Noroît, facteur d’apaisement ?

La présence des troupes françaises afin de garantir la sécurité des ressortissants a pour conséquence indirecte d’avoir un rôle de stabilisateur de la situation, très marquée par les tensions ethniques. Cet aspect déjà souligné par le Colonel René Galinié est repris par l’Ambassadeur de France à Kigali qui se montre, dans un télégramme du 30 novembre 1990, très réservé à l’idée d’un retrait total des troupes de Noroît, compte tenu du caractère encore instable de la situation mais aussi parce que : " La présence de nos troupes, même réduite, n’apparaît plus seulement comme une garantie de sécurité pour la population expatriée mais aussi comme un facteur indirect d’apaisement pour l’ensemble du pays. Nombreux sont d’avis que cette présence rassure autant les Rwandais que les étrangers. L’opération Noroît tend de ce fait de plus en plus à se placer sous un nouvel éclairage ". Il indique quelques jours plus tard, le 5 décembre, qu’informé de notre volonté de retirer le reste du contingent français, le Président Juvénal Habyarimana a qualifié cette décision " d’abandon ", qu’il a demandé le maintien des forces françaises pendant deux mois supplémentaires et que, n’ayant pas réussi à joindre l’Amiral Lanxade, il a fait part de sa demande au Général Jean-Pierre Huchon qui lui a paru convaincu de la nécessité de retarder le retrait des troupes françaises.

Par télégramme du 7 décembre, l’Ambassadeur précise : " j’ai informé le Président Juvénal Habyarimana de notre décision de ne pas retirer les derniers éléments militaires le 15 décembre et de les maintenir pour une durée limitée. Le Président Juvénal Habyarimana craint la guérilla non pas sur le plan militaire mais parce qu’elle fragilise l’unité nationale. "

Sur décision du Président de la République François Mitterrand, la France maintient au-delà du terme initialement prévu, la présence au Rwanda, d’une des deux compagnies Noroît, mais réaffirme son non engagement aux côtés des FAR.

Le 2 janvier, l’Amiral Jacques Lanxade souhaite le retrait de la deuxième compagnie Noroît mais, les incursions du FPR se poursuivant, le Président de la République souhaite reporter ce départ d’un mois. Ce maintien des forces de Noroît permet de réaliser fin janvier l’évacuation de ressortissants français et occidentaux de Ruhengeri à Kigali.

L’évacuation de Ruhengeri les 23 et 24 janvier 1991

Sur le plan militaire, l’offensive du 1er octobre 1990 a été rapidement contrée puisque les FAR reprennent Gabiro le 27 octobre et contrôlent à nouveau l’axe Gabiro-Nyagatare le 29 octobre.

Les troupes du FPR ont été contraintes soit de retourner en Ouganda lorsqu’elles en ont eu la possibilité car la frontière ougandaise a été fermée dès le 20 octobre, soit de s’éparpiller en territoire rwandais à l’est de la route Gabiro-Kampala et dans le parc de l’Akagera. Ces éléments entreprendront alors des actions sporadiques de guérilla et d’attaques ciblées déstabilisantes dans la région nord-est du pays.

Les troupes zaïroises se sont retirées dès la mi-octobre, les troupes belges en novembre, une compagnie Noroît est repartie le 15 décembre.

L’offensive générale du FPR dont les Rwandais prévoyaient la survenance pour la fin de l’année 1990 ne se produira pas. L’effet de surprise viendra fin janvier 1991 avec l’attaque de Ruhengeri.

Les 22 et 23 janvier, les soldats du FPR lancent une offensive sur Ruhengeri au cours de laquelle, après avoir attaqué la prison, ils libèrent 350 prisonniers parmi lesquels le Major Theoneste Lizinde, ancien chef de la sécurité qui en 1981 avait participé à la tentative de coup d’Etat contre Juvénal Habyarimana. En représailles, les Tutsis de la communauté Bagogwe sont massacrés.

Les 23 et 24 janvier, deux sections des forces Noroît organisent l’évacuation de Ruhengeri de près de 300 personnes, dont 185 Français, qui seront convoyés jusqu’à Kigali.

L’Ambassadeur Georges Martres rend compte par télégramme diplomatique du 24 janvier 1991 de cette évacuation : " l’unité dirigée par le Colonel René Galinié a su rester dans les limites de la mission qui lui était impartie, intervenant dans la zone résidentielle aussitôt après la reprise en main de la ville par les para-commandos rwandais. Le respect des instructions n’a pas exclu une certaine audace dont les parachutistes français ont dû faire preuve dans les deux dernières heures précédant la tombée de la nuit. "

L’Ambassadeur signale dans ce même télégramme la présence dans le convoi de deux sous-préfets et du président du Tribunal d’instance, estimant qu’il y a là " un signe inquiétant de perte de confiance de la haute administration rwandaise ". Le 27 janvier, un message de l’Attaché de défense (n° 25) indique " le nettoyage de la ville de Ruhengeri et de la région de Kinigi par les FAR aidées de la population est terminé... les rebelles sembleraient s’être repliés dans les forêts du parc national des volcans. "

Fin janvier 1991, il apparaît donc que, de fait, les deux opérations d’évacuation des ressortissants, début octobre à Kigali et fin janvier à Ruhengeri, se sont déroulées sous le commandement du Colonel René Galinié, tout à la fois attaché de défense, chef de MAM et commandant de l’opération Noroît et non pas pendant la période où le Général Jean-Claude Thomann, alors Colonel, a été nommé commandant des opérations. Comme il a été dit précédemment, le Général Jean-Claude Thomann a mis en place un dispositif de sécurisation et effectué des missions de reconnaissance à Butare, Gisenyi et Ruhengeri. Néanmoins, la présence au Rwanda du dispositif complet des forces de Noroît (314 personnes), s’il n’a pas servi à réaliser des évacuations, a, semble-t-il, joué un rôle dissuasif et préventif.

De ce point de vue, l’opération Noroît fait partie d’un ensemble plus vaste dont les composantes sont d’une part l’accord d’assistance militaire technique du 18 juillet 1975 sur lequel le Président Juvénal Habyarimana appuie notamment sa demande d’assistance, et qui justifiera la venue du Colonel Gilbert Canovas pour exercer une mission de conseil auprès des FAR, d’autre part une action diplomatique fondée sur les principes énoncés dans le discours de La Baule (démocratisation, pluripartisme, partage du pouvoir...).

Comment ces différents éléments ont-ils été mis en jeu dans le contexte rwandais et quelle a été l’appréciation de la situation faite par les différents représentants français sur le terrain ?


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr