Comme vos rapporteurs l’ont souligné à diverses reprises, notre engagement au Rwanda était fondé sur le sentiment d’une obligation de solidarité à l’égard d’un pays francophone, lié à la France par des accords de coopération civile et militaire, dont la stabilité était menacée par une incursion armée provenant de l’extérieur. La politique suivie a cependant sous-estimé le fait que cette offensive provenait de réfugiés dont la volonté de revenir dans leur pays ne semblait pas être prise en compte. Elle n’a pas non plus attaché suffisamment d’attention à la dérive raciste du régime rwandais.

Cette politique a souffert de s’inscrire dans le cadre trop étroit d’une solidarité avec les pays d’Afrique francophone dits " du champ ". En conséquence, notre dialogue avec les pays anglophones voisins n’a pas été à la mesure des risques et des enjeux de notre intervention au Rwanda.

Par ailleurs, notre action diplomatique a revêtu une dimension trop strictement, voire exclusivement nationale. Nous n’avons pas véritablement cherché à confronter nos points de vue avec nos partenaires européens, notamment belges mais aussi allemands, dont la présence était forte au Rwanda.

Nous avons tenté un dialogue avec le Royaume-Uni en espérant qu’il amènerait l’Ouganda à adopter une attitude plus conciliante. Mais après l’échec de cette démarche, les Etats-Unis sont devenus nos seuls véritables interlocuteurs parmi les pays développés.

Toutes ces limitations peuvent être dépassées dans le cadre de l’actuelle réforme de la coopération, qui procède notamment des principes suivants :

 coordination interministérielle renforcée,

 concentration, selon des modalités sélectives et sur une base contractuelle de notre aide bilatérale, sur une zone de solidarité prioritaire englobant les pays les moins développés en termes de revenus et n’ayant pas accès aux marchés des capitaux ;

 rationalisation de la coopération autour de deux grands pôles : d’une part les Affaires étrangères et la Coopération, rassemblées au sein d’un seul ministère, d’autre part l’Economie, les Finances et l’Industrie.

Ces principes permettent d’élargir notre action de coopération à de nouveaux partenaires. Les pays traditionnellement appelés " du champ " qui bénéficient actuellement des crédits du Fonds d’aide et de coopération seront inclus dans la zone de solidarité prioritaire lors de la mise en œuvre de la réforme. Ils feront l’objet d’une attention particulière mais qui ne sera plus exclusive.

Par ailleurs, une plus grande synergie sera recherchée entre la politique de coopération mise en œuvre en faveur des pays de la zone de solidarité prioritaire et l’aide européenne, accordée notamment par le Fonds européen de Développement dans le cadre de la convention de Lomé. Notre politique de coopération aura vocation à mieux s’harmoniser à l’avenir avec celle conduite par l’Union européenne. C’est dans cet esprit que nous devrons participer aux négociations destinées à élaborer la future convention de Lomé qui entrera en application au-delà de l’échéance du 2 février 2000.

Sur la base de son examen de la politique menée par la France au Rwanda de 1990 à 1994, la Mission souhaite formuler les cinq propositions suivantes, concernant notre politique de coopération avec nos partenaires africains :

il lui parait indispensable, en premier lieu, de maintenir un flux d’aide substantiel en faveur de ces pays. Même si la pauvreté n’est pas le seul facteur explicatif de la crise rwandaise, elle a, de toute évidence, beaucoup contribué à son aggravation. Dans une société dépendant à ce point de l’agriculture vivrière, la question des terres revêtait une importance vitale pour la grande majorité de la population. Le retour des réfugiés tutsis pouvait être présenté comme une menace de reprise de terres. Le massacre des voisins tutsis donnait l’occasion aux individus qui ont participé au génocide de chercher à leur prendre leurs terres.

Pourtant, l’aide n’a pas manqué au Rwanda. Mais celle-ci n’a permis ni de créer des emplois dans d’autres secteurs que l’agriculture, ni d’enrayer une dynamique démographique qui exerçait une pression croissante sur les ressources vivrières disponibles.

Le fait que le Rwanda ait été laissé aussi démuni face à ses difficultés économiques, pose donc la question, non seulement du volume de l’aide, mais aussi de son adaptation, de sa sélectivité, de la coordination des interventions des différents bailleurs bilatéraux et multilatéraux.

Le Rwanda, petit pays enclavé, a, en outre, dramatiquement besoin d’une meilleure intégration économique régionale. Or, celle-ci est difficile en Afrique. En outre, le Rwanda s’est orienté vers la CEEAC, qui a regroupé en 1982, avec le soutien de la France, les pays de l’ancienne Afrique équatoriale française, les anciennes colonies belges d’Afrique centrale et l’Angola, alors que ses intérêts le lient à l’Est du continent. Aujourd’hui, un rapprochement avec la SADC, qui regroupe les pays d’Afrique australe et surtout l’East African Corporation qui rassemble le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie, ouvre des perspectives plus prometteuses. Quoi qu’il en soit, la France doit, pour la Mission, impérativement continuer à soutenir activement et à encourager les efforts d’intégration régionale en Afrique. Cette intégration constitue, en effet, une condition essentielle du développement ;

Par ailleurs, les événements du Rwanda font apparaître que l’aide au développement apportée par la France comme par les autres pays industrialisés n’a pas suffisamment été mise en cohérence avec les efforts de paix. Les ressources financières ont ainsi dangereusement fait défaut au Rwanda, lorsqu’il s’est agi de démobiliser les FAR et l’APR pour créer une armée unique intégrée, tout en préparant les conditions du retour des réfugiés tutsis, et de la réinstallation des déplacés de guerre. La Mission recommande donc de veiller plus attentivement à l’avenir à la cohérence des politiques d’aide et des efforts de paix ;

La Mission propose que, si la situation politique l’exige, notre politique d’aide puisse dépasser les limites héritées de l’histoire. L’idée d’intégrer l’Ouganda dans le " champ ", pour créer de meilleures conditions de résolution du conflit rwandais, aurait sans doute mérité d’être davantage approfondie et de déboucher sur des initiatives plus concrètes, en association avec nos partenaires européens. Une plus grande attention portée aux programmes d’aide internationaux mis en œuvre en Ouganda nous aurait également alertés sur leurs conséquences, notamment sur la démobilisation d’une partie importante de l’armée ougandaise et sur son corollaire : la libération d’hommes disponibles pour s’engager dans le FPR ;

La Mission estime, en outre, que la politique de coopération doit davantage prendre en compte les dangers que constituent en Afrique les flux de réfugiés et de déplacés. Pour qu’ils ne se transforment pas en foyers de guérilla, des mesures politiques doivent être prises, telles que celles recommandées par le Secrétaire général de l’ONU dans son rapport au Conseil de sécurité du 16 avril 1998 sur les causes des conflits et de la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique (demande de séparation des civils et des militaires au sein des camps de réfugiés, création d’un dispositif international permettant d’aider les pays d’accueil à maintenir la sécurité et la neutralité dans les camps). Le Conseil de sécurité s’est prononcé en leur faveur dans sa résolution 1208 du 19 novembre 1998. Mais ces mesures doivent être assorties d’un volet financier pour faciliter la réinstallation, l’intégration ou le retour des réfugiés. Dans le cas de la crise rwandaise, une aide française active et visible aux réfugiés tutsis aurait sans doute considérablement facilité les négociations et montré que la présence de la France n’avait pas comme objectif exclusif de renforcer un seul camp dans le conflit ;

Enfin, la Mission rappelle le lien politique, souligné notamment par le secrétariat général de l’ONU entre " bonne gouvernance " et développement. La bonne gouvernance a d’ailleurs été le thème de la conférence franco-africaine tenue à Ouagadougou en décembre 1996. L’exemple tragique de l’échec de la démocratisation rwandaise montre à quel point il s’agit d’une exigence indispensable dans notre partenariat avec les pays africains, mais complexe et difficile. La démocratie ne se réduit pas à l’organisation ponctuelle d’élections, qui peuvent simplement consacrer la victoire d’une majorité ethnique. Les élections libres sont naturellement nécessaires, mais elle doivent s’intégrer dans un processus à long terme de constitution durable d’un Etat de droit. Ce processus passe notamment par la clarté des règles, la transparence de l’administration, le fonctionnement régulier du système judiciaire, le respect des engagements et le paiement des dettes publiques. Les populations doivent y être constamment associées, en particulier au niveau local.

La coopération française et européenne a pour devoir d’encourager toute évolution en ce sens, sans pratiquer d’ingérence. La négociation de la nouvelle convention de Lomé offrira l’occasion de progresser en ce domaine, en permettant d’approfondir le dialogue politique entre l’Union européenne et les pays ACP sur les questions du respect des droits de l’homme et des principes de l’Etat de droit et de la bonne gestion des affaires publiques.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr