7.32. Comme nous l’avons indiqué plus haut, à mesure que le Rwanda continuait de sombrer dans le chaos durant toute l’année 1993, une ancienne et mortelle némésis resurgit après une longue période de passivité. La dernière chose dont le pays ou ses habitants avaient besoin était le retour du "syndrome de massacre parallèle" Burundi-Rwanda, que nous avons examiné dans un chapitre précédent. Nous l’avons vu, l’un des plus violents épisodes de l’histoire de l’Afrique indépendante eut lieu en 1972 au Burundi qui connut une orgie de meurtres soigneusement ciblés. Contrairement au Rwanda, le Burundi avait, après l’indépendance, supprimé la mention ethnique des cartes d’identité de ses citoyens. Il est décevant de constater d’après l’histoire des quatre dernières décennies que cette initiative n’a pas permis aux Burundais d’être moins exposés que les Rwandais à la manipulation ethnique par des dirigeants sans scrupules.

7.33. De violentes agitations reprirent dans les années qui suivirent 1988. Des tentatives sérieuses mais modestes de démocratisation et de plus grande équité ethnique déclenchèrent à plusieurs reprises la violence des deux côtés. Chez les élites des deux groupes ethniques, c’était un acte de foi que chacun conspirait en vue d’éliminer l’autre. Malgré les nombreuses années de calme relatif, il fallait peu de choses pour faire éclater la discorde.

7.34. En 1988, 1990 et 1991, les massacres firent disparaître des milliers de dirigeants Tutsi et de civils Hutu et ils furent des dizaines de milliers à s’enfuir du pays[41]. En 1992, une tentative de coup d’État par des soldats rebelles fut réprimée. Sous le Président Pierre Buyoya, lui-même major de l’armée porté au pouvoir par un coup d’État, les tentatives de réforme se poursuivirent et la première élection libre et équitable de l’histoire du Burundi eut lieu en juin 1993.

7.35. Malgré toute la propagande officielle niant l’importance de l’ethnicité, le Président sortant Tutsi Buyoya fut vaincu par un électorat en majorité Hutu au profit d’un président Hutu, Melchior Ndadaye. Quatre mois plus tard, en octobre 1993, Ndadaye fut assassiné pendant une tentative de coup d’État qui fut suivie par l’un des massacres les plus meurtriers de l’histoire sanglante du Burundi. Dans plusieurs secteurs, les autorités locales Hutu menaient les attaques contre les Tutsi, tandis que l’armée dominée par les Tutsi organisait des représailles massives. Bien que l’armée dominée par les Tutsi ait joué un rôle clé dans les exécutions de civils Hutu, les deux groupes ont participé aux massacres. On estime que 50 000 personnes parmi les deux groupes ethniques furent assassinées tandis que de 800 000 à 1 000 000 de réfugiés Hutu s’enfuirent vers le Rwanda, la Tanzanie et le Zaïre[42].

7.36. La calamité au Burundi fut l’événement idéal dont allaient profiter les opportunistes impitoyables de l’Akazu ainsi que leur réseau au Rwanda voisin. Même s’ils avaient réussi, depuis l’invasion du FPR en 1990, à unifier les Hutu rwandais contre les Tutsi de l’extérieur, le fait est que la plupart des Rwandais n’avaient jamais rien connu d’autre que la domination Hutu. Les Tutsi avaient été complètement écartés du pouvoir politique depuis plus de 30 ans, mais l’invasion du FPR était exploitée comme étant la preuve irréfutable de leur insatiable ambition.

7.37. Maintenant, trois ans après l’invasion, la guerre civile étant suspendue suite aux progrès réalisés dans les négociations d’Arusha, une toute nouvelle arme venait d’être offerte aux radicaux du Rwanda. L’assassinat du Président Hutu élu démocratiquement au Burundi - ouvertement célébré par certains Tutsi rwandais[43] - et les épouvantables massacres qui suivirent offraient aux Hutu la preuve finale que le partage du pouvoir entre Tutsi et Hutu était voué à l’échec et qu’on ne pourrait jamais faire confiance aux Tutsi. Les extrémistes Hutu n’envisagèrent qu’un seul moyen pour garantir que les Tutsi du Rwanda ne puissent pas réaliser leur aspiration historique de gouverner le pays unilatéralement et d’éliminer autant de Hutu qu’il le faudrait pour atteindre cet objectif. Les Hutu se devaient d’agir les premiers. La solution finale prévue pour les Tutsi semblait donc justifiée comme une forme d’autodéfense de la part des futures victimes Hutu.


[41] Ibid.Arming Rwanda, 28.

[42] Entrevue avec Filip Reytjens ; René Lemarchand, Burundi : Ethnic Conflict and Genocide, 2e édition, (Cambridge, R.-U. : Cambridge University Press et Woodrow Wilson Center Press, 1996), p. xiv.

[43]Entrevue avec Filip Reytjens.


Source : Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : http://www.oau-oua.org