Sans reprendre l’ensemble des thèses évoquées précédemment, il est à ce stade possible d’évaluer la fiabilité des éléments plaidant en faveur de l’une ou l’autre des deux principales hypothèses.

En ce qui concerne la thèse privilégiant l’implication du FPR dans l’attentat contre l’avion du Président Juvénal Habyarimana, elle est étayée par les éléments suivants :

 sur le plan politique, l’obstruction à la mise en oeuvre des accords d’Arusha, de la part du Président Juvénal Habyarimana et de son entourage, aurait pu laisser à penser aux dirigeants du FPR que seule une élimination physique du chef de l’Etat permettrait à la dynamique institutionnelle de ces accords d’aller à son terme.

Par ailleurs, il est incontestable que la dimension ethnique des conflits politiques rwandais laissait peu de chance au FPR de sortir vainqueur d’un processus électoral régulier.

Enfin, sans qu’aucun écrit ni aucun témoignage fiable ne soit venu en appui de la thèse d’une volonté de victoire politique et militaire totale de la part du FPR, on peut légitimement considérer que celle-ci n’était possible que dans le cadre d’une logique de coup d’Etat, comme l’ont montré les tragiques événements consécutifs à l’attentat du 6 avril 1994, et ce d’autant plus que l’élimination conjointe du chef de l’Etat, du chef de la Garde Présidentielle et du Chef d’Etat-major des Armées rendait impossible toute réaction organisée.

 sur le plan technique, il est incontestable que le FPR disposait de missiles antiaériens de type sol-air et que certains missiles retrouvés sur le théâtre des opérations militaires s’inscrivaient dans une série ougandaise. Le fait que les responsables politiques et militaires rwandais aient nié cette capacité destructive lors du passage de la Mission à Kigali pourrait être considéré comme une volonté de dissimuler la vérité pour cause de culpabilité. Par ailleurs, dans son témoignage à la police kenyane (cf. annexe) l’épouse de Seth Sadashonga, qui fut l’un des compagnons de route du FPR, indique que l’assassinat récent de son mari a pu s’expliquer par la crainte du FPR de voir ce dernier témoigner devant la Mission, précisément sur la question de l’attentat.

En l’état actuel du dossier, il n’est pas possible de confirmer ou d’infirmer l’infiltration d’éléments du FPR le 6 avril 1994 dans la zone présumée de l’attentat. L’opération était tactiquement possible à la tombée de la nuit pour des éléments du FPR, car l’Armée patriotique rwandaise (APR) était très entraînée à l’infiltration de nuit et l’avait prouvé à maintes reprises sur la ligne de front. Par ailleurs, le terrain était favorable, notamment en contournant l’aéroport par le nord, où l’habitat était moins dense, et les délais étaient suffisants pour une mise en place discrète, pour peu que la position ait été reconnue à l’avance.

Enfin, il y avait à Dar Es-Salam suffisamment de protagonistes proches du FPR pour informer ce dernier de l’heure de départ de l’avion présidentiel, des moyens radio simples étant en outre susceptibles de capter certaines conversations entre la tour de contrôle et l’équipage. Ce point a été confirmé par le capitaine Ducoin à l’occasion de son audition.

En ce qui concerne la thèse privilégiant la piste des extrémistes hutus :

 sur le plan politique, il est évident que la décision prise par le Président Juvénal Habyarimana à Dar Es-Salam d’appliquer les accords d’Arusha ne pouvait qu’aboutir à la mise à l’écart de certains des membres les plus extrémistes de l’Akazu. Dès lors que le président avait cessé de résister à la logique d’Arusha pour s’y rallier, son élimination physique pouvait devenir indispensable pour quiconque souhaitait éviter tout partage du pouvoir.

L’argument évoqué, selon lequel le Colonel Elie Sagatwa ne pouvait être sacrifié par les extrémistes eux-mêmes, mérite d’être pondéré par le fait que ce dernier avait accompagné le Président Juvénal Habyarimana dans ses dernières évolutions pour mettre en oeuvre la logique d’Arusha.

Enfin, l’état d’impréparation du clan des extrémistes hutus au lendemain de la disparition de Juvénal Habyarimana, ne concorde pas avec l’élimination systématique de l’opposition modérée, par le niveau de préparation et l’importance des massacres ethniques ayant abouti à un génocide sous l’impulsion de quelques militaires médiocres " croyant à leur étoile ".

 sur le plan technique, les FAR, disposaient de moyens sol-air récupérés sur le FPR. La zone de Kanombe était essentiellement tenue par l’armée hutue, de même que la tour de contrôle. Même si le FPR pouvait accéder à cette zone en s’y infiltrant, il était assez difficile pour lui de le faire (cf. annexe). Compte tenu de la portée d’un missile de type SAM-16, il est peu probable qu’un tel missile ait été tiré en dehors de la zone contrôlée par les FAR.

Pour répondre à l’hypothèse évoquée par M. Gérard Prunier de l’implication de mercenaires occidentaux aux côtés des extrémistes hutus, la Mission a obtenu les éléments d’information suivants (cf. annexe Barril).

Des liens existaient entre le groupe de Paul Barril " SECRETS " et l’entourage du Président Juvénal Habyarimana avant que l’attentat ne soit exécuté. Ces contacts auraient été plus particulièrement noués par certains responsables rwandais en vue d’aider à la bonne exécution du contrat de vente d’armes passé le 3 mai 1993 entre le Ministre de la Défense rwandais, M. James Gasana et M. Dominique Lemonnier, gérant de la société Dyl-Invest. Le Gouvernement rwandais n’ayant jamais reçu livraison des armes achetées dans le cadre de ce contrat, malgré le règlement d’une avance de 4 millions de dollars virés sur le compte de M. Lemonnier, le Colonel Elie Sagatwa aurait une première fois chargé M. Paul Barril, en novembre 1993, de veiller à la bonne exécution de ce contrat. Le 20 mai 1994, M. Jérôme Bicamumpaka, Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Gouvernement intérimaire hutu aurait donné procuration à M. Paul Barril afin qu’il mette en oeuvre toutes les démarches nécessaires pour récupérer l’acompte versé en novembre 1993. Paul Barril n’ayant pas réussi à obtenir satisfaction, a diligenté une procédure judiciaire devant le tribunal de grande instance d’Annecy contre Dominique Lemonnier, M. Sébastien Ntahobari étant intervenu dans cette procédure au nom du Gouvernement rwandais. Or, M. Ntahobari a bénéficié pour ce faire du concours de maître Hélène Clamagirand, avocate du groupe de Paul Barril mais aussi avocate de Mme Agathe Habyarimana consécutivement à l’attentat. Ceci témoigne des relations ayant pu exister entre ces différents protagonistes.

Tous ces éléments ont pu être établis par la Mission sur la base d’informations communiquées par M. Patrick de Saint-Exupéry.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr