Concernant l’avion présidentiel, M. Georges Martres a rappelé à la Mission que " l’achat en 1990 d’un Falcon d’occasion pour le Président Juvénal Habyarimana correspondait au remplacement de la Caravelle très vétuste qui avait été financée par la France, à une époque où le Rwanda n’était pas en guerre contre le FPR ". Il a indiqué qu’il s’agissait là " d’une pratique courante de coopération consistant à offrir un avion personnel aux Chefs d’Etat africains. Le Président Bongo et vraisemblablement le Maréchal Bokassa ont ainsi reçu des appareils. La France, ayant jugé qu’il lui était difficile de ne pas répondre à cette demande de renouvellement, a acquis un Falcon d’occasion et a fourni le même équipage d’officiers français ".

M. Jacques Pelletier a précisé qu’un budget de 60 millions de francs avait été prévu sur les crédits de coopération, dont 57 millions de francs pour l’appareil et 3 millions de francs pour les pièces détachées, et qu’il avait été également décidé de mettre à disposition un équipage de trois personnes.

L’absence de clarté des contrats

L’analyse des contrats signés par le Ministère de la Coopération, des contrats de travail des trois membres d’équipage et des courriers échangés fait ressortir un certain nombre d’anomalies, qui pourraient être qualifiées d’irrégularités ou d’illégalités :

Le contrat signé entre le Ministère de la Coopération et la société prestataire de service, la SATIF (services et assistance aux techniques industrielles françaises), a été conclu de gré à gré, sans procédure de mise en concurrence.

Plusieurs explications ont été fournies. La SATIF, PME au capital de 250 000 francs, créée en 1977, était connue des services de la coopération car elle avait fourni des prestations d’assistance temporaire technique pour des personnels navigants ou de soutien au sol, par exemple pour remplacer pendant des périodes de congé des équipages d’avions présidentiels africains sous contrat direct d’assistance technique.

M. Charles de la Baume, PDG de la SATIF, a précisé que le contrat concernant l’équipage avait été élaboré à la demande du ministère de la Coopération, qui souhaitait ne plus avoir recours à l’assistance technique directe et éprouvait des difficultés à recruter des personnels navigants compétents. La SATIF connaissait le secteur de l’aéronautique puisque l’essentiel de ses activités était relatif à l’assistance technique et à la maintenance dans les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile, et qu’elle avait l’habitude de détacher du personnel à l’étranger. Le ministère de la Coopération s’est donc naturellement retourné vers une société qu’il connaissait déjà et qui était l’une des seules à être en mesure de fournir les prestations demandées.

La Mission a estimé que l’absence d’un appel d’offres était d’autant moins justifiée que la SATIF paraissait la seule société capable de répondre aux spécificités du marché et qu’ainsi, les formes juridiques auraient été respectées. De plus, le retard administratif pour la passation des marchés, la nécessité induite de recourir à des régularisations tardives et la multiplication de marchés négociés dans des situations comparables ne peuvent servir de justificatifs à une procédure contraire à la réglementation.

En violation des règles des marchés publics qui prévoient qu’un prestataire de services doit communiquer son intention de sous-traiter, la SATIF a sous-traité l’exécution du contrat pour tout ou partie de la mission, sans en avertir les autorités publiques, à deux sociétés, d’abord l’ASI (Aero Services International), puis la MSI (Maintenance Internationale Services) à partir de 1991.

M. Patrick Andrieu, qui traitait les dossiers de la SATIF au ministère de la Coopération, a ainsi confirmé que les services n’avaient été officiellement informés de la sous-traitance qu’après l’attentat du 6 avril 1994, au moment des demandes d’indemnisation. Il a cependant reconnu qu’il avait eu connaissance de l’existence de l’ASI, mentionnée dans une facture de prestation de personnel, mais il ignorait que cette société intervenait dans l’exécution du contrat.

Les deux sociétés peuvent être caractérisées de sociétés écrans de la SATIF. Les PDG de l’ASI et de la MIS n’étaient autre que celui de la SATIF, la longueur de son patronyme (Charles-Armand de Rocher de la Baume du Puy-Montbrun) permettant de recourir à certaines parties du nom seulement (Charles de la Baume pour la SATIF, Armand de Rocher pour l’ASI ou la MIS). L’ASI a disparu début 1993, la MIS ayant pris son relais.

M. Charles de la Baume a justifié la sous-traitance par la lenteur de la procédure administrative de régularisation des contrats et la faiblesse des fonds propres de la SATIF qui ne permettait pas de régler les rémunérations de l’équipage. Il a rappelé que les contrats n’étaient signés qu’en juin, alors que les prestations avaient débuté en janvier de la même année et que le premier versement n’intervenait souvent qu’en octobre. La SATIF ne pouvait non plus, d’après lui, pour des raisons de confidentialité, demander l’ouverture d’une ligne de crédit à une banque. La sous-traitance aurait ainsi permis de régler un problème de trésorerie.

La MIS, dont le capital était de 2,5 millions de francs, ne constituait pas seulement un relais financier pour rémunérer l’équipage. Elle en était en droit le seul employeur, puisque son PDG ou son mandataire ont signé les contrats de travail. M. Patrick Andrieu a fait valoir que le contrat signé avec la SATIF ne précisait pas l’identité des membres d’équipage recrutés pour la Mission, ce qui renvoyait à la seule SATIF le soin du recrutement et de l’embauche. Mais il est légitime de s’interroger sur l’absence de tout contrôle de l’exécution du contrat par le Ministère de la Coopération.

La complexité du dossier explique les difficultés rencontrées par les familles dans les demandes d’indemnisation, les administrations, les compagnies d’assurance et les différentes sociétés concernées ayant eu du mal à trouver un accord.

Quel était le statut de l’équipage ?

Les trois membres de l’équipage doivent être considérés comme des assistants techniques indirects. Il n’existe donc pas d’ambiguïté sur leur statut.

Malgré l’existence de contrats de travail de droit privé avec une société (d’abord ASI puis MIS), et même si le Ministère de la Coopération n’avait pas à connaître des relations contractuelles avec un employeur privé, leurs liens avec la Coopération étaient étroits. Leurs rémunérations étaient payées sur fonds publics, imputés à partir de 1990 sur un article du budget de fonctionnement relatif à " l’assistance technique indirecte ". Leur contrat stipulait qu’ils devaient être immatriculés auprès de la Mission de coopération à Kigali. Le chef de la Mission de coopération attestait de leur présence et de la réalité de leur activité ; une seule attestation de ce type a été fournie et il n’existe plus de dossier de paiement.

Plusieurs autres indices confirment ce statut. D’une part, le ministère de la Coopération a accordé la prise en charge des frais d’obsèques par une décision du 10 août 1994 qui a expressément qualifié les membres d’équipage " d’assistants techniques indirects ". D’autre part, le dédommagement des effets personnels des membres d’équipage et de leurs familles, après avoir été refusé par les services du ministère dans un premier temps, ont été pris en charge sur la base d’un précédent, les ayants droits étant finalement indemnisés selon les mêmes règles et modalités que les assistants techniques. Par ailleurs, le ministère a procédé à une transaction avec la SATIF pour régler la totalité des prestations relatives au mois d’avril 1994.

L’équipage faisait-il du renseignement ?

M. Georges Martres, ancien ambassadeur au Rwanda, a affirmé devant la Mission que la présence d’un équipage français permettait " de connaître les déplacements importants du Chef de l’Etat rwandais ". Il a confirmé par lettre que cet équipage avait apporté de manière régulière sa contribution en informant l’ambassadeur et l’attaché de défense.

M. Jacques Dewatre a cependant indiqué " qu’aucun renseignement n’avait été fourni par les trois membres de l’équipage du Falcon 50, qu’ils ne travaillaient pas pour la DGSE ".

M. Charles de la Baume a affirmé à votre rapporteur qu’il n’y avait aucun lien entre la SATIF et les services de renseignement, que certes sa société était connue des services et avait été contactée par eux, mais qu’à sa connaissance, les pilotes n’avaient eu aucun rôle de renseignement. Il a expliqué au rapporteur que les rapports trimestriels d’activité (en langue française), prévus par l’article 4-4 du contrat SATIF, concernaient des éléments concrets sur l’activité des pilotes, permettant de connaître le nombre d’heures de vol effectuées et donc de vérifier si leur qualifications professionnelles restaient valables. Il ne s’agissait donc pas de rapports d’information. Aucun de ses rapports n’a été retrouvé et n’a pu être communiqué à la Mission.

Votre rapporteur s’est étonné qu’une société ayant fourni des équipages à la Coopération militaire, par exemple au Tchad, et des pilotes dans un pays difficile comme le Rwanda, au service d’un Président menacé, puisse être considérée comme une société classique sans lien avec le renseignement, même s’il lui a été confirmé que des pilotes mis à disposition ne rendaient pas compte de leur activité sauf si certaines informations leur paraissaient importantes.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr