation s’est considérablement améliorée.

M. Jacky DARNE : Du point de vue de son organisation et son organigramme, quels sont les moyens de votre mission ? En termes de déconcentration, quel jugement portez-vous sur son efficacité ?

S’agissant de coordination, vous avez parlé des antennes dans les établissements. De qui relèvent-elles hiérarchiquement ? Comment intervenez-vous ? En un mot, j’aimerais connaître votre appréciation sur l’efficacité de votre organigramme et ses moyens ?

Par ailleurs, lors de visites d’établissements, j’ai eu des commentaires sur les coûts des médicaments et j’avoue que je n’ai pas tout compris. Dans un établissement par exemple, il semble que le prix des médicaments fasse l’objet d’une sorte de prix de journée avec l’hôpital et que lorsque l’on augmente les traitements par Subutex ou méthadone, traitements coûteux, quelque difficulté apparaisse au plan financier. Pouvez-vous m’indiquer si le financement des médicaments dans les établissements pénitentiaires est une source de difficulté ?

Vous avez évoqué la question des différentes drogues et vous avez aussi évoqué rapidement le tabac en indiquant que la plupart des détenus fument, certains même en faisant une consommation importante. Des actions de communication sont-elles menées sur ce plan, sachant qu’on meurt du tabac plus que du cannabis.

Vous avez regretté aussi qu’on ne fasse rien aussi pour l’alcool. Qu’est-ce que vous voulez faire ? Comment agir ?

Enfin, est-ce que vous avez trouvé une relation entre les automutilations des détenus, voire les tentatives de suicides, et les populations toxicomanes ? Dans le cadre de la prévention du suicide, un lien de cause à effet est-il établi ?

Vous dites qu’il ne faut pas confondre toutes les consommations de drogue. Est-ce que vous êtes favorable à la liberté de circulation du cannabis dans l’établissement ? Serait-ce une bonne formule ?

Mme Nicole MAESTRACCI : S’agissant de l’organigramme, je rappelle que c’est une petite mission composée de quarante-deux personnes dont vingt-trois cadres A mis à disposition par chacun des ministères concernés. J’ai ainsi un médecin, un pharmacien, un officier de gendarmerie, un commissaire de police, un magistrat, un conseiller diplomatique, des fonctionnaires des douanes, de jeunesse et sport, de l’éducation nationale et de la recherche.

Ce n’est pas moi qui peux répondre sur l’efficacité de cette mission, laquelle a toutes les difficultés des missions transversales dans un pays marqué par une certaine verticalité de l’administration.

J’ai été nommée après un rapport de la Cour des comptes très critique à la fois sur la coordination interministérielle, le pilotage interministériel et l’utilisation des crédits. J’ai donc fait des propositions au premier ministre pour essayer d’améliorer cette situation et elles ont été reprises dans le cadre du plan qui a été adopté.

Premier point, je crois que le travail interministériel a permis depuis un an et demi de faire en sorte que tous les ministères partagent un peu sur ces questions une culture commune et des bases de connaissances communes. C’était un de mes premiers objectifs.

Aujourd’hui, nous avons des connaissances à la fois sur les données épidémiologiques, sur les produits qui circulent, sur les traitements possibles ou pas possibles. Ces données restaient vraiment confinées dans un cercle étroit de spécialistes.

Le fait que tous les ministères reconnaissent aujourd’hui que les objectifs de santé publique priment est un progrès important. Cependant, les cultures ministérielles sont extrêmement diverses et nécessairement des conflits de logique peuvent apparaître.

Quels sont mes moyens ? Des crédits interministériels qui étaient de 300 MF en 2000 et que j’ai complètement réorganisés. Ils étaient précédemment délégués aux différents ministères pour mener leurs propres actions, de telle sorte que la Cour des comptes avait relevé à juste titre que le dispositif constituait une sorte de troisième tour budgétaire, avec une forme de guichet ouvert qui avait permis à un certain nombre de ministères d’avoir des moyens supplémentaires de fonctionnement classiques, voitures, bureaux, etc.

J’ai réorganisé ces crédits de manière à ce qu’ils soient effectivement utilisés pour des actions interministérielles et qu’ils soient, pour une grande partie, déconcentrés aux préfets avec deux objectifs : les conventions départementales d’objectifs pour les personnes sous main de justice et la prévention. En outre, un certain nombre de crédits sont consacrés à la recherche et aux deux observatoires financés par la MILDT : l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies et Drogue Info Service, numéro Vert ; la MILDT finance également un site Internet, des campagnes de communications comme celle que l’on vient de lancer récemment avec la diffusion très large d’un livre sur les drogues et les dépendances.

M. Jacky DARNE : Ce petit livre a-t-il été donné dans les prisons ?

Mme Nicole MAESTRACCI : Dans la première partie de la campagne, il a été vendu en kiosque et il va être donné dans les prisons, bien entendu. L’objectif est qu’il soit donné à la fois au personnel et aux détenus et qu’il puisse faire l’objet d’un débat y compris sur le tabac.

Je pense que les conventions départementales d’objectifs ont vraiment permis de faire un travail interministériel local. En ce qui concerne la prévention, le retard était énorme et nous sommes en train de le rattraper quelque peu. Je reste assez modeste parce que, à mon sens, il convenait d’abord de faire en sorte que tout le monde parte de bases communes et de " dé-idéologiser " un débat qui n’a pas lieu d’être idéologisé car aujourd’hui, on sait réellement suffisamment de choses pour travailler à partir d’éléments objectifs.

Dans les conventions départementales d’objectifs, nous avons consacré beaucoup de crédits à l’alcool et nous avons développé déjà beaucoup de consultations spécialisées concernant les alcoolo-dépendants ou les personnes qui ont des problèmes avec l’alcool. De ce point de vue, je pense qu’il y a un progrès considérable.

Dans le cadre de la réorganisation du dispositif de soins aux toxicomanes en prison, nous incluons l’alcool bien entendu. Il n’y aura plus de dispositif séparé et une équipe de liaison s’attachera à toutes les dépendances et pas seulement à la toxicomanie.

Les moyens y sont ! C’est maintenant vraiment un problème d’organisation interne et d’arbitrage entre différents pouvoirs.

La troisième question est celle des médicaments de substitution. L’histoire fait que la toxicomanie était de la compétence de l’Etat et non pas de l’assurance maladie et en conséquence les traitements de substitution étaient remboursés par l’Etat aux hôpitaux avec un dispositif qui apparaît aujourd’hui un peu absurde. On est donc en train de transférer progressivement à l’assurance-maladie l’ensemble de ces crédits qui devraient permettre de traiter les médicaments de substitution comme des médicaments classiques.

Cela dit, je m’étonne qu’il y ait encore des problèmes ! En principe il ne devrait plus y en avoir. Sans doute s’agit-il plutôt d’un faux prétexte, lié à la mauvaise volonté de certains acteurs qu’aux textes eux-mêmes, parce que les crédits sont là.

Enfin, s’agissant de la relation entre automutilations et suicides, nous n’avons pas d’élément qui nous permette de dire qu’il y a ou non une relation. D’ailleurs, il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas, concernant les relations entre toxicomanie et délinquance ou entre alcool et délinquance. Sur ces relations, nous avons très peu de recherches, contrairement à d’autres pays étrangers. C’est un thème sur lequel nous voulons travailler.

La question de la consommation du cannabis dans les établissements pénitentiaires ne peut pas être réglée seulement dans les établissements pénitentiaires car c’est une question plus générale. Elle ne peut pas être réglée de manière franco-française, comme vous le savez, puisque nous sommes tenus par les conventions internationales.

Nous savons aujourd’hui que bien plus que la dangerosité intrinsèque du produit, la question, importante et compliquée, est celle du comportement de consommation. Il n’y a pas de commune mesure entre un jeune qui va consommer du cannabis de manière expérimentale ou occasionnelle et un jeune de quatorze-quinze ans qui, comme on le voit trop souvent, va consommer du cannabis du matin au soir. Ce dernier pose un problème sanitaire et social pour lequel il faut agir. Mais il est difficile de traduire dans un texte législatif la question du comportement de consommation, c’est-à-dire la distinction entre l’usage occasionnel et l’usage nocif. La question est compliquée en prison et à l’extérieur.

M. le Président : Y a-t-il des personnes incarcérées uniquement pour consommation ?

Mme Nicole MAESTRACCI : Une enquête de 1995 - que je vous ferai parvenir - montrait qu’il y avait environ 160 personnes, un jour donné, qui étaient incarcérées pour simple usage. C’est un chiffre " de stock ". J’ai demandé à l’administration pénitentiaire de refaire la même évaluation aujourd’hui pour savoir si le chiffre a baissé ou pas.

En principe, dans la circulaire qui a été adressée par Mme le garde des sceaux aux procureurs juste après le plan triennal du gouvernement, il est demandé aux procureurs d’éviter l’incarcération pour les simples usagers. Mais il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette circulaire.

M. le Président : Sont-ils en préventive ou sont-ils condamnés ?

Mme Nicole MAESTRACCI : Dans l’enquête, il y avait les deux catégories. Encore faut-il savoir qu’une infraction de simple usage ne fait pas l’objet d’une information. Il peut y avoir éventuellement une détention provisoire parce que l’audience de comparution immédiate a été reportée mais dans la plupart des cas il s’agissait de condamnés.

M. le Président : Des condamnés à des peines de quelle durée ?

Mme Nicole MAESTRACCI : A des peines de durée courte, de l’ordre de trois mois.

M. le Président : Le temps de ressortir pires !

Mme Nicole MAESTRACCI : La peine encourue en France pour les simples usagers est d’un an d’emprisonnement.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je souhaite revenir plus en détail sur certains points de votre développement.

On a beaucoup parlé des effets mais pas tellement des causes. Une contradiction m’apparaît vraiment flagrante : on veut lutter contre les différentes drogues - la cigarette, l’alcool et la drogue elle-même - mais en même temps on n’occupe pas les détenus. Quel est votre point de vue sur ce point ? Avez-vous une donnée en pourcentage sur l’initiation à la drogue, quelles qu’en soient les déclinaisons, à l’intérieur même de la prison, liée au dés_uvrement des détenus ?

Disposez-vous également des pourcentages de consommation des femmes et des hommes ? Certains chiffres peuvent être fort parlants sous cet angle.

S’agissant de la consommation à l’intérieur des maisons d’arrêt ou à l’intérieur de centres de détention, certains surveillants sont plutôt assez tolérants sur la consommation. Comment expliquez-vous qu’on laisse parfois le détenu consommer de la drogue, quitte à le punir ensuite, en le mettant immédiatement après au mitard ou en cellule d’isolement ? J’ai eu connaissance de plusieurs exemples de ce type au cours de visites dans les prisons et une telle pratique me paraît complètement aberrante et contradictoire.

Vous avez également parlé de l’organisation en liaison avec les structures hospitalières. Avant d’être député, j’ai travaillé dans un centre de dépistage anonyme et gratuit où on essayait avec force conviction de mettre le dispositif en place. J’ai constaté qu’il est très difficile de parvenir à faire " lâcher " par les hôpitaux ceux qui, médecins ou personnels médicaux, voudraient aller travailler dans ce que vous appelez des antennes à l’intérieur même des établissements. Je ne sais si une amélioration a été enregistrée sur ce plan depuis trois ans. En tout cas, c’était la grosse difficulté à laquelle nous nous heurtions.

Mme Nicole MAESTRACCI : La situation s’est considérablement améliorée sur la capacité des services hospitaliers à mobiliser suffisamment de personnel pour intervenir dans les établissements pénitentiaires. Le dispositif s’est professionnalisé et il s’est amélioré. Il est loin encore d’être parfait parce que tout dépend beaucoup à la fois du directeur d’hôpital et des chefs de service hospitaliers dont relève l’établissement pénitentiaire. En revanche, il y a beaucoup moins de difficultés entre l’hôpital et l’établissement pénitentiaire car beaucoup de progrès ont été faits sur la capacité des uns à travailler avec les autres. A part certains lieux extrêmement isolés - je pense par exemple au problème de Joux-la-Ville, qui est d’ailleurs un des établissements du programme 13 000 pour lesquels on a beaucoup de mal à recruter des médecins compétents - j’ai le sentiment tout de même que les choses ont considérablement évolué par rapport à la situation précédente. Mais, je le répète, c’est encore loin d’être parfait.

En ce qui concerne la répartition entre les femmes et les hommes, je vous donnerai les chiffres précis mais elle est à peu près équivalente et il n’y a pas de différence fondamentale. La population carcérale féminine étant beaucoup plus faible que la population carcérale masculine, il y a plutôt une sur-représentation en maisons d’arrêt des femmes condamnées pour infraction à la législation sur les stupéfiants et donc peut-être un peu plus d’usagères de drogues dans cette population. En revanche, l’équilibre se rétablit dans la population condamnée pour laquelle on compte moins d’infractions à la législation sur les stupéfiants et plus d’infractions contre les personnes. Globalement, il n’y a pas de grandes différences.

S’agissant de l’initiation à la drogue dans les établissements pénitentiaires, les seuls chiffres disponibles sont ceux que j’ai cités tout à l’heure résultant d’une enquête faite par l’INSERM et l’IVS sur la population qui fréquente aujourd’hui les structures de réduction des risques, boutiques, programmes d’échange de seringues. Il ressort que dans cette population là, très en difficulté, très exclue et qui a fait beaucoup de prison, 6 % des usagers doivent avoir eu une initiation en prison. Ce chiffre m’est apparu tout de même extrêmement important. Il s’agit toutefois d’une enquête limitée.

Vous avez évoqué l’attitude du personnel à l’égard des transgressions diverses et notamment à l’égard du cannabis. Il est demandé à des personnels de gérer des situations qui n’ont pas forcément été très clairement tranchées par ailleurs. Ils sont placés dans une situation souvent très difficile.

L’ambiguïté existe, par exemple, par rapport au parloir sexuel avec un personnel qui " ferme les yeux " dans le cadre des visites familiales. Il en va de même pour l’usage du cannabis pour la consommation duquel des sanctions disciplinaires extrêmement lourdes peuvent être prononcées, allant jusqu’à quarante-cinq jours de cellule disciplinaire. Parfois, au contraire, une certaine tolérance peut être constatée ou même cette tolérance peut précéder la punition ! Cette difficulté ne se règle pas seulement ni par un texte ou par la loi mais par de la formation et par un encadrement à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire.

Cette question se pose d’ailleurs un peu dans les mêmes termes dans les établissements scolaires : on constate parfois des sanctions disciplinaires très lourdes avec l’exclusion des élèves et parfois des tolérances qui ne sont pas du point de vue éducatif beaucoup plus fondées.

Comment gérer la question du cannabis ? La question demeure assez compliquée aujourd’hui. A l’extérieur, un jeune sur trois, dans les 15-19 ans, en a consommé ; à 18 ans, c’est un jeune sur deux. Cette situation qui n’est pas propre à la France - elle existe dans tous les pays européens - nécessite effectivement une clarification.

L’un des objectifs du plan triennal est d’arriver à distinguer les pratiques d’usage occasionnel et les pratiques d’usage nocif sans focaliser sur un seul produit car les jeunes ne consomment pas uniquement du cannabis. Ceux qui en consomment sont aussi ceux qui consomment du tabac et de l’alcool. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons une prévention un peu différente de celle que l’on avait par le passé. En tout cas, par rapport à l’attitude à l’intérieur des établissements pénitentiaires, je crois essentiellement à la formation et à la capacité de l’encadrement pénitentiaire à gérer cette question de manière pragmatique et intelligente. Je ne crois pas seulement à la position de l’interdit.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Peut-être n’ai-je pas été suffisamment précise sur cette contradiction et sur ce cercle vicieux qui consiste, dans le souci de calmer certains détenus, à les laisser fumer du cannabis pour ensuite les isoler pendant vingt, trente, quarante jours, ce qui les rend beaucoup plus agressifs qu’ils ne l’ont été. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on les laisse fumer ou utiliser quelque drogue que ce soit pour les punir ensuite. C’est un cercle vicieux dont ils ne sortent jamais ! Dans les différents échanges que j’ai pu avoir, tout le monde déplore cet illogisme mais en même temps on continue toujours dans ce sens ! Comment peut-on inverser ce schéma de la tolérance suivie de la punition qui, manifestement, est source d’embarras pour tous ?

Mme Nicole MAESTRACCI : Je n’ai pas une seule réponse mais tout de même, quelques-unes peuvent être avancées.

La question principale aujourd’hui dans les établissements pénitentiaires, indépendamment du problème de la drogue, est celle de la transparence des décisions et de la compréhension des décisions par les détenus. Une série de petites décisions administratives ou de décisions disciplinaires peuvent être prises sans compréhension, sans transparence et laisser une impression d’injustice de la part des détenus. C’est toute la question qui a été évoquée dans le cadre de la commission présidée par M. Canivet et ces questions se posent aussi dans ce cadre-là. Il en va ainsi du contrôle des décisions disciplinaires ou de la manière dont les détenus peuvent parler de ce genre de situations.

J’ai constaté que dans les établissements où il y avait un chef d’établissement très soucieux de la formation et de l’encadrement de ses personnels, ces comportements ne se produisaient pas ou moins. Je crois donc qu’il y a une marge de man_uvre très importante. Certes, j’ai fait une description qui montre un certain nombre de difficultés mais il existe aujourd’hui des moyens qu’il n’y avait pas il y a quelques années. C’est le cas pour la formation et l’information à destination des personnels. Je le répète, la marge de man_uvre est extrêmement importante, beaucoup plus qu’on ne l’imagine habituellement.

M. le Président : Nous avons d’ailleurs abordé cette question avec beaucoup de témoins. Vous l’avez dit, elle pose le problème de la qualité des personnels et des relations humaines ainsi que de l’introduction du droit dans les prisons, autant d’éléments repris dans le rapport Canivet et qui permettent de sortir de cette forte contradiction.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr