Une politique résolue

Dans un contexte extrêmement difficile, le nouveau Gouvernement entreprend de réaliser effectivement le programme qu’il s’est fixé.

D’abord, le Service central de renseignements (SCR), les tout-puissants services secrets rwandais, est démantelé et ses attributions confiées à quatre ministères différents. Les préfets les plus visiblement excessifs sont remplacés.

En matière d’éducation prévalait un système de quotas, dit " de l’équilibre ". En vertu de celui-ci, les étudiants étaient choisis par les autorités sur des listes de candidatures, de façon à la fois à vérifier que le strict quota fixé pour les Tutsis n’était pas dépassé et à faire respecter un certain équilibre régional. En fait, ce système avait abouti à privilégier de façon presque extravagante les Hutus du nord, ceux des communes et des lignages du pouvoir, au détriment de ceux du sud. L’une des premières décisions de la nouvelle Ministre de l’Education, Mme Agathe Uwilingiyimana, fut donc de remplacer ce système par des examens d’entrée.

S’agissant de l’information, le nouveau Ministre, le PSD Pascal Ndengejeho, fait limoger le directeur de l’ORINFOR, M. Ferdinand Nahimana, proche de la CDR. Le changement à la tête du ministère de la Justice amène certains magistrats à plus d’audace dans leurs jugements. On voit même certains décrets déclarés anticonstitutionnels.

Enfin, le Gouvernement obtient, dès le 22 avril 1992, la démission du Président Juvénal Habyarimana de son poste de Chef d’état-major de l’armée, désormais déclaré incompatible avec ses fonctions présidentielles.

Pour le Gouvernement, la réalisation la plus ambitieuse et la plus complexe qu’il ait entreprise est cependant le règlement de la question des réfugiés et la négociation d’un accord de paix avec le FPR. Sur ce point, c’est le Ministre des Affaires étrangères, M. Boniface Ngulinzira, qui porte les espoirs de la coalition.

Les premiers contacts officiels entre le nouveau Gouvernement rwandais et le FPR ont lieu à peine un peu plus d’un mois après l’investiture. Le 24 mai en effet, le Ministre Ngulinzira rencontre le FPR à Kampala. Un calendrier de négociation est alors établi. Dès le 29 mai, soit cinq jours seulement après cette première rencontre, les pourparlers de paix commencent à Bruxelles entre le FPR et des représentants du Gouvernement membres des trois partis MDR, PSD et PL, dont la coalition prend désormais le nom de FDC (Forces démocratique pour le changement). Le 5 juin, un accord de cessez-le-feu est trouvé entre le FPR et la coalition gouvernementale FDC, malgré l’opposition du MRND.

Les négociations se poursuivent alors à Paris les 6 et 7 juin, date à laquelle un accord incluant le MRND est finalement signé. La négociation des accords de paix proprement dits peut alors débuter. Les pourparlers cette fois se déroulent en Afrique sous l’égide de l’OUA, à Arusha en Tanzanie à partir du 12 juillet, à Addis Abeba en Ethiopie à partir du 26 juillet, puis de nouveau à Arusha à compter du 11 août.

Le 1er août, le cessez-le-feu entre en application, et le 18 août, soit un mois après le début des négociations des accords de paix proprement dit, le premier protocole d’accord est signé.

Les accords d’Arusha seront détaillés plus avant. Leur importance dans la vie politique rwandaise pendant la période des négociations oblige cependant à en évoquer brièvement, au passage, le contenu. Le protocole du 18 août porte sur l’Etat de droit. Il s’agit en fait d’une déclaration de principe par laquelle les deux parties " acceptent l’universalité et les implications des principes fondamentaux de la démocratie ", dont l’égalité devant la loi, le multipartisme, le Gouvernement électif, issu " d’élections régulières, libres, transparentes et justes " et la garantie des droits fondamentaux de la personne. Il est précisé que l’ethnisme doit être combattu. Enfin, le droit au retour des réfugiés est qualifié de " droit inaliénable " et il est stipulé qu’une solution définitive du problème des réfugiés rwandais doit être trouvée.

Les négociations s’engagent alors dans une seconde phase, plus concrète. Celle-ci aboutit à la signature d’accords sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un " Gouvernement de transition à base élargie ". Ces accords sont signés en deux temps : le 30 octobre 1992 pour les dispositions les plus générales, le 9 janvier 1993 pour les parties les plus difficiles, notamment la répartition concrète des postes ministériels et le nombre des représentants à l’Assemblée nationale de transition. L’accord du 30 octobre 1992 dispose en particulier que pour participer aux institutions de transition, les forces politiques devront signer une déclaration par laquelle elles s’engagent notamment à " soutenir l’accord de paix, s’abstenir de toute violence ou incitation à la violence, rejeter et s’engager à combattre toute idéologie politique et tout autre acte ayant pour fin de promouvoir la discrimination basée notamment sur l’ethnie ".

L’accord du 9 janvier 1993 précise la répartition effective des portefeuilles dans le futur GTBE : cinq pour le FPR, dont l’Intérieur, cinq pour le MRND, dont la Défense, quatre, dont le poste de Premier Ministre, pour le MDR, trois pour le PSD et le PL, un pour le PDC. Ainsi, en neuf mois à peine, la coalition FDC a-t-elle réussi à conclure un accord politique avec le FPR. Restent alors à conclure les pourparlers sur l’intégration des forces armées et sur les réfugiés.

La résolution du Gouvernement dans la conduite de son action intérieure, la rapidité avec laquelle il progresse dans son action diplomatique ne doivent cependant pas faire oublier les conditions politiques difficiles dans lesquelles il doit travailler. En fait, son action doit très vite affronter les forces de résistance ci-dessus décrites : idéologues hutus, fonctionnaires et militaires au service du régime et dignitaires de celui-ci. De plus, avec le temps, cette résistance se manifeste de façon de plus en plus violente et coordonnée.

Une opposition de plus en plus déterminée

La résistance des administrations

Le Gouvernement doit d’abord faire face à l’inertie des administrations, voire à leur répugnance dans l’application des mesures prises.

M. André Guichaoua décrit très clairement cette situation dans le rapport d’expertise qu’il a rédigé à la demande du Tribunal pénal international des Nations Unies sur le Rwanda(50). Il note d’abord que " les oppositions inévitables mais de plus en plus ouvertement affichées entre le Président et les partis d’opposition vont conduire à un blocage rapide du fonctionnement du Gouvernement, voire des ministères eux-mêmes otages des rivalités entre partis ". Mais au-delà de l’administration centrale du ministère, c’est dans les communes et les préfectures que s’organise la résistance déterminée à l’action gouvernementale. En effet, le ministère de l’Intérieur restant dirigé par un Ministre MRND, le renouvellement des préfets effectué par le Gouvernement est resté limité.

Or, sous l’impulsion de leurs chefs, les administrations locales s’affranchissent de plus en plus de la tutelle gouvernementale. M. André Guichaoua note également cette évolution : " Le MRND, profondément divisé et en cours de recomposition, s’opposera d’une manière systématique aux décisions centrales qu’il n’approuve pas grâce à sa forte implantation administrative préfectorale et communale maintenue (en juillet 1992, seuls quatre parmi les onze préfets renouvelés seront issus des partis d’opposition). On assistera alors à de véritables prises de contrôle partisanes de l’administration locale ".

Pour s’assurer du succès, ces pouvoirs locaux organisent leurs propres forces armées. Ils orientent en ce sens les fameuses milices, issues des organisations de jeunesse des partis. Sur ce point, le rapport de M. André Guichaoua confirme et complète le témoignage de M. James Gasana, cité plus haut : " à partir de 1991, la plupart des partis politiques ont créé des services d’ordre locaux regroupant des militants actifs et inconditionnels généralement issus de leurs propres mouvements de jeunesse. Ces groupes, qui s’entraînent physiquement et détiennent souvent des armes de poing, servent à encadrer les manifestations publiques du parti, à se défendre, si nécessaire, vis-à-vis des services d’ordre des autres formations politiques, à intimider ou neutraliser les adversaires politiques.

" Dans certaines préfectures ou communes sous contrôle des partis de la mouvance présidentielle, ces services d’ordres se transformeront très tôt en milices armées, groupes de civils suppléants ou se substituant aux forces de l’ordre. Elles joueront un rôle décisif au cours des exactions et massacres ".

Le Gouvernement n’est pas plus heureux dans ses relations avec l’armée. Le 29 mai, le jour même du début officiel des pourparlers de paix à Bruxelles entre les représentants de la coalition FDC et le FPR, une mutinerie militaire éclate dans les préfectures de Gisenyi et Ruhengeri, accompagnée de pillages et de massacres. Les soldats, dont l’effectif est passé, selon M. James Gasana, de 5 000 environ à 27 000, Gendarmerie non comprise, craignent en effet de se trouver démobilisés, la démobilisation signifiant aussi, sauf recrutement par une milice, le retour à la misère.

En juin 1992, le Ministre de la Défense, M. James Gasana, pourtant lui-même issu du MRND, entreprend alors une réorganisation importante de l’encadrement de l’armée, incapable de mettre fin aux mutineries et exactions. Les deux Chefs d’état-major de l’Armée et de la Gendarmerie sont ainsi mis à la retraite, ainsi que de nombreux officiers supérieurs.

Les conditions, mais aussi les limites de cette réorganisation, font cependant apparaître la puissance et la structuration du réseau d’intérêt auquel doit faire face le Gouvernement. M. Gérard Prunier, lors de son audition par la Mission, a tenu sur ce point les propos suivants : " en 1992, le Président Juvénal Habyarimana avait demandé au Ministre de la Défense James Gasana de le débarrasser d’un certain nombre d’hommes de son entourage, qu’il trouvait peu sûrs, voire dangereux pour lui, en les marginalisant ou en les éliminant de leur poste (...) parmi ceux-ci figuraient les Colonels Rwagafilita, Serubuga, Sagatwa, avant qu’il ne change de camp, et Bagosora ". Il a ajouté que " si James Gasana avait réussi pour les Colonels Rwagafilita, Serubuga et Sagatwa, il avait toujours échoué dans le cas du Colonel Theoneste Bagosora qui représentait l’ultime point de résistance de Madame et de ses frères. Tant qu’il demeurait secrétaire administratif du ministère de la Défense, eux et leur groupe gardaient, dans ce ministère, un accès qu’ils estimaient absolument vital, non seulement pour le contrôle de l’armée, mais aussi parce que l’anse du panier dansait énormément ". A ce propos, il a fait observer que " le décuplement, en trois ans, de l’effectif de l’armée, de 5 200 à 50 000 hommes, en accroissant de façon considérable le budget de la défense, avait ouvert de façon tout aussi considérable les possibilités de détournement de fonds, d’abord pour financer les milices -ainsi les milices comme les Interahamwe ou les Impuzamugambi ont-elles été financées par de l’argent volé au ministère de la Défense- mais aussi dans un but d’enrichissement personnel ou politique ".

Le ministère de la Défense était ainsi doublement important pour les réseaux en place. Il assurait le contrôle de l’armée, mais aussi le financement du pouvoir et de son entourage. M. James Gasana était particulièrement exposé et une tentative d’attentat contre lui fut du reste déjouée à la fin de l’année 1992.

L’action diplomatique du Gouvernement elle-même était soumise à des tractations avec l’ancien pouvoir, le Président et son entourage. Lors de son audition par la Mission, l’observateur français aux négociations d’Arusha, M. Jean-Christophe Belliard, a aussi exposé que la délégation gouvernementale rwandaise, composée de M. Boniface Ngulinzira, à l’époque Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, accompagné de M. Claver Kanyarushoki, à l’époque Ambassadeur du Rwanda en Ouganda, ainsi que du Colonel Theoneste Bagosora, " était en perpétuel désaccord et donc en situation de faiblesse dans cette négociation ". Il a précisé qu’il arrivait, par exemple, que " le Ministre Ngulinzira, qu’il voyait en permanence et en tête-à-tête, lui donne son accord sur une formulation, mais tout en le prévenant que ce n’était pas lui qui décidait et qu’il fallait en parler à M. Claver Kanyarushoki. Il lui fallait alors discuter avec l’Ambassadeur Claver Kanyarushoki, ce qui constituait une partie importante de son travail. Lorsque M. Claver Kanyarushoki était convaincu, il finissait par lui exprimer son accord et celui du Président Juvénal Habyarimana, tout en ajoutant qu’il fallait désormais convaincre le Colonel Theoneste Bagosora. "

Il a ajouté qu’il avait même assisté à des scènes de désaccord au sein de la délégation, qui obligeaient à lever la séance de négociations et à remettre la discussion à plus tard.

Le développement des violences

L’opposition à la coalition gouvernementale FDC ne se manifeste pas seulement par l’obstruction administrative. L’action du Gouvernement et la conclusion de chaque étape du processus d’Arusha sont rythmées par des manifestations, des violences et des massacres.

La signature du premier accord d’Arusha sur le Gouvernement transitoire est accompagnée de graves violences. Des manifestations hostiles au Gouvernement éclatent dans les préfectures de Gisenyi et Ruhengeri.

Aux termes du témoignage de M. James Gasana, le 17 août 1992, veille de la signature des accords, " il se crée une véritable tension entre un nombre de hauts fonctionnaires extrémistes du MRND et le Premier Ministre. S’alliant aux Interahamwe et aux Impuzamugambi, ces fonctionnaires organisent des manifestations contre le Gouvernement, qui se déroulent sans autorisation, pour paralyser la fonction publique et la vie dans Kigali. La Gendarmerie prend toutes les mesures, sans complaisance, contre tous ceux qui perturbent l’ordre public. Ceci nous met en épreuve de force avec les organisateurs, dont le beau-fils du Président Juvénal Habyarimana, Ntirivamunda, Directeur des Ponts et Chaussées, qui avait déployé des camions de l’Etat pour verser la terre sur une voie publique à Kigali afin de bloquer la circulation lors de la manifestation illégale. "

Conscient de l’inquiétude de ses partisans, le Président Juvénal Habyarimana tente alors de les rassurer. Le même jour, il fait savoir dans un discours à la radio que toute latitude dans les négociations n’est pas laissée au Premier Ministre et au Ministre des Affaires étrangères et que leurs initiatives sont sous contrôle.

" Nos négociateurs à Arusha ont reçu des instructions... les positions qu’ils adoptent ne sont donc pas improvisées... C’est pourquoi je pense que le peuple rwandais peut être rassuré : toutes les précautions sont prises pour s’assurer que les actions individuelles ne mènent pas notre pays vers une aventure dont il ne veut pas ".

Cette déclaration ne suffit pas à apaiser la colère de certains Hutus radicaux. Selon un processus désormais connu, des massacres s’ensuivent donc. Cette fois, c’est la préfecture de Kibuye qui est le théâtre des événements. Selon M. Gérard Prunier, le bilan de ceux-ci se monterait à 85 morts environ, 200 blessés et plus de 5 000 déplacés.

La négociation puis la conclusion des deux accords du 30 octobre 1992 puis du 9 janvier 1993 s’accompagnent d’une tension grandissante.

Le 2 octobre 1992, le professeur belge Filip Reyntjens dénonce l’existence d’un " réseau zéro ". Cette expression, à laquelle on donne souvent le sens de " zéro Tutsi ", a été utilisée par son auteur M. Christophe Mfizi en référence à l’oeuvre de Roland Barthes Le degré zéro de l’écriture (voir annexe). Le " réseau zéro " est une sorte d’escadron de la mort formé de miliciens du MRND et de soldats détachés et équipés par l’armée sous le contrôle de proches du Chef de l’Etat, c’est-à-dire des membres les plus notables de l’Akazu. Le professeur Filip Reyntjens cite ainsi les trois frères de Mme Habyarimana, le directeur des travaux publics et gendre du Président, M. Ntirivamunda, le Colonel Elie Sagatwa, secrétaire personnel du Président et son beau-frère, le chef du service de renseignement militaire, le commandant de la Garde présidentielle, et enfin le Colonel Theoneste Bagosora, directeur de cabinet du Ministre de la Défense.

Dans le témoignage déjà cité, M. James Gasana expose que " dès septembre 1992, l’alliance des Interahamwe et des Impuzamugambi est plus forte que les Inkuba. Avec la CDR, ils constituent la base politique des " durs " des FAR. Ils mènent une campagne auprès des militaires pour le renversement du Gouvernement de Dismas Nsengiyaremye. "

De fait, le 18 octobre, la CDR organise une manifestation réclamant le départ du Premier Ministre et de son Gouvernement, s’insurgeant contre l’évolution gouvernementale de Radio Rwanda et remerciant la France pour sa présence. Les manifestants réclament aussi que tous les partis enregistrés participent au Gouvernement. Il s’agit bien, compte tenu de ce qui a été dit de ceux-ci, de tenter de paralyser l’action gouvernementale.

La signature le 30 octobre 1993 du premier accord sur le partage du pouvoir, qui prive le Président de la République de quasiment toutes ses prérogatives au profit du futur Gouvernement transitoire à base élargie (GTBE), accroît l’ampleur de la mobilisation antigouvernementale.

Le 15 novembre, dans un discours prononcé en kinyarwanda à Ruhengeri, et non retransmis à la radio nationale, le Président Juvénal Habyarimana appelle le cessez-le-feu de juillet " un chiffon de papier (...) que le Gouvernement n’est pas obligé de respecter ".

La tension continue à monter. Le 22 novembre, M. Léon Mugesera, membre influent du MRND, s’adresse en ces termes aux militants de la ville de Kabaya, en préfecture de Gisenyi. " Les partis d’opposition ont comploté avec l’ennemi pour faire tomber la préfecture de Byumba aux mains des Inyenzi (...). Ils ont comploté pour saper nos forces armées (...). La loi est très claire sur ce point : " Toute personne coupable d’actes visant à saper le moral des forces armées sera condamnée à mort. " Qu’est-ce que nous attendons ? (...) Et ces complices (Ibyitso) qui envoient leurs enfants au FPR ? Qu’attendons-nous pour nous débarrasser de ces familles ? Nous devons prendre en main la responsabilité et supprimer ces voyous. (...) Nous devons agir. Il faut les liquider tous ! "

Quelques jours plus tard, M. Léon Mugesera répète le même discours à Kibilira, où se sont déjà produits des massacres en 1990.

Inculpé par le Ministre de la Justice, le libéral Stanislas Mbonampeka, d’incitation à la haine raciale et sous le coup d’un mandat d’amener, M. Léon Mugesera se réfugie dans un camp militaire, où la Gendarmerie n’ose pas aller le chercher, et peut ensuite s’enfuir à l’étranger.

Le MRND et la CDR continuent à organiser des manifestations contre les accords de partage du pouvoir. Elles s’achèvent désormais toutes en combat de rue entre d’une part les Interahamwe et les Impuzamugambi et d’autre part l’opposition. Les violences sporadiques font une douzaine de morts. Cependant, si, selon M. James Gasana, la Gendarmerie tente de contenir les violences et a arrêté, à la fin 1992, une centaine de miliciens " Interahamwe ", la justice se révèle de plus en plus incapable de faire respecter la légalité. Le 5 janvier 1993, exaspéré de son impuissance à poursuivre et à faire arrêter M. Léon Mugesera, le Ministre Stanislas Mbonampeka démissionne. Signe des temps, le poste restera sans titulaire pendant six mois jusqu’à la constitution du ministère Agathe Uwilingiyimana, le 18 juillet 1993.

En même temps, pour échapper à la surveillance de M. James Gasana, une société secrète structurant la tendance hutue extrémiste se crée dans l’armée, sous le nom " d’Amasasu ".

La signature du deuxième accord sur le partage du pouvoir, le 9 janvier 1993, radicalise encore la situation. D’abord, conformément aux craintes des Hutus radicaux, les accords fixent la répartition des sièges de l’Assemblée de transition devant laquelle répondra le Gouvernement. Celle-ci ne sera donc pas élue mais nommée. Les membres du MRND et de la CDR y voient une concession intolérable au FPR, celui-ci s’assurant ainsi d’une présence en nombre alors que, eu égard à la faible proportion de Tutsis du Rwanda, et au fait que nombre d’entre eux sont des proches du parti libéral, des élections tenues immédiatement ne lui auraient donné qu’une faible représentation. De plus, s’agissant du Gouvernement, les partis FDC et le PDC conservent tous leurs postes ministériels. Les cinq postes attribués au FPR sont, à part une création destinée à prendre en charge les réfugiés, tous pris sur le contingent du MRND, qui perd ainsi au profit du FPR quatre de ses sièges, dont le ministère de l’Intérieur.

Eu égard au caractère stratégique de ce ministère, la colère du pouvoir MRND et de ses sympathisants déferle. Le 19 janvier, le MRND et la CDR organisent de violentes manifestations contre l’accord. Le 21 janvier, le Secrétaire général du MRND déclare que son parti le rejette purement et simplement. La présence d’une commission d’enquête internationale sur les violations des droits de l’homme au Rwanda, du 7 au 21 janvier 1993, avait eu un impact certain sur le ralentissement des violences. Son départ le 21 janvier, au moment même où le MRND rejette l’accord, libère leur expression. Pendant six jours, des violences meurtrières menées par des miliciens extrémistes associés aux populations locales dévastent le nord-ouest du Rwanda. Voici comment M. Dismas Nsengiyaremye les présente : " avec la caution des autorités locales, le MRND organisa des manifestations violentes à travers tout le pays du 20 au 22 janvier 1993 et proclama son intention de paralyser toutes les activités. Les partis d’opposition ne se laissèrent pas intimider et organisèrent des contre-manifestations qui neutralisèrent les activistes du MRND et de ses satellites, dans les préfectures de Byumba, Kibungo, Kigali-ville, Kigali rural, Gitarama, Butare, Gikongoro, Cyangugu et Kibuye (sauf commune Rutsiro). Dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri, Kigali rural (zone de Bumbogo et de Buliza), Byumba (commune Tumba) et Kibuye (commune Rutsiro), ces manifestations se transformèrent rapidement en émeutes et les prétendants manifestants se mirent à tuer les Tutsis et des membres des partis d’opposition. Il y eut environ 400 morts et 20 000 personnes déplacées ".


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr