Environnement physique

Avec une superficie d’un peu plus de 26 000 km2 , le Rwanda est un des plus petits pays d’Afrique, comparable en taille à son voisin du sud, le Burundi, et à son ancien colonisateur, la Belgique. Situé juste au sud de l’équateur, il est enclavé entre le Zaïre, l’Ouganda, la Tanzanie et le Burundi. Souvent appelé le " Pays des Mille Collines " ou la " Suisse africaine ", le Rwanda est dominé par des chaînes montagneuses et les hauts-plateaux de la grande ligne de partage des eaux entre le bassin du Nil et celui du Zaïre (ligne de partage des eaux Congo-Nil). La partie centrale fort peuplée qui s’étend de Ruhengeri au nord à Butare au sud est située entre 1 500 et 2 000 m au-dessus du niveau de la mer. À l’ouest du plateau central, la ligne de démarcation Congo-Nil atteint des altitudes pouvant dépasser 2 500 m, les points culminants étant situés dans la chaîne volcanique de Virunga au nord-ouest du pays. À cet endroit, le Karasimbi culmine à 4 507 m. Situé à une altitude de 1 460 m au-dessus du niveau de la mer, le lac Kivu, qui sépare le Rwanda du Zaïre, est le lac le plus élevé d’Afrique. À l’est du plateau central, plus précisément de la capitale, Kigali, jusqu’à la frontière tanzanienne, le relief s’adoucit progressivement mais atteint encore malgré tout 1 000 à 1 500 m dans bon nombre de zones plus élevées.

Bien que le Rwanda soit situé juste sous l’équateur, ce pays jouit d’un climat modéré grâce à son altitude. La température moyenne annuelle à Kigali est de 19 degrés Celsius et ne fluctue que modérément entre la saison des pluies et la saison sèche. Le Rwanda bénéficie de précipitations abondantes d’octobre à juin, suivies d’une courte saison sèche qui s’étend de juillet à septembre. Les précipitations moyennes mensuelles sur le plateau central atteignent 85 millimètres, ce qui permet des cultures diversifiées sur chaque lopin de terre disponible. Le climat tropical modéré permet deux à trois récoltes par an, ce qui a donné à certaines parties du pays un potentiel de production agricole inégalé dans la plupart des pays africains.

Le Rwanda est un pays enclavé dont l’économie est dépendante d’un axe de communication coûteux et vulnérable traversant la Tanzanie ou l’Ouganda et le Kenya vers l’océan Indien situé à environ 1 500 km ou le Zaïre vers la côte atlantique située à environ 2 000 km.

Quelque 10 % du territoire rwandais a fait l’objet d’une mesure de protection comme parc naturel ou réserve forestière. Ce pourcentage est nettement plus élevé que dans les autres pays africains. Les parcs les plus connus sont Virunga à la frontière zaïroise au nord-ouest et Akagera à la frontière tanzanienne à l’est. Le parc Virunga, rendu célèbre par le film " Gorilles dans la Brume " abrite les derniers gorilles des montagnes tandis que les savanes de l’Akagera constituent le biotope d’une faune aussi variée que celle des parcs à gibier plus connus du Kenya ou de Tanzanie.

Sur le plan de l’organisation administrative, le Rwanda a été divisé en 10 préfectures dirigées chacune par un préfet nommé par le président de la République. Les préfectures sont elles-mêmes subdivisées en 143 communes dirigées par un bourgmestre. Les bourgmestres sont également désignés par le président.

Caractéristiques socio-démographiques

Selon le recensement de 1991 organisé en août de cette même année, le Rwanda compte une population totale de 7,15 millions d’habitants qui évolue selon un taux d’augmentation annuel de 3,1 %. Ceci se traduit par une densité de population très élevée. En fait, avec 271 habitants au km2 , le Rwanda arrive en tête des pays d’Afrique continentale. Si l’on faisait abstraction des lacs, des parcs nationaux et des réserves forestières, ce chiffre serait beaucoup plus élevé. La superficie réelle de terres arables (environ 17 600 km2 sur une superficie totale de 26 300 km2) doit donc nourrir en moyenne 406 habitants au km2 dans l’ensemble du pays. La zone la plus peuplée est la région de Ruhondo dans la préfecture de Ruhengeri, qui compte quelque 820 personnes au km2 utile. À l’autre extrémité de l’échelle, on trouve Rusomo (Kibungo) qui ne compte que 62 habitants au km2 utile (République Rwandaise, 1993, II).

Les raisons historiques qui expliquent la densité de population élevée du Rwanda sont légion. La terre est fertile, le climat agréable. De plus, la zone montagneuse offre une excellente protection. La forteresse naturelle formée par les hauts plateaux a servi de bouclier contre les envahisseurs hostiles tels que les marchands d’esclaves swahilis venus au XIXe siècle de la côte de l’océan Indien. Ajoutons à cela des structures militaires d’une grande efficacité et l’on comprend pourquoi la société rwandaise a été une des rares en Afrique à avoir été épargnée par les ravages du commerce d’esclaves par les Arabes et les Européens. La traite des esclaves n’a donc pas affecté sa population qui a en fait augmenté sous la pression des autres peuples venant y chercher refuge (Waller, 1993 ; Prunier, 1995). De plus, l’influence considérable de l’Église catholique opposée aux mesures de contrôle de la population ainsi que le statut traditionnel de la femme sont des facteurs importants permettant d’expliquer la forte poussée démographique.

Le Rwanda est un pays de fermiers cultivateurs ou plutôt de jardiniers à grande échelle. La question cruciale des terres sera exposée ci-dessous. Mais il convient déjà de noter que nombre d’observateurs lient la tragédie de 1994 à la forte pression démographique et à la compétition croissante pour disposer des moyens de subsistance. Pour reprendre les mots de Prunier (1995) :

" La décision de tuer a bien sûr été prise par les politiciens pour des raisons politiques. Mais une des raisons pour lesquelles les paysans ont pris part aux massacres (...) est notamment le sentiment que la population était trop nombreuse sur un territoire trop exigu et qu’ils seraient plus nombreux à survivre avec moins de bouches à nourrir... " (Prunier 1995).

Selon le recensement de 1991, la population résidente du Rwanda se composait de 90,4 % de Hutus (soit 6,5 millions d’habitants), 8, % de Tutsis (soit 0,6 million d’habitants) et 0,4 % de Twas (soit environ 30 000 habitants). En règle générale, les commentateurs s’accordent à dire (à quelques exceptions près) que ces chiffres reflètent la réalité. Ils correspondent également aux résultats obtenus en extrapolant les chiffres sur la base du recensement précédent et des chiffres d’immigration. L’historique des rapports entre Hutus et Tutsis est abordé ci-après. Il convient de noter ici que la minorité marginalisée des pygmées Twas se compose en fait de deux groupes : ceux vivant de la vente de leurs poteries et ceux vivant du produit de la chasse et de la cueillette. Ce dernier groupe, également connu sous le nom Impunyu, compte moins de 5 000 personnes et est concentré dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi. Ils sont souvent exploités et méprisés par leurs concitoyens rwandais.

En 1991, le Rwanda comptait environ 1,5 million de ménages composés en moyenne de 4,7 membres. La prédominance de l’agriculture et d’un mode de vie traditionnel est soulignée par le fait que pas moins de 94,6 % de la population vit dans les campagnes tandis que près des deux tiers de la population urbaine sont concentrés à Kigali. Le Rwanda est donc un pays rural dont les habitants vivent en majorité de l’agriculture dans les collines (musozi en kinyarwanda). Ces agriculteurs forment la base de la société rwandaise. Il en a résulté une forme très précise et particulière d’implantation : le paysan rwandais Hutu ou Tutsi fait partie d’un rugo qui peut se traduire approximativement par enceinte, enclos, maisonnée (dans un ménage polygame, chaque femme occupe son propre rugo ). Chaque colline se compose de plusieurs ingo (pluriel de rugo ) où Tutsis et Hutus cohabitent traditionnellement sur les mêmes pentes, " pour le meilleur et pour le pire ; les mariages mixtes et les massacres " (Prunier, 1995).

Le recensement de 1991 a montré que 48 % de la population était âgée de moins de 15 ans et que l’espérance moyenne de vie était de 53,1 ans. Parallèlement c’est-à-dire avant les massacres et les bouleversements démographiques de 1994/1995 plus de 20 % de la population adulte sexuellement active dans les zones urbaines était infecté par le virus HIV (The Economist Intelligence Unit, 1995). Les femmes sont contaminées à un âge plus jeune et en plus grand nombre que les hommes. Selon les estimations, 100 000 à 200 000 Rwandais en bas âge mourront du sida avant l’an 2000.

Une grande partie de la population rurale souffre de maladies endémiques telles que la bilharziose, la diarrhée, la dysenterie et des infections respiratoires. Les maladies liées à l’eau sont la principale cause de mortalité infantile. Selon les estimations de la Banque mondiale, le taux de mortalité infantile a chuté de 142 pour 1 000 en 1970 à 117 pour 1 000 en 1992. En 1992, quelque 1,5 million de Rwandais n’avaient pas accès aux services sanitaires ; 2,6 millions n’avaient pas l’eau potable et 3,2 millions étaient privés de sanitaires (The Economist Intelligence Unit, 1995).

La langue officielle de l’administration est le français mais la population communique dans le langage véhiculaire national qu’est le kinyarwanda et le swahili qui est la lingua franca des commerçants (les réfugiés originaires d’Ouganda et de Tanzanie parlent également l’anglais). Selon le recensement de 1991, 44 % de la population était analphabète, le taux d’illettrisme étant plus élevé chez les femmes (50 %) que chez les hommes (37 %). Selon les estimations de la Banque mondiale, 71 % des Rwandais en bas âge fréquentaient l’école en 1991 contre 68 % en 1970. Mais seulement 8 % ont un diplôme secondaire et moins d’1 % un diplôme supérieur.

L’Église catholique a joué un rôle crucial dans l’histoire du Rwanda. En un certain sens, il serait plus approprié de qualifier la colonisation du Rwanda d’entreprise des " Pères Blancs " de l’Église catholique française plutôt que de l’Empire germanique. Ils débarquent au Rwanda en 1899 et en quelques années installent plusieurs missions aux quatre coins du pays. Durant la période coloniale, l’Église catholique a travaillé main dans la main avec les autorités allemandes et belges et, après l’indépendance, la situation politique a été caractérisée par un degré élevé d’interpénétration entre l’Église et l’État.

Les fondateurs du nationalisme hutu moderne au nombre desquels figurait le futur président Grégoire Kayibanda, faisaient tous partie de la petite élite des " évolués " sortis des écoles catholiques et du séminaire. Vers la moitié des années ’70, l’archevêque de l’Église catholique romaine, Vincent Nsengiyumwa, devint membre du comité central du parti MRND au pouvoir, confesseur officiel de l’épouse du président Habyarimana et proche de l’akazu , le noyau dur des nationalistes hutus.

La forte présence du christianisme au Rwanda doit être vue sous cet angle. Selon le recensement de 1991, 90 % de la population était d’obédience chrétienne, dont 63 % de catholiques, 19 % de protestants et 8 % d’adventistes. L’Islam remporte un certain succès à Kigali et dans d’autres centres urbains, mais son importance marginale à l’échelle du pays représente à peine plus de 1 % de la population.

Enfin, les données sur l’emploi sont incomplètes puisque seulement 4 % de la population rwandaise vit dans l’économie monétaire. Les statistiques de la Banque mondiale pour l’année 1985 suggèrent que 93 % de la force de travail travaille dans le secteur agricole (chiffre nettement supérieur à la moyenne subsaharienne), 3 % dans l’industrie et 4 % dans le secteur des services. Au début des années ’90, le principal employeur dans le secteur officiel était l’administration publique qui occupait alors environ 7 000 employés dans l’administration centrale et 43 000 agents dans les administrations locales, sans tenir compte du personnel des forces armées.

L’immense majorité des paysans-cultivateurs travaillent pour leur propre compte ; ni l’administration, ni le timide secteur industriel ne peuvent absorber l’augmentation annuelle de la population active. C’est donc le secteur agricole qui a dû supporter la croissance démographique rapide qui a dépassé dans de nombreuses régions la progression du rendement agricole. Rares sont donc les ménages ruraux à survivre uniquement de l’agriculture. En 1990, le gouvernement a estimé que 81 % d’entre eux avaient une activité lucrative d’appoint telle que la fabrication de briques, la menuiserie et la couture. De plus, presque tout le monde avait un pied dans l’économie parallèle ou " le marché noir ", ne fût-ce qu’occasionnellement. Sont visés ici le commerce et le troc transfrontaliers ou la contrebande avec les pays voisins (The Economist Intelligence Unit, 1995).

La distribution des terres

Déjà en 1984, 57 % des ménages ruraux du Rwanda exploitaient une parcelle de moins d’un hectare et 25 % une parcelle de moins d’un demi-hectare, ce qui devait leur permettre de nourrir une famille moyenne de cinq personnes. Sous l’effet de la croissance démographique, les lois en matière de succession divisant entre les fils restants les droits de la famille d’utiliser le sol, ne firent que contribuer davantage à réduire la taille des parcelles de plus en plus fragmentées en parcelles minuscules disséminées dans des zones plus vastes. Au début des années ’90, le ménage rwandais moyen exploitait donc au moins cinq parcelles possédant des caractéristiques variables en termes de fertilité, d’accessibilité et de forme de propriété.

Le ménage doit produire sur ces diverses parcelles une réserve de nourriture constante tout au long de l’année, ce qui nécessite parfois des décisions très complexes. Il est préférable de ne pas se limiter à un seul type de culture, afin que, par exemple, des cultures riches en substances hydrocarbonées, comme les pommes de terre, viennent compléter des cultures riches en protéines, telles que les haricots. De plus, le fermier doit tenir compte de la fertilité requise pour chaque culture, des cultures résistant à des sols plus pauvres, etc. Une étude (citée par Waller, 1993) a ainsi démontré que, pour préserver la fertilité du sol, des fermiers établis dans le sud du Rwanda ont cultivé 14 légumes différents selon environ 50 rotations.

Sous la pression démographique, un système d’une telle complexité est difficile à maintenir et, au cours des années ’80, un nombre croissant de familles n’ont plus pu se permettre de laisser leurs parcelles se régénérer par des périodes de jachère. Il en a résulté une baisse de fertilité du sol et des stratégies de survie à court terme, telles que l’utilisation des pentes les plus abruptes tout en sachant pertinemment que ces pratiques n’étaient pas viables. Au début des années ’90, la moitié de l’agriculture rwandaise était située sur des pentes de plus de 10 % d’inclinaison où les précipitations emportaient souvent le sol et les plantations. Ceci entraîna à son tour un regain de malnutrition et de pauvreté chez une partie croissante des paysans. Un rapport du Ministère de l’Agriculture de 1984 dénombrait 5,5 millions d’agriculteurs au Rwanda. Chaque personne consomme en moyenne 49 grammes de protéines par jour (à comparer à la norme minimale de 59 grammes recommandée au niveau international). En 1989, la population agricole atteignait 6,5 millions mais la prise quotidienne moyenne de protéines était retombée à 36 grammes par personne (Waller, 1993).

Le statut de la femme

Comme dans d’autres pays africains, le statut légal de la femme au Rwanda est ambigu. La Constitution de 1991 dispose que tous les citoyens sont égaux tout en reconnaissant la validité de la loi traditionnelle dans les zones dépourvues de codification écrite. Cette loi traditionnelle comprend la question importante des successions. Le principal problème, c’est que la loi ne considère pas la femme comme légalement " compétente " mais qu’elle ne reconnaît que l’homme comme chef du ménage. Une femme peut acquérir l’usufruit d’un terrain en vertu d’une donation de ses parents ou par voie d’héritage si elle n’a pas de frère, mais une fois qu’elle se marie, ses avoirs deviennent la propriété du mari et si le mariage s’achève par un divorce, elle n’a aucun moyen de les récupérer. Si son mari vient à décéder, la femme n’hérite de rien. En effet, la femme ne peut légalement rien posséder, ni maison, ni outils, ni bétail, ni cultures. Cette absence de statut légal pose des problèmes particuliers dans les ménages ruraux dirigés par des femmes célibataires (22 % en 1984). Dans le secteur moderne de l’économie, l’incapacité légale de la femme signifie qu’elle ne peut ouvrir un compte en banque sans le consentement de son mari ou si elle n’est pas mariée d’un parent mâle. Si l’on ajoute à cela l’incapacité de posséder un avoir, il lui est quasiment impossible d’obtenir un prêt.

Dans le domaine du gouvernement et de l’administration, il n’y a pas eu de femme ministre jusqu’au gouvernement de coalition en 1992. Il n’y a pas eu non plus de femmes préfets ou bourgmestres ; 97 % des femmes économiquement actives sont des agricultrices qui ont la responsabilité de nourrir leur famille et de gérer la quasi-totalité des aspects du ménage, y compris des activités telles que la couture, le sarclage et la récolte en plus des corvées eau et bois. Au début des années ’90, les femmes accomplissaient 54 % des tâches agricoles et avaient en moyenne 20 % de temps libre en moins que les hommes. Malgré cela, 38 % des femmes rurales n’avaient jamais eu aucun contact avec un agent gouvernemental d’extension agricole (Waller, 1993).

Ces derniers temps, les femmes rwandaises ont pris de plus en plus conscience de l’injustice de leur statut social. Des associations de femmes travaillant ensemble dans les zones rurales ont donc gagné en force au cours des années ’80. Au sein de ces associations, les femmes ont acquis un statut légal de facto leur permettant d’avoir accès au crédit et de posséder des terres. Mais les femmes n’ont pas eu d’influence modératrice dans la culture conservatrice à domination mâle pendant les périodes d’agitation politique et de bouleversements comme en 1994.

Économie

Exception faite des sites hydroélectriques sous-exploités, les ressources naturelles du Rwanda sont assez limitées et l’économie s’est développée presque exclusivement autour de deux cultures rémunératrices : le café et le thé. Le secteur manufacturier a pris de l’importance depuis l’indépendance en partant quasiment de zéro pour atteindre environ 16 % du produit intérieur brut (PIB) en 1992. Avant les troubles de 1994 qui ont fortement touché l’infrastructure industrielle, le management et la force de travail, les principales branches couvraient la production de boissons et de denrées alimentaires, de détergents, de produits textiles et d’outils agricoles tels que des houes et des machettes.

Selon les chiffres de la Banque mondiale, le PIB du Rwanda a connu une croissance annuelle moyenne impressionnante en termes réels de 4,7 % entre 1970 et 1979, croissance suivie d’un ralentissement qui l’a fait retomber à 2,2 % de 1980 à 1988. En 1989, le PIB a enregistré une baisse marquée due à la chute des recettes de la vente de café. Le déclin s’est poursuivi en 1991, 1992 et 1993 et a été particulièrement marqué en 1994 pour les terribles raisons que l’on sait. Le PIB par habitant était estimé à USD 200 en 1993 contre USD 330 en 1989, soit une baisse de l’ordre d’environ 40 % en seulement quatre ans (The Economist Intelligence Unit, 1995).

Le café est la principale ressource du Rwanda. La principale variété cultivée, l’arabica , est classée dans la catégorie " autres légers " sur le marché mondial. C’est l’administration belge qui a introduit le café au Rwanda dans les années 1920. Les Belges ont planté du café en abondance et ont décrété que les taxes étaient payables en espèces plutôt qu’en nature afin de forcer le développement de cette culture. Par la suite, les autorités coloniales ont rendu la culture du café obligatoire en de nombreux endroits, cette loi étant demeurée virtuellement inchangée jusqu’à ce jour (The Economist Intelligence Unit, 1995). Depuis son introduction dans le pays, la production de café se développa jusqu’à dépasser les 42 000 tonnes en 1986, atteignant ainsi 82% des recettes totales d’exportation du Rwanda. Mais en raison de l’effondrement des prix du café en 1989 et de la guerre d’octobre 1990, cette part n’a fait que régresser. Elle n’était plus que de 51 % en 1992 et sera sans doute nettement moindre après la tragédie de 1994 qui a laissé les cultures de café dévastées, délaissées et malades dans tout le pays. On estime qu’il faudra trois ans pour les remettre en état.

Tous les producteurs de café du Rwanda sont des petits cultivateurs qui sont obligés de faire pousser du café sur leurs parcelles. [Au Rwanda, les terres appartiennent à l’État. Les paysans n’ont que le droit d’utiliser la terre, sans droit de propriété, et l’État peut la récupérer pour son propre usage, sans devoir aucune compensation pour les pertes occasionnées (Waller, 1993)]. En 1989, le Rwanda comptait près de 700 000 cultivateurs de café, soit environ 60 % de l’ensemble des petits cultivateurs, chacun cultivant 150 caféiers en moyenne. Pendant la plus grande partie des années ’80, le gouvernement leur a assuré un prix garanti de 125 francs Rwanda (RWF) au kilo, ce qui veut dire que jusqu’en 1987, le prix payé aux producteurs était moins élevé que les prix élevés pratiqués sur le marché mondial, ce qui a permis au gouvernement de faire des gains plantureux sur le commerce du café. Or, le cours mondial du café se mit à baisser et, en 1989, le Rwanda, à l’instar d’autres petits pays producteurs de café, fut gravement affecté par l’effondrement de l’accord international sur le café qui entraîna à son tour une chute des cours sur le marché londonien, ramenant le prix du café à son cours de la moitié des années ’80. C’est dans ce contexte que le gouvernement rwandais réduisit le prix payé aux producteurs à 115 RWF le kilo. De plus, dans le cadre du programme d’ajustement structurel imposé en 1990 par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), la monnaie nationale dut dévaluer de 40 %. Une nouvelle dévaluation de 15 % fut opérée en juin 1992.

Bien que la restructuration fût inévitable, elle a eu pour effet, du point de vue du paysan rwandais, de rendre la culture du café encore moins attrayante qu’auparavant. En un an de 1989 à 1990 le paysan moyen réagit à la crise en augmentant considérablement sa production pour finalement se retrouver avec un manque à gagner de 20 %. Comme la récolte de café à l’hectare rapportait en monnaie locale nettement moins que, par exemple, les bananes ou les haricots, nombre de paysans rwandais arrachèrent leurs caféiers par désespoir pour se tourner vers d’autres cultures (Waller, 1993).

Outre le café, le thé est devenu lui aussi une source importante de devises étrangères, passant de 9 % des recettes d’exportation en 1986 à 30 % en 1992. À l’inverse du café, le thé se cultive essentiellement dans les grands domaines qui, à une exception près, sont tous la propriété du gouvernement. Les plantations de thé couvrent ensemble 1 % du territoire cultivé. À certains endroits tels que Nkuli (Ruhengeri), les cultures de thé ont été introduites dans des zones précédemment occupées par des paysans locaux. Les récoltes annuelles entre 1988 et 1992 ont oscillé autour de 13 000 tonnes. Toutefois, à l’instar des récoltes de café, les récoltes de thé ont été gravement affectées par la guerre qui a éclaté en octobre 1990.

Globalement, les années ’80 ont été marquées par le déclin spectaculaire de l’économie rwandaise et, à la fin de cette décennie, l’économie avait régressé dans chaque secteur-clé : croissance du PIB, balance des paiements, ratio échanges commerciaux/endettement. La stagnation du PIB a déjà été commentée ci-dessus. La balance des paiements s’est également détériorée à partir de 1985 et en 1989 la valeur des biens importés était 3,5 fois supérieure à la valeur des exportations. Cette situation s’explique largement par le déclin des termes de l’échange du Rwanda ou de son pouvoir d’achat international, qui a reculé de 47 % entre 1980 et 1987. Rares sont les pays à avoir connu un recul aussi prononcé au cours de la même période. Enfin, la dette externe (USD 189 millions en 1980) a augmenté d’une manière quasi constante tout au long des années ’80 pour grimper en 1992 jusqu’à USD 873 millions (Waller, 1993 ; Vassall-Adams, 1994 et The Economist Intelligence Unit, 1995).

Les programmes d’ajustement structurel de 1990 et 1992 ont coïncidé avec la guerre qui débuta par l’invasion du Front patriotique rwandais en octobre 1990. Il est donc difficile d’évaluer leur impact macro-économique. Indépendamment des déboires des paysans producteurs de café, tout indique que l’introduction de coûts élevés notamment pour les soins de santé et l’éducation n’a fait qu’alourdir les charges déjà écrasantes des pauvres au Rwanda (Vassall-Adams, 1994 ; Marysse, 1993 et 1994).

La guerre a eu un effet dévastateur sur l’économie rwandaise. D’abord, elle a provoqué le déplacement de milliers de paysans vers le nord du Rwanda, avec des répercussions dramatiques pour la production de café et de denrées alimentaires. Ensuite, elle a coupé la route vers le port kenyan de Mombasa, le principal axe de communication entre le Rwanda et le reste du monde. De plus, elle a détruit l’industrie touristique naissante du pays, qui était devenue la troisième source de devises étrangères du pays. Enfin, elle amena le gouvernement à développer considérablement ses forces armées, réduisant ainsi les ressources nationales disponibles à d’autres fins (Vassall-Adams, 1994).


Source : Sénat de Belgique