Dans le cadre de l’évaluation de la politique du Gouvernement face aux événements du Rwanda (1993-1994), la Commission des Affaires étrangères du Sénat a examiné notamment la proposition visant à instituer une commission d’enquête parlementaire chargée d’enquêter sur les facteurs ayant déterminé la politique de la Belgique dans les mois qui ont précédé le génocide au Rwanda, lors de celui-ci et pendant son exécution (1) et la proposition visant à instituer une commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat de dix Casques bleus belges et sur la préparation du génocide au Rwanda (2).

À cette occasion, la commission a écrit au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Défense nationale pour leur demander de lui transmettre " les notes d’information qui sont parvenues à leur département ou à leur cabinet pendant les mois qui ont précédé l’assassinat des dix Casques bleus belges et le génocide au Rwanda ". Cette requête a été accueillie avec des réserves par le Gouvernement, qui a invoqué la confidentialité de l’information et la nécessité de protéger ses sources. Les dossiers contiennent en effet des pièces qui proviennent des services de renseignements et mentionnent des " informations émanant de tiers dont il n’est pas possible ou souhaitable de divulguer l’identité " .

Au cours du printemps et de l’été 1996, une pétition a circulé dans le public et a recueilli plus de 200 000 signatures.

Le 27 juin 1996, les deux ministres ont fait un exposé sur les informations reçues pendant la période visée, mais sans remettre de documents.

La commission ne se contentant pas de cette solution, le problème fut soumis au bureau du Sénat qui, en concertation avec le Gouvernement, élabora une proposition de compromis respectant à la fois le principe de l’obligation de rendre des comptes au Parlement et le principe de la confidentialité de certains documents.

La Commission des Affaires étrangères adopta la proposition à l’unanimité, après l’avoir légèrement amendée.

Le texte de la décision unanime prise par la Commission des Affaires étrangères le 24 juillet 1996 est libellé comme suit :

" de mettre en place un groupe ad hoc pour consulter les documents aux départements des Affaires étrangères et de la Défense concernant les événements qui se sont déroulés au Rwanda entre la conclusion des accords d’Arusha en août 1993 et le déclenchement du génocide en avril 1994 ;

de charger MM. André et Delva, présidents émérites de la Cour d’arbitrage, et M. Swaelen, président du Sénat, MM. Mahoux et Verhofstadt, vice-présidents du Sénat, et M. De Decker, sénateur et président du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, de consulter les documents et informations susvisés, d’établir un rapport sur les informations contenues dans les documents relatifs à la période susvisée, de déposer leur rapport devant la commission dans un délai raisonnable et au plus tard le 15 octobre 1996 et de se présenter devant la commission pour lui fournir tous éclaircissements utiles ;

de requérir des membres du groupe ad hoc le respect d’une obligation de discrétion en ce qui concerne les informations recueillies à l’occasion de l’accomplissement de leur mission ;

jusqu’au dépôt du rapport du groupe ad hoc, de suspendre les travaux de la commission sur le même sujet. "

1. Le groupe ad hoc Rwanda

Les réunions plénières du groupe ad hoc ont eu lieu les 12 août 1996, 3 et 17 septembre 1996, 11 et 25 octobre 1996, 8, 22 et 29 novembre 1996, 4, 6, 9, 10, 13, 18 et 19 décembre 1996.

Il est rapidement apparu que le volume des documents à examiner était considérable et qu’il faudrait en outre recueillir des informations complémentaires. En conséquence, la Commission des Affaires étrangères a accepté de prolonger le mandat du groupe de travail jusqu’au début du mois de décembre 1996, et, par la suite, jusqu’au début du mois de janvier 1997.

La mission du groupe ad hoc était d’établir de quelles informations relatives au Rwanda les autorités civiles et militaires belges ont disposé pendant la période comprise entre les accord d’Arusha (4 août 1993) et le déclenchement du génocide (avril 1994). Cette connaissance devait permettre à la Commission des Affaires étrangères du Sénat de déterminer si ces mêmes autorités ont assumé correctement leurs responsabilités en la matière.

Pour définir sa mission, le groupe de travail est parti du principe que les responsabilités concernaient la politique suivie par la Belgique vis-à-vis du Rwanda durant la période qui a précédé le meurtre des paras belges et le déclenchement du génocide ; la participation d’un détachement belge à la MINUAR avec notamment les problèmes relatifs au statut, à la mission, aux " règles d’engagement ", aux moyens mis à disposition, etc. ; la décision de retirer le détachement ; les démarches entreprises auprès de l’Organisation des Nations unies en vue de renforcer le mandat et les moyens de la MINUAR. Cette responsabilité du Gouvernement belge ne s’étend ni aux décisions de l’ONU elle-même, ni aux décisions qui ont été prises par la filière de commandement de la MINUAR.

Le groupe de travail a convenu, étant donné que sa mission avait été définie de manière très vague et dans des termes très généraux, de s’en tenir strictement à noter les faits, à effectuer des constatations et, éventuellement, à évaluer la valeur de certaines informations.

Le 7 janvier 1997, le groupe ad hoc a présenté son rapport (3) à la Commission des Affaires étrangères. La presse en a été informée le même jour.

Les 9 et 14 janvier 1997, la Commission des Affaires étrangères a procédé à un échange de vues à propos du rapport du groupe ad hoc .

2. Commission spéciale Rwanda

Le 17 janvier 1997, le Bureau du Sénat a proposé, en séance plénière du Sénat, la création d’une commission spéciale Rwanda. La commission se composerait du Président du Sénat et d’un représentant des groupes politiques représentés au sein du Bureau du Sénat. Les groupes politiques qui ne seraient pas représentés au sein du Bureau pourraient désigner un membre ayant voix consultative.

Le 28 janvier 1997 a vu la composition du Bureau de la commission spéciale Rwanda. M. Swaelen, président du Sénat, étant président de plein droit, MM. Mahoux et Verhofstadt ont été désignés respectivement en tant que premier vice-président et deuxième vice-président, et M. Destexhe a été désigné en tant que secrétaire. La commission spéciale était composée en outre de MM. Caluwé et Hostekint, Mme Willame-Boonen, M. Ceder, M. Anciaux (avec voix consultative), M. Jonckheer (avec voix consultative), Mme Dua (avec voix consultative).

La commission spéciale a reçu un mandat de cinq mois, de manière que le rapport puisse être présenté en séance plénière au cours de la deuxième quinzaine du mois de juin.

La mission de la commission était de poursuivre le travail, à partir du rapport du groupe ad hoc concernant les événements du Rwanda, d’examiner quelle politique les autorités belges et internationales avaient menée, plus particulièrement quelles actions elles avaient entreprises, et de formuler éventuellement des conclusions relatives aux responsabilités et à propos des mesures qu’il y aurait lieu de prendre dans le futur.

Les premières réunions de travail, qui ont débuté le 5 janvier 1997, ont été consacrées à la rédaction d’une division thématique à suivre dans l’enquête, de listes de témoins à entendre et du règlement d’ordre intérieur de la commission.

Au cours de ces premières réunions, l’on a également décidé de se faire assister par des spécialistes, à savoir par deux experts en droit international (en particulier en ce qui concerne les institutions de l’ONU), MM. Suy et David, respectivement professeur ordinaire à la K.U.L. et professeur ordinaire à l’U.L.B., et par deux experts militaires, le général-major Duchâtelet, commandant militaire du Palais de la Nation, et le colonel e.r. Malherbe, ancien commandant du Régiment paracommando et du contingent belge de l’UNPROFOR.

Le 19 février 1997, la série d’auditions a débuté par des auditions et des entretiens avec les familles des victimes des événements du Rwanda (voir point 1.3.3.1).

Au cours de la première partie de ses travaux, la commission spéciale a été confrontée à un problème particulier concernant les modalités selon lesquelles les membres de la commission spéciale qui n’avaient pas participé aux travaux du groupe ad hoc pourraient consulter les documents qui avaient été mis à la disposition de celui-ci aux termes d’un accord avec le Gouvernement. L’on a obtenu que tous les membres de la commission spéciale et ensuite également tous les membres de la commission d’enquête parlementaire aient accès aux documents du ministère des Affaires étrangères. Les documents provenant du ministère de la Défense nationale ont toutefois été mis, en principe, à quelques exceptions près, à la disposition des membres du groupe ad hoc .

Pour certain nombre de documents que la commission désirait se voir communiquer ont manqué, notamment les documents Nees et De Cuyper ainsi que les procès-verbaux des réunions de coordination des Affaires étrangères. La constatation s’imposait également qu’un certain nombre de témoignages contenaient des contradictions manifestes, tant en eux-mêmes qu’entre eux. Enfin, la commission s’est vue confrontée à l’impossibilité d’interroger dans ses fonctions le juge d’instruction qui menait les enquêtes judiciaires parallèles. En raison de tous ces arguments, qui allaient pousser de plus en plus à la transformation en commission d’enquête, on a prévu une réunion d’évaluation à bref délai.

Le 19 mars 1997, une proposition qui tendait à demander au Sénat de transformer la commission spéciale en une commission d’enquête, fut rejetée. Un consensus put néanmoins être dégagé concernant la non-communication des documents Nees et De Cuyper : la commission allait pouvoir faire usage des compétences d’une commission d’enquête si, le 16 avril 1997, ces documents n’avaient pas été mis à sa disposition. Le 19 mars 1997, la commission décida également, à l’unanimité, d’évaluer son fonctionnement et son statut.

Le fonctionnement de la commission fut longtemps entravé par l’absence de réponse à l’invitation qu’elle avait adressée aux témoins des Nations unies. Cet élément a joué un rôle décisif dans la discussion relative à la question de savoir s’il fallait transformer ou non la commission spéciale en une véritable commission d’enquête. Le 16 avril 1997, le Président communiqua à la commission la réponse négative de l’actuel secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et un des principaux arguments contre la création d’une commission d’enquête parlementaire avait, dès lors, disparu.

La commission s’étant vue mise dans l’impossibilité d’entendre des personnalités des Nations unies, l’on décida de demander à Mme Suhrke, chercheur en chef au Chr. Michelsen Institute à Bergen (Norvège) et auteur du Rapport II " The Joint Evaluation of Emergency Assistance to Ruanda ", qui avait été autorisée, antérieurement, à interroger des fonctionnaires des Nations unies, d’intervenir en tant qu’intermédiaire pour questionner les intéressés. Au cours du mois d’octobre, Mme Suhrke devait toutefois déclarer qu’il lui était impossible de remplir cette mission. Ensuite, la commission d’enquête parlementaire Rwanda prit contact avec la représentation permanente belge auprès des Nations unies afin d’obtenir des éclaircissements sur certains points.

Le 23 avril, le Président du Sénat déposa au Bureau du Sénat une proposition visant à instituer une commission d’enquête parlementaire à part entière qui comprendrait quinze membres et qui remplacerait la commission spéciale composée, elle, de huit membres. Les trois membres ayant voix consultative feraient partie de la commission d’enquête et conserveraient leur statut.

M. Jonckheer et Mme Dua déposèrent une proposition d’amendement de la proposition du Président visant à instituer une commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda (4) pour rendre possible une éventuelle prolongation du mandat de celle-ci (5).

La proposition d’instituer une commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda fut adoptée, sans amendement, par le Sénat, le 24 avril 1997 (6).

3. Commission d’enquête parlementaire Rwanda

La réunion d’installation de la commission d’enquête parlementaire Rwanda eut lieu le 30 avril 1997. Le bureau de la commission fut composé comme suit : aux côtés du président du Sénat, M. Swaelen, président de commission de droit, l’on désigna M. Mahoux en tant que premier vice-président et M. Verhofstadt en tant que deuxième vice-président. MM. Mahoux et Verhofstadt furent également désignés en tant que rapporteurs. La commission comprenait au total quinze membres. Outre les membres du bureau, la commission d’enquête comprenait M. Caluwé, Mme Thijs, M. Hotyat, Mme Lizin, MM. Goris, Hostekint, Moens, De Decker, Destexhe, Mme Bribosia-Picard, Mme Willame-Boonen, M. Ceder, M. Anciaux (avec voix consultative), M. Jonckheer (avec voix consultative) et Mme Dua (avec voix consultative). Le règlement interne fut adopté.

C’est également le 30 avril qu’eut lieu la première réunion préparatoire à la rédaction du rapport de la commission. Les rapporteurs proposèrent un projet de plan du rapport.

Au cours de sa réunion du 13 mai, la commission décida de recourir à la coopération juridique experte de Mme Roggen, assistante à l’U.L.B. et avocate au barreau de Bruxelles.

Dans le cadre du dossier relatif à la R.T.L.M., la commission décida, le 13 mai, dans le cadre de la compétence qu’elle a reçue en application de l’article 4, § 2, de la loi de 1880 sur les enquêtes parlementaires, de demander au premier président de la cour d’appel de désigner un magistrat chargé des devoirs d’instruction nécessaires pour que la commission d’enquête puisse exercer sa mission spécifique. Le juge d’instruction devait examiner un certain nombre de transactions financières relatives au financement de l’émetteur radio rwandais R.T.L.M.

Le 21 mai, les membres de la commission d’enquête visitèrent le S.G.R. et le C Ops à Evere, à l’invitation du ministre de la Défense. Ce même jour eut lieu également un échange de vues particulier avec les experts militaires de la commission.

L’Assemblée nationale du Rwanda adressa au Sénat de Belgique une lettre pour l’inviter à envoyer au Rwanda une délégation qui pourrait y consulter les archives. La question de l’opportunité politique ou autre d’une visite au Rwanda d’une délégation de la commission donna lieu à un large débat. À la demande de la commission, M. Mahoux se rendit sur place afin de vérifier les archives. Son rapport se trouve à l’annexe nº 3 du rapport.

Au cours de la réunion du 11 juin 1997, le président fit savoir que M. Nahimana avait introduit une demande en récusation du commissaire Destexhe. Le président décida que la demande était toutefois irrecevable. La commission toute entière conclura elle aussi à l’irrecevabilité de la demande en récusation, après avoir été saisie d’un recours en appel.

L’on constata, au cours de la réunion du 24 juin, que la durée du mandat existant ne suffirait pas. Le 26 juin 1997, le Sénat, dont le Bureau avait déposé une proposition (7), décida que la commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda devrait déposer son rapport avant la fin du mois d’octobre 1997. Pour la rédaction de son rapport, la commission pourrait continuer à exercer les compétences légales qui sont celles d’une commission d’enquête parlementaire (8). En raison du grand volume de travaux, le Sénat a prolongé deux fois le mandat de la commission, tout d’abord jusqu’au 2 décembre 1997 et ensuite jusqu’au 6 décembre 1997.


Source : Sénat de Belgique