Le Rwanda est confronté à une croissance démographique très rapide et à des difficultés économiques structurelles, qui ont atteint ces dernières années des proportions extrêmes.

" Un monde plein au coeur de l’Afrique "(

Lapidaire, cette formule pose d’entrée de jeu le double problème de la surpopulation et de l’enclavement du Rwanda. Sans qu’il soit question de désigner la surpopulation comme cause directe des difficultés et des crises politiques qui secouent le Rwanda de manière récurrente, " il serait non moins absurde de méconnaître le rôle que jouent, dans cette succession de crises, des phénomènes comme la densité de peuplement, le niveau et l’évolution de la fécondité(21) ".

Les recensements de 1978 et 1991, ainsi que les enquêtes de fécondité de 1970, 1983 et 1992 permettent de dégager un certain nombre de données relativement précises sur l’évolution démographique.

STATISTIQUES DE BASE DU RWANDA(22)

Superficie
26 338 km2

Démographie

Population totale, 31 décembre 1993
7,9 millions
Population urbaine, 1989
426 000 (estimation)
Population de Kigali (capitale), 1988
300 000 (estimation)
Densité mi-1993
292 habitants/ km2
Taux d’accroissement naturel, 1991
3,1 %/an
Indice synthétique de fécondité, 1983
8,5 enfants/femme
Indice synthétique de fécondité, 1992
6,2 enfants/femme
Taux de mortalité infantile, 1992
85/1 000 naissances
Espérance de vie à la naissance, 1991
52,2 ans (estimation)
Sources : - Banque mondiale, rapport sur le développement dans le monde - 1995 ; Le monde du travail dans une économie sans frontières, 1996

- Nations Unies, Rapport mondial sur le développement humain 1995, Paris, Economie, 1995

- République rwandaise, Recensement général de la population et de l’habitat du
15 août 1991, version provisoire non publiée, Kigali, Ministère du Plan, 1993

- J.F. MAY, M. MUKAMANZI et M. VEKEMANS " Family planning in Rwanda : Status & Prospect ", Studies in Family Planning, 21, 1, 1990, 20-32

Le Rwanda a entamé son processus de transition démographique pendant la Seconde guerre mondiale, voire déjà dans les années 30, ce qui a conduit, dans une première phase, à un recul du taux de mortalité. Le rythme de baisse de celui-ci s’est d’ailleurs accéléré depuis, sans que soit constatée parallèlement une diminution de la fécondité, bien au contraire : l’indice synthétique de fécondité atteignait ainsi 8,5 en 1983, alors qu’il s’établissait en 1970 à 7,7. Faut-il déduire des statistiques les plus récentes, qui font état d’une baisse de la fécondité depuis la fin des années 80 (6,2 enfants par femme en 1992) que le Rwanda a amorcé la dernière étape de sa transition démographique ? Il faudrait disposer de données récentes pour répondre à une telle question.

UN ACCROISSEMENT NATUREL TRÈS IMPORTANT

Année
Nombre d’habitants
(en millions)
1950
2,0
1970
3,7
1975
4,4
1978
4,8
1991
7,3
1993
7,9
Source : J. MAY, op. cit.

Très fort accroissement naturel, territoire exigu : les niveaux de densité sont éloquents. Alors qu’on comptait 77 habitants au km2 en 1948, la densité atteint 188 habitants/km2 -250 habitants/km2 habitable- en 1978 ; elle s’établit, à la mi-1993, à 292 habitants/km2. Rapportée à la superficie agricole arable, la densité atteint même 406 habitants/km2. C’est à Ruhondo, dans la préfecture de Ruhengeri, que la densité est la plus élevée (820 habitants/km2). Singulier en Afrique subsaharienne, où la densité moyenne est de 23 habitants/km2, ce niveau de densité " n’a rien d’exceptionnel par rapport à d’autres parties très peuplées du monde tropical. Mais de presque toutes, le Rwanda diffère par sa nature de montagne en position continentale (par opposition aux " îles à sucre "), par la rareté des cultures irriguées de plaine (à l’opposé des deltas rizicoles) et surtout par l’étonnante faiblesse de la vie industrielle et urbaine... "(23).

Les facteurs de surpopulation sont nombreux. Tout d’abord, les conditions climatiques et naturelles expliquent largement cette tendance ; l’enclavement et le relief rwandais ont indéniablement joué un rôle de bouclier dans l’histoire rwandaise protégeant notamment les populations des épidémies et de l’esclavage ; plus encore, dans ce dernier cas, le Rwanda a sans doute servi de refuge et a vu sa population augmenter d’autant. Les causes de la surpopulation, et notamment du haut niveau de fécondité, sont également d’ordre économique ; dans un pays où l’agriculture occupe 93 % de la population, la taille de la cellule familiale est considérée comme déterminante pour assurer la survie de la famille. En outre, les facteurs culturels jouent un rôle de première importance, la culture traditionnelle rwandaise et les positions de l’Eglise catholique dans un pays qui compte 62 % de catholiques s’étant mutuellement renforcées.

Enfin, les réponses politiques à la pression démographique se sont révélées insuffisantes et généralement trop tardives. La première eut lieu sous la colonisation belge en 1955 : un programme d’émigration fut élaboré dans le but de diriger la main d’oeuvre excédentaire vers les plantations et les mines des pays voisins. La fermeture des frontières consécutive aux indépendances mit fin à l’opération. Dans les années 1960, les réponses portèrent également sur la variable territoriale : après une politique de redistribution spatiale de la population -les " paysannats "(24)- vite avortée, une action d’" extensification " et d’intensification agricole fut menée à partir de 1965, qui buta cependant sur la limite écologique.

L’UTILISATION DES SOLS : ÉVOLUTION 1970-1986

(en hectares)
Utilisation
1970
1980
1986 (a)
Pâturages
487 884
322 060
199 360
Boisements communaux
27 156
57 200
99 500
Jachères
200 000
154 000
123 000
Terres de cultures
527 660
710 400
826 500
Total
1 242 700
1 243 660
1 248 360
(a) L’enquête agricole de 1989 confirme en gros les résultats de 1986 ; mais elle fait apparaître 30 % de jachères en plus, et trois quarts de pâturages en moins.

Sources : - MINAGRI, " enquête nationale agricole 1989 : production, superficie, rendement, élevage et leur évolution 1984-1989 ", publication DSA n° 22, Kigali, 1991.

- République rwandaise, " le Rwanda et le problème de ses réfugiés, contexte historique, analyse et voies de solution ", Kigali, Présidence de la République, Commission spéciale sur les problèmes des émigrés rwandais, 1990.

C’est seulement en 1981 que l’on s’efforça de jouer sur la variable démographique, avec le lancement d’un programme de planification familiale fondé sur l’offre de services de contraception et assorti d’un volet d’information, éducation et communication. Mise en oeuvre très mollement -le programme ne commence véritablement qu’en 1987- cette politique n’est, en elle-même, pas à la hauteur du problème. La " politique nationale de population " promulguée en 1990 se révèle tout aussi dénuée d’une véritable volonté politique. Aux facteurs précités, il faut ajouter, pour expliquer ces échecs successifs, l’incapacité des dirigeants rwandais à anticiper dans ce domaine. En effet, loin d’émaner des acteurs rwandais, les politiques mises en œuvre ont, le plus souvent, été décidées sous la pression de bailleurs de fonds étrangers (Banque mondiale, Nations Unies, coopérations bilatérales américaine et allemande).

Une économie dépendante

C’est à la lumière des données économiques structurelles du Rwanda que le problème de la surpopulation revêt toute son acuité. Pauvre en ressources naturelles, le Rwanda a fondé son développement sur une économie agricole extrêmement dépendante des fluctuations des cours internationaux. Ces fragilités structurelles n’ont pas manqué d’éclater au grand jour dans les années 80 et 90.

DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES

Produit national brut par habitant, 1993
210 $ US
Main d’oeuvre totale par secteur, 1990-1992 :

 Agriculture
90 %
 Industrie
2 %
 Secteur tertiaire
8 %
Taux d’analphabétisme, 1991, deux sexes
44 %
Calories journalières par personne, 1992
1 821
Sources : - Banque mondiale, op. cit., 1995

- Nations Unies, op. cit., 1995

L’économie rwandaise est centrée, d’une part, sur la trilogie vivrière " sorgho-haricot-banane " et, d’autre part, sur deux cultures d’exportation, le café et le thé, 5 % des terres seulement étant consacrées aux cultures destinées à l’exportation. Quant au secteur manufacturier, inexistant en 1962, il représentait en 1992 environ 16 % du produit intérieur brut (PIB).

Le café représente de loin le principal produit d’exportation, puisqu’il compte pour 60 à 80 % des recettes d’exportation. Rendue obligatoire dès 1927, la culture du café se propagea rapidement. Avec la généralisation de la culture du café, la paysannerie du Rwanda entra définitivement sous la tutelle de l’économie monétaire(25).

La croissance de la production fut constante jusqu’en 1986, année de pic de la production, avec 42 000 tonnes de café exportées, qui fournirent 82 % des recettes totales d’exportation. Héritage de la période coloniale, cette dépendance de l’économie rwandaise à l’égard de cette seule culture est restée peu sensible jusqu’aux années 1980. Dans les années 1970 en effet, le Rwanda connaît une situation économique et financière saine, qui se caractérise par un taux élevé de croissance économique (5 % en moyenne), une stabilité financière, ainsi qu’un taux d’inflation faible. Cette situation tient avant tout au niveau élevé du prix du café et à une gestion publique très prudente. Dans ce Rwanda, alors considéré comme " la Suisse de l’Afrique ", l’illusion d’une réussite socio-économique est forte de 1976 à 1983.

Dans la deuxième moitié des années 1980, la conjoncture économique se dégrade fortement. Couplé à une succession de difficultés internes (sécheresse, excès d’eau, glissements de terrain, maladies des plantes, bananes et haricots), ce retournement de conjoncture met en lumière les fragilités structurelles du système de production agricole, d’autant plus vivement ressenties que la production industrielle est marginale, faute d’une compétitivité-coût suffisante, de formation de la main-d’oeuvre et de matières premières.

Si la politique monétaire et budgétaire restrictive alors mise en oeuvre par les responsables rwandais, à laquelle s’ajoutent des mesures protectionnistes, réussit jusqu’en 1986, la chute importante des cours internationaux du café (près de 50 %) à partir de 1987 entraîne le pays dans un cercle vicieux (perte des recettes d’exportation, déficit budgétaire, augmentation du coût des importations, dévaluation, etc.). Les quelque 700 000 producteurs de café subissent de plein fouet ce retournement de conjoncture : alors que le Gouvernement leur assurait un prix garanti de 125 francs rwandais au kilogramme -ce qui, jusqu’en 1987, était inférieur au prix du marché, d’où une rente de situation très confortable pour le Gouvernement rwandais-, ce prix tombe à 115 francs par kilogramme, dans un contexte de dévaluation monétaire.

Les producteurs rwandais répondent à cette conjoncture par une très forte augmentation de la production entre 1989 et 1990, limitant leur perte de revenu à 20 %. Beaucoup sont cependant contraints d’abandonner la culture du café. Simultanément, les exportations de thé enregistrent une forte croissance, passant de 9 % du total des recettes d’exportation en 1986 à 30 % en 1992. Cependant, le thé ne constitue pas une ressource alternative pour la population, sa culture étant pratiquée dans des domaines appartenant tous, à l’exception d’un seul, à l’Etat.

*

* *

Considérée globalement, la décennie 1980 voit le déclin dramatique de l’économie rwandaise.

Tous les indicateurs en témoignent :

 la hausse annuelle moyenne du PIB durant cette décennie s’établit à 2,2 %, contre 4,7 % dans les années 1970 ;

 les exportations couvrent, en valeur, 30 % des importations ;

 la dette extérieure rwandaise passe de 189 millions de dollars en 1980 à 873 millions de dollars en 1992.

Les faiblesses structurelles du Rwanda en matière sociale apparaissent alors au grand jour : 60 % des enfants scolarisés dans l’enseignement primaire, 6 % dans le secondaire, une situation sanitaire sinistrée. Le Rwanda figure notamment parmi les pays les plus touchés par le SIDA, qui est la cause de 90 % des décès des femmes âgées de 15 à 49 ans en zone urbaine, qui compte 30 % de personnes séropositives.

Déjà très forte, la pression démographique au Rwanda devient donc explosive à l’aube des années 1990, du fait d’un effet de ciseaux entre la vitalité démographique du pays et sa capacité à intégrer le surcroît de population. C’est dans un tel contexte que resurgit la lancinante question des réfugiés.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr