Comme évoqué ci-dessus, le Gouvernement rwandais nommé le 16 avril 1992, avec à sa tête M. Dismas Nsengiyaremye du Mouvement démocratique républicain, s’était donné, comme point essentiel de son programme, de restaurer durablement la paix et de favoriser la réconciliation nationale. Des négociations directes entre le nouveau Gouvernement et le FPR se sont engagées en juin 1992, qui ont conduit à la conclusion, le 12 juillet à Arusha, d’un accord de cessez-le-feu. Cet accord prévoyait de surcroît dans son principe, le partage du pouvoir dans le cadre d’un Gouvernement de transition et l’intégration des soldats du FPR dans l’armée rwandaise.

De nouvelles négociations se sont ouvertes à compter du 10 août 1992 et ont abouti à la signature le 18 août d’un protocole d’accord relatif à l’Etat de droit, puis les 30 octobre 1992 et le 9 janvier 1993, de deux autres protocoles relatifs au partage du pouvoir dans le cadre d’un Gouvernement de transition à base élargie. Les sujets encore en discussion concernaient la constitution d’une armée nationale rwandaise, le problème des réfugiés et quelques points politiques en suspens, telle la durée de la période de transition.

Les concessions faites au FPR dans le cadre de ces derniers protocoles, et plus précisément le transfert des pouvoirs du Président au Gouvernement et la répartition des portefeuilles ministériels -notamment le fait que la CDR ait été écartée du Gouvernement pendant la période de transition- provoquèrent de fortes tensions politiques qui furent à l’origine de nouveaux massacres de Tutsis dans le nord-est du pays. Ces massacres entraînèrent à leur tour une rupture du cessez-le-feu, le FPR lançant, le 8 février 1993, une offensive généralisée qui lui permit d’avancer jusqu’à 25 kilomètres de Kigali.

L’ampleur de cette offensive laisse toutefois à penser que celle-ci n’était pas simplement un geste de rétorsion mais qu’elle était préparée depuis de longs mois dans le but d’élargir la zone d’emprise du FPR sur le nord du pays. Elle semble constituer une application de cette stratégie, qui avait si bien réussi à la NRA ougandaise, du " talk and fight ", négocier et combattre.

Un cessez-le-feu effectif est obtenu à partir du 21 février et formalisé le 7 mars 1993 à Dar Es-Salam. L’accord conclu prévoit le retrait des troupes des zones occupées depuis le 8 février. Dans les faits, le FPR semble être demeuré présent dans la zone tampon.

Les négociations d’Arusha, qui avaient été suspendues durant les combats, reprennent le 16 mars 1993 sur les points en suspens.

La question la plus délicate, que M. Jean-Christophe Belliard a soulignée devant la Mission, est celle relative à la proportion de la future armée rwandaise qui inclurait des éléments FPR. Les négociations sont d’autant plus âpres que les négociateurs ont tendance à considérer l’armée davantage comme une garantie de protection pour les groupes " ethniques " dont les militaires sont issus que comme une protection du régime et des citoyens.

Après la signature d’un nouveau protocole le 9 juin 1993 sur le rapatriement des réfugiés rwandais et la réinstallation des personnes déplacées, l’accord de paix final est signé le 4 août 1993, en même temps que les deux derniers protocoles portant respectivement sur l’intégration des forces armées des deux parties et sur les questions diverses.

Cette rapide description des négociations des accords d’Arusha qui ont duré plus d’une année, ne donne qu’une petite idée des incertitudes, des revirements et des blocages qui les ont tour à tour ponctués. La formule utilisée par M. Gérard Prunier, dans son ouvrage intitulé Rwanda : le génocide, " une paix par épuisement ", est davantage évocatrice.

( Les auditions par la Mission de M. Jean-Christophe Belliard, qui fut le représentant de la France en qualité d’observateur aux négociations d’Arusha, et de M. Claver Kanyarushoki, qui faisait partie de la délégation rwandaise, rendent un peu de l’atmosphère de ces négociations. M. Jean-Christophe Belliard a décrit à la Mission l’attitude des deux délégations en présence : " la délégation du FPR était une délégation unie qui parlait d’une seule voix. Le président en était M. Pasteur Bizimungu, qui est aujourd’hui Président du Rwanda. (...). Lorsqu’on faisait une proposition à cette délégation rwandaise, elle disait toujours " on vous répondra demain ". Entre-temps, un contact était opéré (...) avec M. Paul Kagame, qui se trouvait à l’époque à Mulindi. En fait, la délégation du FPR, c’était M. Paul Kagame. M. Paul Kagame décidait et M. Pasteur Bizimungu parlait ".

De l’avis général, la délégation FPR a fait preuve dans ces négociations d’une très grande habileté. Confortant ses positions par des pressions militaires, se montrant tour à tour intransigeante ou conciliante, elle a obtenu des accords -nous y reviendrons- qui lui sont globalement favorables.

En revanche, toujours selon les souvenirs de M. Jean-Christophe Belliard, " la délégation rwandaise était en perpétuel désaccord et donc en situation de faiblesse dans cette négociation ". Le Président de la délégation rwandaise, M. Boniface Ngulinzira, Ministre des Affaires étrangères, membre, comme le Premier Ministre, du parti de l’opposition MDR - il sera assassiné au lendemain du 6 avril 1994 -, est contraint dans les faits de mener de front une double négociation, non seulement avec le FPR, mais aussi avec les membres de sa délégation. M. Claver Kanyarushoki a confirmé devant la Mission " qu’à partir d’octobre 1992, les désaccords au sein du Gouvernement de coalition à Kigali se transposaient au sein de la délégation, qui était devenue une mosaïque des représentants de différents partis, qui provoquaient parfois quelques incidents ". L’ex-parti unique, le MRND, accusait M. Ngulinzira, tout particulièrement après la signature du protocole sur le partage du pouvoir, d’outrepasser son mandat et de choisir de défendre d’abord les intérêts de son parti.

Les conditions de négociation laissaient mal augurer des conditions de mise en oeuvre. " A Arusha ", a souligné M. Herman Cohen devant la Mission, " un siège restait vide, celui du Président Juvénal Habyarimana qui n’était pas présent. Le Ministre des affaires étrangères du Rwanda négociait de fait sans l’appui du Président Juvénal Habyarimana et il semblait impossible d’envisager la mise en oeuvre des accords obtenus dans ces conditions ".

Pourtant, les observateurs veulent rester optimistes, comme l’illustre cet extrait d’une note de la direction des affaires africaines et malgaches du Ministère des Affaires étrangères français : " quelles que soient les observations qui peuvent être faites quant aux dispositions de cet accord généralement favorables au FPR, sa signature ne peut qu’être accueillie favorablement par la France ". L’importance accordée à la signature des accords semble l’avoir emporté sur toute autre considération, y compris peut-être sur le contenu même de l’accord et sur les réticences du Président Juvénal Habyarimana, affirmant que la délégation rwandaise va " au-delà de son mandat ".


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr