Avant que la Mission ne conduise ses travaux, la piste du FPR avait été plus particulièrement évoquée par l’universitaire belge Filip Reyntjens et le journaliste Stephen Smith, la plupart des autres auteurs - notamment ceux cités dans les paragraphes ci-dessus - l’avait écartée ou n’avait pas pris le soin de l’approfondir. Il en était ainsi des rédacteurs du rapport de la commission sénatoriale belge, dont on aurait pu penser qu’ils s’y intéresseraient davantage, compte tenu des soupçons ayant pesé sur une possible complicité de militaires belges dans l’accomplissement de l’attentat. Depuis, M. Bernard Debré, Ministre de la Coopération du Gouvernement d’Edouard Balladur, a évoqué la même hypothèse, en se fondant sur des éléments qui n’ont pas pu être vérifiés et qui ne peuvent en aucun cas être considérés comme des preuves crédibles.

Les motifs et les éléments matériels en cause

Parmi les éléments susceptibles d’étayer la piste du FPR, certains ont plus particulièrement retenu l’attention du professeur Filip Reyntjens :

 politiquement, il est à noter que depuis le début de l’année 1994, le FPR a tenté de constituer une coalition politique anti-MRND qui aurait disposé d’une majorité qualifiée à l’Assemblée nationale de transition. D’autre part, le FPR porte une part de responsabilité dans les multiples obstacles mis sur la voie de la mise en oeuvre des accords d’Arusha, ne pensant pas en effet sortir victorieux d’un processus électoral compétitif, comme il en avait déjà fait l’expérience à l’occasion des élections locales de septembre 1993 dans les huit communes de la zone démilitarisée ;

 le FPR possédait des missiles sol-air et savait les manier. Il s’en serait d’ailleurs servi pour abattre un avion de reconnaissance à Matimba le 3 octobre 1990, un Hélicoptère Gazelle à Nyakayaga le 23 octobre 1990 ainsi qu’un hélicoptère à Cyeru en février 1993. En outre, le 10 septembre 1991, un Fokker 27 de la société zaïroise SCIBE effectuant une liaison Kigali-Beni aurait été atteint au-dessus de l’endroit où les frontières rwandaise, zaïroise et ougandaise se touchent. Concernant la provenance des missiles, il pourrait s’agir d’armes issues des stocks de l’armée ougandaise, celle-ci ne disposant, toujours selon M. Filip Reyntjens, que de SAM-7 et non de SAM-16 (ce type de missile ayant vraisemblablement été utilisé dans l’attentat).

Un rapport établi en 1993 par des gendarmes français aurait mis en évidence que la plupart des attentats s’étant déroulés au Rwanda en 1991-1992 auraient été fomentés par le FPR. M. Stephen Smith rapporte que la " stratégie du pire " est admise par un dirigeant du FPR qui, sous le couvert de l’anonymat, ne veut pas exclure " la mise en place d’une cellule autonome chargée d’abattre Juvénal Habyarimana " ; cet informateur révèle en outre qu’en sa présence, le président du FPR, Alexis Kanyarengwe, aurait envisagé de " descendre " le président rwandais.

En revanche, à la décharge du FPR, M. Filip Reyntjens note que la " ferme " se trouve à près de 10 km à vol d’oiseau du cantonnement du CND et que cette zone est militairement dominée par les FAR (Kanombe étant situé à deux kilomètres de Masaka). Cet argument perd de sa valeur en cas de complicité entre des officiers modérés et le FPR ou si l’on tient compte de la redoutable capacité d’infiltration dont le FPR avait fait preuve en d’autres circonstances, notamment à l’occasion d’un raid sur Ruhengeri en janvier 1991.

La question de l’anticipation par le FPR des événements survenus dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 est plus difficile à traiter. D’une part, il est certain qu’à l’exception de quelques sorties dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, les éléments du bataillon FPR à Kigali n’engageront les combats que dans l’après-midi du 7 avril. D’autre part, contrairement à ce qu’a pu indiqué le journal Jeune Afrique, les principaux cadres du FPR, comme Seth Sendashonga ou Jacques Bihozagara, n’ont pas quitté Kigali quelques jours avant l’attentat.

Enfin, certains ont avancé que le FPR n’avait pas lancé son offensive dans le nord à partir du 8 avril, mais plutôt dans la matinée du 7 avril, notamment dans les zones de Kisaro, Rukomo, Kagitumba et Nyabishongwezi. De plus, d’après des sources au sein de l’APR, celle-ci était en état d’alerte depuis le 3 avril. Selon ces mêmes sources, le Général Paul Kagame aurait donné l’ordre au Colonel Kaka de préparer l’assaut sur Kigali dès la nuit du 6 au 7 avril.

Il semble sûr, selon M. Filip Reyntjens, que le FPR était prêt à mettre en route une opération de grande envergure en un temps record et qu’il a pu introduire à Kigali des troupes qui ont su s’approvisionner en matériel en cours de route, notamment à Rutongo, à une dizaine de kilomètres de Kigali.

Le professeur Reyntjens indique enfin que des sources émanant du FPR affirmeraient que celui-ci serait à l’origine de l’attentat. Le Department of Military Intelligence du FPR (DMI) aurait confirmé cette implication et l’aurait justifié en arguant que la guerre n’aurait jamais pris fin si le Président Juvénal Habyarimana n’avait pas été éliminé. Une de ces sources aurait précisé que le " coup " avait été effectué par le Major Rose Kabuye et par le Colonel Kayumba, à l’époque chef du DMI. Enfin, d’après des sources situées à l’intérieur des FAR, dans la soirée du 6 avril, un poste d’écoute localisé à Gisenyi, et qui faisait le monitoring du réseau de communications du FPR, aurait capté un message annonçant : " la cible est touchée ". Ce fait serait confirmé par un rapport daté du 7 avril 1994, où le capitaine Apédo, observateur togolais de la MINUAR au camp de Kigali écrit : " RGF Major said they monitored RPF communication which stated " target is hit ".

La question de l’implication comme " opérateurs " de militaires belges

Sur ce sujet, M. Filip Reyntjens note que :

 dès la matinée du 7 avril, une déclaration d’un " comité de crise de la communauté rwandaise en Belgique ", proche du MRND, affirme que l’attentat a été perpétré par des militaires belges faisant parti du contingent des casques bleus et se fonde sur des " sources militaires non belges de la MINUAR ".

 dans une note verbale du 20 avril, l’ambassadeur du Rwanda à Kinshasa, M. Etienne Sengegera, affirme que l’avion a été abattu par des militaires belges pour le compte du FPR. En revanche, une note publiée le lendemain par l’ambassade du Rwanda à Bujumbura se montre beaucoup plus prudente sur les faits.

Dans une note du 10 avril, le Ministre des Affaires étrangères dit que l’avion présidentiel a " subi des tirs de la part d’éléments non encore identifiés " et le lendemain le Ministre évoque " des défaillances inexplicables de la part du chef des casques bleus chargés de la sécurité de l’aéroport Grégoire Kayibanda et de ses environs, défaillances qui ont permis d’abattre l’avion présidentiel. "

Cette même thèse d’une culpabilité du FPR et d’une complicité militaire belge est reprise par M. Paul Barril dans l’émission de France 2 à laquelle il participe le 28 juin 1994.

Aucune preuve convaincante n’est cependant jamais venue étayer ces assertions, qui sont par ailleurs toujours le fait de sources proches du régime d’Habyarimana. L’hypothèse de l’implication de trois militaires belges dans l’attentat et de leur élimination ultérieure est peu convaincante, car ces militaires auraient été identifiés comme l’ont été les dix casques bleus belges de la MINUAR, assassinés dans les jours qui ont suivi l’attentat.

Enfin, Mme Colette Braeckman a indiqué à votre rapporteur, M. Bernard Cazeneuve, que les véritables auteurs de l’attentat avaient essayé de " faire porter le chapeau aux Belges " afin de précipiter leur départ. Le vol d’uniformes belges, qui auraient pu être utilisés par des mercenaires occidentaux, ne constitue pas un élément de preuve suffisant pour conforter cette seconde hypothèse.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr